Pourquoi reproduisons-nous toujours les mêmes erreurs ?
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Brune Bottero : J’adore la rentrée. Ça m'enthousiasme, ça m’excite, et même, ça m’affole. Enfant, je me réjouissais de l’odeur des cahiers neufs, des crayons bien taillés et des étiquettes toutes propres collées sur mon cartable.
Et puis, la rentrée c’est le retour des rituels et de la motivation. Cette année, par exemple, je me sens un énorme appétit de lecture, et j’ai envie de dévorer une grosse partie de la rentrée littéraire. J’ai déjà englouti Qui sait, de Pauline Delabroy-Allard, un vertige littéraire à la fois mélancolique et espiègle. J’ai aussi commencé Cher connard, de Virginie Despentes et je jubile en réalisant qu’il s’agit d’un véritable essai sur la société contemporaine déguisé en roman épistolaire. J’ai en commande chez ma libraire les nouveaux romans de Joachim Schnerf, Sally Rooney, de Carole Fives, des auteurs et autrices dont j’aime le travail et que j’ai hâte de retrouver. Je suis pleine de motivation.
J’ai aussi très envie de m’inscrire à une nouvelle activité sportive. De la danse contemporaine, du fitness, de la boxe… Je me vois déjà enfiler ma tenue tous les mardis soir, transpirer sous l’effort, apprendre de nouvelles techniques et progresser. J’arrive déjà à m’imaginer dans quelques temps, dire nonchalamment « Je prends des cours de Pilate depuis 3 ans. », ou « Ce week-end ? Ah non je peux pas j’ai une compétition de boxe ».
Mais, si après la rentrée littéraire, mon excitation de lecture se poursuit toute l’année, pour le sport en revanche… Chaque année, après l’enthousiasme de septembre et la rigueur d’octobre, arrive la flemme de novembre, et l’abandon de décembre. Chaque. Année.
J’ai trente-trois ans : je pourrais me raisonner. Les livres, oui, le sport, non. Mais le pire c’est que, au plus profond de moi, chaque année, j’y crois. Et chaque mois de septembre, je me retrouve adhérente à un nouveau club de sport. C’est un peu comme ces gens qui arrivent systématiquement en retard, ou ceux qui disent oui à toutes les invitations qu’ils reçoivent même si les honorer est mission impossible… Certains schémas semblent parfois se répéter inlassablement, même lorsqu’ils ne sont pas satisfaisants…
Pour cette rentrée d'Émotions, la journaliste Jeanne-Marie Desnos décrypte ces schémas répétitifs afin de comprendre pourquoi nous reproduisons toujours les mêmes erreurs.Je suis Brune Bottero, bienvenue dans Émotions.
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Jeanne-Marie Desnos : Être attirée par les bad boys tout en sachant que ça ne mène nulle part… Retourner quatre, cinq, six fois avec son ex parce qu’on ne veut pas être seul.e… Se mettre en situation d’échec dans tous ses projets de travail…
La répétition des erreurs, c’est quelque chose qu’on a toutes et tous vécu. Et l’humoriste Fanny Ruwet en a fait un sketch hilarant :
Extrait du sketch de Fanny Ruwet : J’essaie vraiment de m’entourer de gens qui prennent soin de leur santé mentale et tout… Euh en théorie. En pratique, dès qu’une personne est toxique, j’arrive dans sa vie en mode “hey”... Honnêtement pour moi, les red flags, c’est pour montrer le chemin. Surtout avec les filles, honnêtement - parce que je mange à tous les râteliers. En général, ce que je préfère chez un mec, c’est sa soeur. (...) Et si en plus de ça, la meuf s’en bat les couilles de moi, oh putain. Moi, une fille qui répond pas à mes messages pendant 3 jours, je sais que c’est la bonne. Tu me ghostes, j’ovule, c’est la règle
Jeanne-Marie Desnos : Comme le dit très bien Fanny Ruwet, dans la vie, il y a la théorie : choisir des partenaires amoureux sains et qui nous veulent du bien, un travail qui nous épanouit, faire du sport tous les jours…
Et puis, il y a la pratique. Et parfois, je me dis que nos existences ressemblent à s’y méprendre à “Un jour sans fin”. Ce film des années 90 avec Bill Murray et Andie MacDowell. Bill Murray y joue Phil Connors, un présentateur météo misanthrope qui se retrouve coincé dans une boucle temporelle.
Chaque jour, son radio-réveil se met en marche à 6h00 pile, et chaque jour, la radio joue la même rengaine : le tube “I Got You Babe” de Sonny and Cher. Après, ce sont toujours les nouvelles du 2 février qui tombent… Et Phil Connors est condamné à revivre sans cesse les mêmes situations…
Je me demande pourquoi, comme Phil Connors, on a parfois cette sensation de se retrouver coincé dans un cycle infernal ? Comment se forment les comportements qu’on reproduit ? Quelles conséquences ont-ils dans nos vies ? Et est-ce qu’on peut réussir à s’en libérer ?
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Les comportements répétitifs, ce n’est pas forcément négatif. Untel invite régulièrement ses amis à dîner et sera toujours prêt à rendre service. Une telle travaille d’arrache-pied pour atteindre des objectifs toujours plus élevés. Etc etc… D’ailleurs, quand on connaît bien une personne, on dit souvent : “Je te reconnais bien là” ou "Ça, c’est tout toi’.
Répéter les mêmes comportements, c’est donc ce qui peut participer à nous définir. Mais si ce n’est pas alarmant a priori, chez certaines personnes, la répétition finit par devenir une prison.
Cory : Quand je suis en relations un avec une personne ou un deux, ça va. Dès qu'il commence à y avoir un groupe un peu plus important trois personnes, quatre personnes, cinq personnes en face de moi ou plus, il y a vraiment cette peur du jugement et du regard des autres qui se déclenchent, qui est super forte.
Parce qu’elle se sentait mal à l’aise socialement, Cory a longtemps souffert d’un comportement répétitif. Quand elle est au collège, elle ne peut tout simplement pas s’empêcher de mentir dès qu’elle se retrouve dans un groupe d’amis.
Cory : Quand mes copains de classe parlent, racontent des histoires, j'ai l'impression qu'ils ont vécu des vies extraordinaires et ils ont vécu plein de choses trop bien et que moi, à côté de ça, je n'ai rien à raconter. Je me sens dévalorisée et j'ai l'impression qu'on ne va pas m'aimer, que je suis nul, que personne va m'écouter, que quand on va m'écouter, je vais rien dire et que. Je vais être fade. Et j'ai cette sensation d'être, d'être nulle, inintéressante, invisible, c'est vraiment le sentiment que j'ai toute mon adolescence, en fait. Donc je vais faire en sorte d'être fun, d'avoir fait des trucs. Donc quand j'entends mes potes me parler de leur week end ou ils ont fait, je ne sais pas moi, du paddle, ils sont partis au ski l'hiver ou je ne sais pas quoi. Je vais raconter quelque chose de similaire. Je vais prendre un petit bout de chaque histoire et sur le moment, pendant la conversation, je ne vais pas du tout les écouter. Je vais écouter et je vais prendre de l'inspiration. Et je vais créer mon histoire. Je vais me préparer le discours dans ma tête et au moment où c'est à mon tour de parler, ou que tout le monde a parlé ou qu'on se retourne vers moi, qu'on me dise toi, t'as fait quoi pendant tes vacances ? Je vais inventer un truc sur le moment.
Jeanne-Marie Desnos : Cory va donc mentir, mentir, et encore mentir pendant des années.
