Retranscription - Jusqu’à ce que l’Église nous sépare

INTRODUCTION

Charlotte Pudlowski : Ce que vous êtes aujourd’hui, combien de temps avez-vous passé à le rêver ? Sauriez-vous dire si c’était ce que vous espériez devenir quand vous aviez 15 ans ? Quand vous en aviez 20 ? Et comment faire pour ne pas s’enfermer dans ce qu’on a voulu vouloir ? Ou même dans ce qu’on a voulu… quand ce vœu a changé et qu’il ne correspond pas à votre “moi” d’aujourd’hui. Est-ce qu’elle n’est pas là, la force de la liberté ? Non seulement de se défaire de ce que les autres voient en nous, veulent pour nous. Mais de se défaire aussi de ce que l’on a cru être, et qui ne correspond plus à notre bonheur présent. 

Voici donc une histoire de liberté et de choix, au micro de Justine Rodier. 

Je suis Charlotte Pudlowski, 

Je suis Maureen Wilson

Bienvenue dans Passages

GÉNÉRIQUE

Claire : “Quand tu te sens coincé dans une relation, ou obligé de faire des choses, c’est que quelque chose ne va pas, t’es pas ajusté et donc, qu’est-ce qu’il y a de plus beau ? C’est de vivre en vérité, en liberté, et avec les gens qu’on aime et qui nous aiment. Et j’ai lâché prise en fait. C’est-à-dire que je me suis laissée aller. Quelque part, il m’a permis à ce que je me connaisse encore mieux. 

Gilles : Depuis que je suis enfant, j’ai une vie assez marquée par la foi catholique. Le dimanche, on va à la messe avec mes parents, je fais du scoutisme, je suis enfant de cœur, je fais du catéchisme… Voilà donc je grandis dans une éducation on va dire religieuse chrétienne. 

Claire : “Je suis née dans une famille pratiquante et croyante. Et donc j’ai été baptisée, j’ai fait ma première communion, ma confirmation, enfin tout le tintouin. Tous les dimanches on allait à la messe avec mes parents, enfin c’était quelque chose de très important pour eux. Dans ma famille, il y a toujours eu des prêtres, même des bonnes sœurs qui venaient régulièrement chez moi. Pour moi c’était des êtres humains comme les autres amis de mes parents qui venaient à la maison. 

Gilles : Vers l’âge de 16/17 ans, là je commence plutôt à me poser des questions sur le sens de ma vie. Et puis déjà avec un désir d’absolu, un désir un peu héroïque, de faire des grandes choses, et comme j'aime les défis. Je me dis : je veux devenir quelqu’un de bien, faire de grandes choses, de belles choses pour les autres… Et je commence à me poser des questions sur un engagement plus radical. 

Dans ma paroisse à Paris, là il y a un prêtre qui s’occupait un peu de tous les groupes de jeunes des différentes paroisses. Donc il m’invite à aller dans un weekend en abbaye et lors de ce weekend en abbaye, il y a une soirée de prières le samedi soir. Et puis, lors de cette soirée de prière, chacun, s’il le souhaite, peut aller rencontrer le prêtre. Ce que je fais. On est dans une petite salle où lui est habillé en prêtre. Donc il a une aube et une étole violette. C’est l’habit pour la confession d’ailleurs. On est un peu dans une situation de confession à vrai dire, on est tous les deux. Et à ce moment-là, il me pose la question en me disant “est-ce que tu as pensé à être prêtre ?”. Et donc là je lui dis “heu… oui…” Je lui dis “oui”. C’est la première fois que je le formule. En sortant de cette pièce, je sens que je passe à ce quelque chose de plus radical dont j’avais pensé avant. Là je franchis un cap ! Ça devient quelque chose d’envisageable. J’ai besoin de me retrouver seul. Et là je m’assois sur un banc et je me dis “waw, qu’est-ce que tu viens de dire ? …”

Je suis avec cette question là et en même temps, j’ai réussi Sciences Po. Donc je quitte le foyer familial et je commence les études à Sciences Po. Je suis plutôt entier dans ce que fais donc je plonge pleinement dans la vie étudiante. Voilà, les soirées étudiantes, les copains, les copines. Donc à ce moment-là, j’ai des petites amies. Je suis un peu dissocié, finalement, entre deux choses.
J’ai 18 / 19 ans à ce moment-là et il y a toujours ce prêtre que je vois régulièrement. Une fois tous les deux mois. On se retrouve pour faire un point sur cette réflexion. Il a à peu près 20 ans de plus que moi. Quelqu’un qui a un contact très facile, qui est très à l’aise dans la parole, donc il y a peut-être une sorte de fascination par rapport à ce personnage. 

