Retranscription - La confiance en soi : comment peut-on apprendre à la ressentir ?

Adélie Pojzman-Pontay : vous arrivez dans une soirée, la pièce est dans la pénombre. Il y a de la musique et des groupes de gens en train de bavarder. Une ou deux personnes se détachent parmi les ombres : clairement, ce sont elles qui mènent la conversation, qui disent la phrase qui fait mouche et à laquelle tout le monde rit. Quand elles parlent, on les écoute plus attentivement que les autres. Pourtant, elles ne parlent pas plus fort. Elles ont juste l’air de parfaitement occuper l’espace qui est le leur, de ne pas douter de ce qu’elles vont dire ni de ce qu’elles dégagent. Elles semblent très ancrées en elles-même. 
Vous voyez le genre de personne dont je parle ? Ce sont ces personnes qui dégagent quelque chose d’impalpable, une aura presque. Peut-être vous impressionnent-elles ? Ou peut-être vous attirent-elles ? 

Ce qui est sûr, c’est que vous les avez repérées d’un seul coup d'œil ; ces personnes ont confiance en elles. Cette aisance qu’elles dégagent, ce naturel, ça fait envie. Vous aussi vous aimeriez bien être entouré.e de ce halo autour de vous.

Pourquoi certaines personnes ont confiance en elles et d’autres non ? Est-ce qu’elles ont juste eu la chance de tomber sur les gènes dorés de la confiance en eux, comme Charlie et son billet gagnant pour visiter la chocolaterie de Willy Wonka ? Est-ce qu’au contraire, elle se construit cette confiance ? Comment fait-on pour apprendre à la ressentir ?

Je m’appelle Adélie Pojzman-Pontay, bienvenue dans Émotions.

GÉNÉRIQUE 

Adélie : quand chez Louie Média, on a commencé à parler de ces gens qui dégageaient cette aura de confiance en eux, Cyrielle a tout de suite évoqué une fille qui était au lycée avec elle. Vous savez, cette personne qu’il y a dans toutes les classes, dans tous les lycées, la fille.   

Cyrielle Bedu : c’est une fille avec qui j’étais au lycée il y a une dizaine d’années. 

Adélie : Cyrielle Bedu a 30 ans et elle est journaliste chez Louie. 

Cyrielle : donc cette fille, pendant longtemps, elle a personnifié pour moi le concept même de confiance en soi. Dans mon souvenir, c’était quelqu’un de très charismatique, de solaire. Quelqu’un qui marquait vraiment les esprits. Elle s’appelait Marion et on était dans la même classe en première, au lycée. 
Je me souviens que quelques jours après la rentrée, on est en cours de mathématiques et notre prof nous demande de venir au tableau pour réciter un truc, une leçon. Donc il demande à quelqu’un de se désigner et de se porter volontaire pour aller au tableau. Evidemment, personne n’a révisé, donc personne ne lève la main pour aller au tableau. Du coup, le prof désigne au hasard. Et ça tombe sur cette fille, Marion. Comme tous les gens de la classe, moi inclus, elle n’a clairement pas ouvert son cahier de maths du weekend, mais elle, elle ne se démonte pas. Elle va au tableau, et elle est hyper à l’aise. Elle parle au prof comme si le prof à ce moment-là est son égal. Comme s' ils sont sur un plan d’égalité. Elle lui lance même des blagues et c’est drôle. Le prof rit et nous aussi on rit dans la classe. Elle est hyper désinvolte, mais elle n’est pas agaçante non plus. Et juste très bien dans ses baskets en fait. Elle est très à l’aise à l’oral. Donc clairement elle ne connaît sa leçon. Tout le monde s’en aperçoit, mais ça ne crée aucun malaise. 

Et je me rappelle précisément m’être dit : « C’est dingue, on a 16 ans, on est à un âge hyper ingrat, on essaie tous de faire semblant d’être cool, de maîtriser des situations qu’on ne maîtrise pas du tout… mais personne n’y arrive parce qu’on est des ados, et que c’est ça le propre de l’adolescence, c’est de ne rien maîtriser et de ne pas arriver à faire semblant souvent. Et elle, cette fille, elle arrive à maîtriser ce que personne d’autre n’arrive à maîtriser. Marion, elle a l’air de gérer. C’est comme si elle avait tout compris avant nous en fait. Comme si son aisance était une seconde nature pour elle”. Et ça, ça m’a vraiment marqué.

Du coup l’année s’est terminée et plus tard, le lycée aussi et on a tous fait nos études chacun dans nos coins. Et deux ans après, je travaille les week-ends au Printemps Haussmann, qui est un grand magasin parisien. Et je me souviens qu’un été, justement, je suis dans le magasin et qui est-ce que je croise en train de vendre des t-shirts sur le stand d’une marque de ce magasin ? Marion. 

Donc on se voit, on papote, on se donne des nouvelles, on se dit qu’on se recroisera, mais évidemment ça n’arrive pas, on ne se recroise pas du tout. Et six mois plus tard, un samedi ou je travaillais au Printemps, je vais en salle de pause et j’entends deux vendeuses, qui parle de Marion. Marion, qui ne travaille plus dans ce magasin, en tout cas pas à ce moment-là. Et je les entends dire en parlant de Marion : « C’était fou, cette fille elle dégageait vraiment un truc incroyable, elle avait l’air de n’avoir peur de rien, de n’être impressionnée par personne. Elle travaillait sur le stand comme si elle avait fait ça toute sa vie. Elle avait une vraie aisance…” Et là du coup ça confirme exactement ce que je m’étais dit d’elle au lycée. Il se trouve que y’a quelques semaines, j’en ai reparlé à Fiona, qui est une copine avec qui j’étais au lycée aussi, on s’est rencontrées au lycée. Et il s’avère que Fiona avait gardé elle aussi ce même souvenir de Marion. 

Fiona : le souvenir que j’ai d’elle, c’est d’une personne qui avait une aisance que moi je n’avais pas du tout. Elle se démarquait. Elle se démarquait des autres, quand elle parlait, c’était comme si elle était sur à cent pour cent de ce qu’elle avançait alors qu'on était encore au lycée, qu’on était en phase d'apprentissage. Et le fait qu'elle ait cette capacité à être sûre d'elle bah.. c'est ce qui fait que je me souviens d'elle. Vraiment elle était à part. 

Cyrielle : genre tu te souviens pas on était en cours d'histoire géo, avec madame Sasso et qu'elle s'est trompée dans les points cardinaux, tu ne te souviens pas ? Elle dit j'sais plus, genre elle parlait d'un truc notre prof d'histoire géo et puis à un moment elle dit : "Oui donc bon l'est, le sud, le nord et puis euh..", elle avait oublié et Marion elle lui dit : "L'ouest ! Bon bah il était temps de les revoir ces points cardinaux !". Tu tu souviens pas ? Et t'étais morte de rire. La façon dont elle l'a dit, en fait elle l'a remise à sa place et tout, et même la prof elle a dit : "Bon, Marion, c'est bon maintenant ! Ça suffit !”. (Fiona : “non je ne me souviens plus”). En fait elle était toujours genre, ces gens qui, en fait les adultes, c'est leur égal.