Cory : Et derrière ce mensonge, moi je vis avec. Je suis obligée de les maintenir. Donc je travestit ma vie complètement mon identité. Je me fais passer pour quelqu'un que je suis pas. Et au final, j'ai vécu toute ma vie avec ça. Tous les soirs dans ma chambre, je ne dormais pas et je ressassais ce que j'avais dit dans la journée. Je me détestais d'avoir fait ça. J'avais ultra honte de qui j'étais et ça venait alimenter le fait que je me trouvais nulle et insignifiante. T'as rien à dire et tout ce que tu dis, c'est faux. Donc les gens ils t’aiment pour un truc qui n'existe pas. Et ça venait alimenter ça. Et ça, c’est un vrai cercle vicieux.
Jeanne-Marie Desnos : Alors pour Cory, la boucle infernale, c’est le mensonge.
Mais peut-être que pour vous, c’est d’envoyer 50 messages à votre partenaire, qui est sorti sans vous, pour lui demander à quelle heure il ou elle va rentrer. Ou de vous sentir affreusement coupable dès que vous vous disputez, même un tout petit peu, avec quelqu’un. Et de vous plier en quatre pour vous faire pardonner.
Quand la répétition devient un enfermement, elle se transforme en ce qu’on appelle “un scénario de vie”.
Jean Cottraux : Scénario veut dire quelque chose qui est inexorable.
Jeanne-Marie Desnos : Jean Cottraux est psychiatre spécialisé dans les thérapies comportementales et cognitives. Il est l’auteur de deux livres portant sur les schémas de vie : “La répétition des scénarios de vie” et “Sortir des émotions négatives”, publiés chez Odile Jacob.
Jean Cottraux : Donc, j'ai essayé de faire une psychologie du scénario de vie répétitif, qui entraîne progressivement une sorte de descente aux enfers des patients qui viennent nous voir au moment où ça va vraiment très très mal. C'est-à-dire, ils font une dépression quand ils se rendent compte que d'une certaine manière, ils ont gâché leur vie et qu'ils ont répété un peu les mêmes choses. C'est au moment de ce moment de cristallisation et de prise de conscience. C'est mon destin, c'est moi, je peux pas m'en sortir, aidez-moi.
Jeanne-Marie Desnos : Cette impression de ne pas pouvoir se sortir d’un mode de fonctionnement qui la fait terriblement souffrir, c’est donc ce qu’a vécu Cory pendant des années. Et ça peut sembler un peu incompréhensible d’un point de vue extérieur. Pourquoi toujours refaire la même chose si ça nous fait du mal ?
Jean Cottraux m’a expliqué que les comportements répétitifs révèlent en réalité des besoins inassouvis. Dans le cas de Cory, comme on l’a vu, son besoin, c’est de se sentir valorisée socialement. C’est ce qu’il peut arriver quand quelqu’un souffre d’un sentiment d’infériorité.
Dans d’autres cas, ça peut être un besoin d’autonomie et de confiance qui n’est pas comblé. Et ça va entraîner des comportements de dépendance aux autres. La personne a l’impression qu’elle ne peut pas se débrouiller seule.
Quand Cory me raconte son histoire, je me demande comment elle en est arrivée là. D’où vient son besoin de valorisation sociale ? Et pourquoi elle utilise le mensonge comme solution ?
Pour essayer de comprendre, j’interroge Cory sur son histoire. Cory grandit dans une petite ville du sud de la France avec ses parents et sa grande sœur.
Cory : Mes parents sont ensemble. On vit dans une maison avec ma sœur qui est plus grande que moi. On a deux ans et demi d'écart. Voilà. La maison, le chat, les parents, mes grands-parents dans la même ville… Voilà, un environnement propice à un équilibre de vie normal, quoi. Des parents qui s'aiment, des grands-parents qui s'aiment, des modèles de couples stables et pas vraiment de problèmes. Pas de maladie, pas de problèmes d'argent particulièrement. Ce n'est pas la folie, mais c'est normal. Quelque chose d'assez simple et stable.
Jeanne-Marie Desnos : A priori, tout va bien. Pourtant, Cory est une enfant mal dans sa peau.
Cory : Enfant. Je suis plutôt timide, réservée, apeurée. Je ne suis pas à l'aise avec les adultes. Je ne suis pas à l'aise avec plein d'enfants et j'ai besoin de connaître les gens depuis longtemps pour être bien avec eux. Je suis plutôt calme, sage, réservé. Assez vite, en difficulté scolaire aussi. Donc pas fun, pas l'enfant fun qui court partout et qui fait de la folie. C'est plutôt calme. Je me souviens avoir passé des heures entières dans le jardin, chez mes parents, à être seul et à regarder la nature, les fourmis, les papillons, les fleurs, les feuilles.
Jeanne-Marie Desnos : Ce mal-être chez Cory, c’est peut-être une première piste. Et puis, elle me révèle une anecdote intéressante, sur la question du mensonge.
Cory : Alors, ça commence très tôt l’histoire. Ça commence avec le Père Noël. J'ai à peu près quatre ans… Je fais ma première crise de colère par rapport à un mensonge. En fait, parce que mes parents veulent me faire croire que le Père Noël existe et moi je sais très bien que ce n'est pas vrai. J'ai compris très vite que ce n'était pas vrai, que ce n'était pas possible que dans le conduit de cheminée qui doit faire 20 centimètres de diamètre, le Père Noël ne peut pas passer pour ramener des cadeaux. Il faut arrêter de me prendre pour une débile, même si j'ai quatre ans. On va à la messe de 0 h alors on n'est pas religieux pratiquants, mais juste la messe de 0 h, c'était le truc de l'année. et bizarrement à la messe de 0 h. Il y a toujours un membre de ma famille qui dit “J'ai j'oublie un truc, je reviens”. Lol. Et quand on rentre il y a des cadeaux. Et ma mère m'a raconté encore récemment combien je devenais tout rouge et je m'énerver parce qu'on voulait me faire croire que le Père Noël existe. Ils y tenaient, quoi.
Jeanne-Marie Desnos : Quand Cory comprend que le Père Noël n’existe pas. Sa grande sœur, qui a 6 ans et demi à l’époque, y croit encore. Alors, ses parents insistent. Le Père Noël existe, il faut les croire.
Cory : Et à un moment donné, je sais que sur les dernières années, je faisais semblant de les croire. Si ça leur fait plaisir, je vais les croire. Le rôle se renverse. Et c'était un apprentissage du mensonge, ça finalement. Et de ok quoi, de faire semblant. Ok, le Père Noël existe. Si ça vous fait plaisir, on va faire une lettre au père Noël.
Jeanne-Marie Desnos : Pour protéger l’aînée, les parents refusent que leur cadette ne croit plus au Père Noël. Alors, Cory cède et accepte de faire semblant.
C’est peut-être à ce moment précis que la petite fille comprend pour la première fois que mentir peut lui faciliter la vie. Pour qu’on la laisse tranquille, pour faire plaisir à ses parents…
Plus généralement, Cory m’explique qu’elle a pu observer que, dans sa famille, on a parfois tendance à ne pas dire les choses. Comme pour se protéger du regard des autres.
