Retranscription : Allongement du congé paternité : une avancée pour l'égalité salariale ?
Musique
Louise Hemmerlé : J’ai toujours été très proche de mon grand père maternel, Hubert. Il sentait toujours bon, la peau de ses avants bras était toute douce, et il avait toujours un mouchoir en tissu soigneusement plié dans sa poche et prêt au moindre éternuement.
Quand j'étais petite je me suis souvent demandée ce qu’il faisait que je l’adorais autant, que j’étais si proche de lui. Je n’avais pas particulièrement l’impression que mes copines, à l’école, avaient la même relation avec leurs grands-parents.
Comme élément de réponse, je me souviens que ma mère a avancé le fait que quand j’étais toute bébé, mon grand père s’était occupé de moi plusieurs semaines, pendant le voyage de noces de mes parents.
Je n’en ai aucun souvenir. Mais c’est vrai que quand j’imagine un quinquagénaire qui se retrouve en tête à tête avec un bébé, je me dis que ce n’est pas rien. Je peux facilement supposer qu’à ce moment-là il y ait eu un attachement fort, et réciproque, qui s’est noué. Et c’est vrai qu’en grandissant, cet attachement a toujours été là, il n’a jamais failli.
Si je raconte tout ça c’est parce qu’à partir du 1er juillet 2021, le congé paternité en France passe de 11 jours à 25 jours, en plus des trois jours de congés naissances prévus par le code du travail.
Derrière cette avancée, il y a l’idée que le congé paternité est essentiel pour que le père puisse s’investir dès le début de la parentalité, et puisse nouer un lien encore plus fort avec son enfant, comme moi avec mon grand-père.
Mais cet allongement n’a pas que des répercussions dans la sphère familiale - il affecte aussi celle du travail.
Dans ce nouvel épisode de Travail (en cours), le journaliste Antoine Lalanne Desmet explore quelles vont être les conséquences de cet allongement du congé paternité - non pas sur la relation père enfant, même si c’est très important -, mais sur les inégalités hommes femmes dans le monde du travail.
Je suis Louise Hemmerlé, bienvenue dans Travail (en cours).
Musique générique
Antoine Lalanne Desmet : « La suspension du travail de la femme, pendant huit semaines consécutives, dans la période qui précède et suit l’accouchement, ne peut être une cause de rupture, par l’employeur, du contrat”. Nous sommes en 1909 et c’est la première loi votée sur la protection de la maternité en France.
A l’époque, la personne qui doit s’arrêter à la naissance d’un enfant est forcément une femme.
Cette loi vise à protéger leur emploi et leur santé.
Depuis, dans la loi, les termes ont changé. On ne parle plus seulement de maternité, on parle aussi de paternité et même de congé parental.
Alors, prenons les choses dans l’ordre,
À l’arrivée d’un enfant, vous pouvez prendre congé de votre travail, et vous êtes indemnisé par la sécurité sociale. La durée de ce congé varie entre quelques jours et quelques mois selon que vous soyez la mère ou le père. C’est le congé maternité et le congé paternité.
Pour les mères … c’est 16 semaines ... soit 112 jours répartis avant et après l’accouchement.
pour les pères depuis 2002 … c’est 11 jours facultatifs après l’accouchement. Du moins jusqu’au mois de juillet 2021. Car à partir de cette date, le congé paternité est étendu à 28 jours au total, dont 7 obligatoires.
Hélène PÉRIVIER est économiste. Elle travaille à l’Observatoire français des conjonctures économiques de Sciences Po. Elle est directrice de Présage, un programme de recherche et d'enseignement des savoirs sur le genre. Pour elle, cet allongement est loin d’être suffisant, car cette réforme s'inscrit dans un cadre déjà bien trop déséquilibré.
Hélène Périvier : Bien qu'aujourd'hui, il y a de nouvelles formes de parentalité qui sont peut-être certainement une opportunité pour déconstruire cette division sexuée des rôles. Les couples homos parentaux et des formes de familles différentes, mais néanmoins quand même, la majorité des couples sont des couples hétérosexuels. Donc la femme va être enceinte, elle va prendre ce congé maternité, donc elle va rester seule longtemps avec le bébé. Le congé paternité, on l'a dit, est très court. Même s'il va être allongé, il sera de toute façon beaucoup plus court que le congé maternité et il sera pris de façon synchronisée avec le congé maternité.
Donc, le père n'est jamais tout seul face à cette tâche qui est de s'occuper de l'enfant.
Antoine Lalanne Desmet : Tout ça s’inscrit dans un modèle global... Selon une étude de l’INSEE, 66% du travail domestique est pris en charge par des personnes du genre féminin…et encore, cet indicateur ne prend pas en compte la « charge mentale » … le temps consacré à prévoir et organiser la sphère domestique … y compris la répartition des tâches parentales.