Fiona : Oui ! C'est ça ouais, elle parle d'égal à égal. Bah parce que pour dire ça, tu vois. Aujourd'hui tu pourrais le dire avec un collègue mais parce qu'il est ton égal. Mais.. 

Cyrielle : Et là c'est ton prof tu vois ? 

Fiona : C'est ça en fait qui n'était pas normal de.. à notre âge et de nos yeux de lycéen, fallait le voir pour le croire. 

Cyrielle : J’ai parfois repensé à Marion. A cette aisance qui émanait d’elle. Et je me suis demandé si c’était une vraie confiance en elle qu’elle avait ou si c’était une performance. Du coup, j’ai décidé d’aller lui demander. Je lui ai envoyé un message sur Facebook. Et tout de suite, j’ai vu l’icône ronde de sa photo de profil s’afficher en bas de mon message, vous voyez sur Messenger ? L'icône voulait donc dire qu’elle avait vu mon message. Pourtant, pendant plusieurs jours, elle n’a pas répondu à mon message.

Jusqu’à ce que… 

*Bruit réception de message Facebook*

Jusqu’à ce qu’elle me réponde et qu’elle me dise qu’elle était ok, premièrement parce qu’elle était en vacances, mais qu’elle était flattée que j’ai pensé à elle, et qu’elle serait ravie de faire cette interview, même si elle n’était pas vraiment sûre de savoir quoi dire. 

Sauf que moi, j’étais sûre qu’on aurait des choses à se dire sur cette question de la confiance en soi.

*Test de son : “C’est moi, est-ce que ça marche ? Je m’appelle Marion, est-ce que tu m’entends bien ?*

Cyrielle : j’ai retrouvé Marion, un soir à son travail. Elle a aujourd’hui un poste important dans une très grosse société cinématographique française. Et il s’avère que le siège de cette entreprise se trouve par le plus grand des hasards dans le même quartier que notre ancien lycée. Du coup, la revoir dans cette même ville de banlieue, où j’avais été impressionnée par son aisance plusieurs années plus tôt, cela semblait être presque un coup du destin. 
Quand elle vient me chercher à l’accueil de son entreprise, elle est habillée comme une working girl, trop classe, stylée, alors que moi je suis en jean, basket avec un sac à dos pourri.. il pleuvait donc je suis trempée à ce moment-là, bref, je suis loin d’être au top de mon style. Et tout d’un coup, j’ai juste l’impression d’être retournée plus de 10 ans en arrière, au lycée, et d’être pas assez cool. C’est un sentiment très désagréable.

On prend l’ascenseur, on s’installe dans une salle pour discuter et là, Marion me raconte que quand elle a lu mon message, elle était surprise, et donc hyper flattée d’avoir pu marquer quelqu’un comme ça. 

Cyrielle (à Marion) : t'es pas hyper étonnée que je te contacte là dessus, c’est comme si on t’en avait déjà parlé, c’est comme si t’en avais déjà un peu conscience.. j’me trompe ? 

Marion : non, et je ne vais pas feindre l'étonnement, je ne vais pas mentir. Oui, je sais qu'aujourd'hui par exemple auprès de mes amis proches forcément je leur ai dit que tu m'avais contactée et j'ai trouvé ça hyper cool en fait. Donc je leur ai dit : “Ce soir, je vois Cyrielle, je fais le podcast”. Elles m’ont dit : “Bah en même temps sur le sujet de la confiance en soi, quand on demande de donner un exemple, c’est à toi qu’on pense”. Après, c’est vrai que je pense avoir un rapport à l’autre assez facile. Du coup, écoute je ne sais pas. Personne ne m’a jamais dit : “Je me sens effrayé ou menacé ou impressionné par ce que tu dégages”. 

Musique 

Adélie : c’est quand même incroyable à quel point les gens qui ont confiance en eux nous fascinent et nous marquent, que ce soit au lycée ou dans une soirée. C’est quoi ce truc fou qu’ils ont et que le reste du monde n’a pas ? Parce que si on a tous connus des Marion, au lycée ou ailleurs. C’est difficile de mettre le doigt sur ce qui les différencie, sur ce halo qui émane d’eux mais dont on n’arrive pas vraiment à connaître la substance. Est-ce que c’est liquide, solide, gazeux la confiance en soi ? Est-ce une affaire de comportement, d’audace, de domination ? Comment ça fonctionne dans notre cerveau ? 

François Vialatte, un chercheur et maître de conférence en sciences cognitives à ESCPI à Paris, qui est praticien en thérapies cognitivo-comportementales m’a expliqué que si la confiance en soi est si difficile à définir, c’est parce que ce n’est pas un concept à part entière mais un modèle de fonctionnement de l’être humain, qui touche à plusieurs concepts psychologiques. 

François Vialatte : c'est à dire qu'en fait on pourrait le concevoir comme un modèle plus large de l'auto efficacité, c'est à dire la croyance que l'on a à être compétent dans un domaine ou un autre, qui va regrouper beaucoup plus d'éléments de vie et intégrer des éléments de concepts de soi et d'estime de soi.

Adélie : Les trois concepts importants sont : l’auto-efficacité, l’estime de soi et le concept de soi. 
L’auto-efficacité, c’est savoir qu’on est capable de faire quelque chose. Peut-être parce que vous vous êtes déjà retrouvé dans une situation similaire et que vous avez déjà réussi à accomplir cette tâche : réussir à mettre un panier en basket par exemple, ou tricoter une écharpe, ou faire une présentation devant vos supérieurs au travail. Ça peut-être aussi parce que vous avez confiance dans vos compétences et que vous êtes capable d’estimer qu’elles pourront s’appliquer à cette situation. Un autre chercheur, Jérôme Sackur, qui lui est chercheur en psychologie cognitive à l’EHESS à Paris m’a donné un très bon exemple pour illustrer ce concept. 

Jérôme Sackur : si vous prenez un chat qui s'apprête à sauter sur une table. Manifestement, le chat ou la chatte sait s’il pourra sauter sur la table, si la table est trop haute ou s’il maîtrise cette chose-là. Donc en un certain sens, il a une estimation de ses propres capacités et on peut difficilement imaginer un animal relativement évolué qui soit incapable de faire ça. C'est essentiel en fait. Sinon le chat sauterait au-dessus des précipices en croyant qu'il atteindrait le côté opposé et ce serait la fin du chat.

Adélie : Jérôme Sackur explique qu’on peut penser la confiance en soi par étages : du niveau le plus micro, qui s’exprime par notre capacité à faire des actions et des choix au quotidien, comme décider ce qu’on va manger au restaurant par exemple, jusqu’à un niveau plus général, plus macro, qui là serait une confiance en soi globale. 