Cory : c'était quelque chose qui faisait partie de ma famille, en fait. Des petits trucs, toujours des petits trucs. Mais voilà une espèce de pudeur. On ne va pas dire qu'on a un problème de santé. On ne va pas dire qu'on a acheté un truc, qu’on part en voyage ni où on va, parce que sinon on va croire qu'on a de l'argent. Moi, je trouve que c'est un peu trop quoi. Voilà, je me rappelle de la fois où mes parents ont changé leur canapé. Je crois que j'étais au collège et moi j'étais toute contente et j'allais le dire à mes copines. On change de canapé et mes parents m'ont dit “Surtout, on ne parle pas au collège. Tu ne dis pas qu'on a changé de canapé, voilà.” C’est les gens vont savoir qu'on a de l'argent et après ils vont venir chez nous. Alors qu'on n'avait pas tant d'argent que ça, on avait juste changé un canapé, quoi. Et moi, ça c’était un truc que je comprenais pas.
Mais à force, dans mon enfance, mon adolescence, de voir mes parents mentir, ne pas dire des trucs, ne pas parler de leurs émotions, jamais - une émotion, qu'est ce que c'est ? - Eh bien, j'ai appris à le faire. J'ai appris à le faire, je l'ai reproduit et ma sœur aussi.
Jeanne-Marie Desnos : Au départ, Cory ment de façon presque contrainte, pour éviter les problèmes. Mais au fil du temps, elle comprend qu’elle peut même tirer profit de ses mensonges.
Cory : Mes parents, moi, de mon point de vue d'enfant, ils sont stricts quand je suis au collège. Et évidemment, il faut que les devoirs soient faits tous les jours. Je me rend vite compte que quand ma mère rentre du boulot, si quand elle arrive, je suis en train de m'amuser et de regarder la télé parce que j'ai fini mes devoirs, elle arrive, elle me fait un reproche, “mais alors t'es pas en train de voir c'est quoi cette histoire ?” Je constate également qu'un autre jour, elle rentre du travail. Je n'ai pas fini mes devoirs parce que je me suis amusé avant, parce que j'ai traîné ou parce que c'est compliqué. Je n'arrive pas à avancer sur mes devoirs. Elle rentre dans ma chambre, je suis concentré sur mon bureau. “Oh ma pauvre chérie, tu es en train de faire ses devoirs, mais tu devrais te reposer. Viens faire une pause.”
Donc moi, si je veux que quand elle arrive, je sois tranquille et calme, elle m'embête pas. Je sais très bien quel comportement je dois adopter. Donc ce que je fais, c'est que je fais mes devoirs pour moi. Quand je rentre du collège, si j'ai fini avant qu'elle arrive, je zieuter le portail électrique qui s'ouvre dans le jardin. Et quand je vois que le portail s'ouvre, je sais qu'elle arrive. Je ressors mon cahier, je fais semblant de faire mes devoirs comme ça. Quand elle arrive, il me fait une pause et je commence comme ça en fait, en me rendant compte que, en fonction de ce que je fais, je n'ai pas les mêmes marques d'attention. D'un côté, on me reproche d’un autre côté, on prend soin de moi, on me chouchoute. Qu'est ce que je choisis ? Je choisis qu’on me chouchoute et qu’on m’aime, évidemment.
Jeanne-Marie Desnos : Plus les années passent, plus les mensonges se renforcent et se répètent. Cory imite la signature de sa mère quand elle a des mauvaises notes, fait le mur pour braver les interdictions de sortie… Et maintient ainsi son image de fille sage, obéissante et travailleuse. Ce qui va devenir un scénario de vie chez Cory démarre donc dès l'enfance.
Mais est-ce que c’est toujours comme ça ? Est-ce qu’on peut toujours lier nos comportements répétitifs à des événements de l’enfance ?
Samah Karaki: Quand nous naissons, nous les humains, on est pas très bien développé.
Jeanne Marie Desnos : Samah Karaki est docteure et professeure en neurosciences.
Samah Karaki: C'est ce qu'on appelle la néoténie, c'est à dire que voilà, on sort du ventre de nos mères, très peu développé, très dépendant en quelque sorte. Et donc ça, c'est une très très bonne chance que nous avons, parce que ça nous permet du coup de nous adapter, grâce au développement cérébral qui va suivre et physique de nous adapter à l'environnement.
Dans l'enfance, il se passe des événements, disons, un peu plus fondamentaux parce que le cerveau va s'organiser autour des demandes environnementales. Et donc, si, si, dans l'enfance, on a des comportements répétitifs auxquels on est sujets. On va avoir un cerveau qui va s'adapter à cette présentation là. Et alors ? Ce n'est pas déterministe, mais ça va prédire en quelque sorte des comportements et des régulations à l'âge adulte.
Par exemple, si imaginez que vous êtes dans un entourage qui ne valorise pas les émotions. Par exemple, si quelqu'un est triste, y’a personne qui vient demander comment ça va. Si quelqu'un pleure, y’a personne qui vient s'assurer que tout va bien. Donc on observe ces comportements, et aussi, on les vit. Ça veut dire que quand nous, on est triste, quand le bébé, quand l'enfant est triste, personne ne vient voir comment il va. Et en fait, du coup, quand on regarde ces comportements, on va automatiser une façon de réguler socialement les émotions. Donc on va se dire que chacun est apparemment chargé de la régulation de ses propres émotions.
Et en grandissant, cette façon d'interpréter, elle peut devenir automatique. Ça veut dire qu'on n'aura pas les réponses sociales de soins. En tout cas, on n'aura pas celles qui sont partagées par les autres parce que nous avons automatisé que ce n'est pas le mode socio émotionnel qui est adapté dans la culture dans laquelle nous avons grandi.
Jeanne-Marie Desnos : Dans l’enfance, notre cerveau est en construction. on va donc intégrer les comportements vus dans notre entourage comme des choses évidentes. Et les reproduire. Avec l’histoire de Cory, on comprend que d’une certaine manière, mentir a pu lui être inspiré par son environnement familial.
L’enfance joue donc un rôle important dans la formation de nos comportements répétitifs. Mais attention, Samah Karaki et Jean Cottraux sont formels : il serait erroné de vouloir systématiquement relier nos scénarios de vie à l’enfance. Car en réalité, ils peuvent se former à tous les âges. Ne pensez donc pas que vous êtes à l’abri, même si vous êtes dans la trentaine…
Et puis, quand Samah Karaki parle d’environnement auquel on s’adapte pendant l’enfance, elle parle des parents, et d’autres figures familiales, mais aussi de l’environnement social et culturel, l’école par exemple.
C’est d’ailleurs quand elle entre au collège que Cory commence à mentir de manière quotidienne. Car au départ, Cory ne ment qu’à ses parents. Et puis, au collège, elle devient de plus en plus mal à l’aise socialement. C’est là qu’elle commence à mentir à ses camarades de classe.
Cory : Je vais raconter le voyage en Thaïlande. Alors on est vraiment là, en Thaïlande, avec mes parents. Et puis je lui dire qu'on est allés dans la mer, dans l'océan, que c'était magnifique et que j'ai nagé avec des dauphins, alors que je n’ai pas nager avec des dauphins ? Rajouter quelque chose qui a l'air un peu plus fun, qui est plus cool, qui est plus intéressant. C'est toujours crédible, c'est toujours possible. Maintenant il faudrait pas qu'ils demandent à ma sœur ou à mes parents si ça a été le cas, ça n'aurait pas été le cas.
Ça se passe comme ça au collège, sur les soirées, les anniversaires. Et du coup, à chaque fois que je suis avec des copains, soit je parle pas beaucoup, soit si je me mets à parler, c'est pour inventer un truc en fonction de l'ambiance du moment. Et je raconte un truc cool ou on me dit “Ah ouais, c'est cool et tout à fait ça. Toi aussi, t'as vu ça ? ça donne ces sensations là ? Oui, complètement.” Alors que pas du tout.
