Retranscription - L'angoisse et l'anxiété : peut-on bien vivre avec ?

Cyrielle Bedu : est-ce qu’il vous arrive parfois d’être angoissé.e ? De ne pas bien dormir parce que vous cogitez sans cesse au sujet de votre travail, de votre famille, ou de toutes ces petites choses qu’il vous faudra faire et organiser au réveil ? 

Moi, ça m’arrive. Depuis l’adolescence, j’ai des moments d’angoisse qui me font me réveiller parfois la nuit, et qui m’empêchent de retrouver le sommeil avant un bon moment. Ces nuits-là, je me demande comment faire pour être moins angoissée. Pareil dans la journée quand il m’arrive d’avoir une faible, mais constante angoisse qui m’accompagne. Cela peut être épuisant émotionnellement…

Depuis le début d'Émotions, beaucoup d’auditrices et d’auditeurs nous ont écrit pour nous faire part de leur relation à l’angoisse. Je me suis demandée ce qui faisait qu’elle était présente, à faible dose dans mon cas, ou de façon handicapante pour d’autres personnes, qui redoutent tout le temps quelque chose, sans nécessairement savoir quoi. 

C’est quoi l’angoisse ? En quoi est-ce différent de l’anxiété ? Est-ce qu’on peut être trop angoissé.e ? Est-ce que notre société actuelle nous pousse à l’être toujours plus ?

Je m’appelle Cyrielle Bedu, bienvenue dans Émotions.

GÉNÉRIQUE 

Il m’arrive donc d’être angoissée, de façon modérée, quand je suis tracassée par des événements, ou à l’approche d'échéance par exemple. Mais mon angoisse ne m’empêche pas de vivre sereinement, la plupart du temps. 

Je dis angoisse, mais est-ce que c’est vraiment de l’angoisse en fait que je ressens à ces moments-là ? Et en quoi est-ce différent de l’anxiété, que dit ressentir Benjamin, un homme que j’ai interviewé et qui se définit comme un vrai anxieux. 

Benjamin : l'anxiété, c'est je ne sais pas.. j'ai l'impression que c'est une forme de pessimisme ressenti physiquement. C'est une projection dans le futur en fait. C'est d'imaginer que ça ne va pas bien se passer. Moi je sais que mon anxiété vient de là. Après il y a des sujets sur lesquels je ne suis jamais anxieux et d'autres sur lesquels je peux l'être. Et parfois, je me fais submerger. Et parfois c'est pour des trucs bêtes ! On était en vacances au soleil avec ma copine et à un moment donné on fait une espèce de petite croisière sur un petit bateau, on est cinq/six, on va faire un peu.. on va un peu nager tout ça, et on n'a pas de masque et tout, et je dis à ma copine : “Mais on a pas de masque”, elle me fait : “Mais non, je suis sûre que quelqu'un nous prêtera un masque”, et voilà une espèce d'anxiété qui se solde par une remarque un peu nulle : “Mais les gens ne vont pas nous prêter leurs masques, ils vont les garder pour eux”. Puis finalement, le mec du bateau, il a des masques tout.. et il n'y a rien de grave là dedans, mais juste je me suis tendu là dessus pour rien. Et j'ai souvent honte de moi, de mes réactions, parce que je me rends compte qu'en fait il y a un truc hyper animal en fait. Pour moi, l'anxiété, les choses comme ça, c'est quelque chose d'hyper animal, hyper instinctif. C'est un truc de protection et tout ça.

Envisager le pire, c'est se préparer au pire et c’est ne pas être surpris, on tombe de moins haut etc. Mais au final, c'est quand même plombant, c'est usant quoi.

Cyrielle : s’il lui arrive d’être anxieux au quotidien au sujet de petites choses comme des tubas en vacances, dans sa vie professionnelle, Benjamin a récemment eu l’occasion d’être encore plus anxieux que d’habitude, au point d’en être physiquement malade. 

Benjamin Parent - c’est son nom de famille - est cinéaste. Après avoir réalisé en 2012 un court-métrage très remarqué par la critique, notamment par le festival de Cannes, il a eu les moyens de réaliser son tout premier long métrage, qui s’appelle Un vrai bonhomme, et qui est sorti en salles début janvier 2020. 

Il y avait un peu d’attente dans la profession quant à ce nouveau film, réalisé par celui dont le travail avait tant ému quelques années plus tôt. Et pour Benjamin, qui se dit donc anxieux et tendu au quotidien, il a fallu gérer cette pression supplémentaire, qui l’a d’ailleurs submergé pendant le tournage de son film. 

Benjamin Parent : et ça a été vraiment un parcours émotionnel assez intense où rapidement entre le syndrome de l'imposteur sur : “Je ne vais pas être à la hauteur, je ne sais pas faire”, et après quand même une préparation qui a été compliquée. On a eu un petit budget, qui était vraiment difficile. Alors c'était un budget moyen pour un premier film, mais par rapport au scénario qu'on avait c'était un peu compliqué.

Je me suis retrouvée à devoir en direct sur le tournage, et réécrire sans cesse, réécrire quasiment tous les jours, m'adapter et simplifier les scènes. Je n'avais pas le temps de tout tourner. Parfois on ne sait pas. Parfois on doute. Et c'est passé par des moments où je me suis retrouvé à être malade physiquement, à vomir tout ça. Je sais que le soir pour m'endormir, je me mettais devant mon iPad. Je m’abrutissais devant des vidéos pour m'endormir parce que sinon j' étais... j'étais trop trop anxieux.

Cyrielle : tellement anxieux, qu’à ces moments-là, il lui arrivait d’écrire des mails à son entourage pour leur faire part de son état. Il m’a autorisé à lire l’un d’eux. Le voici :

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“Un acteur m'a lâché à deux semaines du tournage, un autre vient de le remplacer, je me bats pour supprimer une séquence de mon film, ma productrice veut la garder.... J'ai peur, j'ai mal, je chiale au téléphone avec ma copine en lui disant : "Ils vont se rendre compte que je suis un imposteur". Je réécris sans cesse, j'améliore ou du moins je l'espère... Je suis triste, déprimé et je me sens nul.