Mais pour en arriver là, il y a d’autres données qui entrent en compte. 

L’estime de soi, d’abord. C’est un jugement de valeur, c’est la considération que je peux avoir pour moi-même. C’est une question d’authenticité par rapport à soi et aux valeurs qui nous sont propres. Ces valeurs diffèrent d’une personne à l’autre. Par exemple, si pour vous la famille c’est important, et que vous arrivez à voir suffisamment votre famille, à prendre des nouvelles, ça contribuera à nourrir votre estime de vous-même. Car vous serez en phase avec ce qui est important pour vous. Si au contraire, vous faites toujours passer votre famille après votre travail par obligation, vous risquez d’abîmer l’estime que vous avez pour vous-même. Vous aurez l’impression de vous trahir, de ne pas être la personne que vous voulez être dans le monde. 

Le troisième concept psychologique qui intervient dans la confiance en soi, c’est le concept de soi. 

François Vialatte : c'est quelque chose qu'on va rattacher à la mémoire autobiographique, c'est à dire c'est mon identité qui s'est construite dans le temps. Ça va être ce que je sais de moi.

Adélie : donc la confiance en soi, ça englobe le concept de l’auto-efficacité, et ça le déborde, en ajoutant des éléments de l’estime de soi et du concept de soi.

François Vialatte : la confiance en soi c’est quoi ? C’est ce que j’imagine, que je pense, que je crois, que je sais, ou que je sens que je suis capable de faire. 

Adélie : quand tous ces éléments théoriques –l’auto-efficacité, l’estime de soi et le concept de soi– sont rassemblés, et bah on a confiance en soi. Et si vous l’avez, cette confiance en vous, ça peut se manifester de trois façons : par des manières de penser, des traits de caractère ou par des types de comportements. Ces caractéristiques sont communes aux gens qui ont confiance en eux. 

François Vialatte : l'Université du Nevada a mené une étude en 2009 où ils étudiaient les différents facteurs qui apparaissaient chez les gens qui ont confiance en eux. On voit que ce sont des gens qui s'affirment bien, qui sont optimistes, qui sont plutôt tenaces c'est à dire que face aux difficultés de la vie ils sont capables de persévérer, qui vont avoir plutôt une représentation interne de leur contrôle sur le monde, c'est à dire qu'ils pensent qu'ils sont à l'origine des changements qui les entourent, qu'ils ont une influence sur les choses qui les entourent et qui sont très capables de réguler leurs difficulté, d'adapter leurs stratégies, de réguler leurs émotions avec une capacité à faire confiance à leurs intuitions.

Adélie : ce sont aussi des gens qui n’ont pas peur de l’échec et ne le vivent pas mal, qui connaissent leurs points forts et vont vers ce qu’il savent faire, plutôt que s’attacher à leurs points faibles.

François Vialatte : on pourrait les comparer à des roseaux plus qu'à des chênes. Au contraire, ce sont des gens qui vont se remettre en cause puisque pour rebondir il faut identifier pourquoi on a échoué. Donc ce sont des gens qui gèrent très bien l'échec qui lorsqu'ils se trouvent confrontés à un échec vont essayer d'en tirer des leçons pour pouvoir avancer et vont considérer que l'échec est positif. Comme par exemple Nelson Mandela qui disait : “Je n'échoue jamais, puisque soit je gagne soit j'apprends”. 

Adélie : parce que ces personnes-là régulent mieux leurs émotions, elles sont moins submergées lorsqu’une situation inattendue surgit. Elles perdent moins leurs moyens, leur voix reste plus posée et elles ont plus d’aplomb, comme Marion face à son prof de maths. Bref, autant de signes extérieurs de la confiance en soi.

Mais comment ces gens sont-ils devenus des roseaux ? Comment se construit-elle cette confiance en soi ? Pourquoi ils l’ont ? 

Cyrielle (à Marion) : Et pourquoi du coup?

Marion : Je ne saurais pas te dire, après en introduction tu parlais de l'éducation. Je pense que c'est l'un des critères les plus importants. On m'a toujours fait comprendre que j'avais une voix et que celle-ci était importante. On m’écoutait, j’avais une vraie place. Alors c’est vrai que du coup, quand il fallait s’adresser à des adultes étant plus jeune, étant encore collégienne ou lycéenne, ça ne me posait pas de problèmes. J’avais l’habitude d’évoluer dans un quotidien avec beaucoup d’adultes, beaucoup de jeunes un peu plus âgés que moi et du coup je n’avais pas peur. Je ne voyais pas pourquoi, parce que j’étais plus jeune, je ne devais pas avoir ma place dans des débats ou dans des discussions d’adulte. 

Adélie : Au-delà d’une éducation très favorable, Marion n’est pas sûre de ce qui a été vraiment décisif. Mais on a pensé à quelqu’un d’autre qui lui, pouvait nous éclairer sur les origines de sa confiance en lui. 

Navo : Oui, j'ai confiance en moi. 

Adélie : Cet homme, c’est Bruno Muschio, aussi connu sous le nom de Navo. Si vous ne connaissez pas son nom, vous avez peut-être déjà ri devant les séries qu’il a co-écrites et co-réalisées, comme Bref sur Canal + ou Serge le Mytho. 

Navo : C'est toujours bizarre à dire parce que c'est une affirmation qui souvent gêne les gens en fait. Parce que les gens ont confiance en eux, on a tendance à penser qu'ils se la racontent ou qu'ils sont prétentieux. Ce qui n'est pas forcément faux. Les deux sont possibles. T'es toujours sur un fil quand tu dois parler de ta propre confiance en toi déjà parce qu’elle n’est pas absolue, mais elle est quand même grande et que tu sais que ce sont des choses que les gens peuvent mal prendre. Donc je te réponds avec plaisir, mais je sais qu'il faut toujours faire attention sur ces sujets là quoi.

Adélie : Dans son entourage, sa confiance en lui est un fait établi. C’est son amie Navie qui nous en a parlé. Si les deux pseudos, Navie et Navo sont similaires, c’est parce qu’à l’époque où ils les ont choisis, ils étaient ensemble. Et Navie, son amie depuis 18 ans, m’a tout de suite raconté une anecdote frappante sur Navo. Ça se déroule lors d’un dîner de famille chez les parents de Navie. A l’époque, Navie et Navo habitent ensemble, démarrent dans la vie professionnelle et le soir, ils mangent des pâtes lyophilisées. 

Navie : Un jour, ma mère disait : “Non mais Bruno, tes rêves d'écriture etc.. enfin, c'est pas un vrai travail”. Et il lui a dit : “Ah non mais t'inquiète pas Rose-Marie, moi je sais que je vais réussir. Peut être qu'un jour je serai Alain Chabat. T'inquiète pas, un moment mon travail va être reconnu et je n'ai aucun doute là-dessus”. Et ça a été le cas. 

