Retranscription - Le syndrome de l'imposteur : pourquoi nous hante-t-il ?

Cyrielle Bedu : quand on m’a suggéré de présenter la nouvelle saison d'Émotions, que vous écoutez actuellement, j’étais contente, j’étais flattée. 

Mais très vite, je dois vous avouer que plusieurs pensées pas très agréables se sont mises à trotter dans ma tête. Une en particulier a pris plus de place que les autres. Cette pensée me criait haut et fort : “Refuse, tu ne seras jamais capable de le faire…”.

Musique

J’ai objectivement l’expérience et toutes les capacités pour faire ce podcast. Mais je ne pouvais pas m'empêcher de douter et de me demander : “Est-ce que le monde entier ne va pas réaliser que je ne suis pas assez douée pour faire ça ?”

Suite musique 

Après réflexions, vous pouvez le constater, j’ai accepté le challenge. Et comme premier épisode, pour cette nouvelle saison, je me suis dit : “Quoi de plus approprié que de décortiquer le syndrome de l’imposteur ?”

Vous en avez sans doute entendu parler du syndrome de l’imposteur, ce sentiment qui empêche ceux qui en sont atteints de donner le meilleur d’eux-mêmes, dans leur vie personnelle ou dans leur vie professionnelle, parce qu’ils ne se sentent tout simplement pas assez légitimes, pas assez à la hauteur, pas capable d’y arriver… 


Quand j’ai commencé à faire mes recherches sur le sujet, et que j’en ai parlé autour de moi, toutes les personnes de mon entourage m’ont dit avoir déjà été atteintes du syndrome de l’imposteur, à plusieurs reprises dans leur vie. Et ce n’est pas étonnant ; car selon Pauline Rose Clance, une des psychologues à l’origine de l’identification du phénomène dans les années 70, 60 à 70% de la population mondiale peut être amenée à ressentir au moins une fois dans sa vie, les effets du syndrome de l’imposteur.

Mais pourquoi sommes-nous si nombreux à nous dire atteint du syndrome de l’imposteur ? Comment naît-il, et est-ce que c’est si grave de l’avoir ?

Je m’appelle Cyrielle Bedu, bienvenue dans Émotions.

GÉNÉRIQUE 

Quand j’ai commencé à réfléchir à des manifestations du syndrome de l’imposteur, j’ai pensé au témoignage d’une femme, que j’avais entendu dans le documentaire Ouvrir la voix de la réalisatrice Amandine Gay. 

Dans ce film, des femmes françaises et belges racontent face caméra ce que c’est que d’être une femme noire dans leurs pays, ce que l’on ressent quand on subit des micro-agressions racistes et misogynes quasi-quotidiennement. 

Parmi ces nombreux témoignages, un m’a particulièrement marqué : celui de Nassria, une ingénieure d’une vingtaine d’années. Elle parlait de la difficulté de se faire une place dans un milieu professionnel, dans lequel elle ne se sent absolument pas légitime.

Nassria : j'ai toujours eu ce truc de : “Mais ils ne se rendent pas compte que je ne serais pas assez bonne”, et même si j'y arrive, ça ne me quitte pas.  

Cyrielle : Nassria a 28 ans, et ce sentiment d'illégitimité semble s’être manifesté toute sa vie.

Nassria : j'ai grandi dans un milieu populaire. J'étais dans une des seules cités d'une ville cossue du 92, donc moi j’ai grandi dans le 92 sud. J'étais une très bonne élève, j’étais toujours été la première de ma classe, que ce soit en primaire, au collège, j’ai eu une distinction par le 92 pour mes écrits quand j’étais en 3ème.. enfin bon j’ai toujours été une très bonne élève.

Cyrielle : quand Nassria arrive au lycée, au vu de ses bons résultats, ses profs lui conseillent en première de s’orienter vers une filière scientifique. Ce qu’elle fait. Elle prépare donc un Bac S, et quelques temps avant l’examen, lors de la phase d’orientation déterminante qui lui permettra de choisir ce qu’elle fera après le bac, elle annonce qu’elle souhaite aller à la fac. Ce qui étonne beaucoup son professeur principal de l’époque.

Nassria : et il me dit : “Mais Nassria t’es une très bonne élève, ne fais pas ça”. Je lui dis : “Mais pourquoi, la fac c'est.. c'est la suite !”. Il me dit : “Non tu sais, il existe des choses qui s'appellent des prépas, qui te permettent de rentrer dans des écoles d'ingénieurs etc”. Et je lui dis : “Oui, mais ça ce n'est pas pour les gens comme moi”, et il me dit : “Mais c'est quoi les gens comme toi ?”. “Bah, je ne sais pas. Les gens comme moi. Les gens chez moi sont tous allés à la fac, donc moi je veux aller à la fac”. Et il me dit : “Mais tu ne te rends pas compte, tu pourrais faire plein de choses etc”. Et je lui dit : “Mais oui oui, je sais que je pourrais faire plein de choses, mais je les ferai à la fac”.