Parfois j’ai des hésitations ou des doutes. C’est aussi renoncer à une vie de couple, à une famille, mais il y a une forme d’idéalisme qui me pousse, qui est une sorte d’héroïsme finalement qui est de dire : je suis prêt à renoncer à plein de choses pour quelque chose de bien plus grand. Donc en 1999, je rentre au séminaire, j’ai 22 ans. Donc là c’est un passage à une autre vie !

Le séminaire, c’est un vieux bâtiment du XVIe siècle qui était un ancien couvent. C’est d’ailleurs un lieu qui, à partir de la Révolution est devenu une prison. Rires; C’est des grands couloirs avec des petites cellules, C’est assez austère comme cadre. On est chacun dans notre petite cellule on va dire. Mais en même temps, parmi les séminaires qui existent en France, c’est parmi un des plus libéraux. Donc si on veut sortir, on peut sortir. Si on a envie d’aller se balader, on va se balader. Il y a un cadre, il y a une vie de communauté mais en même temps on a certaines libertés, et que l’on prend. 

Et donc, le séminaire dure six ans. J’aime travailler intellectuellement, je suis un amoureux des livres donc c’est un temps où je peux m’y donner à fond. Ce qui est un peu plus dur quand même c’est la vie entre gars H24 rires. FFF… Avec des personnes qu’on n’a pas choisies. Même s’il y a des affinités, des amitiés qui se construisent avec certains… c’est un peu douloureux. Donc j’ai hâte de pouvoir enfin entrer dans le monde, et donc j’ai hâte de sortir du séminaire.  

Claire :  On est en 1993, j’ai 19 ans, je rencontre mon futur mari et le futur père de mes enfants. A ce moment-là, j’habite encore chez mes parents. Lui a déjà une situation plus que confortable, et il a 24 ans, donc on a cinq ans d’écart. Il est un de mes professeurs de musique. On commence à se fréquenter, je tombe enceinte. Et là, à ce moment-là, ma mère me dit, bah qu’il faut que je me marie. Enfin… C’est pas possible autrement quoi ! Ça va très vite et en fait, je me marie quatre mois après avoir découvert que j’étais enceinte. 

Je fais des études de musicologie durant deux ans. Peu de temps avant le moment où je dois passer mon diplôme, mon mari me dit que ça n’est pas la peine parce que son salaire étant assez conséquent, on peut arriver à vivre sans que j’aie une activité professionnelle et que m’occuper des enfants, c’est bien. 

Gilles : je suis ordonné prêtre, donc je suis envoyé dans une paroisse. Enfin, je peux exercer le ministère de prêtre et en même temps, ça devient vite très difficile. Ce prêtre avec qui je suis est très autoritaire, je me sens un peu contrôlé dans tout ce que je fais. En plus, il s’avère qu’on est sur un même étage donc on n’a pas vraiment d’indépendance. C’est assez compliqué. Et puis, tous les repas qu’on peut passer ensemble sont des moments d'évaluation finalement. Je commence même physiquement à développer des pathologies d’angoisse. Pour le coup, c’est un peu un effondrement. D’ailleurs, un dimanche matin du mois de septembre, ça fait deux ans que je suis avec lui sur cette paroisse. Je dois aller célébrer la messe dans une des deux églises de la paroisse et j’y arrive pas, je suis bloqué. Je peux pas y aller. Je suis dans mon lit et c’est impossible. Je n’arrive pas à me lever, je n’arrive pas à me lever. Là j’appelle un médecin, ami. Et puis là je lui explique la situation et puis voilà, lui est assez clair. Il me dit “va t’en ! Pars ! Prends tes affaires et quitte ce lieu”. 

Claire : Je suis Maman au foyer, je suis très heureuse dans ce que je vis. C’est-à-dire que je vois mon enfant qui grandit, puis je tombe enceinte du deuxième donc heu rires. Après le troisième arrive. Puis le quatrième, rire, puis le cinquième. Rires. Donc tout s’enchaîne et quand la deuxième grandit, ça commence à être compliqué pour moi. Je me rappelle d’un dîner en particulier. Je ne me souviens plus du menu exact mais je me souviens que ça ne devait pas être assez chaud. Et donc ça part tout de suite en crise quoi… Le père des enfants, il est capable de prendre un verre, de le balancer. Pareil, de lancer une assiette, tout ravager sur son passage enfin au niveau des couverts quoi. Et c’est ça le quotidien… 

Ma fille aînée, pour ses études, part. On échange par sms à ce moment-là. Elle me dit “Maman, personne n’a le droit de mal te parler, de te maltraiter, on ne parle pas comme ça à un être humain”.  Donc là je prends conscience qu’il y a un truc qui ne va pas mais je me dis que je peux l’aider, que je peux le sauver en fait. 