Adélie : Comme Marion face à son prof de maths, Navo, dans une situation déstabilisante face à sa belle mère, garde son aplomb. Comme s’ils avaient trop confiance dans leur capacités pour se laisser ébranler par les contingences. 
Contrairement à Marion, Navo lui, sait bien, grâce à ses amis et notamment à Navie, d’où lui vient son assurance. Il a pu déconstruire au fil des années les origines de sa confiance en lui, et comprendre que l’éducation qu’il a reçu de sa mère y était pour beaucoup. Ce n’est pas anodin, car François Vialatte –le chercheur en sciences cognitives– m’a expliqué que si la confiance en soi pouvait relever de l’inné, de traits de tempérament qu’on pourrait avoir à la naissance, comme par exemple une prédisposition à l’optimisme, elle était également en grande partie construite, notamment par l’éducation. 

François Vialatte : Le fait de recevoir une éducation positive est centrée sur l'affirmation de soi. Tout ça, ça va constituer des bases sur lesquelles la confiance en soi peut se construire. 

Adélie : C’est justement une éducation comme celle-là qu’a reçu Navo. C’est Navie qui m’a parlé de ça. 

Navie : Je pense vraiment qu'une bonne partie de la confiance en lui de Navo vient de sa maman. Depuis qu’il est petit, elle a mis en avant leurs forces et leurs qualités. Elle a remarqué des choses qui étaient intéressantes chez Navo et les a mises en avant dès son plus jeune âge. Je parle de : son humour, du fait qu’il soit extrêmement malin et intelligent. Et elle n’a eu de cesse de leur répéter : “Tu vas y arriver”, ce n’est même pas : “Tu peux y arriver”, mais : “Ah non, mais toi.. c’est bon. Tu es hyper malin, tu es hyper drôle, je ne me fais aucun souci pour toi, aucun. Tu vas y arriver”. Ça pourrait être vu comme une sorte de pression, mais c'était tellement englobé dans toute une valeur d'éducation de : “T’es maître te ta vie. Si ça te convient pas, bah il n'y a aucun problème, tu peux changer. Je ne t'oblige en rien à faire, à voilà passer le bac, à faire des études etc.. fais ce que tu as envie de faire. Kiffe s’il te plaît, kiffe. Sois toi, sois vrai. Vis ta vie, parce que tu ne vas pas vivre la vie d’un autre et moi je suis là et je t’aime. Je suis présente. Je suis là. Mon amour est inconditionnel. Et vole, vas-y ! Et au cas où, t'inquiète pas je suis là, y'a pas de problème”. C'était hyper fort.

Adélie : Cette confiance que Martine avait en son fils, lui a permis de faire des choix qui peuvent paraître fous à la majorité des gens. Elle lui a transmis une confiance qui s’est transformée en liberté de faire ce dont il avait envie, ce qui lui procurait du plaisir, et de le faire à sa manière. De suivre son intuition. Comme d’arrêter l’école à 16 ans. Pas parce qu’il avait des mauvaises notes, mais parce que le modèle que l’école ça l’emmerdait. 

Navo : En fait il y a un moment dans la vie où on te demande ce que tu veux faire. C'est vraiment le moment où t'en as aucune idée et on te dit que tout se joue maintenant donc en seconde on te dit que c'est soit ES, soit L, soit STT, soit je ne sais pas quoi, et ça en fait des espèces de cases qui m'allaient pas du tout. Et en fait, ma réaction, qui était une réaction je pense de quelqu'un qui a confiance en soi, c'était : “Ben j'arrête alors ! Il n'y a rien qui me dit, j'arrête. De toute façon je trouverai bien un truc. Je vais bien réussir dans quelque chose. Il n'y a pas de raison. D'autres gens ont réussi avant moi. Mes parents n'ont pas fait d'études. Donc j'avais quand même un modèle de : “On peut être content et réussir sa vie sans faire d'études, tu vas pas finir dans la rue”. Ma mère qui avait une confiance absolue en moi, m’a dit : "Oh bah tu vas réussir à quelque chose”, mais en me disant : ”Un moment ça va aller, c’est tout. Vas travailler, trouve un truc”. 

Adélie : Et Navo est parti travailler avec son père. Il n’a pas tout de suite su que ce qu’il voulait faire dans la vie, c’était écrire des blagues. Il a même fait du rap avec Kheiron son ami d’enfance pendant un temps. Le déclic de l’humour, il l’a eu vers 25 ans, c’est pas tard dans l’absolu, mais ça veut dire que pendant 10 ans il a testé des trucs, sans s’inquiéter. Même si bon, il avait l’air un peu prédestiné. 

Navo : Ma mère, et elle s'en vante aujourd'hui, quand je faisais des bêtises à l'école, elle disait à mes professeurs : "Oui oui d'accord, mais c'était rigolo quand-même, un jour vous paierez pour aller le voir".  

Adélie : Voilà ce que François Vialatte appelait “l’éducation positive”, ça veut dire entre autres valoriser son enfant pour les domaines où il est doué plutôt que de se focaliser sur ce qu’il n’arrive pas à faire. En remarquant ce pour quoi son fils était doué, en lui apprenant à faire confiance à ses compétences, Martine a appris à Navo à se connaître, à ne pas douter de ses points forts et savoir se valoriser. Ne pas se focaliser sur ce qui ne va pas, mais sur ce qui va. 
Navie, qui a habité avec Navo et sa mère pendant un temps et qui donc a vu Martine à l'œuvre, s’est énormément inspirée d’elle pour l’éducation de son fils Lucien, qui a six ans. Et ça marche !  

Navie : Je lui fais souvent la liste de tout ce que je trouve trop cool chez lui et pas parce que tu es mon petit garçon, etc. Je lui dis : “Je trouve que t'es hyper drôle.. quand au supermarché t'as laissé passer la dame parce que t'as vu qu'elle avait du mal à marcher, bah j'ai trouvé ça vachement cool ce que tu as fait et on appelle ça de l'empathie et l'empathie c'est important”, et généralement ça je le fais avant qu’il se couche, de lui dire : “Ça chez toi, qui n’est qu’à toi parce que c’est ta personnalité, je trouve ça super et j'adore ça chez toi et ça me rend très fier”. Et bah c'est des choses qui permettent déjà de s'endormir avec un sourire en se disant : “Bah c'est cool”, mais c'est aussi de le valoriser en tant qu'adulte, en tant que personne en tout cas. Et c'est ce que je fais avec Lulu continuellement. 

Adélie : Ce que Martine a réussi à développer chez Navo, en lui répétant qu’elle ne se faisait pas de souci pour lui, qu’il allait s’en sortir quoi qu’il choisissait, et en particulier au moment où il a décidé d’arrêter l’école, c’est son locus de contrôle interne. Le locus de contrôle, c’est un nom très savant, mais en fait, ça désigne juste  le lieu où vous placez le contrôle de votre vie. 
Locus de contrôle interne : ça veut dire que vous pensez que le contrôle de votre vie est à l’intérieur de vous. Vous en êtes maître, acteur et vous croyez que vos actions et décisions peuvent changer votre existence et votre environnement. Si au contraire, vous avez un locus de contrôle externe, ça veut dire que vous pensez que ce qui vous arrive est hors de votre portée et de votre champ d’actions, et que vous subissez les choses qui vous arrivent. 