Jeanne-Marie Desnos : Par chance, et parce qu’elle fait attention à ce que ses mensonges soient toujours crédibles, Cory ne se fait pas démasquer. Au départ, ce comportement fonctionne donc plutôt bien.
Cory : Ce que ça m'apporte de mentir, c'est de me sentir intéressante, d'avoir le regard des gens sur moi avec un regard qui est intéressé, enthousiaste, ou alors pour avoir du réconfort, de l'amour, de l'attention. Donc soit ça m'apporte de la valorisation, soit ça m'apporte du soutien, soit de la liberté. Avec mes parents, c'était de la liberté parce que je cherchais toujours à pouvoir faire plus. Comme tout le monde, tous les ados, à un moment donné, cherchent à avoir plus que ce qu'ils ont. Donc ça m'apporte tout ça. Ça m'apporte plein de choses. Du coup, ça remplit le besoin. C'est plutôt efficace comme stratégie.
Jeanne-Marie Desnos : Et comme toute stratégie qui marche, on a envie de la réutiliser.
Samah Karaki: Quand on revisite un certain même comportement, une même idée et même action, ou une même et même quelque chose d’implicite. Cette répétition fait que ce circuit neuronal, ce réseau, va être de plus en plus intégré, de plus en plus sophistiqué, de plus en plus rapide et donc de plus en plus automatique. Et c'est là ou dans l'enfance, on va donc créer beaucoup d'automatismes qui sont très utiles pour notre survie future. Parce qu'on va apprendre à nous déplacer d'une manière automatique. On va apprendre à, par exemple, interpréter les signaux sociaux d'une manière automatique. Et en fait, une fois qu'on a automatisé (et ça, ça nous arrive à adultes aussi), ça devient intuitif.
Jeanne-Marie Desnos : Quand Samah Karaki dit que notre circuit neuronal va être de plus en plus intégré, ce qu’elle veut dire, c’est qu’à force de reproduire les mêmes comportements, notre cerveau les automatise. S’il fait ça, c’est pour alléger notre charge cognitive, toutes les informations que notre cerveau doit traiter en même temps. Et c’est grâce à ce mécanisme qu’on n’a plus à se concentrer sur le fait de mettre un pied devant l’autre quand on marche, ou de passer les vitesses quand on conduit.
Et c’est la même chose pour les comportements sociaux, comme dire bonjour quand on entre dans une pièce par exemple.
Ce que m’explique aussi Samah Karaki, c’est que les circuits cérébraux ne vont pas réagir de la même manière s’ils sont régulièrement empruntés ou non.
Samah Karaki: c'est une loi qu'on appelle la loi de "Use It or Lose It". C'est à dire que si on n'utilise pas certains noyaux ou certains circuits cérébraux, ils vont un peu faner en quelque sorte. Un peu comme un chemin, si vous imaginez dans un village un chemin que personne ne prend, au bout d'un moment, ce chemin n'est plus visible. Ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas le restituer. Mais au contraire un chemin que l'on prend tout le temps - ça, c'est la répétition des phénomènes que nous pouvons vivre - ce chemin, il va être visible, il va être traversé, il va s'élargir. Et c’est là exactement la définition de la plasticité cérébrale.
Jeanne-Marie Desons : En répétant souvent les mêmes comportements, nous formons donc des sortes d’autoroutes neuronales, des voies rapides qui deviennent des réflexes devenus inconscients.
Dans le cas de Cory par exemple, son autoroute neuronale c’est de mentir dès qu’elle est mal à l’aise.
Un autre exemple, ce serait cette personne qui pense qu’on l’agresse quand on la contredit, et qui va donc systématiquement s’énerver dès que quelqu’un n’est pas d’accord avec elle.
Selon Jean Cottraux, un autre phénomène qui va venir les renforcer, c’est que les schémas s'auto-alimentent.
Jean Cottraux : On enclenche un cercle infernal où la réalité va confirmer la fiction du schéma. Une personnalité, par exemple, évitante, elle va éviter les autres. Et comme elle évite les autres, les autres vont l'éviter.
Jeanne-Marie Desnos : On connaît toutes et tous cet ami qui se plaint d’être seul mais qui, arrivé en soirée, va faire en sorte de ne surtout parler à personne. Et en voyant son comportement fuyant, évidemment, personne ne va l’approcher… Un autre exemple, c’est celui d’une personne qui a peur d’être abandonnée. Et qui finit par l’être à cause de sa jalousie maladive. Le schéma devient alors une prophétie autoréalisatrice.
Souvent, les scénarios de vie se forment donc progressivement, par la répétition. Mais ils peuvent aussi survenir de manière plus brutale, comme me l’explique Samah Karaki.
Samah Karaki : Certains évènements sont tellement intenses que dans leur puissance, on n'a pas besoin de les revivre. Elles vont créer tout de suite une trace mnésique, c'est-à-dire une trace de mémoire, parce que soit ils sont très menaçants, soit ils sont très gratifiants. Quand on vit des événements qui sont très négatifs. Comme un viol ou comme quelqu'un qui est censé nous protéger, qui nous fait du mal, ou qu'on vivait un deuil ou une séparation douloureuse ou un exil, par exemple.
Il l y a des événements qui sont oui fortement négatifs, qui peuvent dans tout cerveau, d'une manière universelle, créer des des traces mnésiques qui vont engendrer des comportements de protection des comportements, des réactions donc en fait des tentations de régulation émotionnelle qui vont servir à la personne pendant un certain moment et puis devenir handicapante plus tard.
Jeanne-Marie Desnos : Ces événements fortement négatifs, ce sont des traumatismes. Jean Cottraux me donne un exemple.
Jean Cottraux : J'ai par exemple une de mes patientes qui est entrée dans mon bureau et elle s’est assise et elle a dit : “Finalement même à un ou deux mètres de distance, simplement sentir l'odeur d'un homme réactive chez moi le viol traumatique que j'ai eu”. J’ai dit : “Aucun problème. J’ai une collègue dans le bureau à côté. C'est elle qui vous prendra en charge”. Et comme ça, vous serez dans un environnement tout à fait sain. Donc ça aboutissait à des conséquences assez dramatiques dans ses relations avec les hommes, parce qu'aucun homme ne pouvait plus l'approcher sans que ça réactive l'image du viol. C'est ce qu'on voit dans les cas les plus extrêmes.
Jeanne-Marie Desnos : Dans le cas des traumatismes, ce n’est pas la répétition qui engendre un scénario de vie, mais la force des émotions ressenties. Mais attention à ne pas généraliser. Si les schémas répétitifs peuvent parfois s’expliquer par la survenue d’un traumatisme, tout traumatisme ne donnera pas lieu à un schéma répétitif. Comme l’indique une étude du chercheur J-E Oliver, publiée en 1993, dans The American Journal of Psychiatry.
Jean Cottraux : Les statistiques sur les traumatismes montrent qu'il y a un tiers de personnes qui vont mal évoluer, qui vont reproduire le traumatisme sur d'autres, un tiers qui vont être entre les deux, ça va dépendre de ce qui va se passer dans leur environnement. Et il y a un tiers qui va être incassable et sur qui le traumatisme va glisser et qui sont résilients.
Jeanne-Marie Desnos : Qu’ils aient pour origine des comportements répétés, la survenue d’un traumatisme ou d’autres facteurs, les scénarios de vie ont en commun que, chez l’individu concerné, ils sont devenus une réponse systématique, rigide, au monde qui les entoure.