C’est un dimanche matin, je dis que je souhaite aller à la messe. Et là, il part dans une crise monumentale et il me pousse dans les escaliers. A ce moment-là j’ai 42 ans. Dans ma tête, ça y est, c’est fini. Donc on fait chambre à part et donc là c’est compliqué parce que j’ai pas de travail, je ne travaille pas, je suis Maman de cinq enfants, j’ai pas de diplôme, et puis j’ai honte. A qui en parler ? A qui dire “bah voilà, ce que je vis depuis tant d’années” ? 

Un jour, un mercredi après-midi, il m’appelle sur mon portable et il me dit “je quitte la maison. Je déménage”. Donc en fin d’après-midi, quand je rentre, il n’est plus là. J’ai 42 ans et j’ai vécu 23 ans avec lui donc plus de la moitié de ma vie. 

Toutes ces années-là, en fait, je travaille pour lui. C’est-à-dire que je travaille pour sa carrière. Je lui fais son secrétariat, je lui réserve les taxis, je négocie les cachets, enfin je fais tous ces trucs là pour lui. Il n’est plus là, il faut que je fasse des choses pour moi. Et puis mes enfants. 

Gilles : En 2015, j’arrive dans cette paroisse de banlieue parisienne, un peu avant mes 40 ans, ce qui veut dire que ça fait 15 ans que je suis prêtre et je suis passé de paroisse en paroisse. Quand j’arrive, il y a un prêtre qui est un peu un ancien, pour le coup qui change beaucoup par rapport à la figure d’autorité parce que c’est quelqu’un de très fraternel, très bienveillant. Je me dis que je fais enfin respirer ! Et en même temps, ffff, je retrouve aussi certaines logiques de contrôle, de surveillance. Mes allers et venues sont contrôlés. Par exemple, c’est ce paroissien qui dit “ah tiens, j’ai vu que ta voiture était pas dans le parking”. Bah oui… J’étais pas là, tout simplement ! D’ailleurs, on invente plein de choses sur le fait que je suis parti je ne sais pas où. Donc pour moi ce sont toujours des choses qui sont très agressives.

Claire : je m’investis beaucoup dans la paroisse. On me propose de gérer un groupe des enfants de cœur. Et puis je suis à l’accueil de la paroisse aussi. C’est-à-dire qu’une fois par semaine, j’accueille les gens qui veulent demander le baptême, qui ont besoin de parler, des mariages… enfin plein de choses quoi ! Ça me fait du bien d’être là bas. Tout le monde me connait et je connais beaucoup de gens ! 

Gilles : En 2017, ça fait un an et demi que je suis dans la paroisse. On est un samedi du début du mois d’avril, il y a une première famille avec les deux parents et l’enfant dans la poussette et puis une jeune femme qui vient toute seule pour préparer le baptême. Je remarque assez vite que cette jeune femme est beaucoup plus impliquée pour l’organisation du baptême, pour le livret de la célébration, les chants, et puis très, assez enjouée dans sa manière d’être. 

Claire : bah c’est-à-dire que j’ai pris les choses en main parce que c’était quand même mon cinquième enfant donc des baptêmes j’en avais déjà organisé quatre ! Très vite, voilà, je prends les choses en main. Et puis de toute manière, l’autre maman elle était bien contente que je les prenne parce qu’en fin de compte elle n’avait pas vraiment envie de s’investir là dedans donc, je me mets à faire le livret de chant, le livret des textes etc. Pour que ça colle bien, qu’on aille bien dans la même direction, dès que j’avançais dans mes recherches, j’envoyais la copie au père Gilles, par mail.  

Claire : Claire, parce que je sais désormais qu’elle s’appelle Claire, ne me regarde pas comme un personnage à moitié céleste, en dehors de la réalité. Je sens que dans nos échanges, les choses sont simples. Moi j’aime bien faire mon footing donc il arrivé régulièrement, plusieurs fois par semaine, que je sorte en tenue de sport pour aller faire mon footing. Et quand je croise des paroissiens, j’ai l’impression de sortir d’une autre planète. D’être un peu l’extraterrestre qui vient d’être arrivé sur Terre. Je suis en short, en tee shirt, en baskets et donc les gens ont l’impression qu’ils ont une apparition parce que d’habitude ils me voient en aube, en étole, dans l’église. Comme aussi, le moment où je fais mes courses, ce moment où je croise une paroissienne dans le rayon de supermarché et qu’elle me dit “ah vous faites vos courses ?” Et je dis “bah oui !” Et là, elle se reprend et elle dit “ah bah oui, c’est vrai, il faut bien manger !”. Voilà, donc c’est ce type de moment qui peuvent porter à sourire comme ça mais qui sont finalement lourds à vivre parce qu’on est considéré comme un autre que l’humanité ordinaire. 