Si vous rajoutez à cela, le mythe de l’instinct maternel, le modèle général semble indiquer que c’est à la mère de s’occuper d’un nouveau né... le risque, c’est que le père ne soit qu’un aidant de la mère, quelqu’un à qui on indique quoi faire et peu autonome pour accueillir l’enfant.
Cette inégalité s’accentue encore plus au moment du congé parental. C’est un congé facultatif faiblement indemnisé par la Caisse d’Assurance Familiale (CAF), que l’on peut prendre après le congé paternité ou maternité.
Hélène Périvier : Si quelqu'un doit prendre un congé parental, on va plutôt prendre et choisir la mère. Parce que d'abord, elle, elle s'occupe de l'enfant déjà depuis quelques semaines ou quelques mois. Ensuite, parce que comme elle gagne moins bien sa vie que son conjoint et que le congé est indemnisé forfaitairement, le couple perdra moins si c'est elle qui prend ce congé.
Donc, vous avez tout un ensemble de facteurs, plus évidemment des normes sociales très fortes qui continuent à disons diffuser l'idée que c'est plutôt quand même à la mère de s'occuper d'un jeune enfant et moins au père.
Antoine Lalanne Desmet : Et cette différenciation a des répercussions très concrètes dans le monde du travail.
Hélène Périvier : En fait, ce congé parental, il participe à accentuer la division sexuée des rôles. Et de fait, quand un homme ou une femme cherche un travail, il candidate pour un poste, l'employeur ne sait pas parfaitement quelle est la qualité de la candidature de la personne qu'il a en face de lui. Donc, il va essayer d’approximer cette qualité… le CV... l'entretien mais il restera toujours un doute.
Et à la fin, quand on doit décider s'il reste un homme ou une femme, l'employeur sera plus enclin à recruter un homme ou à promouvoir un homme.
Parce qu'en moyenne, c'est vrai, c'est constaté. Les femmes s'arrêtent plus souvent de travailler lorsqu'elles ont un enfant. Elles vont plus souvent demander un temps partiel, demander à partir plus tôt et éventuellement prendre un congé parental long. De fait, cette discrimination, elle pèse beaucoup sur les femmes, sur des postes plutôt qualifiés où l'employeur ne souhaitera peut être pas prendre ce risque là au regard du comportement moyen du groupe auquel appartiennent ces candidates, en l'occurrence le groupe Femmes.
Ça a vraiment un effet de réputation très fort et un des enjeux des politiques publiques, c'est d'essayer de rééquilibrer ce risque de parentalité sur les hommes comme sur les femmes. Mais pour l'instant, il est essentiellement porté par les femmes.
Antoine Lalanne Desmet : Cette différence dans les congés à la naissance d’un enfant, c’est un enjeu majeur pour l’égalité hommes femmes au travail.
Marion de Bonneville travaille dans la finance. A l’arrivée de son premier enfant, Balthazar, elle s’arrête et prend son congé maternité. Son mari, Patrice Bonfy était lui à l’époque salarié en CDI dans une entreprise de relation client. A la naissance de leur fils, il continue de travailler et décide d’attendre les trois mois de Balthazar pour prendre son congé paternité, ce qui est tout à fait légal. La mère s’arrête, le père prend quelques jours de congé paternité, un schéma assez classique.
Antoine Lalanne Desmet : Bon bah je vais commencer par une question vraiment très simple : déjà, comment tous les deux vous avez vécu ce moment après la naissance pour les deux enfants ; ce moment de congés déjà d’un point de vue de la famille, comment vous l’avez vécu ?
Marion de Bonneville : Alors pour Baltazar, c'est simple, Patrice était salarié, donc on s'est dit les 10 jours, on va les garder pour un moment où on pourra vraiment en profiter. On avait en tête plutôt un congé que lui qui va m'aider pour s'occuper de Balthazar. Et c'est vrai qu'on l'a pris. Patrice a pris son congé quand Balthazar avait trois mois et on a pu partir à l'étranger.
Donc c'était vraiment des vacances où il dormait mieux la nuit et on avait un rythme qui était plus simple.
Patrice Bonfy : C'est exactement ça. On n'a pas pensé ce congé paternité comme ce moment de soutien à la maman. Et j'avoue, moi, je m'étais posé aucune question et Marion les recherches qu'elle avait faites lui avaient fait décider que je prendrais ce congé à ce moment-là.