Jean Cottraux : Finalement, qu'est ce que c'est qu'un schéma cognitif ? C'est. C'est un souvenir qui s'est transformé en règle de fonctionnement. Dès que les gens acquièrent des souvenirs autobiographiques qu’ils empilent. Et puis, à un moment, ça devient une règle qui se rigidifie, qui est une règle de fonctionnement.
Jeanne-Marie Denos : Jean Cottraux me donne des exemples de schémas, parmi les plus courants.
Jean Cottraux : Vous avez le schéma d'infériorité. Vous avez aussi les gens qui sont dans le conformisme et le perfectionnisme des personnalités obsessionnelles compulsives, qui ont toujours l'impression qu'ils n'en font pas assez. Il faut se soumettre à l'opinion des autres qui va les critiquer, les juger. Vous avez les schémas narcissiques. C'est des gens qui sont dans un schéma de grandeur, tout le temps en danger et qui peuvent être soit des narcissiques malveillants. soit des narcissiques instables qui sont envieux, qui ont toujours l'impression qu'ils ne sont pas reconnus à leur valeur. Alors vous avez aussi des schémas ou les gens sont dépendants et ils ont des troubles de l'attachement. Ils se mettent dans un état de subjugation et ils se soumettent aux autres.
Jeanne-Marie Denos : Dans les cas les plus graves, les schémas vont engendrer ce qu’on appelle des troubles de la personnalité.
Jean Cottraux : C'est des comportements qui dévient très notablement de ce qui est attendu d'une personne dans la vie courante, à la fois sur le plan des actes, à la fois sur le plan des pensées et à la fois sur le plan des émotions.
Jeanne-Marie Denos : Le schéma devient donc pathologique quand il dévie trop par rapport à la norme, en fonction du contexte social dans lequel la personne évolue. Il devient alors trop handicapant pour l’individu, ou trop dangereux pour les autres.
Mais même sans être pathologiques, certains schémas de vie peuvent devenir des sources de souffrance. Dans l’histoire que nous suivons, Cory se rend rapidement compte des conséquences négatives de ses mensonges.
Cory : Je me sens comme une merde clairement de faire ça. Ça me soulage sur le moment parce qu'on m'écoute, on me regarde avec des yeux enthousiastes et une fois que c'est fini, j'ai honte, j'ai honte et je m'en veux de leur faire croire des choses comme ça. Et après, il y a le double effet kiss cool, c'est que la soirée se termine. Et quelques semaines plus tard dans la cour de récré, on va me reparler d'un truc que j'ai fait, que je n'ai pas fait, mais que j'ai dit que j'ai fait. Et là, il faut que je me souvienne de ce que j'ai raconté pour être crédible. Parce que si je me rappelle plus, c'est grillé.
C'est une énorme charge mentale. Mentir, c'est une énorme charge mentale. Il faut se rappeler l'histoire qu'on a dit. Il faut en trouver toujours des plus extravagantes les unes que les autres. Et il faut aussi réussir à faire des ponts entre les histoires. Parce que quand il y a deux personnes qui n'ont pas eu la même version du mensonge, il faut réussir à trouver un mensonge supplémentaire qui va être le liant, pour faire un mensonge qui s'empile avec un autre, qui s'adapte avec un autre et puis un autre. Et donc oui, ça demande énormément d'énergie mentale, de créativité, de jonglage, de se rappeler à qui j'ai dit quoi, de quelle façon, pour que ce soit cohérent. Je suis Hollywood. Il faut que l'histoire soit cohérente dans leur tête. Donc je fais en sorte que ce soit cohérent dans leur tête. Et moi, j'essaie de faire des ponts avec tout ça.
C'est épuisant et du coup, c'est beaucoup de stress. Et le fait de tous les soirs dans ma chambre d'ado repenser à ma journée, détester mon comportement et avoir envie de changer. Et tous les jours, me dire “demain, j'arrête en fait”.
Jeanne-Marie Desnos : Cory tente donc à plusieurs reprises d’arrêter de mentir.
Cory : je repasse dans ma tête la journée qui s'est écoulée, les moments où j'ai menti. Je repasse tout ça dans ma tête et j'essaye à ce moment là de me dire “OK, demain, si c'est la même chose qui se passe, comment je vais faire autrement, comment je vais faire pour dire la vérité demain si j'ai la même interaction ?” Et je fais en sorte le lendemain. Je fais de mon mieux pour ne pas mentir.
Jeanne-Marie Desnos : Mais elle se rend compte que c’est devenu un réflexe, c’est plus fort qu’elle. L’autoroute est déjà trop tracée.
Cory : Là c'est terrible parce que je ne maîtrise rien. Je ne suis plus en train de préparer un mensonge, de le dire comme je l'avais prévu et que tout se passe comme prévu. Pas du tout. mon oreille entend que ma bouche est en train de dire un mensonge. Je n'étais pas prête. C'est hors de contrôle, ça sort tout seul. Je ne sais pas d'où ça sort. Presque, je ne sais pas qui le dit. Est ce que c'est vraiment moi ? Et en fait, c'est une part de moi qui prend le pas, de protéger la situation, de me protéger d'émotions désagréables. Et du coup, ça vient, ça vient se mettre là comme un bouclier de protection et je le constate.
Même si je me rendais compte à l'époque que c'était une erreur de faire ça. Il y a quelque chose d'automatique qui se répétait, parce que je n'avais pas compris comment faire aussi pour arrêter ça.
Jeanne-Marie Desnos : Je demande à Samah Karaki pourquoi il semble souvent si difficile de changer, même quand nous faisons preuve de la plus grande volonté.
Samah Karaki : Tout à l'heure, j'ai donné cette métaphore d'un chemin, d'un chemin qui est visité souvent, qui devient donc facile à arpenter. en neurosciences. On appelle ça le chemin de moindre résistance, c'est-à-dire tout ce qu'on a automatisé devient facile à prendre. Et à côté, imaginez un chemin escarpé ou vous ne savez pas où est ce que ça vous mène. Il y a une incertitude à l'autre bout. Et donc, naturellement, on va dire : “Pourquoi prendre un nouveau chemin ? Qui a l’air plus difficile ?” Et donc en fait notre résistance au changement. Elle a une base énergétique, elle a une limite énergétique qui qui vient dans notre besoin d'efficience et qui est du coup raisonnable, rationnelle. Parce qu'on peut dire oui.
Je sais que je dois changer, mais je ne change pas. C'est irrationnel. Mais en fait, oui, mais tu sais que ça te coûte de changer. Et donc, oui, on n'est pas des êtres qui vont suivre toutes nos belles et vertueuses intentions. Parce qu'à chaque fois que nous allons entamer ce travail contre soi, en quelque sorte, ça veut dire contre l'automatisme. Il faut avoir de la patience parce qu'il faut non seulement construire un nouveau chemin, mais aussi déconstruire l'autre.
Jeanne-Marie Desnos : Le cerveau a donc largement tendance à privilégier les automatismes car c’est ce qui lui coûte le moins d’énergie. Et il faudra beaucoup d’efforts pour ouvrir de nouveaux chemins. Mais ce n’est pas impossible.
Quand Cory est en troisième, un événement va lui donner l’impulsion du changement.