Claire : Étant donné que dès petite j’allais sur les genoux des amis prêtres de mes parents, je leur tirais la barbe pour ceux qui avaient la barbe, je les déguisais, je les maquillais. Et voilà, pour moi c’était un peu comme des oncles, des cousins, enfin des gens de la famille. Moi je porte sur lieu un regard qui est d’être humain à être humain. 

Gilles : Fin juin, c’est mon anniversaire et Claire m’invite à venir l’après-midi, un dimanche après-midi pour partager un petit moment. J’arrive en retard rires. J’ai couru, j’arrive en sueur. C’est un après-midi du mois de juin donc il fait chaud. Là j’entre chez Claire, dans sa maison. C’est une atmosphère très familiale, très accueillante. Elle m’offre un livre pour mon anniversaire qui s’appelle “La force de l’amitié”. 

Claire : Je découvre quelqu’un avec qui on a beaucoup de valeurs communes. Puis très vite il doit partir et à partir de ce moment-là, on s’écrit des sms tous les jours. 

Gilles : donc là il y a l’été qui arrive. D’ailleurs, elle me demande de relever son courrier, d’arroser son jardin. Et puis bon bin moi je pars en vacances aussi, donc voilà on échange beaucoup, on s’entend très bien. 

Claire : Un jour j’arrive à la paroisse en pleurs. J’avais mis des lunettes noires parce que je ne voulais pas que les gens remarquent trop, voilà. Avec le père des enfants, même si je prends du recul, malgré tout c’est très tendu, très compliqué. Et tout de suite, Gilles me dit “Viens, viens on va parler”. Et donc il prend le temps, il est là. Et je découvre que oui, on peut s’adresser à des gens sans leur crier dessus quoi…

Gilles : c’est aussi un moment où elle perçoit aussi ce que je vis moi, en tant que prêtre. Parce que je lui parle aussi de mon quotidien. Ça choque Claire. Elle voit un peu l’envers du décor. Et donc, on se soutient mutuellement dans cette volonté que l’on a l’un et l’autre de sortir de forme d’emprise oppressante. 

On se rapproche de plus en plus. On a décidé tous les deux de transformer le bureau d’accueil. Donc on achète du mobilier, des sièges un peu de couleur. Voilà, on met un peu de gaîté dans cette paroisse très enfermée sur elle-même. On commence notre petite révolution, on va dire, dans la paroisse. Là, on est tout de suite sur la même longueur d’onde. 

Quand on commence à entreprendre un petit peu tous les deux ces changements, la secrétaire, d’autres paroissiens, commencent un peu à nous regarder de travers. Parce que 1, on les bouscule, ça c’est sûr ! Puis, du coup ,ils commencent à suspecter notre complicité. Quelque part, ces critiques, on les reçoit plus comme un encouragement à continuer. 

Claire : Plus le temps passe, plus on est complice. Il y a deux personnes qui viennent me parler pour me dire… qui prend un air grave “tu sais… on te voit proche du père Gilles… Et on vous voit un peu complice, on vous voit rire ensemble…”. Tout de suite j’ai coupé court ! Pour moi c’était tellement hallucinant qu’elles puissent me dire un truc pareil que je me dis “quel est le problème ?”. Je suis amie avec Gilles et point barre !

Gilles : Il y a un moment où Claire anime une célébration avec le chant des enfants. On est au mois de septembre / octobre quelque chose comme ça. Et il s’avère que ce jour-là, il y a ce prêtre qui m’a accompagné depuis longtemps qui est là. Et là, il me fait une remarque sur Claire en me disant “mais pour qui elle se prend ? puis elle avait une drôle de tenue !”. Donc il me décrit un portrait très négatif de Claire. Ce qui me fait mal c’est que soit mise en question la sincérité et l’authenticité de l’amitié que nous vivons avec Claire. 

Claire : Et du coup, à partir de là on décide d’éviter de se voir à la paroisse. On décide de se voir dans un magasin qui est à mi-chemin entre chez lui et chez moi. Et donc on se donne des rendez-vous. C’est-à-dire que l’on fait nos courses à la même heure, et ce qui nous permet de passer du temps dans les rayons. Ce qui était assez drôle d’ailleurs parce qu’une fois il y avait un conseiller qui passait dans les rayons et qui disait “mais vous avez besoin de quelque chose ? Vous cherchez quelque chose ?” parce que ça faisait des heures qu’on était là. En fait, on avait nos caddies posés par terre rires et puis on parlait, on parlait, on parlait et on voyait pas le temps passer. 

Gilles : Si on nous voit par exemple prendre un café à 10h du matin sur une terrasse, ça ne fait qu’amplifier sur la paroisse une sorte de dénigrement d’ailleurs de ce que fait Claire et de jugement parce que ce que les paroissiens n’acceptent pas, c’est que je puisse avoir finalement une vie propre. 