Je me demande chaque jour en prépa : "Pourquoi est-ce que je m'inflige ça ?". Tout le monde me dit que le plaisir va venir... Mais quand ? Et lequel ? 

Hier, j'écrivais sur facebook un statut qui a cartonné, il disait ceci : ‘Décrivez une Expérience de Mort Imminente’, j’ai mis : ‘Réaliser un long métrage’”.

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L’état de Benjamin ne s’améliore pas une fois le tournage terminé. Contrairement à ce qui s’est passé pour son court métrage, son nouveau film n’est pas sélectionné dans les grands festivals comme celui Cannes, la critique se fait plus timide.

Mais c’est dans les petits festivals que le long métrage rencontre son public, lors de projections ouvertes à tous. 

Benjamin Parent : et là, ça c'est hyper bien passé. Je vois des gens très émus. Alors évidemment il y a des gens proches très émus, mais des gens que je ne connais pas qui sont émus, qui viennent me voir, qui me parlent. Et j'ai deux autres festivals dans la semaine. Et là pareil, on me montre cette fois des spectateurs plus jeunes, genre des lycéens, ça cartonne.

Donc en fait, à quoi ça sert de s'angoisser ? C'est aussi un truc que j'ai appris cette année, c’est : il y a des choses sur lesquelles on n'a pas la main.

On a bien le temps de s’angoisser sur des choses liées à.. sur lesquelles on peut agir ! Moi j'ai fait tout ce que j’avais à faire ! Là, le film, il est terminé, je l'accompagne. La promo est terminée, ça s'est bien passé. Ça ne sert plus à rien de s'angoisser. 

Cyrielle : c’est donc bien ce que disait Benjamin l’angoisse ? Cette projection dans le futur ? Cette perspective que les choses ne vont pas bien se passer, et donc dans son cas, que son film soit raté, que personne ne l’aime, et que sa réputation soit ternie ?

Pour le savoir je suis allée à Lille voir le docteur Dominique Servant. Il est psychiatre et dirige une unité spécialisée sur le stress et l'anxiété au CHRU de Lille.

Dominique Servant : stress, angoisse, anxiété.. d'abord ça se traduit par des signes qui sont très proches. Ça touche à la fois le corps, le psychique, l'émotionnel et les comportements. Le stress, il y a toujours des facteurs extérieurs. On est stressé par soit : quelque chose de ponctuel, ou une situation, le travail, un proche qui est malade, une attente, des changements... Quelque chose qui implique pour nous des ajustements, des changements et une adaptation.

Cyrielle : le stress c’est donc une réaction biologique à une situation extérieure. Quelques minutes avant de passer votre permis de conduire par exemple, le stress peut provoquer une accélération de votre rythme cardiaque, ou une baisse importante du taux de sucre dans votre sang… Dans ce cas-là, le cerveau signale à votre organisme que cette situation, votre permis, qu’il a peur de ne pas pouvoir gérer, va arriver. En ayant un rythme cardiaque plus rapide, votre corps fait alors tout pour s’adapter à cette situation donnée. Le stress est un phénomène d'adaptation qui est utile pour nous permettre de faire face à un changement, mais qui peut être épuisant pour la santé s’il perdure trop longtemps.

Dominique Servant : alors après il y a anxiété et angoisse, on pourrait schématiquement dire que c'est la même chose. Ce sont deux termes qui sont peu interchangeables, même si étymologiquement la racine n'est pas la même : l'angoisse ça vient de angor, c'est le resserrement. Donc il y a une part très physique, une part très soudaine. L'anxiété pourrait être associée à un état plus flottant, plus psychique. 

L'angoisse sur un plan plus philosophique pourrait représenter quelque chose qui est plus profond, qui amène un peu à l'abîme, à la profondeur, et à une inquiétude qui n'a pas forcément de lien comme l'anxiété avec l'ici et maintenant.

C'est un peu une définition de clinique qui met bien souvent en tout cas dans le langage médical et psychologique ; il est interchangeable. 

Cyrielle : l’angoisse et l’anxiété peuvent donc être parfois interchangeables... Mais on peut dire ceci : ce que Benjamin a connu quand il était sur le tournage de son film, quand il perdait ses moyens et vomissait près du plateau, c’était un stress fort, lié à un facteur extérieur et ponctuel - le tournage de son film - qui lui a demandé de s’adapter rapidement. Mais le soir, quand il rentre chez lui et qu’il n’arrive pas à dormir, en pensant qu’il est nul, c’est plutôt une angoisse qu’il ressent, quelque chose de plus profond comme l’indiquait Dominique Servant.

L’angoisse est donc davantage une émotion plus diffuse, qui n’est pas forcément liée à une situation précise. Elle peut être associée à une peur irrationnelle et à quelque chose de plus existentiel… L’anxiété peut alors être classée dans une autre catégorie...

Dominique Servant : il y a une anxiété qui est un symptôme, un signe que nous avons tous. C'est quelque chose qui nous forge, qui forge notre personnalité, qui est une relation au monde, une relation à ce que nous vivons.

Et puis il y a une anxiété qui prend la forme de troubles, de syndrome, et qui ont été décrits, et qui sont les troubles phobiques, l'anxiété généralisée. Une anxiété qui est plus, on pourrait dire maladive.

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Cyrielle : dans ces cas-là, l’anxiété peut être davantage classée du côté de la pathologie, et se manifester sous la forme de troubles anxieux. Ce sont eux qui peuvent donc sérieusement nous handicaper. Loin des insomnies ponctuelles que je peux faire, ou des épisodes de stress intenses qu’a pu connaître Benjamin sur le tournage de son film, l’anxiété peut alors devenir un enfer pour ceux qui sont sujets à ces troubles.