François Vialatte : On parle de locus de contrôle interne, c'est à dire que parce qu'il pense par lui même, il va avoir tendance à croire que c'est lui même qui peut modifier la vie qu'il mène. Donc avoir une meilleure confiance en soi. Se sentir autonome et responsable de sa vie va jouer un grand rôle dans la confiance en soi. Par exemple le fait d'avoir un mauvais locus de contrôle, un locus de contrôle externe, c'est à dire croire que l'on dépend du monde extérieur, va nous amener à baisser les bras, à nous résigner et c'est le dénominateur commun que l'on va retrouver chez les personnes qui souffrent de dépression.

Adélie : Donc à l’inverse, si vous avez un locus de contrôle interne, vous serez plus tenaces parce que vous savez que vous pouvez agir face à l’adversité. Ce locus de contrôle interne, c’est encore quelque chose que Navie a vu se développer chez son fils Lucien. Depuis la rentrée, il est en CP. Pendant les premiers mois, il avait du mal à rester tranquille en cours, il préférait chanter et danser pendant les heures de classe et surtout il prenait du retard en lecture, ce qui inquiétait beaucoup Navie. 

Navie : Il m'a dit : “Mais je vais apprendre à lire rapidement. Enfin, t'inquiète pas maman, y'a pas de soucis. Je suis intelligent. Moi je suis super intelligent donc je vais apprendre à lire”. On a eu cette conversation et trois semaines après il lisait. On s’est dit : “Qu'est ce que c'est que ce bazar ?”, et en fait pour lui c'était : “Je prends mon temps, mais on ne panique pas. J'ai confiance en moi. Okay, là la maîtresse, tout le monde commence.. ben je vais apprendre à lire, oui ok d'accord. Détendez vous quoi. C’est ça que tu veux ? Bah si c’est pour te rassurer”.

Adélie : Une autre caractéristiques des gens qui ont confiance en eux, et que l’éducation peut développer chez un enfant, c’est la capacité à réguler ses émotions. 

François Vialatte : La stabilité émotionnelle a une part d'inné qui vient effectivement du tempérament qui peut être soit génétique soit épigénétique, c'est -à -dire des choses que l'on hérite de par nos parents sur lesquels on a très peu de contrôle. Par contre il y a aussi une part acquise si un enfant par exemple a pour des raisons neuro développementales des capacités à réguler ses émotions faibles il peut apprendre par la suite à les réguler, améliorer cette régulation.

Adélie : Alors attention, François Vialatte m’a bien mise en garde : réguler ses émotions ça n’a rien à voir avec les refouler. 

François Vialatte : On stabilise mieux nos émotions quand on les accepte. C'est-à-dire quand on est capable de les accueillir, de faire avec et de rester dans une position de confort suffisant avec l'émotion en nous.

Adélie : Ce qu’il m’explique c’est que quand une émotion naît en nous, elle nous pousse à agir. C’est même dans l’étymologie du mot “émotion” : une émotion nous met en motion, en mouvement. L’émotion nous pousse à avoir un comportement, qui peut-être adapté ou inadapté face à la situation en question. Ça dépend du contexte, mais aussi de notre histoire personnelle et de notre éducation. Mettons par exemple, que vous avez peur des araignées.

François Vialatte : Exemple simple. J'ai peur donc je vais me cacher sous la table si jamais ça a lieu pendant une réunion dans un bureau ça va être assez mal vu par mes collègues qui vont se demander ce que je fais. C'est une réaction qui est irrationnelle qui est dictée par la peur et qui n'est pas très réfléchie 

Adélie : Se cacher sous la table, c’est ce que François Vialatte appelle “un comportement stéréotypé”, c’est quelque chose qu’on fait pour se débarrasser de cette émotion désagréable, en l’occurrence, la peur. Ce comportement stéréotypé revient à chaque fois qu’on éprouve cette émotion et il nous met en situation d’échec, puisqu’on ne sait toujours pas comment réagir quand elle surgit.  

François Vialatte : Par exemple, je vais passer un examen, je vais ressentir une très forte anxiété de performance et parce que je ne sais pas gérer la peur je vais paniquer et me mettre en échec. On va donc avoir une fenêtre de tolérance et une émotion donnée plus ou moins large. Certaines personnes sont intolérantes à la peur, d'autres sont intolérantes à la colère par exemple et lorsqu'elles tombent sur une de ces émotions lorsqu'elles vivent une émotion qu'elles tolèrent mal, elles vont chercher à la fuir à s'en débarrasser et adopter des comportements inappropriés  

Adélie : Mais alors comment on fait alors pour réussir à “accueillir ses émotions” comme dit François Vialatte ? 

François Vialatte : Bah on va prendre l'exemple typique d'un enfant qui fait un caprice en se roulant par terre. Qui est un enfant dans un supermarché qui se roule par terre en hurlant parce qu'il veut avoir un bonbon. Je peux avoir une réaction d'éducation classique qui va consister à vouloir lui dire non en lui opposant une limite ce qui en soi est quelque chose de positif et de structurant, de façon très ferme. Et je peux assortir cette limite du fait de lui donner une fessée et de le disputer en lui criant dessus. Dans ce cas l'enfant a internalisé le fait que la limite existe mais il n'aura pas appris à réguler l'affect qu'est la colère et la frustration. Donc il n'aura pas appris à accueillir et à réguler son émotion et il n'aura pas reçu une aide de la part de son parent pour gérer cette émotion. Par contre il aura un conditionnement disant lorsque je suis en colère je vais souffrir puisqu'on va me punir. De la même manière si je donne le bonbon à l'enfant, je ne lui donne pas de limites et donc lui a appris que lorsqu'il est en colère, il devient puissant et on lui donne ce qu'il veut et va donc répliquer ce comportement de caprice qui lui permet de se débarrasser de la colère et encore une fois il n'aura pas appris à gérer l'émotion. Maintenant si à la place le parent peut s'engager dans une discussion avec l'enfant, le regarder dans les yeux lui parler de l'émotion qu'il est en train de vivre discuter avec lui de la frustration qu'il ressent et du bonbon dont il a envie et lui expliquer pourquoi il ne peut pas lui donner le bonbon lui parler de ce qu'il ressent. Aider l'enfant à s'apaiser. Dans ce cas là l'enfant va à la fois avoir accès à la limite et puis en même temps savoir que l'émotion de la colère correspond à quelque chose que son vécu a une importance aux yeux de ses parents et qu'on peut l'aborder sereinement que la colère n'est pas quelque chose d'effrayant. 

Adélie : L’idée, c’est de ne pas créer de cercle vicieux dans la manière dont on vit nos émotions. 