Claire : On passe à une vitesse supérieure malgré tout. J’ai envie de passer de plus en plus de temps avec lui. J’ai envie d’encore mieux le connaître. Je me prends parfois à rêver qu’il me prenne dans ses bras enfin des choses comme ça… Je ne suis pas non plus dans le truc de me dire “il faut que je me trouve quelqu’un”. Je ne suis pas du tout dans cette dynamique là. Je prends du temps pour moi. Je prends du temps pour me connaître mieux. Je prends du temps aussi pour prendre du recul par rapport à ce que j’ai vécu avec le père de mes enfants. 

Gilles : Je sens que mes sentiments sont forts pour elle et que de plus en plus, j’aime tout ce qu’elle est. 

Je perçois bien qu’il y a deux formes d’engagement qui se côtoient. Et je me pose en effet la question de leur compatibilité d’autant que j’ai intégré cette règle du célibat, des prêtres. Je l’ai presque justifiée personnellement, justifiée intellectuellement. Me viennent en mémoire tous ces cours du séminaire où l’on nous parle de “la juste distance” avec les femmes dans l’exercice de notre ministère de prêtre. Il y a même eu des sessions au séminaire sur cette question là où l’on te dit de ne pas trop être proche, de maintenir la distance. Le prêtre étant plutôt au quotidien en relation avec des femmes parce que la grande majorité des personnes bénévoles engagées dans la vie de l’Eglise sont des femmes. Même si elles n’ont pas accès au ministère. Quand on touche finalement dans l'Église à cette question-là, on touche à l’interdit le plus absolu. 

Claire : Il a tout ! Je le trouve très séduisant, etc etc. Mais je me dis “bah oui mais lui il est prêtre. Il a fait ce choix de vocation aussi. Je ne vais pas le dissuader du chemin qu’il a pris. C’est peut-être un peu dingue ce que je vais dire mais, depuis toute petite, c’est quelque chose qui m’interpelle. Depuis que je suis toute petite, que je vois ces prêtres vivre célibataires. Enfin je me disais “il pourrait faire un super Papa” ou “il pourrait faire un super Grand-père” etc. Depuis que je suis enfant, je me rappelle je les regardais en train de faire l'homélie, je me disais “mais, c’est pas juste en fait ! C’est pas juste parce que pourquoi on les oblige à vivre célibataires ?”

C’est un soir, je suis dans mon lit. Je suis en train de lire et là on commence à échanger et on évoque la possibilité d’une relation un peu plus intime. Il évoque la possibilité d’une relation un peu… platonique… C’est-à-dire que l’on peut s’aimer mais sans passer en tous cas… respiration… en acte heu, corporellement parlant, enfin qu’il n’y aurait pas, voilà. 

Gilles : Donc un après-midi, j’invite Claire chez moi. Donc ce qui est assez rare parce qu’on essayait, de fait, de ne pas se rencontrer au presbytère qui forcément est un lieu… surveillé. 

Il fait beau, il y a un beau soleil, il y a une belle luminosité, Nous prenons le thé, nous discutons comme d’habitude : de tout et de rien. 

Claire : Il est habillé en col romain, tout en noir, voilà. Et moi, je suis habillée avec un chemisier, je sais qu’il l’aime bien. Je reste une heure ou deux chez lui. Et au moment où l’on doit se dire aurevoir, je suis contre lui et comme il est beaucoup plus grand que moi, je me mets sur la pointe des pieds et je l’embrasse. 

Je ne suis pas dans le contrôle en fait. Comme s’il y avait une force surnaturelle qui me pousse. Je suis là et je me dis “c’est maintenant ou jamais”. Juste après je me sens très très mal et je me dis que je suis trop nulle… parce que je gâche tout… 

Il me raccompagne et puis il me dit “à bientôt, à très bientôt”. Et donc il referme ce portail, et haan, je me retrouve dans la rue et la première chose que je fais c’est que je prends mon portable et je lui écris un sms. Et je lui dis “écoute, je suis désolée ! On oublie là ce qu’il s’est passé”. 

Gilles : Elle serait presque à se culpabiliser. Mais on est deux hein ! Moi j’ai accepté ce baiser voilà. Je lui réponds “il n’y a pas de culpabilité à avoir, c’est ce qui devait se faire”. 