Marion : Recherche non, on n'avait pas fait de recherches. C'était juste. On avait vu nos amis autour de nous que c'était difficile à la naissance d'un enfant. Donc bon, plutôt que de le faire subir à deux personnes,autant qu'une seule, vive ça, c'était plutôt ça l’analyse
Patrice : Et je ne m'étais pas posé de questions. Et en réalité, le problème, c'est que pendant les trois mois qui ont précédé mes 10 jours de mes 10 premiers jours de congé paternité, j'ai quand même perçu que ce que vivait Marion était quelque chose de difficile.
Moi, j'allais au travail, je rentrais à 19 heures et je me sentais un peu déconnecté de la famille et je ne savais pas trop comment l'expliquer. Parce que bon, on ne se rend pas compte de ce que c'est que passer une journée avec un nouveau né tant qu'on n'a pas vécu.
Marion : Non, mais aussi parce que j'allaitais. Donc on s'est dit tu vas servir à rien. Moi, j'ai juste allaité. Qu'est ce que tu vas faire là? Tu aurais pu faire beaucoup de choses, mais on n'en avait pas conscience. Donc, on était là bas de toute façon. T’allaites, puis il dort et se repose. Alors qu'en fait, c'est pas du tout ça.
Patrice : C'est ce que je veux dire dans le fait qu'on n'a pas décidé. On a fait tel que le modèle général nous semblait nous indiquer de faire.
Antoine Lalanne Desmet : Ce modèle dont Patrice parle, c'est celui des pères qui prennent le congé paternité certes, mais pas plus. Et encore - 3 sur 10 ne prennent même pas ces 11 jours durant les quatre mois qui suivent la naissance d’un enfant.
Dans le détail, on se rend compte que ça dépend beaucoup de la stabilité de l’emploi des pères. Par exemple, parmi les indépendants, ils sont seulement 3 pères sur 10 à prendre leur congé paternité. Et parmi les personnes titulaires d’un CDD, c’est seulement 1 père sur 2.
L’économiste Hélène Périvier m’a expliqué pourquoi les hommes, en 2021 ne posent pas toujours leur congés paternité.
Hélène Périvier : D'abord parce que ils sont souvent dans des secteurs où ils ont besoin de faire leurs preuves. Donc, quand vous êtes en CDD, si vous dites je prends mon congé paternité, votre employeur peut estimer que vous n'êtes pas très investi. Ça peut être aussi pour une question d'accès aux droits. Vous n'avez pas suffisamment. Vous n'êtes pas éligible. Mais néanmoins, cette question, je pense qu'on peut y répondre assez facilement en rendant obligatoire le congé paternité. Et c'est d'ailleurs pour ça qu'une partie du congé maternité est obligatoire.
C'était pour couper court à toute forme d'oppression ou de pressions faites sur les femmes en leur disant attention, si tu prends congé maternité, tu ne seras pas promue ou ou tu ne seras pas payée ou tu seras renvoyée.
Donc, en le rendant obligatoire, on interdit à l'employeur de faire travailler la personne pendant la durée du congé. Et de fait, on coupe court à tous ces problèmes là et de fait, tous les pères qui sont éligibles au congé paternité, s'il est obligatoire, ils pourront prendre et ils pourront véritablement profiter de ce droit de façon effective qui aujourd'hui est essentiellement pris par des pères qui sont plutôt bien placés professionnellement en CDI, bien sécurisé parce qu'il n'y a aucun risque ou quasiment aucun pour eux de prendre ces 11 jours et qui vont devenir 22 jours ou qui restent quand même tout à fait mineur par rapport au temps que l'on doit consacrer à l'enfant de façon générale, donc, je pense qu'effectivement, l'obligation, c'est une façon de répondre à cette question.
Antoine Lalanne Desmet : En Espagne le congé paternité vient de passer à quatre mois, soit seize semaines de congé, pour chacun des deux parents, avec six semaines obligatoires pour chacun.
Cette simple comparaison montre que la marge est grande par rapport aux 7 jours obligatoires pour les pères en France.
La législation peut encore évoluer. Le rapport remis par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik à Adrien Taquet, secrétaire d’État en charge de l’Enfance et des Familles, recommande 9 semaines de congé paternité, soit 63 jours.
Pour l’association Parents et Féministe, un congé équivalent à celui des mères, rémunéré et obligatoire permetterait aux pères de rester dans leur famille, de prendre soin des mères, et d’apprendre les gestes nécessaires aux soins d’un nourrisson.
Et pour cette même association, l’allongement du congé paternité pourrait aussi être une piste pour rétablir un semblant d’égalité entre les carrières des femmes et celles des hommes.
Ce serait une première étape. Mais l’enjeu se situe aussi autre part - si on veut vraiment faire en sorte que les congés liés à la naissance d’un enfant cessent de stigmatiser les femmes sur le marché du travail, il faut aussi se pencher sur le congé parental.