François Vialatte : Si jamais mes émotions me perturbent ça va nuire à mes performances et donc je vais enregistrer que je ne suis pas performant, que je ne suis pas capable de. Et Je vais avoir tout un stock de souvenirs d'échecs et de situations d'échecs répétés dans lesquels je me confronte à des situations où on évalue ma performance, et où j'échoue ou des situations où j'essaye de faire quelque chose et où j’échoue qui sont liées à ces émotions négatives ce qui en plus va renforcer les émotions négatives et ce que j'appelle émotions négatives, ce sera particulièrement des émotions que j'ai été conditionnés à ne pas savoir gérer.

Adélie : Donc quand on régule bien ses émotions, notamment la peur, et qu’on n’est pas dans l’anxiété de performance, qu’on a confiance dans ses points forts, ses compétences et sa capacité à modifier son environnement, ça aide à faire émerger une autre caractéristique de la confiance en soi : on craint beaucoup moins l’échec. Et quand j’ai demandé à Navo s’il avait peur de l’échec, sa réaction m’a vraiment sidérée. 

Navo : Je dis pas que je rate jamais, que je réussis tout dans ma vie. Je dis que quand je rate, intérieurement ce qui se passe pour moi, c'est que c'est une exception. Et je pense qu'il y a d'autres gens qui sont qui ont l'air d'être une majorité, qui quand ils réussissent c'est une exception, et quand il rate c'est la règle. Moi quand je réussis c'est la règle et quand je rate une exception. Peu importe le taux, c'est-à-dire que je peux rater 90% du temps et réussir 10% du temps, pour moi il y a eu une exception pendant 90% du temps ce qui est un peu contre intuitif. Mais en face le même paradoxe existe. C'est qu'il y a des gens qui réussissent 90% du temps et qui focalisent sur les 10 pourcent où ils ratent en se disant : “Je rate tout le temps sauf les 90 fois là où j'ai réussi. Mais putain qu'est ce que je rate ces 10 fois là quoi”. 

Adélie : Donc en fonction de nos gènes d’une part et de notre éducation d’autre part, on s’engage dans la vie avec plus où moins de confiance en nous. Là où les choses prennent une autre dimension, c’est que disposer de ces caractéristiques forme un cercle vertueux de la confiance en soi. A contrario, si vous n’avez pas eu la chance de recevoir ce genre d’éducation, si votre estime de vous même est chancelante, si vous êtes plutôt pessimiste, cela crée un cercle vicieux qui vient continuellement jouer contre vous et rend bien plus difficile l’émergence de la confiance en soi. 

Ce phénomène c’est ce que François Vialatte appelle des filtres de perception, qui eux aussi jouent un rôle dans la construction de notre confiance en nous. Cette notion de filtre, m'explique-il, a été théorisée par un psychologue américain, Jeffrey Young, de l'université Columbia à New York. Ces filtres, ce sont des “schémas cognitifs précoces” qui s’imposent à nous et modèlent nos pensées malgré nous. 

François Vialatte : En fait c'est un filtre de perception et aussi un filtre de pensée parce qu'en fait on n'est pas complètement libre de ce que l'on pense.

Adélie : Notre manière de recevoir le monde est modulée par ces filtres. 

François Vialatte : Ce sont des habitudes de pensée, des façons de filtrer la réalité qui ont tendance à s'auto-confirmer. Par exemple si j'ai une très mauvaise estime de soi, je vais avoir tendance à penser que je suis quelqu'un de nul et parce que je suis quelqu'un de nul, je ne vais jamais oser entreprendre des choses ce qui va confirmer le fait que je suis quelqu'un de nul et je pourrais rester enfermé dans mes filtres qui vont se renforcer avec le temps.

Adélie : Ces filtres sont bien sûr présents dans les moments où nous sommes confrontés à nos propres croyances sur nous-mêmes, et à nos émotions. Si vous avez confiance en vous, cela va créer un cercle vertueux. 

François Vialatte : Donc, l'optimisme serait un bon exemple de filtre positif qu'on peut appliquer à la réalité. Être optimiste, ça veut dire que je pars du principe que j'ai de grandes chances de réussir et que de toute façon même si j’échoue, j'arriverai à rebondir. En fait, dans la réalité, il n'y a pas plus de raisons de croire dans quelque chose d'optimiste que quelque chose de pessimiste. C'est un biais, c'est un filtre. La différence c'est que c'est un filtre qui va me permettre de maintenir ma motivation, qui va me permettre d'être tenace pour rebondir face à l'échec. Et c'est un filtre qui du coup va se confirmer puisque si j'échoue, je rebondis et si je rebondis, je vais finir par réussir ce qui fait qu'au final je vais réussir de plus en plus et me convaincre que je suis capable de réussir 

Ces schémas vont être ancrés dans notre mémoire et vont s'exprimer d'une part sous la forme de croyances, on parle de pensées automatiques. Face à une situation donnée, je vais avoir en tâche de fond dans mon esprit à un niveau sous liminaire, c'est à dire que je n'en ai conscience que si je fixe mon attention dessus, un ensemble de pensées qui vont avoir tendance, soit à me mettre la tête sous l'eau, soit me donner de la motivation à réussir. Et puis simultanément, une composante émotionnelle qui va être ce que je sens, en particulier dans mon corps, et des perturbations éventuellement de mes pensées volontaires, celles qui ne sont pas automatiques et du coup si jamais je suis dans ces filtres cela peut m'empêcher de réussir. On pourrait prendre l'exemple des prophéties auto-réalisatrices si je pense que je suis mauvais lorsque je vais tenter de passer un examen, je vais me convaincre que je vais échouer à mon examen en ayant des pensées récurrentes dans mon esprit, je n'y arriverai pas, je suis trop nul pour y parvenir, de toute façon j'ai échoué toute ma vie c'est normal que je échoue de nouveau. Ces pensées vont être associées à des émotions, des émotions sous la forme de peur d'anxiété de performance et éventuellement de tristesse quand je pense à mes échecs précédents. Et si je ne suis pas capable de réguler ces émotions, elles vont renforcer mes pensées et je me retrouve dans un système avec une dynamique qui me déborde, je ne sais pas trop quoi faire avec ces émotions et ça va avoir un coût intellectuel très lourd. Je n'arriverai pas à me concentrer pendant l'examen ce qui va me faire échouer et à la fin de l'examen j'aurai donc un nouveau souvenir qui confirme le schéma et je continuerai à filtrer le monde qui m'entoure pour me confirmer que je suis nul. 