Claire : Je suis soulagée, malgré tout, de la réaction qu’il a. Mais il y a quand même quelque chose qui me fait que j’ai peur d’avoir eu un geste qui entache la relation qu’on avait… 

Gilles : Bien sûr je ressens quelque chose de très fort. Et en moi je me dis “oui c’est ça”. C’est libérateur parce qu’il y a un geste qui exprime finalement ce que l’on n’osait pas exprimer par des mots parce qu’il y avait tout un environnement qui nous l’interdisait. Là, elle brise l’interdit. Intérieurement j’ai envie de lui dire merci d’avoir fait ce pas là. Pour moi c’est le plus beau jour de ma vie, oui. 

Claire : Deux trois jours après on se revoit là pour le coup. Et là, il me prend dans ses bras quoi. Pour moi c’est ce moment-là qui acte vraiment le registre dans lequel on se retrouve. On n’est plus dans l’amitié. On est vraiment dans une relation amoureuse. 

Après, quoi en faire ? Quoi faire ? 

Gilles : On continue de se voir comme avant, mais on est quand même encore plus prudent et attentif par rapport aux personnes que l’on croise. 
Claire : On a envie de se voir beaucoup plus fréquemment. Rires. On commence à aller au restaurant, à faire des choses qu’un couple normal fait. On est obligé d’aller loin de chez nous. 

Gilles : À tout moment, je regarde autour de nous. Avant de nous asseoir, je scanne toute la salle pour voir qui est dans la salle. Et ça, je le fais partout. 

Claire : Encore plus à la paroisse, on est hyper vigilants, c’est-à-dire qu’en fait on essaie que les gens ne nous voient plus trop ensemble tout court. On fait hyper attention. 

Donc on fait nos courses ensemble comme un couple normal. On choisit ce Monoprix là parce qu’on se dit que potentiellement il n’y a personne qu’on connaît parce qu’il est suffisamment loin de la maison. Et période de soldes, on se dit “tiens on va aller faire un tour dans la lingerie féminine”. Rire. Donc il est à côté de moi, et on regarde les soutiens gorge et les petites culottes un peu voilà… Gentil quoi, c’est pas les sloggi, pas les trucs de ma Grand-mère. Je vais lui montrer un truc, que je trouve joli. 

Gilles : Et là, moi je remarque qu’il y a une paroissienne et sa fille qui sont là. Je vois la paroissienne derrière Claire. Mais Claire ne l’a pas vue. Du coup, moi je pars.

Claire : Je vois Gilles qui devient blême. Et donc là heu… comment dire… rires. Je me sens hum… Bah pas super à l’aise ! Et donc je me dis “bah, il ne faut pas que je détale sinon on va penser que j’ai fait une bêtise… Donc je ne détale pas. 

Gilles : Je descends au sous-sol où était la voiture. Rires. Et même que comme j’étais un petit perturbé, du coup je prends la voiture, je recule et j’ai percuté même le caddie d’un autre client du supermarché. Et il se trouve qu’en plus, comme c’est en sous-sol, il n’y a plus de réseau. C’est très embarrassant parce que je ne sais pas si je dois retourner dans le supermarché ou l’attendre. Mais l’attendre où ? 

Claire : Et j’essaie de me dépatouiller, de faire semblant de regarder ma montre “Bon bah là il faut que j’y aille !”. Et là je pars et je suis haan, je me dis “mais est-ce qu’elle a entendu ? Est-ce que l’a vue ?” Potentiellement, elle peut en parler à quelqu’un. 

Gilles : Bon, ce qui nous fait bien rire quand même à la fin ! Et en même temps c’est une de ces scènes que l’on s’attend à connaître dans les mois qui viennent. 

Claire : Il y a un côté super marrant, mais pesant. Ultra pesant dans le quotidien. 

Gilles : On essaie de trouver des moyens de vivre notre amour totalement librement donc on décide de partir en Corrèze. C’est un weekend où il neige d’ailleurs. Rires. On arrive sous la neige en Corrèze. Il y a une panne d’électricité tellement il y a de neige. Et donc on est seul au monde dans une maison perdue au fin fond de la Corrèze, au milieu des bois et là c’est le bonheur absolu. 

On est accueilli par les personnes qui nous louent la maison en Corrèze et ils nous voient comme un couple. 

Claire : C’est une bouffée d’air frais quoi ! Parce que du coup on est là, on peut se donner la main quand on veut. On peut faire les courses comme on veut. On peut dîner dans le restau qu’on veut ! On est… Libres ! Et c’est trois jours hors du temps. 

Gilles : Puis après, le quotidien reprend le dessus. Je rentre à la paroisse et là je vois qu’on me demande de plus en plus d’être présent, je suis de plus en plus sollicité. Et donc ça devient compliqué et puis j’ai l’impression que les paroissiens sentent quelque chose. Et c’est comme si on essayait de me retenir. 