Antoine Pelissolo est chef du service de psychiatrie du CHU Henri-Mondor, à Créteil. Il est spécialiste des troubles anxieux sévères.

Antoine Pelissolo : on va de plus en plus vers la pathologie, dès que ça devient trop. C'est-à-dire que ça dépasse le contexte, l'anxiété est trop forte à un moment donné, ou alors elle se répète trop souvent, ou alors elle est complètement déconnectée de toute situation. Et surtout quand c'est de plus en plus insupportable pour la personne.

Fin musique 

Pour se repérer on peut classer l'anxiété en fonction du type de menaces, et donc il y a une partie des troubles anxieux qu'on appelle les phobies, qui sont vraiment liées à un objet ou à une situation donnée qui est vraiment redoutée, considérée comme effrayante par les personnes. Et dans les phobies, il y a au moins trois grandes catégories de phobies, mais il y en a une particulière qu'on appelle la phobie sociale, où la peur est vraiment liée au regard de l'autre et au fait qu'on risque d'être jugé négativement par d'autres. Alors c'est vrai qu'aujourd'hui on appelle ça la phobie sociale ou de l'anxiété sociale pour des raisons un peu complexes sur lesquelles je ne vais pas revenir, mais c'est quasiment un synonyme. Et ça concerne beaucoup de gens puisqu'on considère que ça concerne à peu près deux ou trois pour cent de la population en général, qui souffre de manière exagérée, parce que ce n'est pas juste de la timidité, mais qui souffrent d'anxiété dans des situations où il y a à parler aux autres, à rencontrer les autres, ou à faire un certain nombre de choses sous le regard d'autrui

Les autres formes de phobies qui sont importantes. C'est une phobie qui est connue, qui est l'agoraphobie, qui consiste en fait à avoir peur des endroits où on est soit : coincé, un petit peu comme dans la claustrophobie, soit : un peu loin de tout, dans lequel on ne pourrait pas être aidé en cas de problème. Donc ça concerne beaucoup de gens qui ont par exemple peur de prendre les transports en commun, parce que d'une part souvent ça conduit à s'éloigner de chez soi donc de s'éloigner de ses bases, et puis souvent on est un peu coincés dans un train, dans un avion, dans un métro, donc on anticipe ces situations là en disant : “S'il m'arrive quelque chose, c'est terrible parce que je ne pourrais pas sortir, je risque de mourir étouffé ou de tout incident qui pourrait survenir”. Donc ça peut être très handicapant. Donc ça c'est vraiment l'agoraphobie. 

Et puis il y a une troisième catégorie de phobies qui est beaucoup plus large. En gros tout ce qui n'est pas lié à ces mécanismes de phobie sociale ou d’agoraphobie, mais qui est lié à une situation simple. On appelle ça des phobies simples ou des phobies spécifiques. Les plus fréquentes ce sont les peurs d'animaux, la peur des plus classiques ce sont les rats, les souris, les serpents, les insectes, les chats ou les chiens, mais aussi des conditions naturelles… Dans cette catégorie-là la peur du vide par exemple, la peur de la hauteur, la peur des endroits fermés quand ce n'est pas de l'agoraphobie, du noir, de l'obscurité, la peur du sang, et tout ça ce sont des peurs réflexes, c’est-à-dire qu’on voit les choses tout de suite, on se sent mal sans forcément avoir de scénario comme il y a dans la phobie sociale - peur d'être jugé - ou dans l'agoraphobie - la peur de rester comme ça, d'avoir un malaise dans un endroit critique -. 

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Dans tous les cas, on ne sait jamais ce qui cause le trouble anxieux chez une personne donnée, ou en moyenne. On sait qu'en général, il y a un mélange de facteurs internes à la personne. En général, il y a quand même une tendance à être plus émotif que la moyenne des gens, c'est-à-dire être plus sensible, avoir des émotions plus fortes et avoir une tendance à l'inquiétude ou ce qu'on appelle un tempérament anxieux, donc il y a un terrain favorisant. Et puis ensuite il y a tout ce qui peut arriver à la personne en effet, et notamment, soit réellement des accidents, des chocs émotionnels qui sont parfois très forts. Donc qu'on appelle des traumatismes parfois, des psycho traumatismes, donc ça peut évidemment générer une fragilité supplémentaire, ou alors c'est plus insidieux, c'est une répétition de situations fragilisantes. Souvent quand elles ne sont pas bien accompagnées, notamment quand on est jeune dans l'enfance, où là on va se sentir petit à petit vulnérable de plus en plus. Même sans en avoir vraiment conscience, ça peut se faire sûrement au fur et à mesure.

Alors ça par exemple on sait bien que c'est ce qui se passe, je vous parlais de l'anxiété sociale, probablement c'est un mélange de ces deux facteurs, sûrement des gens qui sont prédisposés, qui ont un terrain d'anxiété et un peu de timidité, et qui en plus vont : soit être propulsés dans des situations sociales difficiles à l'école par exemple, et beaucoup ont des souvenirs comme ça d'avoir été un peu très embarrassé voire humilié dans des situations sociales à l'école par exemple, ou ça peut être les parents qui encadrent mal ces situations, ou à l'inverse qui ont été hyper protégés, ça peut être dans les deux sens, et qui n'ont pas eu de quoi se faire des expériences. Donc il y a un côté d'apprentissage derrière qui peut être gênant. Donc il y a vraiment toujours un mélange de facteurs comme ça dans les phobies spécifiques. On sait qu'il y a.. on trouve à peu près un tiers des gens qui ont eu un accident particulier avec une situation, par exemple qui se sont retrouvés un jour enfermés dans un ascenseur et évidemment après ils risquent d'avoir un peu peur des ascenseurs, ou ceux qui ont un accident de voiture ils vont avoir un peu plus de peur de la voiture, mais ça ce n'est pas systématique. On peut vivre ces situations sans développer des troubles anxieux, et à l'inverse toutes les personnes qui ont une phobie n'ont pas eu forcément des événements comme ça. Donc on trouve en général, un tiers à peu près de personnes qui ont eu des événements, un tiers pour qui on peut se dire : “Bon bah ils ont entendu beaucoup parlé par exemple de ces situations dans leur famille ou dans les médias”. Je prends l'exemple des phobies d'avion par exemple. Ils ont entendu beaucoup d'accidents d'avion donc ça les a un peu marqués sans que ça soit un traumatisme parce que ce n'est pas eux qui l’ont vécu, ça peut nourrir la peur.