Adélie : Mais alors, est-ce qu’on est voué à douter de nous, de nos compétences, à avoir peur d’entreprendre des choses si on n’a pas été éduqués par Martine, la mère de Navo ? Non, rassurez-vous. La confiance en soi est quelque chose qui continue de se construire tout au long de notre vie et qui peut évoluer. En revanche, réussir à briser les cercles vicieux de pensées négatives, ça peut être difficile, et il ne faut pas hésiter à demander de l’aide. Pour François Vialatte c’est pertinent de regarder du côté du mouvement de la troisième vague des thérapies cognitivo-comportementales, qui cherchent à travailler sur nos schémas et sur leurs conséquences dans nos actions. D’ailleurs, aller voir quelqu’un, un thérapeute comportemental ou autre, c’est déjà avancer vers la confiance en soi. Car savoir reconnaître ses limites et ses difficultés, sans en faire un drame, ça fait partie de la connaissance de soi, une clé de la confiance. 

Lucien, le fils de Navie, du haut de ses six ans, l’a déjà compris. 

Navie : Sa confiance va jusqu'à, là pour l'instant, identifier ses limites. Et on était allé voir un psy pour lui, il y a un an parce qu'il avait du mal à dormir. Et il.. on a essayé toutes les méthodes et ça n'arrivait pas donc on est allé voir la personne qu'on appelle "la dame" donc la dame étant sa psy. Et là cette année, il me disait qu'il n'arrivait pas à être sage en classe, à savoir attentif, à arrêter de faire du bavardage et à arrêter de danser... Et il m'a dit à un moment où il s'était fait encore punir et que ça lui faisait vachement de peine. Il m'a dit : “Je crois que maman il faut qu'on aille voir la dame parce qu'elle va m'aider”, et j'ai trouvé ça hyper fou d'un gamin qui a confiance en lui etc.. de se dire : “Ok alors là j'ai essayé ça ne fonctionne pas donc on va aller voir la dame et ce sera réglé”, et de rationaliser un peu les choses qui peuvent être des choses qui me font penser à Navo, sur le côté :”Ok attends, alors ça je n'y arrive pas, quelles sont les solutions pour que j'y arrive ?”. Et pas une seule seconde il m’a dit : “J’suis nul”.

Adélie : La thérapie peut nous aider à débloquer des choses et à prendre plus confiance en nous. Mais même quand vous arriverez à ce stade, vous ne serez pas sûr.e de vous tout le temps. C’est quelque chose qui évolue, qui n’est pas constant. On n’a pas confiance en soi tout le temps, dans tous les domaines, et c’est normal. Même l’assurance de Navo peut varier et flancher parfois. 

Navo : Si là tu me dis : "Bon allez, on soulève 300 kilos", ben j'ai pas confiance en moi. Je ne suis pas confiant en me disant : “Oui je peux les soulever, c'est sûr”. Je pense aussi que tu te mets dans des domaines où t'as, où potentiellement tu peux réussir quoi. 

Adélie : Comme le dit Navo sur les poids, la confiance en soi, c’est aussi une question de moment, de situation. 

François Vialatte : Les gens qui ont, dont on dit qu'ils ont confiance en soi, sont des gens qui ont confiance en eux dans beaucoup de contextes. C'est quelque chose qui est multifactoriel, qui est contextuel, qui dépend du contexte dans lequel je me situe.

Adélie : Peut-être que vous avez plus confiance en vous quand vous portez une certaine tenue, ou quand vous avez dormi plus de 8h la nuit précédente. Identifier tout ça, c’est aussi vous aider à vous mettre dans une configuration où vous vous sentirez plus en confiance par rapport à vous même. Ça ne fait pas tout bien sûr, mais ça peut vous aider. Vous pouvez aussi identifier les compétences, les sujets où vous savez que vous êtes doué.es. Par exemple, vous êtes peut-être fort.e.s en débat, ou en poterie, ou en foot, ou en enluminures du 13e siècle. François Vialatte, le chercheur en sciences cognitives a bien insisté là-dessus : c’est important de penser la confiance en soi comme la combinaison de plusieurs éléments. 

Une grande partie de notre confiance en nous peut aussi être influencée par nos interactions avec les autres. Ce que m’explique Jérôme Sackur, le chercheur en psychologie cognitive de l’EHESS, c’est que si les animaux ont dans une certaine mesure une confiance et une connaissance en leurs propres capacités –c’était l’exemple du chat qui saute pas au dessus d’un précipice dont on a parlé au début– ; les humains eux se posent la question de leur confiance en eux parce qu’ils l’expriment dans un contexte social, dans leurs interactions avec les autres. 

 Jérôme Sackur : Néanmoins ce qui est différent, c'est la question de l'expression. Lorsque le chat fait cette estimation de savoir s'il a les compétences nécessaires pour faire ce saut, il n'a pas besoin de l'exprimer, c'est à dire que c'est quelque chose qui reste en un sens au niveau même de l'action. C'est quelque chose qui reste localisé dans une action donnée de savoir s'il va y arriver ou pas. Nous, ce qui nous caractérise, c'est qu’on peut extérioriser notre appréciation de nos propres compétences,et cette forme généralisable, elle, si on l'exprime, elle est toujours pour quelqu'un d'autre, elle n'a pas de place dans le contrôle de l'action de nos décisions localement... C'est-à-dire que l'expression, elle est toujours sociale. Donc la confiance en soi quand on pense à quelque chose comme une confiance en soi abstraite générale et qui serait indépendante, détachée de telle ou telle action particulière, elle est forcément quelque chose qui est adressé à autrui. 

Adélie : On exprime notre confiance en nous verbalement, mais aussi par notre attitude qui est aussi une forme de langage. 

Jérôme Sackur : Est-ce qu’ils sont dissociés ? Ou est ce que ce n'est pas finalement, la même chose qui s'exprime différemment ? Je ne sais pas si on peut vraiment arriver à faire la différence. 

Adélie : C’est dans ces interactions sociales que notre confiance en nous peut-être renforcée ou au contraire amenuisée. C’est une théorie développée par la chercheuse en psychologie sociale Jan Stets, de l’université de Riverside en Californie. 
Ce qu’a démontré Jan Stets, c’est que les autres ont un rôle clé à jouer dans notre confiance en nous. C’est un travail si important en psychologie, qu’elle a même remporté un prix pour son  article sur l’interaction entre identité et estime de soi, coécrit avec le chercheur Peter Burke.

Ce que Jan Stets a développé, c’est la théorie de la “vérification identitaire”. 

La vérification identitaire, c’est l’idée selon laquelle nous sommes constamment en train de négocier l’image que nous avons de nous même avec celle que les autres nous renvoient. Si les gens autour de vous confirment, par leurs mots et leurs gestes, ce que vous pensez de vous-mêmes, les croyances que vous avez à votre propre sujet, votre estime de vous-même sera renforcée. Si au contraire, ils opposent une vision de vous qui ne correspond pas à celle que vous avez de vous-même, cela va créer une dichotomie. Vous essaierez alors de la combler : en essayant par exemple de contre-argumenter pour convaincre l’autre qu’il a tort, ou de trouver un consensus. Ce décalage entre votre vision et celle des autres, comme le processus de négociation, tout cela peut contribuer à amoindrir votre estime de vous et votre confiance en vous. 

