Retranscription - Adélaïde Bon: "De la joie s'il vous plaît, de la joie !"

Générique

Agathe le Taillandier : Lors de mon anniversaire à la fin de l’été dernier, on m’a offert plusieurs fois le même livre. A cette soirée, c’était drôle de déchirer le papier cadeau et de découvrir à trois reprises la même couverture. Cette couverture, je la trouve très belle… Il y a le visage d’une femme en noir et blanc qui regarde au loin et il y a le titre du roman sur un fond rouge. Ce livre, beaucoup de jeunes femmes à cette soirée l’avaient lu et m’ont confié à quel point ce texte avait été important pour elle. J’ai compris que l’on se passait ce roman entre femmes particulièrement, et depuis déjà un petit moment, et j’étais heureuse de faire partie de ce cercle pour ma trente deuxième année. 

Alors, j’ai été émue en entendant la comédienne et écrivaine Adelaïde Bon en parler au micro du Book Club pour ce nouvel épisode. Sa voix est comme tendue sur un fil, fêlée, légèrement tremblante mais bien en vie. Ce récit d’une héroïne qui “se jette au cou de la joie” selon les mots de notre invitée l’a accompagnée dans sa reconstruction, dans sa renaissance, mais aussi dans son projet d’écriture. Adelaïde Bon a 9 ans le jour où un homme la suit dans la rue et la viole. Et son monde bascule. Devenue adulte, elle en écrit un livre paru aux Éditions Grasset : La petite fille sur la banquise. Raconter l’inexprimable c’est pour elle chercher à remettre les mots dans le bon sens pour leur faire dire la vérité. 

Je suis Agathe le Taillandier, bienvenu.e.s dans le Book Club ! 

Générique

Adélaïde Bon : Je ne suis pas tout à fait sûre, s’il n’y avait pas les livres, d’être suffisamment compétente pour vivre la vie telle qu’elle se présente. Et je considère souvent que se promener sans livre, ça serait comme se promener sans notice d’utilisation du monde. Ça serait assez effrayant. 

Dehors il pleut, il vente, de là où je suis assise je peux voir les branches du lierre s’agiter, les bambous et quelques fleurs aussi. J’ai la chance d’avoir un petit bureau qui donne sur une cour arborée. Et je suis donc là, à ma table de travail, dans ce petit bureau qui est à une quinzaine de minutes de chez moi. Et d’où je travaille et j’écris. 

Chez moi, la bibliothèque est dans le salon mais il y a aussi des livres partout ailleurs : dans les toilettes, dans la chambre, dans les chambres, dans la cuisine. La bibliothèque est dans le salon parce que c’est l’endroit où il y a le plus d’espace pour pouvoir mettre les livres. Et j’en ai beaucoup ! Sans doute trop… 

Ma bibliothèque, elle est classée par siècle et par ordre alphabétique à l’intérieur des siècles. Bon, régulièrement elle est déclassée parce que je passe mon temps à entrer et sortir les ouvrages. Donc là actuellement, il y a des piles de livres qui attendent d’être classés. Donc ils sont posés au devant des livres, eux, bien rangés. Et ce rangement c’est parce que j’ai souvent besoin de me référer à un livre ou à un autre. Que ce soit pour l’écriture ou pour mon activité de lectrice à voix haute. Et du coup j’ai besoin de trouver les livres assez vite. Et comme j’en ai pas mal, c’est pratique de les classer par siècle. Et par ordre alphabétique. 

Quand j’étais petite, Maman m’a toujours raconté que je refusais net d’apprendre à lire. Que je ne voulais pas entrer dans ce monde là, que tous ces signes, partout, ça me, c’était angoissant. Et que je n’avais pas envie d’entrer dans ce monde de signes dans lequel les adultes étaient sans cesse baignés. J’avais des parents qui lisaient beaucoup. Peut-être que c’est de les voir plongés dans les livres, qui était un peu inquiétant pour moi. De me dire que quelque chose pouvait à ce point là vous couper de l’extérieur et qu’on ait besoin de leur dire dix-sept fois “Maman” avant qu’elle lève la tête de son roman. Heu, peut-être c’est pour ça, je ne sais pas. Je ne m’en souviens pas. 