Claire : Je ne suis pas du tout en train de douter de mes sentiments. Mais je me dis “est ce que je ne suis pas en train de me remettre dans une histoire compliquée quoi ?” Compliqué parce que je ne sais pas comment ma vie va pouvoir s’articuler quoi… Comment on va pouvoir continuer à vivre ? Moi je me souviens d’une fois où je suis chez lui et je ne peux pas sortir de son appartement alors que ma fille sort de l’école, qu’il faut que j’aille la chercher et que je suis coincée parce qu’il y a la nana qui fait les ménages qui est juste devant la porte ! Elle est en train de passer la serpière. Et donc ça, à long terme, c’est juste pas possible. On peut le vivre des semaines, des mois mais des années c’est hors de question ! 

Gilles : Ça fait plusieurs mois là qu’on est ensemble. Moi j’ai peur que les choses se sachent ouvertement. J’ai peur que je sois mis à la porte du jour au lendemain et que je sois sans situation. Ça fait 15 ans que je suis hors du monde du travail, Mon CV s’est arrêté à un bon diplôme mais ça suffit pas ! Il faut aussi l'expérience !  

Claire : J’ai peur du regard des autres, mais en même temps, le fait de ne pas en parler accentue l’isolement dans lequel je me trouve. Et donc forcément ça résonne en moi par rapport à ce que j’ai vécu avec le père de mes enfants. Un isolement d’une autre manière mais un isolement quand même. Et donc, me retrouver seule comme ça, avec une histoire amoureuse dont je ne peux pas parler, bah il y a des moments où c’est dur !

J’ai aussi une appréhension et une petite peur. Je me méfie de la gent masculine. Être tout gentil, tout beau etc au début et puis partir sur une pente glissante descendante, ça reste quelque chose dont je me méfie. 

Gilles : Comme depuis 15 ans, je suis vu uniquement comme sous prisme du prêtre. Y compris un certain nombre d’amis, j’oserais presque dire “même ma propre sœur", me connaît comme prêtre. Et du coup me connaît d’après ce statut là. Et d’un seul coup finalement, de leur révéler un autre choix que ce statut, c’est ce sentiment de casser un bout de mon identité.  

Claire : Certains de mes enfants sont scouts, certains de mes enfants sont encore au caté, j’ai peur que ça ait des conséquences contre eux, qu’ils se retrouvent dans des situations en tous cas dans lesquelles ils ne sont pas capables de se défendre. 

Gilles : Mon caractère fait que je ne suis pas un homme des transitions radicales. Je suis donc pris un peu entre deux sentiments. 

Claire : J’ai peur que la relation que nous sommes en train de construire soit une relation pansement et j’ai peur qu’il m'utilise et qu’une fois que je lui ai permis de sortir ça, qu’il me jette quoi. 

Ça fait une année qu’on est ensemble et l’été arrive. Qui dit été dit, lui ses tâches qu’il a à faire au sein de la paroisse et moi partir un peu en vacances avec mes enfants. Mais ça me permet aussi de me recentrer sur moi et puis aussi de comprendre tout le chemin que j’ai parcouru aussi pendant ce temps là. Je pars notamment chez la marraine de ma petite dernière qui a une grosse propriété en Sologne. C’est super chouette parce que c’est un peu le paradis sur Terre là bas, on est bien. On est bien, on profite, même s’il me manque. Notamment des couchers de soleil, des moments où je me dis “ça serait quand même super chouette qu’on soit tous les deux quoi” rires. C’est vachement mieux à deux que tout seul. Surtout que moi je voyais ma fille aînée qui était avec son compagnon et je me disais “ils ont de la chance d’être tous les deux”. 

Gilles : Et moi je pars en vacances en Bretagne, dans une maison de famille. Là, on est séparés au moins pendant quinze jours. Donc là c’est un peu difficile. Claire me manque beaucoup, je pense beaucoup à elle. Je me rappelle sur la plage, je vois d’autres couples qui sont là ensemble et voilà, je pense à nous et je me dis que nous pourrions être là ensemble. 

Claire : On se retrouve, bah c’est sûr c’est l’été, on a la peau bronzée. Donc on est évidemment super heureux de se retrouver. 

Gilles : Quand on se retrouve après les vacances, c’est un bonheur total. On se le dit d’ailleurs que l’on s’est moqué l’un à l’autre. 

Claire : Je me permets d’évoquer ce sujet là avec lui. Je sais qu’il y a des femmes qui entretiennent une relation clandestine avec des prêtres et qui sont depuis trente ans ou quarante ans obligées de se cacher, obligées de tout calculer etc. Alor moi, pour moi c’était hors de question ! 

Gilles : Je la rassure totalement en lui disant que ma volonté c’est que l’on vive notre amour ouvertement et en pleine transparence par rapport au monde et par rapport à l’Eglise. 