Le congé parental,il est facultatif et se prend après le congé paternité ou maternité. Il vise à arrêter de travailler ou réduire son temps de travail jusqu'à la scolarisation de l'enfant. Ce congé entraîne une suspension du salaire, compensée par une indemnité de 397,21 euros par mois par la caisse d’allocations familiales, la CAF.
Hélène Périvier : Le congé parental. C'est plutôt une politique d'articulations vie familiale, vie professionnelle où certains parents peuvent préférer rester à la maison pour s'occuper eux mêmes de leurs enfants plutôt que de le confier à une crèche. Et c'est ce congé là qui est particulièrement problématique au regard des inégalités professionnelles.
Antoine Lalanne Desmet : En France, selon une étude de l’Insee, le congé parental est pris par 30% des couples. Ce congé peut être pris par l’un des parents, dans le prolongement du congé paternité ou maternité.
Hélène Périvier : Il peut durer jusqu'à deux ans maximum par parent aujourd'hui. Mais jusqu'à il y a peu, c'était trois ans, jusqu'à la scolarisation de l'enfant. Donc, il est assez long. Ça veut dire qu'il peut éloigner du marché du travail les personnes qui le prennent. Et puis, ça va avoir un effet sur l'ensemble des femmes qui travaillent, puisque ce sont précisément principalement des femmes qui ne prennent ce congé.
Et puis, un deuxième aspect de ce congé spécifique à la France aussi, c'est qu'il est très mal indemnisé. C'est forfaitaire. C'est autour aujourd'hui d'un tiers du SMIC, ce qui est très faible, ce qui fait qu'en fait, il est finalement assez peu pris par rapport à d'autres pays.
Et il attire plutôt une population de femmes pas trop qualifiées, voire très précaires ou moyennement qualifiées, mais qui ont un emploi stable et du point de vue du droit du travail, c'est-à-dire quand on a suffisamment d'ancienneté chez son employeur, on est couvert, c'est-à-dire qu'on est sûr de retrouver son emploi après ce congé. Ça peut créer des conditions très hétérogènes selon les femmes et c'est effectivement un facteur d'accentuation des inégalités femmes hommes sur le marché du travail.
Antoine Lalanne Desmet : 30% des couples qui prennent un congé parental, ce n’est pas la majorité des Français. Mais c’est suffisant pour que des employeurs craignent qu’une femme prenne ce congé.
Heureusement face aux injonctions d’une société patriarcale et l’incapacité parfois du monde du travail à prendre en compte l’arrivée d’un enfant… les lignes bougent
Patrice Bonfy par exemple a pris deux mois de congés parental à l’arrivée de son second fils Leopolde. Ce n’est pas énorme, mais c’est beaucoup plus que pour son premier enfant. Il parle de privilège...
Patrice Bonfy : En fait, ça s'est fait un peu par hasard dans la mesure où moi, j'avais quitté l'entreprise qui avait racheté mon entreprise précédente pour monter de nouveaux projets et je ne savais pas encore exactement quoi.
J'étais en recherche de nouveaux projets et Marion m'a dit…. ne m'a pas proposé de partir en congé paternité de deux mois. Elle m'a dit comme c'est le printemps, on va pouvoir profiter d'une maison à la campagne et ce sera plus agréable pour nous, que d'être à Paris avec le bébé.
Et je crois que tu m'avais dit que je pourrais travailler l'après-midi littéralement.
Et en fait, d'arriver dans une maison avec un enfant de quelques semaines, un enfant de deux ans. Et puis, le 2, je me suis aperçu très rapidement que le principe de travailler était absurde dans la mesure où déjà, dormir et manger un peu, était difficile.
Et j'ai eu le privilège, la chance de pouvoir me dire j'arrête jusqu'à notre retour à Paris. J'arrête complètement. J'essaye pas de travailler et je me consacre totalement à aux soins de cette petite famille.
C'est un privilège parce que effectivement, moi, j'étais dans une situation où j'avais les moyens de ne pas travailler du tout. Pendant deux mois, ce qui n'est pas du tout donné à tout le monde, ce qui n'est pas du tout évident.
C'est une chance parce que Marion me l'a imposé sans me l'imposer, que je m'en rende compte vraiment.
Et du coup, on a pu le vivre par hasard et en profiter. Donc oui, ça, c'est un énorme privilège.
Et je suis très, très heureux d'avoir eu cette opportunité de découvrir complètement un nouveau monde.