Musique 

Donc le bac arrive. Je passe mon bac, je l’ai avec mention. Bac scientifique avec mention. Tout le monde est très content, mes parents sont très fiers de moi, tout va bien. J'arrive à la fac, je suis allée à la fac de Jussieu, donc Paris 6 à l'époque. C’est une fac qui était assez réputée et qui est toujours très réputée aujourd'hui en France pour son expertise dans le domaine des sciences et pour le fait de former des chercheurs de renom.

Donc c'était un cycle très simple. Tout s'est bien passé. Ma deuxième année, j'ai eu d'excellentes notes en ne fournissant pas énormément d'efforts, si bien que j'ai fini dans les cinq premiers de la promotion. On était une promotion de 1000 élèves à peu près. Moi j'ai terminé dans les cinq premiers, donc j’étais dans mon environnement.

Et un jour, je reçois un mail du doyen qui me convoque dans son bureau pour un entretien. 

Je me disais : “C'est un peu bizarre, j'ai de bonnes notes.. il n’y a pas de raison qu’il s'entretienne avec moi, j’ai pas brûlé la fac euh.. je ne comprends pas”. Et je demande à mes camarades autour de moi : “Vous avez reçu un mail d'entretien ?”, et ils me disent que non. Je commence à avoir peur. Je me dis que ça y’est ma vie elle est foutue, on va me virer de la fac. 

Le doyen m’appelle et j’y vais, je vais à la convocation, donc pas très bien, pas très à l’aise. Et le doyen est très direct, tout de suite il me demande ce que je veux faire. Je lui dis que je n'en ai aucune idée. Et il me répond très directement : “Normalement ce n'est pas mon rôle de te dire ça Nassria, mais je pense que tu n'es pas à ta place ici”. Donc je ne le prends pas très bien et puis il me dit : “Tu sais, tu devrais faire une grande école d'ingénieur”, et je lui demande pourquoi.. il me dit : “Tes notes. T’as le profil, le caractère. Tu ne devrais pas être ici, parce qu'ici tu vas sûrement regretter d’être ici”. Je lui dis : “Bah je ne vois pas pourquoi, je suis dans une des meilleures facs de France”. Il me dit : “Oui, mais ça reste la fac et on sait qu'aujourd'hui en France, il y a un système qui s'appelle les grandes écoles qui fournit à la France les Hauts cadres français et je pense que tu as toute ta place là bas”. Et il a énormément parlé de place et ça m'a beaucoup marqué. 

Donc moi je lui ai dit que de toute façon c'est trop tard, que je n'ai pas fait de prépa et que je ne me vois pas me relancer dans une prépa, j’ai 20 ans, je ne me vois pas avec des petits de 18 ans.. Je ne me voyais pas repartir à zéro pour mener une filière que lui nomme “d'excellence" qui ne correspondait peut-être pas, moi, à mon excellence. 

Il me dit : “Bon, Nassria, ce qu'on va faire, moi je connais un certain nombre d'écoles qui prennent sur dossier et qui ont un système d'admission parallèle”. (Je ne connaissais pas du tout.) “Je vais te faire une lettre de recommandation signée de mon nom et tu regardes cette liste et s'il y a une ou plusieurs écoles qui te conviennent, n'hésites pas à postuler, je ne t’en voudrais pas”. Et j’ai dit : “Bon ok, je vais y réfléchir”.

Et du coup j'ai tenté. J'ai tenté, mais j'ai été très très sélective en fait. Aujourd'hui, quand j'y repense, je me rends compte que j'avais mis énormément de critères à la sélection des écoles que je voulais faire. Des critères qui n'avaient pas forcément de fondement. Mais au final j’ai l’impression que je voulais plus me mettre des bâtons dans les roues qu'autre chose. Et au final sur toute la liste qu’il m'a fourni, j'ai postulé qu’à une seule école. Donc c'était l'école la plus proche de Paris, celle où je savais que si ça se passait mal je pouvais rentrer chez moi. Du coup j'en ai choisi une, j'ai constitué le dossier, pareil j'ai pris énormément de temps à le constituer alors que ce n'était pas si compliqué que ça, et je l'ai déposé en temps et en heure, mais de justesse.

J’ai reçu une réponse très vite qui me disait que je pouvais participer aux derniers entretiens de sélection pour entrer directement dans le cycle d'ingénieur donc ne pas passer par la prépa et rentrer directement en troisième année. C’était tout bénef pour moi.

J’ai pas sauté au plafond. J'y suis allée. J'étais assez défaitiste et en plus je n'arrêtais pas de me dire que ça ne marcherait pas, parce que ce n'était pas là où je devais être.

Cyrielle : est-ce que le comportement de Nassria vous parait familier ? 