En tous cas, une fois que j’ai appris à lire c’était foutu, je suis devenue une lectrice dévorante. Et ça s’est empiré après mes neuf ans parce que à neuf ans j’ai vécu un, j’ai été violée par un pédocriminel. Et je me suis beaucoup beaucoup réfugiée dans la lecture après. J’avais évidemment des grandes difficultés à entrer en relation avec autrui. Et avec le monde, et du coup, tous les mondes imaginaires et fictifs étaient refuges. Donc je me suis énormément réfugiée dans les livres. Je lisais sans arrêt, je lisais dans la rue, je lisais dans la voiture, je lisais pendant les repas. Ça rendait ma mère hystérique. Je lisais, je lisais tout le temps. 

Ma mère était éditrice chez Gallimard jeunesse. Pour elle comme pour mon père, la lecture était essentielle. C’est un pivot de leur vie quotidienne. Quand je pense à eux, je les vois dans les fauteuils rouges du salon, lire. Et puis en plus, moi j’étais amenée à lire les manuscrits que recevait ma mère pour lui donner mon avis. Et notamment un : Harry Potter, et ça c’était complètement dingue comme expérience ! J’en ai encore un souvenir ébloui. De pouvoir le lire, voilà, quelques semaines avant sa sortie officielle. De l’avoir en version clandestine. Ça c’était magique ! C’était magique… 

Il y a beaucoup de livres qui m’ont marquée dans mon enfance. Mais à la question y a t il un premier livre qui vous a marqué dans votre enfance ? J’ai envie de parler d’Au revoir Blaireau, qui est un album jeunesse où un blaireau vieillissant dit au revoir à chacun de ses amis puis meurt. Et chacun de ses amis ensuite se rappelle des différentes choses que blaireau leur a apporté, les choses qui leur a transmis. Et, si j’ai envie de parler de ce livre, c’est que c’est par ce livre que ma mère m’a annoncé la mort de ma grand-mère. Elle était assise sur le canapé du salon, et elle avait ce livre sur les genoux… et elle m’a invitée à venir près d’elle. Et je savais déjà, en voyant le livre, que Mamie était morte. Et qu’elle était partie. Et c’était bouleversant de l’écouter me lire ce livre, et de me dire par les mots d’autrui toute cette émotion fort close qu’elle avait, toute cette tristesse. Qui était difficile à exprimer. Et qui pourtant s’est transmise de l’une à l’autre, de l’autre à l’une, côte à côte sur ce canapé en lisant ce livre. Et moi aujourd’hui comme maman, comme mère, j’utilise beaucoup ça aussi, les livres, pour faire passer, faire comprendre, pour dire les choses que je n’arrive pas à dire à mon fils. Je trouve que c’est un support merveilleux, merveilleux… 

Musique

Alors je vais vous parler de L’Art de la joie de Goliarda Sapienza. C’est un roman, dans lequel on suit le parcours de Modesta. Enfin, toute sa vie : de son enfance (ça commence quand elle avait neuf ans il me semble) et on suit tout son parcours de vie. C’est un livre que j’ai acheté pour l’anniversaire d’une amie. Complètement par hasard. J’étais dans une librairie. Je ne savais pas quoi lui acheter et le titre m’a plu. J’ai lu vite fait la quatrième de couverture. Et je me suis dit : tiens, je suis sûre que ça va lui plaire ! Ça a l’air d’être l’histoire d’une femme libre, puissante… Et puis la joie, c’est tout à fait elle ! Bon bref, j’ai acheté le livre ! Et quand je suis arrivée à l’anniversaire, ma copine me dit : “Mais, je l’ai déjà !”. Et elle me dit : “tu l’as lu?”. Je lui dis non. Alors me dit : “Je te l’offre !”. Et donc, elle m’a fait une petite dédicace qui figure en troisième page du livre : “me voici bien heureuse de pouvoir t’offrir ce livre le jour de mon anniversaire”. (Rires).

(Page qui se tourne). L’autrice, Goliarda Sapienza, me plaît beaucoup, aussi. Elle était comédienne, comme moi. Révolutionnaire, bisexuelle, elle était artiste. Elle était extraordinairement libre. Elle avait décidé de consacrer dix ans de sa vie à écrire ce livre et tant pis si elle devenait pauvre enfin, c’est-à-dire, elle vendait au fur et à mesure les œuvres qui étaient dans son appartement, dans sa maison, pour pouvoir continuer à écrire ce livre : à en peser chez mot, à être certaine que chaque note était juste dans chaque phrase. Et ça c’est une démarche qui me parle infiniment parce que moi aussi je suis… extraordinairement maniaque quand il s’agit de l’écriture. Et je peux retravailler une phrase, un passage tant que je n’ai pas la note juste, la note que j’ai en tête, tant que ça ne correspond pas à l’atmosphère, à ce que j’ai envie qui vibre dans la phrase, je peux la reprendre… un nombre incalculable de fois ! 

