Retranscription - Alice et moi

Générique début

Agathe le Taillandier :  je vous ai déjà parlé à ce micro de mes lectures d’enfance et de ce qu’elles ont pu déposer en moi : images, sensations et souvenirs plus ou moins précis, comme dans l’épisode avec la comédienne et réalisatrice Katia Lewkowicz ou celui avec la chanteuse Soko. Alors j’ai vraiment été heureuse quand j’ai entendu ce nouvel épisode en compagnie de la chanteuse Alice et moi : elle nous plonge dans un très beau roman que j’ai lu sans exagérer, une centaine de fois petite fille. Son héroïne, sourde, muette et aveugle était devenue ma meilleure amie et je crois que j’ai découvert à ses côtés la force de la parole et la puissance des mots. Ou peut-être était-ce ma propre passion pour le langage qui m’avait rendu alors cette lecture si vive et si fertile. Au fond, on ne sait jamais avec précision ce qui construit nos obsessions.

Je partage donc ce souvenir avec la chanteuse Alice et Moi. Cette jeune femme a choisi la musique comme terrain d’expression et comme moyen de réconcilier sa discrétion et son enthousiasme. Son dernier titre Les gens sont cools vient de sortir, le clip est accessible en ligne, et son album est attendu pour le début de l’année 2021. 

Je suis Agathe le Taillandier, bienvenu.e.s dans le Book Club !

Générique

Alice et moi : c'est vrai que moi, je suis plutôt, disons, un peu bordélique dans la vie sur plein d'aspects, notamment les vêtements, mais ma bibliothèque est quand même plutôt bien rangée. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Peut être parce que je sais pas.. je trouve que les livres, c'est plus facile à ranger.

Et du coup, dans ma bibliothèque, il y a tous les classiques que j'ai étudié quand j'étais en hypokhâgne, en khâgne, donc il va y avoir des livres improbables comme Georges Vigarello, Le propre et le sale. C’est un livre qui parle de l'hygiène du corps au Moyen Âge, parce que c'était le sujet sur lequel j'avais travaillé quand j'étais en prépa. Donc l'hygiène et la santé au 19ème siècle ! C'est hyper intéressant. D'ailleurs, ce livre je le commande. Et ça parle de comment est-ce qu'on voyait avant la propreté, donc, c'est-à-dire qu'avant, par exemple, on voyait les gens qui mettaient du parfum et de la poudre, etc, c'était c'était une façon de lutter justement contre la saleté, puisque plus on avait de couche sur nous, plus on était censé être propre parce qu'on faisait une barrière entre soi et le monde extérieur rempli de miasmes. Et voilà, donc, j'ai d'autres livres. J’ai Alcools d'Apollinaire, par exemple. J'ai Le prince de Machiavel. Je peux avoir des classiques comme Virginia Woolf, Camus, Stéphane d'Aigues. Et à côté de ça, je vais aussi avoir des romans de science fiction, d'amour, La nuit des temps de Barjavel, que j'ai adoré lire l'été dernier... Il y a aussi plein de BD, ce que j'aime bien, et des livres de recettes ou de cocktail un peu fun. Et voilà. Alors, je sors le livre de L'histoire d’Helen Keller

Alors, le livre, il est plutôt en bon état. Je suis assez impressionnée. J'ai remarqué que quelqu'un avait écrit mon nom et mon prénom sur la première page. Alors c'est peut être ma mère, je sais pas qui c’est parce que c’est pas du tout une écriture d'enfant. Et moi, j'ai lu ce livre, j'avais 10 ans. Alors je vais vous résumer le livre. Ce livre lui raconte l'histoire d’Helen Keller et surtout, comment elle est passée d'une petite fille qui était extrêmement réservée, introspective et qui était donc sourde et muette et aveugle, à, tout d'un coup, une jeune femme qui va comprendre le sens des choses autour d'elle, et notamment grâce à son éducatrice Anne Sullivan.