Et puis il y a toujours une partie, on peut dire un dernier tiers, de gens pour qui on ne trouve rien du tout comme événement, et on peut se dire que finalement c'est en eux, on ne sait pas par quels moyens c'est arrivé là, mais il n'y a pas d'explications en tout cas d'événements. On peut penser qu'il y a des facteurs biologiques dans certaines peurs. On ne sait pas vraiment lesquelles, mais qui sont ancrés dans la constitution de la personne.

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Cyrielle : j’ai justement rencontré une jeune femme qui ne sait pas pourquoi elle a des troubles anxieux. Elle s’appelle Shérine, elle a 23 ans, et est étudiante en graphisme. Quand elle était enfant, à 6 ans, un jour qu’elle se promenait avec sa mère et sa grand-mère, les premiers signes d’un trouble anxieux se sont manifestés...

Shérine : mais j'avais l'impression qu'il y avait quelque chose d'imminent qui allait se passer, à ce moment là j'ai presque cru que j'étais médium, qu'il y avait un truc qui allait se passer, et je n'arrivais plus à respirer, j'avais un poids énorme sur la poitrine et je me suis mise à pleurer, et mes parents ont trouvé ça très bizarre, une gamine de 6 ans qui pleure au milieu d'une rue pour rien, pendant une braderie en plus… Je tremblais de partout, je n'arrivais pas du tout à contrôler mes sanglots. Surtout que mes parents n'avaient pas l'air d'être paniqués du tout, ça les a fait beaucoup rire. Ils pensaient que j'étais juste un peu dramatique ou un petit caprice de gamine quoi. Et donc du coup, je ne me rappelle pas que ça ait alerté qui que ce soit. C'était assez long, mais après je me suis très vite rendu compte que c'était juste mon corps qui faisait ça tout seul. J'ai pas trop compris pourquoi, mais au moins je savais que je n'étais pas en train de mourir.

Cyrielle : ce qui est arrivé à Shérine, à ce moment-là, à 6 ans, c’est ce que l’on appelle une attaque de panique. On peut aussi dire ‘crise de panique’ ou ‘crise d’angoisse’, c’est la même chose. 

L’attaque de panique est caractérisée par une forte peur et une sensation de mort imminente.

Antoine Pelissolo : l'attaque de panique en fait c'est un moment très intense de peur dans lequel la peur s'auto-renforce. Vous avez tout d'un coup le cœur qui s'accélère, la respiration qui se bloque ou qui s'accélère, et comme en général ça vient tout seul, on sait qu'il n'y a pas de déclencheur en particulier et tout de suite ça inquiète, et on se dit : “Je suis en train de faire un infarctus ou de perdre la tête”, et en fait la peur évidemment s'accentue et se renforce comme ça, comme une spirale infernale comme on dit. Donc c’est difficile à comprendre. On a très peur, on a l'impression vraiment de mourir, alors qu'en fait ce n'est que de la peur, ça ne veut pas dire que c'est rien, mais ça veut dire qu'en tout cas on ne risque rien, en tout cas rien de fatal ou de vital. Il faut juste “attendre que ça passe” en essayant de se rassurer, mais malheureusement parfois ça se répète un peu et ça peut aboutir à ce qu'on appelle un trouble panique c'est-à-dire la répétition des attaques de panique, et la peur d'avoir peur. Parce que la peur est ressentie comme quelque chose de grave. Donc en ayant peur un peu d’avoir peur, c'est un peu un cercle vicieux aussi

Cyrielle : le trouble panique, fait lui aussi partie de la liste des troubles anxieux, avec l’anxiété sociale, la phobie spécifique et l’agoraphobie. 

Ce cercle vicieux, ces attaques de panique répétées dont parle Antoine Pelissolo, ont commencé pour Shérine ce jour-là, à 6 ans, alors qu’elle se promenait en famille. Par la suite, la jeune femme a été coutumière de ces moments d’angoisse extrêmes.

Shérine : quand j'étais encore une enfant, ce n'était pas très handicapant parce que les enfants souvent, ils pleurent donc au final.. souvent les enfants pleurent pour quelque chose, moi je pleurais pour rien. C'était pas bizarre. Ça a commencé à devenir handicapant quand je suis rentrée au collège. Je n'ai pas eu de supers années de collège et tout ça. Et le fait que souvent je devais me lever de cours et aller pleurer dans les toilettes ça n'a pas aidé. Le fait que les gens me trouvaient déjà bizarre au collège, c’était juste par ma personnalité, mais quand on me voyait me lever pour aller aux toilettes et revenir avec le visage bouffi etc. Ce n'était pas ouf pour ma vie sociale. 

Le premier truc qui vient, en tout cas personnellement, et c'est encore le cas aujourd'hui. Le premier truc qui vient, c'est un sentiment, c'est assez spécial à expliquer, mais c'est un sentiment de pas être à ma place déjà, de regarder les gens autour de moi, de reconnaître personne et de - alors que je connais les gens mais j'ai l'impression à ce moment là de ne plus reconnaître personne, de plus vraiment être dans mon corps - et donc du coup c'est un sentiment très.. c'est un sentiment super négatif. Et à ce moment-là je commençais à avoir les mains moites et le coeur qui bat un peu fort et je peux... c'est très difficile de retenir mes larmes, mais en général j’essaye, je fais de mon mieux en tout cas pour pas pleurer en public et réussir à garder les pleurs et les sanglots pour quand je suis toute seule dans un endroit. En général, je lève la main à ce moment-là et je dis à mon professeur : “Est ce que je peux aller aux toilettes ?”, et s'ils me disent non bah.. mon visage se décompose. Du coup, ils me disent : “Vas y”, (rires) et donc du coup, à ce moment-là,  je m'enferme dans les toilettes quand je sais que je suis bon..  peut-être que je sanglote avant d’arriver, mais en tout cas j'essaye de pas le faire en public parce que sinon au niveau social c'est horrible !