Jan Stets : Mettons que vous êtes dans un bar avec un ou une amie. Vous commencez à lui raconter les problèmes que vous avez avec l’un de vos collègues, vous êtes en plein milieu de la conversation et votre ami vous dit d’un coup : “Tu sais, toi t’es pas très à l’écoute, tu fais jamais vraiment attention quand je te parle de mes problèmes. Moi je t’écoute tout le temps, mais toi t’es jamais présent.” Et vous, vous lui répondez : “Attends une seconde, mais si je t’écoute. Enfin je crois, quand t’as des soucis je suis là pour toi.” L’idée là, c’est que votre ami remet en cause votre capacité d’écoute, ce qui pour vous, est l’une de vos caractéristiques. Ce moment, où l’autre dit : “Non, ce n’est pas ce que tu es” et où vous, vous dites : “Mais si, c’est une de mes caractéristiques”, c’est un moment où votre identité n’est pas vérifiée, et donc c’est un problème . Alors qu’est-ce qu’on fait ? On essaye de négocier. Vous allez dire par exemple : “Ok, peut-être qu’il y a des moments où je ne suis pas assez à l’écoute ? est-ce qu’il y a d’autres moments où je le suis ? Ou est-ce qu’effectivement je ne suis jamais à l’écoute ? Et s’il s’avère que c’est vrai, que je ne suis pas assez à l’écoute, à l’avenir qu’est-ce que je peux faire pour te convaincre que c’est le cas ? Quels types de comportement je pourrais avoir que je n’ai pas à l’heure actuelle ? 

Adélie : Une négociation de ce type, ça provoque plusieurs choses en vous. Des pensées et des comportements. Les pensées c’est l’impact cognitif ; vous changez ce que vous pensez de vous-même et acceptez l’avis de l’autre comme vérité, ou alors vous décidez que l’avis de la personne en face n’est pas pertinent, ou enfin vous trouvez un consensus. Ça peut aussi avoir un impact comportemental ; vous modifiez votre comportement pour être la personne que vous souhaitez être dans le monde, être authentique à vos valeurs, et faire en sorte que les autres le comprennent ainsi. 
Ce que m’explique Jan Stets, c’est que les personnes qui ont une haute estime d’elles-mêmes, comme Navo par exemple, sont moins sensibles à l’image que leurs renvoient les autres sur eux-mêmes. Ça ne veut pas dire qu’elles n’écoutent pas les critiques, mais elles ont plus de mou pour les entendre, décider si elle est pertinente ou non, si elle les intéresse ou non. Sans qu’elle remette intrinsèquement en cause leur valeur ni ce qu’elles pensent d’elles-mêmes. C’est la souplesse du roseau encore une fois. 

Navo : Je pense que le point de départ c'est de se dire que potentiellement l'autre peut avoir complètement tort de ne pas trouver ça super ce que tu fais et que en soi c'est pas grave. 

Adélie : Si vous n’en êtes pas encore au niveau de confiance de Navo, c’est d’autant plus important d’être entouré de gens bienveillants. Jan Stets insiste sur le fait que dans la mesure du possible, il faut faire attention à s’entourer de gens qui nous veulent du bien. Pas forcément de gens qui nous disent ce qu’on veut toujours entendre, mais des gens qui, s’ils nous font un reproche ou nous remettent cause, le font pour notre bien et avec notre bien-être en tête. Pas de manière humiliante ou dégradante. 

Jan Stets : Nous ne sommes pas une île. On interagit avec les autres et ils nous influencent. Donc c’est vraiment important de s’entourer de gens qui nous soutiennent. Des gens qui nous aiment pour ce que nous sommes et pas pour ce que d’autres voudraient que nous soyons. 

Adélie : Des gens qui nous laissent être nous-même. 

Musique 

Adélie : Finalement, avoir confiance en soi, c’est peut-être moins un état général flou, qu’une série d’outils ou de compétences qu’on peut apprendre –soit dans l’enfance si on a de la chance, soit plus tard avec un travail sur soi. On peut apprendre à mieux se connaître, à réguler ses émotions, à vivre mieux les échecs, à être plus optimistes, à modifier ses filtres de pensées. C’est peut-être difficile, mais c’est possible. La confiance en soi n’est pas seulement un cadeau des fées qui se seraient penchées sur votre berceau. Jérôme Sackur, le chercheur de l’EHESS,  s’interroge sur notre besoin de partir en quête de confiance en nous. Selon lui, la multitude de livres de développement personnel, d’articles en tous genres et de podcasts qui cherchent à nous donner les clés de la confiance sont à remettre dans le contexte historique et culturel de notre époque. 

Si on donne beaucoup –voir peut-être trop ?– d’importance à la confiance en soi, c’est parce que c’est le fruit d’une société particulière. Ce n’est pas un absolu. 

Jérôme Sackur : La valorisation de l'autonomie depuis le siècle des Lumières et de la responsabilité, et ce mouvement général vers l'individualisme, forcément, fait que chacun est conduit à se poser des questions par rapport à l'adéquation qu'il peut avoir par rapport à cet idéal d'autonomie qui est imposé par la société. Donc si on a si on se pose des questions par rapport à cet idéal d'autonomie, en un sens ça crée naturellement un doute sur nos capacités à répondre à cet idéal et donc ça met en question notre confiance en nous.

Adélie : Il me semble important de garder ces nuances en tête dans les moments de doutes : avoir confiance en soi, ce n’est pas un absolu, ce n’est pas quelque chose qu’on doit éprouver tout le temps ni dans toutes les situations. L’important c’est de se focaliser sur ses projets, sans se comparer aux autres, et sur soi avec douceur et bienveillance.

François Vialatte : La confiance en soi c'est plus du registre de la joie. 

Adélie : De la joie d'être soi du coup ? 

François Vialatte : Voilà c'est la joie d'être soi, c'est ça. En simple. 


GÉNÉRIQUE DE FIN 

Vous venez de lire Émotions, un podcast de Louie Media. Suivez-nous sur Instagram et Twitter @emotionspodcast (émotions, avec un s). Vous y trouverez des lectures intéressantes, sur la compersion ou sur les émotions en général. 

Cette émission a été réalisée avec l’aide d’Amel Almia. Gabrielle Ramain a assuré la direction de tournage et Charlotte Pudlowski était à la rédaction en chef. La création sonore a été réalisée par Claire Cahu et Nicolas Ver. L’enregistrement et le mixage sont de Jean-Baptiste Aubonnet, assisté de Grégoire Corbran. Merci à tous nos interlocuteurs de nous avoir accordé de leur temps. 

Vous pouvez écouter Émotions sur toutes les applications de podcast comme iTunes ou Google Podcast, ainsi que sur YouTube, Spotify et Soundcloud. 

Si vous avez une histoire forte en lien avec une émotion, n’hésitez pas à nous écrire à hello@louiemedia.com ou sur Twitter @apjzpty.

A bientôt !