Antoine Lalanne Desmet : Et forcément… l’implication de Patrice Bonfy dans les premiers mois de son enfant a eu un impact fort dans la répartition des rôles et des tâches entre les parents
Patrice Bonfy : Moi, j'ai déjà compris ce qui s'était passé pendant le premier congé maternité de Marion. Tout ce que j'avais …. tout ce que je ne comprenais pas. En rentrant à 19 heures, je l'ai vécu. J'ai vécu le fait d'être épuisé le soir à 19 heures, d'avoir besoin de passer le relais, de faire un break, etc. Et ça m'a fait comprendre énormément de choses.
Ça m'a permis de passer un cap en terme de gestion du foyer parce que même si je m'en occupais tous les soirs, etc. Etc. J'ai l'impression que je restais beaucoup en exécutant. C'est-à- dire que Marion m'a donné des instructions et j’appliquais et elle planifiait tout. Et là, le fait de vivre ses deux mois, ça m'a quand même fait progresser. Comprendre le principe même de charge mentale et découvrir qu'effectivement, je pouvais prendre des responsabilités. Je pouvais prendre des décisions et on pouvait partager ça plutôt que je sois exécutant et que Marion soit parent principal.
Antoine Lalanne Desmet : Depuis, marqué par cette période et les échanges avec d’autres parents à travers son site internet “le paternel”, Patrice Bonfy a lancé Remixt. Une organisation qui accompagne des entreprises sur des questions de Diversité et d’inclusion. Et l’accueil de la parentalité en entreprise est au cœur des missions. Il a pour objectif de montrer le positif pour les entreprises à valoriser les travailleurs qui sont aussi parents.
Marion : Je me rends compte qu'en fait, les parents sont de bien meilleurs investisseurs que les non-parents et qu'on est beaucoup plus efficace. On n'est pas obligé de passer des heures en réunion. On va direct à l'essentiel et donc je pense qu'au contraire, moi, ça, ça m'a aidé à grandir et à être plus mature et à être bien meilleur dans le métier d'avoir un enfant.
Parce que on a envie de rentrer pour les voir et de passer du temps avec eux et donc qu'on n'a pas envie de rester pendant trois heures à s'écouter parler. Parfois, c'est un peu le cas en réunion. Les gens s'écoutent parler et on n'avance pas. Et il n'y a pas de conclusion, donc on manque d'efficacité. Voilà, c'est ça. C'est le problème récurrent dans toutes les entreprises, l'efficacité des réunions.
Patrice : on devient plus productif, on a plus envie de perdre de temps entre guillemets, quand quand on est devenu parent et qu'on est effectivement d'autres choses à gérer.
Et c'est mesuré par la science que les parents sont plus productifs que les non parents. Et les hommes qui s'occupent. Les hommes qui s'occupent longtemps des enfants progressent en capacité de négociation, en empathie et en capacité de gestion de plusieurs tâches à la fois professionnellement.
Virgule musicale
Antoine Lalanne Desmet : Et certaines entreprises en sont conscientes… Elles proposent à leurs employés des congés plus avantageux que ce que proposent les États à leurs citoyens pour l’arrivée d’un enfant. C’est le cas par exemple de Salesforce. Cet éditeur de logiciels informatiques basé à San Francisco aux États-Unis est présent dans le monde entier.
Véronique Marimon y travaille. Elle fait partie du secteur ressources humaines, au poste de, je cite :“chief of staff”,
Véronique Marimon : Donc si, si, j'essaye de résumer la façon dont ça fonctionne ce qu’on fait c'est qu'on va au-delà de minimums légaux et on offre jusqu'à 26 semaines de congé parental.
Antoine Lalanne Desmet : Dans cette entreprise, depuis 2017 à l’arrivée d’un enfant, les parents peuvent bénéficier d’un congé rémunéré par l’entreprise d’au moins 12 semaines et d’un retour progressif au travail sans distinction de genre ou d’orientation sexuelle. Pour le second parent, c’est une opportunité car, c’est 3 à 4 fois ce qui est actuellement proposé par le congé paternité en France. C’est pour les couples une possibilité pour organiser la garde de l’enfant à égalité.
Véronique Marimon : Pour bien comprendre, par contre, j'ai besoin de vous définir quelques notions parce qu'en fait, au sein d'un couple, on définit la notion de premier aidant et dans la notion de second aidant. Alors, c'est quoi ça? Le premier aidant, c'est celui qui assume le rôle principal pour les soins et l'attention portée à l'enfant. Et le second aidant, le second aidant c'est celui qui fournit un soutien à son partenaire. Et donc, lorsqu'un couple a un enfant, je vais vous donner dans les dispositions chez Salesforce et c'est des règles qui sont valables bien sûr, si les couples sont des couples hétérosexuels ou homosexuels, donc ça c’est au sens large.