Je ne pense pas que je suis capable de me retenir très longtemps, mais je suis capable de me retenir assez pour pas exploser en sanglots en plein milieu de la classe, ce qui demande beaucoup de concentration quand même parce que à ce moment là je tremble, je sue, j'ai les mains super moites, je vois flou aussi, je n'arrive plus à.. en fait c'est pas  que je vois flou, c'est que je n'arrive plus à focaliser sur quelque chose, mes yeux arrivent plus à focaliser sur quoi que ce soit. J'arrive plus à me concentrer sur quoi que ce soit, et donc du coup, il faut que je parte parce qu'en plus l'idée que les gens me voient faire une crise d'angoisse aggrave la crise d'angoisse.

Cyrielle : à 13 ans, Shérine décide de parler de ces attaques de panique à son médecin généraliste.

Shérine : j'y suis rentré et je lui ai expliqué. Je lui ai donné mes symptômes : la tachycardie, les mains moites, l'impression d'être en train de mourir, de faire une attaque cardiaque.. tous les symptômes en tout cas. Et il m'a dit : “Je sais ce que c'est, c'est un trouble anxieux”. A ce moment-là il était couplé avec un trouble dépressif. Du coup il m'a dit : “C'est un trouble anxieux dépressif”, mais au final il y avait anxieux dedans, ce qui expliquait beaucoup du coup.

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Cyrielle : vous dites que c'est déclenché par rien mais au fond c'est déclenché par quelque chose.

Antoine Pelissolo : au fond oui comme vous dites, mais on ne sait pas quoi, c'est-à-dire qu'il y a deux volets. Il y a sûrement un volet psychologique, d’un souvenir qui est passé, mais parfois de manière complètement inconsciente. Parce que quand on creuse un peu on dit : “Mais non tout allait bien. J'étais en train de manger, tout d'un coup ça m'est tombé dessus”. Alors peut être qu'on va s'apercevoir que c'était un moment où il y avait eu beaucoup de fatigue, de stress, ou de problèmes dans la période récente mais pas toujours.

Et puis il y a une autre interprétation, qui est plutôt vraiment biologique, et on a l'impression que chez certaines personnes, à un moment donné, il y a un petit dérèglement du système de ce qu'on appelle la suffocation. On a un système qui détecte des moments où on manque d'air, et par exemple ça, ça peut suffire à déclencher une panique parce que si votre organisme a l'impression de manquer d'air, vous allez respirer de plus en plus mal, et bon ce n'est pas démontré encore, mais on peut penser que certaines personnes, en tout cas à un moment de leur vie, ce système là qui se dérègle et qui n'a pas forcément de rapport avec des aspects psychologiques. Alors on peut imaginer que ça se rajoute et que les deux s'auto.. s'aggravent l'un l'autre.

Cyrielle : les hypothèses sur les origines des crises de panique et les autres troubles anxieux restent donc nombreuses. 

En France, dans les années 90, l’unité spécialisée sur le stress et l'anxiété du Dr Dominique Servant, a été un des premiers département à proposer des activités de soins et de recherche sur l’anxiété. Le psychiatre s’est formé au sujet aux États-Unis, dans les années 80. Car pendant longtemps, la question des troubles anxieux a peu intéressé les médecins européens, comme il l’explique.

Dominique Servant : à la fin du 19e siècle, les psychiatres se sont intéressés sur quelques années ou une ou deux décennies, beaucoup aux troubles phobiques, notamment l'agoraphobie, l’ereutophobie, la névrose d'angoisse, et ensuite l'anxiété a été moins une préoccupation, surtout pour les psychiatres hospitaliers qui ont été plus confrontés à des troubles graves, des troubles qu’on appelle bipolaires, qu'on appelait à l'époque maniaco-dépressifs, des dépressions graves, des troubles du comportement - la schizophrénie et la psychose -, et moins à ces troubles qui paraissaient plus mineurs, des troubles un peu du caractère.

Alors, on reconnaissait ces troubles anxieux depuis la fin du 19e siècle. Dans un article qui date de 1895, Freud distingue, alors dans une sorte de fourre tout de l'époque qu'on appelait la neurasthénique. Il identifie des patients pour qui tous les symptômes convergent vers l'angoisse, ou l'angoisse est le dénominateur commun de tous ces symptômes. Tout a été posé il y a déjà plus d'un siècle. 

Cyrielle : dans les années 1950, la médecine a recommencé à s’intéresser fortement aux troubles anxieux, en cherchant à y remédier. C’est à cette période, que la production de médicaments contre ces troubles se développe en Occident… Aujourd’hui il existe plusieurs types de médicaments pouvant les traiter. Les plus utilisés sont les anxiolytiques - surtout ceux que l’on appelle les benzodiazépines -, parmis lesquels on trouve le Xanax, le Lexomil ou le Valium, des médicaments connus du grand public qui réduisent les symptômes de l’anxiété, tels que les crises de panique. 