Je me souviens que tout semblait hors du temps et que j'étais ailleurs. Je me suis vachement identifiée à elle, à Helen Keller, parce que moi aussi à l'époque, et alors heureusement je n'ai pas du tout eu souffert de ce dont elle a souffert, mais j'avais quand même cette impression d’être dans ma tête. Quand j'étais petite, j'étais plus solitaire, et, même si d'extérieur, j'étais très enjouée et plutôt sociable, au fond j'étais très coupé du monde et voilà. Parce que j'ai grandi assez vite, pour plein de raisons dans mon enfance et je me sentais toujours en décalage par rapport aux autres. Et aussi parce que j'étais du coup ou parce que je suis devenue hypersensible. Et du coup, j'avais cette impression que le monde pouvait me détruire, qu’un mot pouvait.. enfin moi j’accorde énormément de sens aux mots et aux choses, là où parfois le monde extérieur ne le faisait pas. Et moi, je pouvais être détruite très facilement donc pour me protéger j'étais dans ma bulle, dans mon monde et parfois, j'avais l'impression de vraiment pas comprendre le monde extérieur. 

Musique 

Je vais prendre une petite gorgée de thé, je me suis fait un petit thé. Une grande passion dans ma vie avec les livres ! 

Alors il y a un passage que je trouve très intéressant dans ce livre. C’est que l'éducatrice donc de Helen Keller qui s'appelle Anne Sullivan, elle va tracer des signes sur la paume de la main d’Helen pour nommer les choses, pour lui faire comprendre que les choses ont une appellation. Parce qu’il faut imaginer qu'elle, elle a cinq ans, sourde, aveugle, muette, elle ne sait même pas que, par exemple, mon thé, on peut dire du thé quoi.. qu'une table, c'est une table. Et au début, Helen Keller, elle est très rebelle comme enfant. Forcément, quand tu n'as pas le sens des choses etc, que tu es dans un monde où rien n'a de sens. Tu ne supportes rien. Et un jour, à force de répéter toujours ces signes dans la paume de la main d’Helen, Helen va comprendre. Et elle va comprendre qu'en fait, ce qu'elle touche dans sa main, c'est de l'eau. Et là, elle va comprendre le sens des choses pour la première fois. 

Alors est-ce que j’ai un passage de ça... C'est le chapitre 5 et à un moment : “Helen saisit avidement la main de l'étrangère (donc l'étrangère c’est Anne Sullivan) en tremblant ses petits doigts épelèrent : e-a-u, elle avait à peine terminé qu'elle sentit l'étrangère lui tapoter l'épaule en signe d'approbation. Elle avait raison, c'était cela”. C'est-à-dire qu’Anne a fait le signe dans la paume de la main de Helen et que Helen a compris et que du coup, elle fait elle aussi le signe, elle parle en fait, pour la première fois ! Et donc pour la première fois de sa vie, c'est écrit dans le livre, “Helen Keller venait de parler à quelqu'un. Toute sa vie, elle devait garder le souvenir de cet instant magique où le mystère du langage lui avait été révélé. Les yeux de l'étrangère se remplir de larmes et elle s'écria : ‘Helen, tu as compris, tu as compris’”. 

Ce qui est drôle dans ce livre aussi, à partir du moment où elle comprend que l'eau veut dire eau, elle va prendre de la terre, elle va prendre tout ce qu'elle trouve, tout le temps et aller toucher la main de son éducatrice pour que son éducatrice lui donne le sens des choses et un autre chapitre qui s'appelle “Joie de l'apprentissage”. En fait, tu vois que d'un coup, Helen Keller qui était une petite fille très timide, très introspective, elle va passer dans la joie de l'apprentissage et le bonheur d'apprendre.

Musique 

Et donc, moi, c'est vrai qu'à cet âge là aussi, donc quand on a 11 ans et qu'on est une jeune fille, on est en train d'apprendre plein de choses. Alors moi, j'étais une très bonne élève. C'est un peu la fayote, on va dire. J'adorais l'école en vrai et j'adorais apprendre, et notamment, du coup, pas trop les maths, mais tout ce qui était langues, littérature, lire des livres... Et donc, je pense que, comme Helen, je ressentais la joie, en tout cas, à cet âge là, à 10 ans, d'apprendre plein de choses. Et d'ailleurs, tout en lisant ce livre, quand je voyais la joie de Helen Keller qui comprend le sens des mots. Moi, j'avais la joie de lire un livre où je comprenais les mots et de ressentir ce que je ressentais dans ce moment, m'échapper complètement de ma vie quotidienne, et avoir l'impression d'avoir une amie en fait, l'impression de me reconnaître dans cette fille qui découvrait tout et qui devenait d'un coup très joyeuse.