Cory : Je suis toujours au collège, sur le stade de foot de l'école, à côté des gymnases. Y’a la piste d'athlétisme et on est en cours de sport. Je crois que c'est la fin du cours de sport parce qu'à ce moment là, on papotait. Je suis avec quatre, quatre, cinq copines de la classe. Elles parlent toutes d'un truc de leur vie et moi je suis là, j’ai rien à dire.
Et à ce moment-là, il y a le monsieur qui entretient le stade de foot sur un petit tracteur tondeuse qui tond la pelouse. Et je raconte à mes copines que j'ai eu un accident quand j'étais petite, que mon père a la même chose à la maison, ce qui n'est pas vrai. Il a une tondeuse à main normale.
Je raconte cette histoire que je suis passée sous la tondeuse et que les lames m'ont coupé le visage. Toujours plus. Et c'est pour ça que j'ai une trace à l'intérieur de la joue. Tu peux la voir si tu veux. Il y a une trace.
Mais en fait, c’est dents qui font la trace dans l'intérieur de la joue, c'est absolument pas une cicatrice de quoi que ce soit. Parce que je ne sais pas à l'époque, mais je fais du bruxisme, j'aspire ma mâchoire, je serre et les joues sont pincées au niveau de la jonction des dents et ça fait une trace à l'intérieur de la joue.
Donc je leur montre, je leur dis “regardez la cicatrice à l'intérieur, le chirurgien, il est trop fort.” Elles sont là : “Oui, oui”. Mais je sens qu'elles ne croient pas. Je sens que c'est trop, c'est trop. En fait, comme si j'étais déjà qui ? Comment un humain peut passer là dessous ? C'est impossible. Enfin bref, je sens qu'elle me croit pas et je me. Je laisse mon mensonge, c'est infusé dans leur tête, mais je dis rien de plus. Et je me sens trop mal, évidemment. Et je me dis qu'ils m'ont grillé. Je suis certaine qu’on m’a pas cru.
Jeanne-Marie Desnos : C’est la première fois qu’elle perçoit qu’on ne la croit pas. Finalement, ses copines changent de sujet, et Cory s’en sort bien.
Mais à cet instant, elle comprend qu’elle risque d’être démasquée, d’être traitée de menteuse… Elle frôle donc ce qu’elle redoute le plus au monde : qu’on la rejette. C’est cette crainte de mort sociale qui lui donne finalement la détermination de changer.
Peu après ce mensonge de trop, Cory entre au lycée. Ses copines de collège vont dans un autre établissement. Dans ce nouvel environnement, Cory tente une nouvelle approche. Puisqu’elle est incapable de ne pas mentir, elle choisit d’arrêter de parler, d’éviter au maximum les intéractions sociales. Elle finit par se renfermer complètement sur elle-même.
Cory : Je me sens encore plus seule. Je suis encore plus triste et c'est nul. Ouais. En gros, c'est nul. J'arrête de mentir, mais je ne suis pas plus heureuse pour autant à ce moment là.
Jeanne-Marie (à Cory) : Qu'est ce qui t'empêche de dire tout simplement la vérité, tu peux pas ?
Cory : Ce qui m'empêche de dire la vérité. C'est la peur, en fait. J'ai juste trop peur qu'on ne m'accepte pas comme je suis. Je ne parle pas parce que j'ai peur du jugement, qu'on ait de quoi me juger, de donner à manger pour qu'on puisse me juger quoi. Donc je donne rien. Au pire, je ne suis pas intéressante et on n'est pas ami avec moi, mais au pire c'est du rien. Ce n'est pas du dévalorisant. Je n'ai pas de conflit avec personne, je peux avoir des conflits, je dis rien ! Donc c'est calme, nul, ennuyeux et seul est triste. Donc je ne suis pas heureuse, mais ça va mieux. Je me déteste moins, on va dire.
Jeanne-Marie Desnos : Cette nouvelle attitude libère Cory de la culpabilité liée au mensonge. Mais elle n’est pas très épanouissante… Alors après plusieurs années, Cory tente encore une nouvelle approche.
Cory : Toute cette période où je ne parle pas dure quatre ans, donc mes trois années de lycée, puis une année de fac avant de rentrer en BTS. Et j’arrive en BTS. J'arrive, timide, effacée, comme je suis quoi. Mais je décide qu'il y en a marre. Quand il y en a marre. Il y en a marre de ne pas exister. Je me dis “en fait bon, tu mens plus, certes, mais tu parles plus, tu as plus d'amis, t’as plus de vie sociale, ça craint.” Et je suis à nouveau dans une nouvelle école pour mon BTS avec de nouvelles personnes. Et je dis bon ben je ne veux plus mentir, je veux plus ne pas parler. Donc je vais dire ce que je pense. Tant pis si ça ne plait pas. Tant pis si on me déteste, je m'en fous. Je vais dire ce que je pense, c'est tout. Donc honnêteté radicale, parce qu’il y en a marre. A ce moment-là, j'ai toujours peur du jugement. Mais je me blinde et j'affronte. Je suis en mode guerrière. C’est bon quoi !
Jeanne-Marie Desnos : Cory me donne un exemple de ce qu’elle appelle l’honnêteté radicale.
Cory : Donc un jour, il y a une copine de la classe qui s'est décoloré les cheveux. Elle s'est fait presque blonde, platine et elle, elle a des cheveux très bouclés et c'est pas beau, ça ne va pas. elle vient avec sa nouvelle coupe couleur de cheveux en classe au moment de la récré nous dire. “Bon, ben voilà, les filles, vous en pensez quoi ?” Et je les vois essayer d'enrober le truc. “Mais siii ça change, mais bon, ça va, ça va.” Tu sens que c'est totalement faux cul. En fait, ça ne leur plaît pas. Et puis, quand elle a le dos tourné, qu'elle demande à d'autres, on se regarde en mode “c'est pas beau” et je les vois lui mentir. Et dans ma tête, c'est mort, je ne lui mens pas. Donc si elle me demande rien, personnellement, je ne dirai rien. Moi, j'avais rien dit, j'avais juste regardé, écouté. Et puis bon, bah, on descend le BTS, on avait toujours la même classe et il y avait c'était au premier étage, donc on descend les escaliers pour aller dans la cour… Et là, dans les escaliers, elle me prend un peu à part et me dit “Tu n'as rien dit, toi, t'en penses quoi ?” Tu veux savoir, tu sauras. Donc je lui ai dit : “C'est moche, ça ne va pas du tout. On dirait un caniche, c’est laid quoi.” J'ai vu qu'elle était choqué sur son visage. Et puis on a arrêté d'en parler. Je suis descendu et tant pis quoi.
Jeanne-Marie Desnos : Cette nouvelle attitude, cette honnêteté radicale, c’est un comportement qui semble plus fonctionnel pour Cory. Il lui permet d’être en lien avec les autres, sans complètement se travestir en inventant des mensonges. Mais il ne semble pas encore idéal, car Cory est consciente qu’elle blesse parfois les autres. Et car elle n’est pas encore tout à fait elle-même. C’est une version plus brute, plus agressive qu’elle donne à voir.
Jean Cottraux m’explique qu’adopter différentes stratégies face à un schéma est une réaction très classique. Et peu importe le schéma il y a toujours trois façons de réagir. Cela s’appelle les modes du schéma :
Le premier mode, c’est la capitulation : la personne se soumet au schéma, y adhère complètement. Par exemple, une personne qui a un schéma d'imperfection trouve souvent naturel de s’entourer de gens qui la critiquent.