Dominique Servant : ce qu'il faut voir c'est que, au début, ça a été un peu une révolution dans le sens où ils ont remplacé des médicaments qui étaient très dangereux, qui étaient les barbituriques. On a beaucoup de cas célèbres de personnes qui ont fait des tentatives de suicide ou des surdoses d'alcool de barbituriques comme Maryline Monroe, ou d'autres personnes connues et d'autres beaucoup moins connues. C’est des médicaments qui avaient beaucoup d'effets secondaires, qui ont un effet sédatif puissant, qui à l'époque bien entendu était largement prescrit. Donc les benzodiazépines sont venus pour remplacer ces traitements avec une bien meilleure sécurité d'emploi puisque c’est des médicaments qui entraînent peu d'effets secondaires. Mais l'effet le plus gênant étant la dépendance bien entendu. Et ça amène à reprendre le traitement médicamenteux et donc ça conduit à ce qu’il y ait une consommation très importante ! C'est devenu un médicament qui a été diffusé et qui a été très largement prescrit comme une réponse à une plainte on va dire. C'était la réponse la plus simple qui a été donnée et qui a fait que voilà, il y a une surconsommation petit à petit, au fil du temps et aujourd'hui on est parmi les pays qui consomment le plus d’anxiolytiques. 

Cyrielle : après que son médecin généraliste lui ait dit qu’elle souffrait de troubles anxio-dépressif, Shérine est allée dans un centre médico-psychologique. C’est un lieu de consultations gratuit pour les personnes en souffrance psychologique. Le médecin qu’elle a vu lui a prescrit ses premiers médicaments contre l’anxiété. Il s’agissait justement des benzodiazépines, cités par Dominique Servant.

Shérine : en fait les médicaments c'est comment dire.. un pansement sur une brûlure au troisième degré. C'est-à-dire que oui c'est bien, ça va empêcher de s'infecter, mais ce n'est pas pour autant que je ne vais pas avoir besoin de plus que ça. Et donc du coup, je prenais à ce moment là du Xanax et je me rendais compte que oui mes symptômes physiques partaient, mais que dans ma tête il y avait quand même un souci encore.

Et puis rien que le fait que je fasse des crises - parce que c'est bien de faire partir la crise quand elle est là -, mais le fait que je fasse des crises étaient bizarres et méritaient une explication. 

Cyrielle : Shérine a été diagnostiquée comme ayant des troubles anxieux importants et handicapants dans sa vie, qui pouvaient justifier l’utilisation ponctuelle d'anxiolytiques. Mais tous les utilisateurs de ces médicaments ne sont pas dans un cas aussi sévère que le sien… 

Avec le développement des anxiolytiques, de nombreuses personnes étant anxieuses modérées comme moi, ou un peu plus comme Benjamin, se sont elles aussi mises à consommer des médicaments contre les troubles anxieux. Cela explique notamment pourquoi les Français sont parmi les plus gros consommateurs d'anxiolytique en Europe. En 2017, nous étions les deuxièmes utilisateurs de ces produits, derrière l’Espagne.

Mais Outre-Atlantique, aux Etats-Unis, la consommation d'anxiolytiques est encore plus importante. 

Jamieson Webster :c’est dans des chansons de rap ! Mon fils m’a fait écouter une chanson dans laquelle un mec disait : “Je me prends un Xan”, qui est un diminutif pour Xanax.

Cyrielle : Jamieson Webster est psychanalyste. Elle est américaine, et vit à New York où elle constate quotidiennement la surconsommation et la glamourisation, dans des chansons notamment, de médicaments destinés à traiter les troubles anxieux. Je l’ai  contactée par téléphone, parce qu’en 2018, elle a écrit pour la prestigieuse publication The New York Review of Books, un long et passionnant texte intitulé The Psychopharmacology of Everyday Life traduction la psychopharmacologie

du quotidien. Dans ce texte, elle dénonce la banalisation de l’utilisation de ces médicaments. On a traduit l’introduction de son essai : 

“Tout le monde est dopé. Je ne parle pas des drogues à l’ancienne, illégales, mais d’un autre type de drogues faites par des entreprises pharmaceutiques, des drogues sous la forme de pilules. 

En tant que psychanalyste, j’ai écouté des personnes qui prenaient quotidiennement des médicaments, et je les ai écouté quand ils n’en prenaient pas. Leur rythme naturel change clairement, parfois de façon très radicale. J’ai plein de questions à propos de ce qui se passe quand un esprit, qui structure l’émotion, l’intérêt, l’excitation, la défense, l’association, la mémoire et le repos est limité par les médicaments. Dans ce pacte avec le Diable, qu’est-ce qu’on gagne ? Et qu’est-ce qu’on sacrifie ?”

Jamieson Webster : j’avais ce ressenti, à la fois dans ma vie professionnelle, mais aussi dans ma vie personnelle, que toutes les personnes que je rencontrais s’étaient ou se faisaient prescrire des psychotropes. 

Et il y a ce truc aux Etats-Unis en ce moment, c’est que ce ne sont pas seulement les psychiatres qui peuvent prescrire ces médicaments, mais aussi les médecins généralistes,  ou les infirmiers. Donc n’importe qui qui va voir un médecin peut lui dire : “Je suis anxieux, ou j’ai du mal à me concentrer, ou je me sens déprimé” et ils lui donnent le traitement. Et j’ai oublié les statistiques, mais il y a environ une personne sur six aux Etats-Unis qui prend ce type de traitement.

C’est vrai, ça a été quelque chose qui a augmenté de façon exponentielle pendant un long moment, mais maintenant je pense qu’on parle plus dans les médias du fait que ces médicaments n’ont pas les effets attendus, en particulier les antidépresseurs. On voit que cela met des personnes dans un état suicidaire au lieu de les en sortir. Ça a été vrai pour les adolescents… 

Et les propriétés addictives des benzodiazépines, ce médicament contre l’anxiété, ont été bien connues pendant longtemps, en particulier quand les femmes au foyer prenaient du valium dans les années 60. 

Aujourd’hui, on sait à quel point ces médicaments sont addictifs... Et aussi la crise des opioïdes est une raison que je voulais évoquer à ce sujet. 