Alors, je prend par exemple, si je prends par exemple l'exemple d'une famille où c'est la maman qui travaille chez salesforce ça se déclare comme première aidant, elle va disposer de 16 semaines de congé maternité. Et ensuite, elle peut même prendre encore 10 semaines de congé supplémentaire de congé maternité. Lui, le papa, il bénéficiera par exemple des congés de sa société. Si je reprend le même exemple où la maman ne travaille pas chez salesforce, et c’est le papa qui travaille chez Salesforce :
Alors, il peut choisir d'être soit le premier aidant d'assumer le rôle principal et il va disposer de 16 semaines de congé paternité. Ou bien il va être le second aidant. Et dans ce cas là, il disposera de 12 semaines de congé paternité.
Antoine Lalanne Desmet : Sur le papier.. On pourrait se dire que Salesforce a de la marge pour continuer à proposer un tel congé à ses employés. Le chiffre d'affaires de l’entreprise, côté en bourse, est de plusieurs milliards de dollars. Mais ce n’est pas uniquement un cadeau proposé aux salariés, Salesforce y trouve aussi des avantages.
Véronique Marimon : Ce congé parental, finalement, il a une influence bénéfique sur le mode de management parce que ça nous permet d'avancer toujours plus finalement dans un management par la confiance et un degré d'autonomie plus avancé.
Quand un de nos salariés va prendre son congé parental et un papa s'absenter pour 12 semaines, c'est aussi l'opportunité de laisser une marge d'autonomie plus forte à ses équipes, d'instaurer une relation de confiance qui est encore renforcée.
Ce qu’on pense c’est que derrière un client heureux, il y a un salarié heureux. Et les valeurs humaines sont importantes pour nos salariés. Une étude OpinionWay sur le sujet dit que 28% des salariés admire les valeurs des entreprises pour lesquelles ils travaillent, ce n'est pas beaucoup. Ce qui est certain, c'est un employé engagé... il est plus performant.
Donc, accorder cette période où un salarié va pouvoir prendre du temps pour soi va pouvoir prendre du recul. C'est finalement une façon aussi de vivre nos valeurs d'entreprise, nos valeurs, de nos valeurs de confiance, nos valeurs de sincérité quand on s'intéresse à nos employés. Et ils nous reviennent aussi avec l'envie, un regard nouveau en regard, avec un petit peu plus de distance et un engagement qui est encore renforcé.
Antoine Lalanne Desmet : Salesforce n’est pas la seule entreprise à avoir mis en place ce système. D’autres entreprises et notamment des géants du numériques proposent des systèmes de congés similaires. C’est pour eux un moyen d’attirer les plus compétents et compétentes.
Véronique Marimon : Je pense que notre entreprise, ayant vraiment à coeur le bien être de ses employés, se penche sur des bénéfices en faveur de chaque employé et de sa famille.
C'est aussi ce qui nous aide à attirer et à retenir des talents et, du coup, à offrir un succès finalement à nos clients. C'est une des raisons aussi pour lesquelles les employés nous rejoindre. On voit clairement un lien entre l'engagement des employés et le fait qu'ils se sentent bien au sein de notre entreprise et la performance de nos employés. On est depuis plusieurs années au palmarès de Great Place to Work.
Je pense que c'est aussi ça qui est exprimé derrière cette position au palmarès.
On peut voir une vraie avancée dans le fait que de grandes entreprises privées globalisées s’engagent de cette manière. Mais pour équilibrer les conditions de congés pour tous, une des solutions serait que l’Etat s’engage davantage.
Hélène Périvier, chercheuse en économie et plusieurs fois auditionnée à l’assemblée nationale, m’a rappelé le rôle des politiques publiques, et la manière dont elles peuvent influencer puissamment les comportements individuels.
Hélène Périvier : Alors si on prend une perspective plus longue sur toute l'organisation, en tout cas l'organisation de la société en général. Il y a toute la sphère dite productive et je vais prendre un vocabulaire un peu marxiste et la sphère reproductive, c'est à dire celle qui permet la reproduction de la force de travail, c'est à dire avoir des enfants, élever ses enfants, tenir la maison, etc. Pendant très longtemps, et bien pour la plupart des couples, cette organisation n'était pas soutenue par des politiques publiques puisqu'au 19ème siècle, elles étaient quasi inexistante.
Et donc les deux travaillaient et la plupart des gens travaillaient et les femmes ont toujours travaillées. C'est cette idée femme, famille versus travail, c'est une dichotomie très moderne, donc pendant très longtemps, les femmes ont travaillé, y compris à l'extérieur du foyer.