C’est une œuvre qui parle de manière tellement crue ! Et tellement précise ! Et tellement honnête : des rapports de domination entre les hommes et les femmes, les adultes et les enfants, l’ordre ecclésiastique et ceux qui s’y soumettent. Enfin, tous les rapports de domination y sont regardés à la loupe. Notamment le rapport patriarcal. Et c’est certain que ça devait mettre un nombre incalculable de gens terriblement en danger et mal à l’aise, dans ces années-là. On lui a refusé son livre pendant vingt ans. Il a été diffusé deux ans après sa mort, en 1996. 

Une des choses que j’aime particulièrement dans le livre de Goliarda Sapienza et dont je me suis dit, hier au soir, en la relisant, que forcément, inconsciemment, ça m’avait influencée dans l’écriture de La petite fille sur la banquise, c’est ses libertés stylistiques qu’elle prend. Elle passe une narration assez classique, romanesque à tout d’un coup des dialogues de théâtre. Elle explore tout un tas de pistes d’écriture. Et ce qui est très intéressant chez elle, c’est que ça n’est jamais gratuit. C’est toujours la nécessité de la scène qui prime. La nécessité du point vibrant, du point brûlant, de ce qui fait la vie dans la scène, qui dicte sa manière d’écrire. Et évidemment, quand j’ai écrit La petite fille sur la banquise, je ne pensais plus du tout à ça, Mais moi il a fallu que je trouve des typographies particulières pour exprimer le monde à l’endroit, le monde à l’envers. Et sans doute que d’avoir lu ça des années et des années avant, d’avoir une autrice s’autoriser cette liberté, sans doute, que ça m’a permis de la prendre, cette liberté, sans trop me poser de questions. 

Goliarda Sapienza, elle parle d’inceste. La première scène du livre, c’est une scène où elle découvre le plaisir sexuel avec un ami. Et une demie page plus tard, elle se fait violer par son père. Donc, on est tout de suite dans la vie vraie. Dans toutes ses ambivalences. Dans son éclat, dans son intensité. Dans ce qu’elle a de meilleure et dans ce qu’elle a de pire. C’est sans arrêt ça, d’ailleurs, ce livre. C’est basculer sans arrêt  d’un extrême à un autre, et explorer, comme ça, tous les aspects de la vie. Et ça, je trouve ça extraordinaire d’avoir réussi à faire ça. Savoir qu’on pouvait dire les choses, dire les vraies choses ! Celles qui sont tues. Dire : oui, l’inceste est centrale dans la vie de quelqu’un. Et centrale dans la vie du monde d’ailleurs, parce qu’il concerne énormément de personnes et qu’on en parle trop peu. Je salue, d’ailleurs, c’est complètement hors sujet mais bon… Je l’ai écouté la semaine dernière, votre extraordinaire podcast de Charlotte Pudlowski. Vraiment, j’ai trouvé ça bouleversant et en plus politiquement très courageux. Et c’est un podcast qui m’a vraiment fait du bien, sur l’inceste. 

Une chose qui est particulièrement bien réussie dans ce livre, c’est justement qu’elle a réussi à nous conserver auprès d’elle, quoi qu’elle nous raconte. Elle arrive à créer avec le lecteur une complicité, une sororité. Alors, moi je l’ai vécu comme une sororité parce que je suis une femme. Je serais curieuse d’ailleurs de savoir ce qu’un homme ressent en lisant ce livre. Je serais curieuse aussi, de savoir le lectorat de ce livre. Et vraiment, je serais vraiment très curieuse de savoir comment un homme  reçoit ce livre. Parce que vraiment, moi je l’ai reçu en sororité complète avec Modesta. Dès le début, par cette scène atroce d’inceste et de meurtre parce que… Sitôt qu’elle s’est faite incestuer, elle met le feu à la maison et tue son père, sa mère et sa sœur. C’est quand même un début de roman, ouuh… costaud ! Et qui nous accroche pourtant. Parce qu’elle le fait avec une telle rage ! Avec un tel désir de vie ! Je crois  que c’est ça qui nous tient tout le temps : c’est son désir de vie. Elle est tout le temps dans la vie Modesta. A tout prix ! 