Autre exemple, une personne qui a un schéma d'abandon aura tendance à s’investir dans des relations avec des partenaires qui fuient l’engagement. Dans l’histoire que nous suivons, Cory adopte le mode de la capitulation quand elle ment pour se sentir valorisée socialement. Elle adhère totalement à la croyance que ce qu’elle dit n’est pas assez intéressant, qu’elle n’est pas assez intéressante. Et donc elle ment. Et, cercle vicieux, ses mensonges viennent encore renforcer cette croyance qu’elle n’est pas assez bien.
Le deuxième mode, c’est l’évitement : la personne évite de se confronter à son schéma. Dans l’histoire de Cory, la jeune femme adopte le mode de l’évitement pendant ses années de lycée. Elle fuit les intéractions sociales pour ne pas avoir à se sentir anxieuse, inférieure aux autres.
Autre exemple, une personne ayant un schéma d'échec évitera de se confronter à de nouvelles opportunités professionnelles.
Le troisième mode, c’est la compensation, ou la contre-attaque : la personne prend le schéma à contrepied. Par exemple, quelqu’un souffrant d’un ressenti d’imperfection peut contre-attaquer en prenant les autres de haut et en les critiquant. Pour Cory, le mode de la contre-attaque se manifeste quand elle devient radicalement honnête. Elle se met en position de supériorité aux autres, car, contrairement à eux, elle refuse de mentir, elle choisit de toujours dire la vérité.
Mais, comme me l’explique Jean Cottraux, aucun mode ne permet de sortir du schéma, et aucun mode n’est réellement satisfaisant pour la personne.
Cory m’explique qu’au fil du temps et de ses expériences positives, elle finit par se libérer de ce besoin de validation et donc de l’anxiété sociale qui en découlait. D’après elle, ce qui l’a aidée, c’est le fait d’avoir un espace dans lequel elle pouvait être complètement elle-même. Avec ses petits copains, elle ne se sentait pas jugée et elle ne ressentait pas le besoin de mentir… Cet espace de sécurité s’étend progressivement aux autres sphères sociales. Elle ose s’affirmer comme elle est, et accepte les compromis : ne plus mentir pour se valoriser, mais accepter aussi de ne pas toujours dire la vérité. Les mensonges quotidiens de politesse par exemple.
Je demande à Samah Karaki ce qui a pu aider Cory à se libérer de ses automatismes. Elle m’explique que ses différents changements d’environnement, au lycée et en BTS, ont pu être bénéfiques.
Samah Karaki : Ce qui est observable, c'est que, quand on veut changer quelque chose, c'est beaucoup plus entraînant de changer quelque chose d'autre en même temps. Par exemple, c'est pour ça qu'on aime bien penser au Nouvel An. Il y a quelque chose psychologiquement qui peut être intéressant à ce niveau de se dire : “C'est une nouvelle année, je pars avec un nouveau comportement” Quand on déménage. Par exemple, on peut profiter de ce changement de géographie de nos déplacements pour commencer à faire des choses autrement, ajouter des petits rituels dans notre vie. Et du coup, on est en train de modifier d'une manière implicite les automatismes. Et donc, quand on vit des événements et qu’on est en train de changer quelque chose dans nos comportements, des fois, ça peut aider de partir avec quelque chose de radical parce que ça crée un mouvement. Changer physiquement, c'est aussi quelque chose qui peut des fois se faire quand on a envie d'effectuer des changements. En fait, psychologiquement, c'est juste qu'on sent qu'il y a toute une révolution qui se passe quelque part.
Jeanne-Marie Desnos : Le changement favorise donc le changement. D’ailleurs, tout le monde a déjà entendu ce cliché de la femme en plein divorce, ou en reconversion professionnelle, qui se précipite chez le coiffeur. Mais est-ce qu'une coupe courte, ou une frange, va vraiment changer votre vie ? La route du changement est longue… et semée de rechutes.
Samah Karaki : On a en nous la capacité de créer de nouvelles façons de faire, de nouvelles façons de sentir, de nouvelles façons de connecter à soi même, aux autres. Mais à chaque fois que nous tentons un chantier, il faut savoir que ce n'est pas juste en le pensant. C'est pas juste en disant : “J'arrête de mentir, j'arrête de me faire du mal. J'arrête de me dévaloriser. J'arrête d'être violente avec les autres.” Que ça va se réaliser. Il faut se permettre ce relapse, cette rechute qui fait partie du cycle de changement. Parce que, en fait, il faut imaginer que les façons passées de fonctionner vont toujours être plus aisantes, plus naturelles.
Jeanne-Marie Desnos : Vous savez, cette fameuse autoroute neuronale, ce chemin de moindre résistance dont on a parlé avant…
Samah Karaki : Et donc, il faut qu'on ait une sorte de notion de ces mécanismes de changement pour ne pas qu'on soit surpris qu'on retombe dans un même pattern. Ça fait partie du cycle du changement. Il y a une préparation au changement. Il y a essai, maintient et ensuite il y a relapse. Et après, on reprend. Donc il faut non seulement accepter, il faut aussi être demandeur d'expérience, être demandeur de se placer dans des situations dans lesquelles on ne va pas faire les choses parfaitement. Parce que, en fait, on va récupérer ces erreurs et ces rechutes comme sources informationnelles sur ce qui n’allait pas. Et on va dire, c’est ça les triggers, c’est ça qui fait que je tombe dans ce comportement. C’est quand je suis fatigué, quand je suis isolé et en fait ça nous permet de nous connaître mieux, de faire des rechutes, de connaître quelles sont les barrières au changement.
Jeanne-Marie Desnos : Des rechutes, Cory en a connu beaucoup… Et encore aujourd’hui, ses anciens automatismes veulent parfois reprendre le dessus.
Cory : C'est dans les moments où je suis stressée, fatiguée, sous pression. Au quotidien, je suis beaucoup plus vulnérable et les mécanismes de protection du passé reviennent en force à ce moment-là. Ce qui est drôle maintenant, c'est que je mens plus, j'invente plus rien, je ne dis pas un truc qui est faux, mais je vois mon cerveau proposer le mensonge. Il y a vraiment une part de moi qui dit “Coucou, tu te souviens ça ? Ça marchais vachement bien. Tu pourrais raconter ça à la place, comme ça, ça t'éviterait…” Et je vois mon esprit me proposer ça et je lui dis “non, on va faire autrement”. Voilà. Et c'est toujours quand il y a une situation dans laquelle je n'assume pas. Et je pense qu'on va me juger. C'est mon petit égo protecteur qui essaie de me protéger, mais voilà, quand je le vois revenir, j'ai de la tendresse spour cette part de moi. Je dis “Ok je vois que t’es blessée, je vois que t’as peur, t’inquiète ça va aller.” Je me parle à moi-même, et je me rassure et je mens pas.
Virgule musicale
Jeanne-Marie Desnos : Je demande à Cory ce que ça a changé pour elle… de se libérer de son scénario de vie.
Cory : Ma vie a changé depuis que je suis libérée du mensonge dans le sens où j'ai des vraies relations avec les gens. Donc je me sens aimée pour qui je suis et pas pour ce que j'ai inventé. Pas pour le masque que je présente au monde. Ça change beaucoup au niveau de l'estime de soi, l'amour de soi, c'est super important. Ce que ça a changé aussi ? C'est que je fais plus les choses parce qu'il faut les faire. Je fais les choses parce que c'est comme ça qu'il faut faire. Je fais les choses parce que c'est bien de les faire, non ? Là, c'est en mode TPMG : tout pour ma gueule. Je fais des choses qui me vont à moi. Et si c'est pas conventionnel, et bien tant pis. Donc, c'est ce qui m'a amené à me réorienter, à démissionner, à faire du coaching en thérapie de couple sexo et tout ça, et à accompagner sur des sujets qui sont de niche, un peu. Donc en fait sortir du schéma, ça m'a libérée clairement de cette emprise que j'avais entre moi et moi, de ce cercle vicieux, de plus avoir peur. En fait, j'ai appris à ne plus avoir peur du regard des autres et du jugement. Ça m'a vraiment libérée à tous les niveaux et surtout relationnel. Donc ça, c'est vraiment magique.