Claire : C’est presque aussi beau qu’une demande de mariage ! A ce moment-là, je comprends qu’on est vraiment sur la même longueur d’onde et qu’il est prêt à quitter son ministère et sauter les derniers verrous de la porte. C’est ce qu’il y a de plus beau : il est prêt, à tout !

Gilles : Claire elle est présente dans tout ce que je vis et dans tout ce que je fais. Ça me donne, j’oserais dire, des ailes. Ouais, je me sens totalement moi-même. 

Tout ce qu’on vit ensemble ne vient que faciliter ce que je vivais péniblement et durement avant dans ma paroisse quand je me sentais un peu contraint et enfermé par ce qu’on attendait de moi. Beaucoup de choses prennent leur sens. Je sens que j’ai fait des choix… très jeune, radicaux. Je me suis construit finalement un personnage. Je suis rentrée dans un personnage et j’ai été jusqu’au bout de ce bon personnage et en fait, là, je me retrouve pleinement. Pour moi, à quarante ans, je me permettais enfin de devenir pleinement libre et libre d’aimer. 

Claire : D’un seul coup j’ai quelqu’un qui me pousse, qui me pousse à faire des choses à l’extérieur et qui me pousse à faire des choses tout court en fait. 

Pour les enfants en effet, je ne voulais pas les “traumatiser” en leur imposant la présence d’un homme. Sachant qu’ils le connaissaient par ailleurs. On a fait ça vraiment à dose homéopathique donc dans un premier temps il venait déjeuner, après il est venu de plus en plus déjeuner, après il est resté dîner. 

L’été 2020, on est parti en vacances tous ensemble, comme une famille normale. On a pris les tentes, on s’arrête dans des campings. On vit une super belle vie de famille comme moi personnellement je ne l’ai jamais vécue. 

Gilles : Aujourd’hui, un grand nombre de nos ami·e·s sont au courant. Enfin, sauf un certain nombre de personnes qui - je pense - par leur conviction religieuse n’arriveront pas à comprendre ce choix de ma part. Par contre, nos ami·e·s, nos famille sont au courant et c’est vraiment libérant. 

Claire : Les gens de la paroisse m’ont évincé d’un grand nombre de choses de la paroisse qui permettait d’avoir des liens entre les gens. On m’a retirée justement de la responsabilité des enfants de cœur. J’ai tout découvert toute seule, et ça me fait d’autant plus mal que c’est dans une paroisse !

Gilles : Ça va faire un an et demi que j’ai emménagé chez Claire. Même si actuellement je suis censé vivre dans une paroisse. Mais j’ai dit à mon supérieur hiérarchique - qui est un évêque - que je ne souhaitais pas continuer à vivre en paroisse. Sans pour autant en donner toutes les raisons. Dans deux mois il sera officiel que je quitte mon ministère. Pour le moment je prépare ma reconversion professionnelle. Donc il y a tout un tas de préparation avant de partir parce qu’on n’est pas forcément attendus sur le marché du travail. On n’a aucun statut donc je n’ai pas le droit au chômage. J’ai un statut particulier partout ! Même le statut de la sécurité sociale est un statut particulier donc il faut reconstituer une vie normale si je puis dire. Voilà, il y a trois ans je vivais encore une vie assez solitaire. Aujourd’hui, je suis très heureux de faire la cuisine pour tout le monde de temps en temps, enfin régulièrement, de pouvoir se balader sur la plage en famille quand on part au bord de la mer, de pouvoir aider les enfants à faire leurs devoirs, à jouer ensemble, rire ensemble. Ce sont de petites choses du quotidien et je pense de l’humanité la plus simple mais qui m’était tout simplement impossibles, voire interdites. 

Claire : Là j’aimerais pouvoir donner des cours de piano. J’aimerais que mon divorce soit prononcé et que je puisse me marier avec Gilles ! Rires. Voilà ce dont je rêve actuellement ! 

Gilles : L’interdit que j’avais intégré et que je m’en étais fait une discipline, très, très forte, aujourd’hui je vis très, très librement. Une liberté qui est une sorte d’épanouissement de moi-même avec ceux avec qui je vis et ceux que j’aime. 

Je pense que je n’ai jamais eu autant de ma vie le sentiment d’être libre. 

Gilles : C’est évident qu’après tout ça, ma vis je la choisis en fait ! 

FIN DE L’ÉPISODE

Cet épisode de Passages a été tourné et monté par Justine Rodier. Maud Benakcha était à l’édition et à la coordination. La musique était de David Sztanke et la réalisation de Lucile Aussel. L’épisode a été mixé par Jean-Baptiste Aubonnet. Maureen Wilson est responsable éditoriale. Marion Girard, responsable de production, Mélissa Bounoua.

Le générique de Passages a été composé par November Ultra. 

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