Cyrielle : la crise des opioïdes ou crise des opiacées frappe les Etats-Unis depuis le début des années 2010. Cette crise sanitaire est la conséquence de la surconsommation d’anti-douleurs, des opioïdes antalgiques, utilisés avec ou sans ordonnance, et qui a conduit à des dizaines de milliers d'overdoses dans le pays. 

Jamieson Webster : le concept de maladie mentale est vraiment né au début du 20ème siècle. Et une fois que ça s’est médicalisé, on a commencé à développer des médicaments pour ça. Le premier anxiolytique a été créé dans les années 1950. Je le dis dans mon article, on disait que c’était une forme mineure de lobotomie en fait. Et c’est de ce médicament qu’ont été dérivés tous les autres médicaments ensuite. Ils sont tous une variante de ces premiers anxiolytiques très puissants.

Je trouve que les gens sont plus anxieux... Il y a ce truc avec les médias, les téléphones, les technologies, le fait qu’on soit constamment bombardé par des informations. Cette manière qu’on a de s’organiser dans ce monde contemporain alimente beaucoup d’anxiété. Même ces deux/trois dernières années aux Etats-Unis ! Je trouve que ça s’est aggravé parmi mes patients.

Je pense qu’il y a un lien avec le contexte politique actuel. Je pense aussi que beaucoup d’idéaux de notre société sont en train de s’effondrer, comme l’idée du rêve américain. Même si c’était un mensonge, ça donnait aux gens un petit peu de confort. Vous voyez ? On se disait : “Si on travaille dur, on réussira”. Aujourd’hui on y croit plus. On peut travailler dur, sans réussir. Le problème c’est que, ça a toujours été vrai, donc c’est peut-être bien de faire face à la réalité. Mais cette réalité rend les gens très anxieux. 

Et je ne pense pas que les réseaux sociaux aident à améliorer ce problème d’anxiété...

Ce n’est pas que les médicaments le problème, c’est aussi le fait qu’on nous oblige à gérer toute l’angoisse dans nos vies. Il y a des boissons censées nous détendre, on doit utiliser des applications de méditation avant de se coucher le soir, et on doit regarder Netflix et “chiller”, se détendre. On doit aller à des cours de yoga, être centré et avoir l’esprit calme. Tout est fait pour nous pousser à guérir notre anxiété, au lieu de comprendre que l’anxiété a une place dans nos vies. Et qu’on doit trouver nos propres solutions individuelles à nos anxiétés, parce que je ne pense pas que les solutions collectives soient bonnes. Je ne pense pas que les gens, sur leurs applications de méditation, gèrent mieux leur anxiété. 

Je pense qu’on doit comprendre les origines de cette anxiété, que nous avons. 

Cyrielle : c’est exactement ce qu’a fait Shérine, elle a essayé d’apaiser durablement ses troubles paniques, en trouvant une alternative aux médicaments qui ne l’aidaient que très ponctuellement. Après avoir consulté de nombreux médecins, Shérine entend parler des thérapies cognitives et comportementales. C’est une forme de psychothérapie, courte et concrète, qui aide à résoudre certains troubles du comportement et de l’anxiété. 

Shérine va donc voir un psychologue, spécialisé dans cette approche. Et dans son cas, la thérapie s’avèrera très efficace. 

Shérine : avec mon psy, on faisait des..en fait il me donnait des devoirs et il me faisait faire des exercices. Donc c'était souvent des exercices de restructuration cognitive ou de résolution des problèmes.

Du coup, par exemple, si j'avais l'impression que j'étais sur le point de faire une crise d'angoisse, j'essayais de détecter ce qu'il avait démarré, de voir si de voir s’il y avait moyen de la désamorcer, et s'il n'y avait pas moyen de la désamorcer, s'il y avait moyen de juste comment m'isoler jusqu'à ce qu'elle parte, parce qu'au final une crise d'angoisse c'est juste un moment, un mauvais moment à passer et après c’est passé ! 

En fait le truc c'est que de tellement rationaliser la crise, on en fait moins après parce qu'on se rend compte que s'il y a deux fois dans le même mois la même cause de crise, la première fois je l'ai et la deuxième j'essaie de l'éviter. C'était de la pratique quoi.

Cyrielle : le psychiatre Dominique Servant connaît très bien cette approche thérapeutique et ses origines.

Dominique Servant : le début des thérapies dans l'anxiété est surtout au début des années 50 avec un monsieur qui s'appelle Wolpy qui a le premier traité les patients phobiques par ce qu'il a appelé la désensibilisation systématique en couplant deux techniques : la technique de relaxation et la technique d'exposition, c'est-à-dire qu’il développe ce qu'il appelle le concept d'inhibition réciproque, c'est-à-dire que lorsque l'on est confronté à un phobique qui est confronté à une situation qu'il redoute, il a une anxiété très forte et donc on va, par cette technique, aider la personne à se confronter à la situation, mais dans un état antagoniste, un état contraire à l'anxiété qui serait la relaxation. Donc on met la personne sous relaxation et on va la confronter par imagination de façon progressive à ce qu'elle redoute donc je suis relaxé, j'imagine que je vais dans un magasin, ou que je vais prendre un train, ou je vais dans un endroit où il y a de la foule. L'anxiété va monter et à ce moment là je réajuste mon niveau, je rééquilibre au niveau émotionnel par les techniques de relaxation qui sont apprises. Et puis cette technique d'exposition reste aujourd'hui un des outils fondamentaux des TCC.

Alors ce n'est pas forcé qu’on doit, si un enfant qui aurait peur de nager ou d’aller dans l'eau. On ne va pas le pousser ou il ne va pas plonger. Mais il va se confronter à ses ressentis, et dans des situations phobiques, dans les attaques de panique, ce qui compte c'est de créer une forme d'habitation à ses propres sensations.

Musique

Cyrielle : et ça a duré combien de temps, cette thérapie ?

Shérine : la thérapie aura duré deux ans. Et aujourd'hui, je ne peux pas dire que je ne fais plus de crises d'angoisse parce que ce ne serait pas vrai.