Jeanne-Marie Desnos : Il a fallu environ 8 ans à Cory pour sortir du schéma qui lui gâchait la vie. Un chemin qu’elle a parcouru seule, sans aide extérieure. Elle pense d’ailleurs qu’un accompagnement aurait peut-être pu lui permettre d’accélérer le processus.
Jean Cottraux reçoit régulièrement des patients victimes de leurs schémas dans son cabinet. Pour traiter le problème, il fait appel à différentes techniques comme retracer l’historique du schéma, c’est-à-dire la manière dont il s’est formé... Ou pratiquer le jeu de rôle durant les séances, pour mieux cerner les dynamiques du schéma. Il existe beaucoup d’autres méthodes, et c’est au thérapeute d’identifier lesquelles sont les plus adaptées à la situation.
Pour Samah Karaki, la thérapie peut être utile lorsque nos automatismes nous font souffrir. Quand ils engendrent une dépression par exemple.
Samah Karaki : Si on va mal et si on est mal pour les autres, parce que des fois on va bien, mais on n'est pas bien pour les autres. Et si, si on prend conscience de ça, il devient utile de creuser des automatismes. On n'est pas déterminé par ce que nous avons vécu. Il n'y a pas un chemin linéaire qui suppose et présuppose et qui nous pré prédéterminé à être défectueux socialement.
Jeanne-Marie Desnos : Si l’on prend conscience de ses schémas et qu’on est dans une démarche de changement personnel, la neuroscientifique a un conseil.
Samah Karaki : Comme nous avons des ressources énergétiques limitées et comme nous avons beaucoup d'ambition pour soi, pour le monde, pour soi et pour les autres. Donc en fait, des fois, il faut passer par cette première étude de ce qui est faisable d'abord. Quelle est ma zone d'agentivité. C'est là où je peux agir. Et après ? Il faut sélectionner. Parce que parce qu'on ne peut pas mener toutes les batailles et surtout pas en même temps. Voilà il faut faire des compromis sur soi-même.
Le perfectionnisme, c'est la pire chose qui peut nous arriver dans une démarche de travail sur soi. Parce qu'on va avoir l'illusion qu'on est maître de soi, c'est une illusion. On est maître de très peu de choses finalement. Ce qui nous reste, c'est une petite marge de manœuvre dans laquelle il faut choisir à quelle bataille s'attaquer, voire des fois à aucune.
Jeanne-Marie Desnos : D’ailleurs, pour Samah Karaki, l’introspection n’est pas le seul remède.
Samah Karaki : Après, il ne faut pas non plus idéaliser l'idée de transformation personnelle, la transformation est quelque chose de très doux, ce n'est pas d'aller s'isoler, d'aller creuser dans enfance, creuser dans nos schémas qu'on va trouver des réponses. Des fois, c'est en vivant, en se liant aux autres et en se prenant moins au sérieux qu'on peut, qu'on peut se transformer sans, sans savoir qu'on est sur un chantier de transformation.
Jeanne-Marie Desnos : Pour finir, elle m’explique que trop vouloir se changer soi-même peut détourner l’attention de problématiques plus globales.
Samah Karaki : On s'inspire de modèles sociétaux qui nous disent que c'est comme ça qu'il faut vivre. Et bon, ça nous donne une indication - parce que sinon, on est dans une incertitude totale de ce que c'est de bien vivre et de ce que c'est d'avoir un pattern émotionnel mauvais. Mais pour qui ? Quand on dit que je suis en train de refaire les mêmes erreurs, par exemple, je me suis aussi entendue souvent dire : Mais pourquoi je fais toujours ça avec les hommes ? Oui c'est moi, j’ai un pattern parce que j'ai peur de l'abandon, parce que parce que parce que… Je me dis “ok, c'est intéressant de mettre le doigt sur sur un tel comportement.”
Mais est ce que, peut être, le modèle de couple, ça ne va pas ? Est ce qu’on n'est pas, aussi, en train de nous forcer à fonctionner dans quelque chose qui n'est pas en lui-même fonctionnel ? Donc des fois aussi, les réponses ne sont pas en nous mêmes.
C’est en ça que l'histoire, l'anthropologie, tout ça. C'est des disciplines qui peuvent nous amener beaucoup de choses à la psychologie et aux neurosciences. Parce qu'en fait, ça nous permet de voir que la façon avec laquelle on fonctionne, ça a toujours évolué dans le temps. Les considérations que nous donnons à la famille, au couple, à la réussite. En fait, c'est pas si vieux que ça. C'est très libérateur de se dire que les modèles auxquels on est attachés aujourd'hui sont en fait très récents. Et ne sont d'ailleurs pas présents partout. Et que du coup, ce qu'on considère comme étant une mauvaise santé mentale, c'est peut être simplement notre incapacité à nous adapter à ces modèles-là. Et il y de beaucoup de choses qu'on peut réfléchir collectivement plutôt que de rentrer dans notre propre psychique, dans notre propre enfance, et de remettre tout sur le dos de nos parents qui étaient aussi paumés émotionnellement que nous. Il y a aussi des démarches collectives, sociétales que nous devons prendre pour avoir une société plus fonctionnelle et pas juste une psychologie individuelle fonctionnelle.
Jeanne-Marie Desnos : C’est vrai que ça soulage et ça déculpabilise, cette prise de recul. On n’est pas les seules responsables des comportements répétitifs qui nous font souffrir. Et on a besoin de démarches collectives, pas seulement individuelles, pour aller vraiment mieux.
Mais ça donne de l’espoir aussi, de savoir qu’on a une certaine marge de manœuvre en tant qu’individu. Qu’on n’est pas condamné à répéter sans cesse les mêmes erreurs… D’ailleurs, dans “Un jour sans fin” - attention spoiler alert -, même l’insupportable Phil Connors finit par sortir de sa boucle infernale. C’est quand il devient un homme généreux, positif et altruiste, qu’il se réveille enfin un 3 février…
Obviously : On est dans un film hollywoodien…
Musique
Brune Bottero : Vous venez d’écouter Émotions.
Cet épisode a été tourné et écrit par la journaliste Jeanne-Marie Desnos. Elle vous faisait entendre le témoignage de Cory, et les explications de Jean Cottraux et Samah Karaki.
Vous pourrez retrouver toutes les références liées à leurs activités sur notre site.
Lena Coutrot est la nouvelle productrice d'Émotions, accompagnée d’Elsa Berthault. Elle a travaillé avec Louise Hemmerlé sur cet épisode. La supervision éditoriale et de production était assurée par Maureen Wilson. Marine Quéméré était à la réalisation, Ruben Perez s’est occupé de la prise de son, Jean-Baptiste Aubonnet était au mix et c’est Nicolas de Gélis qui a composé le générique d’Émotions.
Émotions, c’est un lundi sur deux, là où vous aimez écouter vos podcasts : Apple Podcast, Google Podcast, Soundcloud ou Spotify.
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