Néanmoins, quand elles avaient des enfants, elles ajustaient leur temps, ce qui pouvait créer évidemment une grande précarité, voire une pauvreté pour les familles avec enfants des classes populaires. Donc, ça, c'est un peu l'organisation jusqu'au 19ème siècle. Et puis, les politiques publiques se sont construites avec une vision très genrées de l'organisation de la société.
Et donc, petit à petit, les États sociaux sont venus soutenir ce modèle spécialisé en encourageant les femmes à se concentrer sur la famille et l'éducation des enfants et les hommes à se présenter sur la sphère marchande avec des politiques publiques qui vont venir compenser financièrement le fait que ce couple perd un deuxième salaire, même s'il était souvent plus faible, puisque les femmes ont toujours été moins rémunérées que les hommes et donc toutes ces politiques publiques… on peut parler dans les années 30 en France c’était l'allocation salaire unique, mais dans les années 50, c'est la mise en place du quotient conjugal, c'est à dire l'imposition des couples mariés, qui permet de compenser le fait que son conjoint est inactif et n'a pas de revenus et qui est encore aujourd'hui en cours en France.
Toutes ces politiques opèrent une redistribution très importante des couples qui des couples sans enfants ou des personnes sans enfants vers des couples qui sont spécialisés et qui ont des enfants. C'est pour ça qu'il me semble que la terminologie ou le concept de travail non rémunéré ou gratuit me semble pas approprié. En tout cas, doit être historicité et replacée dans son contexte géographique. En tout cas, pour la France du 20ème siècle, il est inapproprié de parler de travail non rémunéré puisqu'il est précisément socialisé par des politiques publiques qui le rendent soutenable.
Maintenant, il est profondément injuste et assujettissant pour les femmes, puisque c'est bien sûr une assignation pour les femmes à rester au foyer.
Antoine Lalanne Desmet : J’ai donc demandé à Hélène Périvier quel serait pour elle le congé parental idéal accessible à tous et toutes et dont découlerait une vrai égalité entre parents.
Hélène Périvier : Donc, je vais commencer par la très jusqu'auboutistes. Dans l'absolu, je pense que d'abord, il faut repenser ça dans le contexte français, avec les forces que nous avons qui ne sont pas celles des pays nordiques. Je trouve que ce serait une erreur de caler les modèles nordiques sur le cas de la France parce qu'en France, on a cette chance de ne pas stigmatiser les mères de jeunes enfants qui travaillent.
On peut parfaitement avoir un enfant, le confier à quatre mois dans une crèche. Personne ne vous dira que vous êtes une mauvaise mère. C'est très rare en Europe, je peux vous dire, et c'est absolument impossible dans les pays nordiques où les parents doivent s'occuper impérativement de leur enfant durant sa première année.
Or, je trouve que chacun doit pouvoir trouver sa forme de parentalité et cet équilibre entre sa vie familiale et sa vie professionnelle. Donc, il nous faut repenser quelque chose qui soit approprié pour le cas de la France
Si j'étais très transformative du point de vue des congés parentaux, j'aurais presque envie là pour le coup, de m'inspirer du modèle islandais, de fusionner maternité, paternité, congés parentaux et de donner ou de proposer un congé parental de six mois par parent bien rémunéré. Alors, il faudrait penser la synchronisation ou non entre les deux congés. Mais avec cette idée, voilà, on intègre tout ça dans un congé unique qui permette aux parents de prendre le temps qu'ils souhaitent un peu avant l'heure, aux femmes, un peu avant la naissance et puis après, au père de prendre sa place ou au second parent.
Et puis ensuite, avec une possibilité aussi de confier son enfant quatre mois après sa naissance ou 3 mois après sa naissance, ou six mois ou un an si les deux parents prennent les six mois. Je pense que ça, ce serait, ce serait très transformatif
Et puis ensuite, repenser un système de service public de la petite enfance qui est pas si mal en France, mais qui est quand même très loin du compte en matière de nombre de places possibles, qui doit être articulé avec l'école pré-élémentaire. Ensuite, si j'étais moins transformatrice à ce congé, je garderais maternité paternité tel qu'il existe et je créerais tout simplement un autre congé plus court, encore une fois bien rémunéré et de toute façon, avec un fort investissement sur les services publics d'accueil de la petite enfance.
Puisque évidemment, si on limite le congé paternité, si on limite le congé parental, il faut impérativement que les parents puissent trouver une solution de garde pour reprendre leur travail.
Donc, je pense vraiment qu'il y a beaucoup à faire en matière de politique, d'articulations vie familiale, vie professionnelle, avec un objectif d'égalité femme homme et un objectif d'égalité des enfants sur le territoire et entre classes sociales. Voilà en gros ce que je proposerais comme grand plan de refonte de ces politiques .