Mais toujours est-il que j'en fais beaucoup moins, que j'arrive très bien à les gérer, que je suis très rationnel par rapport à ça. Si je dois faire une crise d'angoisse aujourd'hui, si elles ne m'handicapent pas dans des trucs importants, comme le travail ou les études, je la laisse passer, puis je me dis que c'est un moment un mauvais moment à passer, mais en même temps prendre le RER le matin c'est aussi un mauvais moment à passer, et je le prends ! Donc du coup, j'attends que ça passe, et je passe à autre chose ensuite. Par contre si c'est très compliqué de gérer, parce que je suis en plein examens, parce que je suis en entretien pour une alternance ou un travail ou quoi que ce soit, j'ai soit : les exercices que le psy m'a donné, j’ai encore aussi le Xanax, parce qu’en vrai des fois on n'a juste pas le temps de faire tout un travail psychologique incroyable sur soi même. On a besoin que ce soit très efficace, très rapidement, parce que sinon on peut rater une opportunité qui est assez exceptionnelle. Et donc du coup, quand je ne peux vraiment pas du tout me permettre de faire une crise d'angoisse, j'ai du Xanax, sinon je fais des exercices pour me calmer, et sinon juste je fais ma crise et puis tant pis.

Avant je faisais peut être.. pendant les mauvais moments de mon adolescence, je faisais bien deux crises d'angoisse par jour.  

Aujourd'hui j'en fais peut-être une par mois.

Cyrielle : selon Jamieson Webster, la psychanalyste new yorkaise, pour celles et ceux qui n’ont pas des troubles anxieux aussi sévères que Shérine, il faut peut-être accepter parfois son angoisse et ne pas chercher à tout prix à la gommer... 

Jamieson Webster : on est dans une culture dans laquelle tout mauvais sentiment est un problème dont on doit se débarrasser. Les gens cherchent des solutions à leurs sentiments négatifs au lieu de comprendre que ces sentiments négatifs font partie de la vie. 

Cyrielle : peut-être qu’être allongée la nuit, à regarder le plafond, parce qu’on s'inquiète et qu’on arrive pas à dormir, et bah c'est normal des fois, et peut-être qu’il faut juste essayer de se détendre dans ces moments là, et attendre que ça passe… Même si ça prend du temps. 

Car peut-être, après tout, que le fait qu’être angoissé fait simplement partie de la condition humaine...

Alain Cugno : le concept d'angoisse correspond au vertige que l'on a quand nous nous apercevons que la singularité que nous sommes, et nous sommes des êtres singuliers qui ont été abandonnés en quelque sorte à leur existence, et lorsque nous mesurons que non seulement nous sommes des êtres singuliers abandonnés à la surface de la Terre, mais qu'en plus il y a quelque chose que l'on peut appeler liberté. Alors à ce moment là le vertige devient angoisse ….

Cyrielle : Alain Cugno est philosophe, il est l’auteur du livre De l'angoisse à la liberté : apologie de l'indifférence publié aux éditions Salvator. Il est aussi spécialiste du philosophe danois Soren Kierkegaard, qui a écrit en 1844 Le concept de l’angoisse, un texte qui a fait de lui le premier philosophe contemporain à s’être consacré à ce sujet.

Alain Cugno : mais l’angoisse n’est pas, du moins originairement chez Kierkegaard, l’angoisse n’est pas du tout un sentiment, ou une émotion, ou quelque chose que l’on éprouve de négatif. 

Ce vertige de la liberté, il est dit-il extrêmement présent chez les enfants, et les enfants rencontrent l'angoisse, non pas du tout sous une forme qui leur déplairait, mais au contraire à travers les contes, à travers le merveilleux et ça les intéresse, et ce qui les intéresse dans l'angoisse, c'est justement le jeu de leur propre liberté, le pressentiment de leur propre liberté. 

Cyrielle : dans la fiction ? 

Alain Cugno : oui oui. Le concept d'angoisse, le concept de liberté, est extrêmement lié à la notion de possibilité. Il y a du possible. Et dire qu’il y a du possible, ça veut dire que les choses ne sont pas écrites. On ne sait pas comment ça va se passer. 

Musique 

Cyrielle : et si, dans notre monde actuel dans lequel on aime tout savoir à l’avance, on acceptait un peu plus nos angoisses, et le fait de ne pas toujours savoir ce qui va se passer… Peut-être qu’on serait un peu plus léger. 

Et en attendant d’en arriver là, peut-être que la bienveillance, l’empathie et la compréhension envers ceux qui sont très angoissés pourra les aider eux, à mieux affronter les possibilités. 

GÉNÉRIQUE DE FIN 

Vous venez de lire Émotions, un podcast de Louie Media. Suivez-nous sur Instagram et Twitter @emotionspodcast (émotions, avec un s). Vous y trouverez nos recommandations de lecture sur l’angoisse, et encore tout un tas de livres sur pleins d’autres émotions. 

Hortense Chauvin a contribué à la conception de cet épisode. Wendy Le Neillon, Lucile Rousseau-Garcia et Maële Diallo ont aidé à la production. Charlotte Pudlowski et moi-même étions à la rédaction en cheffe, Maureen Wilson était responsable éditoriale. Nicolas Vair a assuré la création sonore, Bernard Natier l’enregistrement, et Jean-Baptiste Aubonnet le mixage. Nicolas de Gélis a composé la musique et Jean Mallard a réalisé l’illustration. 

Merci évidemment à tous nos interlocuteurs et à toutes nos interlocutrices de nous avoir accordé de leur temps, vous pourrez retrouver leurs œuvres et leurs références sur notre site: LouieMedia.com

Émotions, c’est un lundi sur deux, là où vous avez l’habitude d’écouter vos podcasts: iTunes, Google podcast, Soundcloud, Spotify ou Youtube. Vous pouvez aussi nous laisser des étoiles et nous laisser des commentaires. Si ça vous a plu, parlez de l’émission autour de vous !

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