Il est certain que les lectures que l'on a dans notre enfance, pour moi, marquent pour toujours. Un livre d'enfant, vraiment de science fiction, que j'ai lu quand j'étais petite, je me suis souvenue d'images des années plus tard. En fait, c'est pour ça que je trouve que c'est hyper intéressant de donner aux enfants des livres qui peuvent les marquer. Parfois, je trouve qu'à l'école, on nous nous a forcés à lire des livres qui sont très compliqués quand on est jeune, mais qu'en fait, on ne peut pas comprendre parce qu'on ne peut pas s'identifier. Là où on fait en tant qu'adulte, on va être bouleversé par l'histoire parce qu'on va plus comprendre. Et c'est intéressant de donner aux enfants des livres adaptés. Moi, à 10 ans, je pense que ce livre était fait pour moi. 

Helen Keller, ensuite, a d'ailleurs mené une vie qui est remarquable. Elle a été autrice, première personne handicapée à obtenir un diplôme universitaire, elle a mené différents combats politiques pour le droit de vote des femmes, le droit des personnes handicapées... On peut dire, clairement, que c'est une femme extrêmement forte qui a fait de ses faiblesses sa force. Je trouve que c'est extrêmement impressionnant. Et c'est vrai que moi, je pense que quand on a 10/11 ans et qu'on lit le parcours de femmes fortes comme ça, notamment de femmes qui on voit, venait de “rien”, ou en tout cas de difficultés, qui arrivent à aller si loin, c'est hyper motivant, inspirant et je sais que ça m'a énormément marqué à cet âge là, de me dire : “Si cette petite terrifiée à laquelle je m'identifie a réussi à surmonter ses peurs, a réussi ensuite, dans le futur, à faire tout ça. Alors je vais pouvoir moi aussi y arriver”. 

Si je pouvais dire quelque chose à la petite fille de 10 ans que j'étais et qui venait de lire ce livre pour la première fois, je lui dirais peut-être déjà de ne pas changer, de lire ce livre comme elle a envie de le lire parce que moi j'ai adoré cette sensation. Donc, je dirais même peut être de profiter de ce qu'elle est en train de lire et vivre. Et après, je lui dirais aussi de ne pas s'inquiéter plus que ça et de continuer de croire en elle, de continuer de croire au fait que, comme la petite Helen Keller, c'est possible de sortir de “sa coquille”. Que c’est possible de grandir, d'apprendre les choses, d'avoir la joie de lire, d'apprendre les mots, etc. Et que peut-être que je lui glisserais qu’elle serait capable de faire des choses dont elle ne se pense pas capable aujourd'hui.

Musique 

L'histoire d'Helen Keller, pour moi, elle résonne encore des années plus tard parce que dès que je me sens à nouveau parfois revenir en arrière, c'est à dire que mes émotions, mes sensations de petite fille timide qui a dix ans, un peu mal dans sa peau et surtout, qui ne veut pas montrer au monde extérieur ses faiblesses, qui ne veut pas montrer au monde extérieur ce qu'elle ressent et qui, du coup, est très enfermée, très coupée, parfois je le ressens, ça revient d'un coup. Ce ne sont pas toujours des moments où je me sens la plus forte ou la plus fière. Et à chaque fois, je me rappelle que j'ai quand même réussi à faire tout ce chemin.