C’est ça qui est très beau dans ce livre : comment elle a réussi à attraper la vie, à la saisir. A la ranger à l’intérieur du livre. Parce que la vie !a n’est rien d’autre qu’une immense tempête d’émotions, sans arrêt, à chaque instant on se fait balloter d’un côté, d’un autre. On essaie de tenir le cap. Et là, on est projeté dans la vie de quelqu’un en plusieurs centaines de pages et justement on suit cette tempête. 

Il y a aussi ce titre : L’art de la joie ! La joie c’est… Ça a été ma bouée de sauvetage, ma balise, mon horizon. Pendant des années c’est ce à quoi je me suis accrochée. Modesta s’accroche à sa joie comme moi je m’y suis accrochée. Comme beaucoup d’entre nous s’accrochent à cet endroit là. De la joie à n’importe quel prix, de la joie s’il vous plaît de la joie! Moi je me suis jetée au cou de la joie des milliers de fois. Chaque fois qu’elle passait. C’était ma raison de vivre la joie. C’est une chose qui m’a particulièrement émue dans ce livre. C’est un livre qui donne des ailes, c’est un livre qui donne de la puissance, du pouvoir. C’est un livre qui donne de la puissance, profondément. 

Alors il y a un passage que je vais lire. Il est tellement beau. C’est un passage que j’avais recopié sur un bout de papier et que j’ai accroché au mur à gauche de mon ordinateur tout le temps où j’ai écrit La petite fille sur la banquise avec un certain nombre d’autres petites citations. Il y a en avait quatre, cinq comme ça. Et celle-ci était la plus longue. Voilà, je vous la lis et on en reparlera. “Le mal réside dans les mots que la tradition a voulu absolue, dans les significations dénaturées que les mots continuent à revêtir. Le mot amour mentait. Exactement comme le mot mort. Beaucoup de mots mentaient. Ils mentaient presque tous. Voilà ce que je devais faire : étudier les mots, exactement comme on étudie les plantes, les animaux. Et puis, les nettoyer de la moisissure, les délivrer des incrustations de siècles de tradition, en inventer de nouveaux, et surtout, écarter pour ne plus m’en servir ceux que l’usage quotidien emploie avec le plus de fréquence. Les plus pourris comme “sublime”,  “devoir”, “tradition”, “abnégation”, “humilité”,  “âme”, “pudeur”, “coeur”, “héroïsme”, “sentiment”, “piété”, “sacrifice”, “résignation”. J’ai appris à lire les livres d’une autre façon. Au fur et à mesure que je rencontrais certains mots, certains adjectifs, je les sortais de leur contexte et je les analysais. Pour voir s’ils pouvaient être employés dans mon contexte. Dans cette première tentative d’identifier le mensonge caché derrière les mots qui avaient, y compris sur moi, un pouvoir de suggestion, je m’aperçus de combien d’entre eux, et donc, de combien de fausses idées, j’avais été victime. Et ma haine grandit jour après jour. La haine, de se découvrir trompée”. (Souffle long d’Adélaïde Bon). Franchement ce passage, j’aurais pu le mettre en exergue de mon livre. Ça a été tout mon projet d’écriture, tout est contenu dans cette citation. Parvenir à raconter… Parce que bon… parler de son viol, des choses qu’on a vécu c’est battu et rebattu. C’est un sujet qu’on a déjà beaucoup lu. Et pourtant, moi il me manquait un livre, il me manquait un livre qui dirait vraiment. Qui dirait… les mots à l’endroit. Parce que quand on a été victime de violences sexuelles dans l’enfance : la haine c’est l’amour… la peur, la terreur… c’est… le consentement… l’ami c’est l’ennemi… Il y a tout un tas de choses qui se renversent. La sexualité, c’est la souffrance. Voilà, et… La vie est saccagée. Elle est saccagée aussi lexicalement. On n’a plus aucun mot qui dit les choses. Et on parle plus à personne, on se retrouve à plus être en capacité de s’adresser aux autres. C’est une des choses que j’ai trouvé les plus difficiles dans ma vie. C’est que tout d’un coup je ne pouvais plus parler avec mes proches, avec mes parents, avec mes frères et sœurs. J’avais basculé dans un monde où il n’y avait plus de mots. En plus quand