Antoine Lalanne Desmet : Et pour financer ce projet, Hélène Périvier voit une solution du côté du quotient conjugal. Il s’agit d’une réduction d'impôt. Depuis 1945, le taux d’impôt d’un couple marié ou pacsé est calculé sur la moyenne des deux revenus : c’est le quotient conjugal. Si les conjoints ont des revenus différents, il y a dans 60% des cas un avantage fiscal. Résultat, s’il y a une différence importante entre les deux revenus… on paie moins d'impôts. Ce quotient conjugal est avantageux. Il peut donc décourager l’activité ou la reprise d’activité du membre du couple le moins payé. Sans surprise, dans ¾ des cas, c’est une femme.
Hélène Périvier : Si nous avons une perspective un peu systémique, alors il est possible de trouver des marges de manœuvre. Par exemple, le quotient conjugal c'est un système qui n'est pas plafonné. Le quotient conjugal est plafonné pour tous sans être très technique. Juste pour dire que quand on a un enfant, on a une part fiscale, mais que cet avantage ne peut pas dépasser 1500 euros par demi part, le quotient conjugal ne l'est pas. Donc, il n'est pas du tout plafonné. Juste pour vous donner un ordre de grandeur, il peut aller jusqu'à 32.000 euros de réduction d'impôt pour des gens très, très, très, très riches.
Donc il y en a très peu. Mais néanmoins, politiquement, c'est intéressant de voir qu'il n'a pas été plafonné. Donc là, il y a à mon avis des marges de manœuvre qui iraient dans le même sens, c'est-à-dire qui porteraient l'égalité femmes hommes à la fois du point de vue des congés parentaux et du point de vue de l'imposition. Juste pour vous dire, on a fait une étude avec des collègues de l'OFCE. Si on plafonnait le quotient conjugal au niveau du quotient familial, ça rapporterait 3 milliards de recettes fiscales supplémentaires par an.
Largement de quoi financer ce congé parental dont nous parlions. Et si et si nous individualise complètement l'impôt sur le revenu, ce serait 7 milliards d'euros par an. Donc voilà, je pense qu'il il y a matière à avoir une réflexion un peu systémique de nos politiques publiques. Si on sait où on veut aller et si on veut aller vers l'égalité, il faut avoir une perspective globale en ayant des politiques fiscales, sociales qui aillent dans le même sens. Mais aujourd'hui, on est loin du compte.
Virgule
Antoine Lalanne Desmet : “Nous ne prenons pas nos responsabilités face aux tâches domestiques et parentales, nous jouissons de privilèges et d’avantages sur le marché de l’emploi.. Il faut l’admettre, mais aussi chercher une possible réparation et agir pour favoriser la transformation sociale collective.”
Ces mots, ils sont extraits du petit guide du «disempowerment» pour hommes rédigé par Francis Dupuis-Déri … une inspiration pour les hommes qui espèrent un jour une société égalitaire.
Alors pourquoi ne pas se lancer…
Mais la réfléxion doit être globale : si on regarde la Norvège… dans ce pays, les parents doivent se partager 46 semaines de congés avec un minimum de 10 pour les femmes et de 15 pour les hommes. L’Etat indemnise le congé en couvrant 100% du salaire. La prise de congé est donc plus égalitairement répartie entre les genres… pourtant l’inégalité salariale y est importante. Les femmes gagnent en moyenne 15% de moins que les hommes… c’est à un point prêt la même différence qu’en France. Ce qui veut dire que la mise en place d’un congé parental égalitaire ne permet pas non plus de résoudre instantanément les inégalités hommes-femmes au travail.
Pour avoir des changements sur une large échelle, une réforme du système de congé implique une refonte du système de garde, une volonté politique, et plus globalement une remise en question des habitudes patriarcales.
Musique
Louise Hemmerlé : Vous venez d’écouter Travail (en cours), un podcast de Louie Media.
Si vous souhaitez nous partager votre histoire par rapport au travail, vous pouvez nous écrire à hello@louiemedia.com
Cet épisode a été tourné et écrit par Antoine Lalanne-Desmet.
Cyril Marchan était au montage et à la réalisation.
La musique est de Jean Thévenin et le mix a été fait par le studio La Fugitive.
Marion Girard est responsable de production, et Maureen Wilson responsable éditoriale. Mélissa Bounoua est à la direction des productions et Charlotte Pudlowski à la direction éditoriale.
Travail (en cours) c’est tous les jeudis, et vous pouvez nous retrouver là où vous avez l’habitude d’écouter vos podcasts : Deezer, iTunes, Spotify, Soundcloud. Vous pouvez aussi nous laisser des commentaires et des étoiles, et si l’épisode vous a plu, n’hésitez pas à en parler autour de vous.
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