Aujourd'hui, je suis quand même fière de moi. Aujourd'hui, j'ose aller sur scène, là il y a pas longtemps, à Bruxelles, j'étais sur une immense scène et voilà, c'est des choses qui me paraissent tellement folles à chaque fois que j'y repense, je me raccroche au fait que on n’est pas seulement la personne qu'on est quand on nait ou qu'on a été enfant, on est pas non plus seulement la personne qu'on est devenue, on est un peu un mélange de tout et c'est ce qui est beau. Et si on arrive justement à prendre ses faiblesses et ses handicaps et en faire une force, moi, j'ai l'impression en tout cas d'être allée dans ce sens là, c'est-à-dire que je n'ai pas du tout ignoré ma sensibilité, mais j'ai préféré la transformer dans les chansons. J'ai préféré affronter mes peurs en allant sur scène et je continue de le faire aujourd'hui, c'est toujours quelque chose qui… c’est continu en fait, ça ne s'arrête pas. Et j'ai toujours voulu, comment dire, combattre le feu par le feu. Exactement comme dans la musique, avec le fait de passer le cap et d'aller sur scène. Je pense que c'était la chose qui me faisait le plus peur au monde. L'idée d'aller sur scène, l'idée d'affronter le regard des autres était vraiment ma plus grande peur. Et c'est en le faisant et en passant le pas que j'ai eu l'impression de pouvoir la combattre. C'était le seul moyen pour moi de combattre mes peurs. C'était de me jeter dedans. Et Helen Keller, elle fait ça tout le temps, toute sa vie. En fait, elle se jette dans l'inconnu et elle y va avec une joie et une force incroyable. Et donc, pour moi, c'est hyper, hyper inspirant. 

Et quelque chose que je trouve particulièrement, comment dire, original chez elle ? C'est qu’alors qu'elle a quand même souffert de ses handicaps jeunes, ensuite, elle a eu quand même un bon caractère et elle était quand même pleine de joie dans le fait d'apprendre des choses, dans le fait de faire des choses. C'était quelqu'un de plutôt optimiste. Elle a cette joie qui émane d'elle malgré tout ce qu'elle a traversé. Et ça, c'est quelque chose auquel moi aussi je m'identifie parce que c'est important pour moi dans ma musique, en tout cas, d’à la fois parler de mes sensibilités et à la fois être aussi dans la joie de vivre. Par exemple, j'ai toujours voulu que mes chansons soient entraînantes. Alors sur mon prochain album, elles ne seront peut être pas toutes entraînantes, mais je voulais quand même qu'il y ait de la joie de vivre, que moi, je ne m'interdis de rien dire. Et j'ai envie qu'on sente une certaine forme de liberté dans ma musique. Je trouve que le fait d'accomplir peut être des choses, de surmonter ses peurs, d'avoir des projets, ça peut être fait avec aussi une légèreté de vivre ou une joie de vivre et qu'on n'est pas obligé d'être forcément 100% torturé. Et encore une fois, je ne dis pas que je ne le suis pas, mais peut être 50% torturée et 50% grosse joie de vivre. Et pour moi, c'est important de me dire que les deux peuvent coexister.

Il y a Alice et puis il y a moi. Il y a un côté sensible et un côté coupée du monde, solitaire, qui était dans sa bulle. Et puis, il y a un côté qui fonce. Cette dualité, en tout cas, je la retrouve dans ce livre aussi et surtout dans l'évolution d’Helen Keller, qui devient cette femme incroyable et que j'admire tant, en fait, encore aujourd'hui.

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Agathe le Taillandier : vous venez d’écouter la chanteuse Alice et moi, à son micro, et elle répondait aux questions de Maud Ventura. Elle vous recommande le roman L’histoire d’Helen Keller, de Lorena A.Hickok, disponible en Pocket jeunesse et traduit par Renée Rosenthal. 

La chanteuse Alice et moi vient de sortir son nouveau titre : Les gens sont cools, et son premier album sortira au début de l’année prochaine, en 2021. On pourra la voir le 25 mars 2021 sur la scène du Trianon, à Paris. 

Maud Benakcha est à l’édition et à la coordination du Book Club. Clémence Lecart a fait le montage de cet épisode et Jean-Baptiste Aubonnet a réalisé le mixage.
Ce podcast est aussi rendu possible grâce à Maureen Wilson, responsable éditoriale, Marion Girard, responsable de production, Charlotte Pudlowski, directrice éditoriale et Mélissa Bounoua, directrice des productions.

Bonne lecture et à très vite !

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