on a neuf ans on a… on n’a pas accès… aux mots réellement. On les prend comme ils viennent. On ne se rend pas compte de leurs racines, de leurs implications, de ce qui ment chez eux. Il y a une scène d’ailleurs que je raconte dans mon livre et qui m’a particulièrement marquée. J’étais en quatrième, j’étais en cours de grec et on étudiait les racines des mots. Et ce jour là j’ai compris que “pédophile” ça voulait dire “qui aime les enfants”... Que ce mot… était un mot monstrueux… un mot mensonge ! Qui était précisément le mot qu’il m’avait dit “je suis ton ami”. Et qu’on utilisait ce mot à tort et à travers : de média en média, de livre en livre. Qu’on utilisait ce mot qui était une validation du discours de mon agresseur, qui voulait dire : “c’est lui qui a raison, il est ton ami. Il a fait ça par amitié”. Et c’était insupportable, ça. Ce jour là. En quatrième. Et alors elle (Modesta), elle dit “ma haine grandit jour après jour. La haine de se découvrir trompée”. Chez moi, je dirais plutôt que c’était la rage. La rage ! Et c’est une rage qui m’a tenue vivante. Et je pense qu’en cela Modesta décrit très bien ce que c’est de vivre toute une vie après la violence. C’est vraiment un livre de survivante. Une des choses qui met particulièrement Modesta en rage, dans un état de haine, c’est précisément ce rapport aux mots. Et moi j’ai vécu ça aussi, et sans doute qu’on est plus que deux. En tous cas, moi après la publication de mon livre, j’ai reçu des tas et des tas de lettres qui racontaient ça aussi. C’est que la violence sexuelle prive de mots, nous empêche l’accès aux violences. La violence sexuelle et la violence tout court quand on est enfant, je pense. Nous prive de mots. Tous les mots nous font défaut et ça nous met dans une rage folle. Parce que, comment on peut élaborer une pensée ? Comment est-ce qu’on peut avoir un horizon ? Comment est-ce qu’on peut habiter l’espace où l’on est si on n’a pas de mots pour le décrire, pour le penser,  pour s’y installer tout simplement ?  Sans mot, on perd sa place au monde. Et cette quête de Modesta, je pense que c’est aussi précisément la mienne. En tous cas, ça a vraiment été le moteur d’écriture de mon livre, La Petite fille sur la banquise. Dès qu’un mot, trop habituel, je suis obligée d’interroger, quand même, chaque tournure. Dès qu’une phrase me vient trop facilement, je la tord dans tous les sens pour être certaine qu’elle ne vient pas d’au-delà de moi. Enfin que ça n’est pas une phrase qui ne m’appartient pas, une phrase toute faite. Une phrase normée. Et il faut que je secoue chaque phrase pour être certaine qu’elles sont bien passées par moi, par mon tamis à moi. Que ça n’est pas une espèce d’écriture automatique, un stéréotype vaseux. Et c’est sans fin, enfin… Heureusement d’ailleurs… sinon heu… si j’arrivais au bout de cette quête ça ne servirait plus à rien d’écrire…

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Agathe le Taillandier  : Vous venez d’écouter Adelaïde Bon, à son micro, et elle répondait aux questions de la journaliste Marie Salah. Elle vous recommande L’Art de la joie, de Goliarda Sapienza, paru aux Editions Viviane Hamy dans une traduction de Nathalie Castagné. 

Adelaïde Bon est comédienne. Elle a signé un premier roman chez Grasset, en 2018, La petite fille sur la banquise

Maud Benakcha est à l’édition et à la coordination du Book Club. Clémence Lecart a fait le montage de cet épisode et Jean-Baptiste Aubonnet a réalisé le mixage.
Ce podcast est aussi rendu possible grâce à Maureen Wilson, responsable éditoriale, Marion Girard, responsable de production, Charlotte Pudlowski, directrice éditoriale et Mélissa Bounoua, directrice des productions.

Si la nouvelle saison de notre podcast Injustices, “Ou peut-être une nuit” vous a échappée, écoutez le vite. Créée par Charlotte Pudlowski, elle est consacrée à l’inceste et aux silences qui le fabriquent. 

À très vite !

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