Cette peur de ne pas être à la hauteur, cette crainte que quelqu’un vous dise que vous n’êtes pas là où vous devez être. Que ce soit en prépa, en école d’ingénieur, dans votre poste actuel, dans une relation amoureuse, ou même dans une relation amicale ? Et bien ces sentiments, sont justement des caractéristiques du syndrome de l’imposteur. Il a trois piliers principaux, que va nous expliquer le docteur en psychologie Kévin Chassangre.

Kévin Chassangre : le syndrome de l'imposteur, comme vous disiez, est basé sur trois piliers : c'est d'abord l'impression de tromper son entourage, de ne pas être à la hauteur, de ne pas mériter sa situation ou sa place actuelle. Ce pilier s'appuie sur le deuxième qui est la mauvaise attribution, c'est à dire expliquer justement sa situation par des facteurs essentiellement externes comme la chance, le hasard ou une erreur, les relations ou encore la facilité de la tâche, et de ce fait le troisième pilier vient directement c'est la peur de pouvoir un jour ou l'autre être démasqué par les autres, qui est une peur irrationnelle dans la mesure où tous les indices objectifs de compétences et d'intelligence sont là, mais la personne reste avec cette peur là.

Cyrielle : lors de ces études, Nassria remplissait exactement ces trois piliers : 

Le premier, c’est donc la peur de tromper son entourage : par exemple, quand elle ne voulait pas aller en classe prépa, pour rester dans une zone de confort qui était pour elle, celle de la fac.

Ensuite, il y a aussi la mauvaise attribution, qui s’est manifestée quand elle attribuait sa réussite à des éléments extérieurs : comme à la fac, où elle disait qu’elle était bonne parce que les cours étaient selon elle très facile. 

Et enfin, il y a la peur d’être démasquée...

Nassria : en fait je me disais que c'était assez simple d'être bonne élève et que dans ces classes prépa où là il y a de la sélection, du concours.. je me disais que ça allait se voir, peut être, que je n'étais pas si bonne que ça.

Cyrielle : la peur que l’on se rende compte qu’elle n’est en réalité pas si bonne que ça, et qu’on la prenne, donc, pour une imposteuse…

Kévin Chassangre : les vrais imposteurs sont ceux qui vont délibérément tromper les autres et effectivement ne pas vraiment être à leur place, ne pas être légitimes. Alors que le syndrome de l'imposteur c'est être persuadé d'être un imposteur, de pouvoir un jour ou l'autre être démasqué et accusé comme tel, alors que tous les indices prouvent le contraire.

Dans le syndrome de l'imposteur, il y a ce double processus d'externaliser d'abord ses réussites et d’internaliser les échecs. Externaliser les réussites ça veut dire surtout les expliquer par des facteurs externes comme je vous disais tout à l'heure : “J'ai réussi grâce à la chance, il y a eu une erreur quelque part, la tâche était trop facile ou les gens me surestiment...”. Alors que à l'opposé, un échec s'attribue à soi : “Si j'ai échoué, c'est de ma faute, c'est parce que je ne suis pas compétent, c’est parce que je suis pas intelligent, c'est parce que je n'ai pas assez de connaissances”.

Cyrielle : en plus de ces trois piliers évoqués par Kévin Chassangre - la peur de tromper son entourage, la mauvaise attribution, la peur d’être démasqué - le syndrôme de l’imposteur comprend aussi plusieurs autres caractéristiques...

Kévin Chassangre : l'une des caractéristiques c'est le fait d'avoir une représentation plutôt fixe et rigide de la notion de performance et d'intelligence. C’est ce qu'on retrouve beaucoup dans le syndrome de l'imposteur, c'est cette idée un peu de tout ou rien : soit je suis compétent, soit je suis un imposteur. On est vraiment sur deux opposés. Et les personnes qui ont ce syndrome ne voient pas l'intelligence ou la performance comme quelque chose qui évolue, d'où le fait que l'on apprenne de ses erreurs ou que l’on puisse toujours s'améliorer. On a aussi le fait d’avoir de fortes anxiétés dues au fait d'avoir peur d'être démasqué. Une anxiété qui peut être générale, ou de l'ordre des évaluations, ou des rencontres avec autrui. On a du coup la peur de l'échec. On a aussi la peur et la culpabilité vis-à-vis de la réussite. Ce sont des personnes qui se sentent coupables de réussir puisqu'elles n'estiment pas le mériter, et elles ont peur aussi de ne pas pouvoir reproduire un succès déjà réalisé, puisqu'elles manquent de confiance en elles, ou elles peuvent avoir peur qu'on puisse leur demander davantage ensuite, que les exigences de l'entourage puissent être plus élevées et donc amener à un risque aussi d'être démasqué. 

Et puis l’on a aussi le dénigrement des compétences, de toujours sous-évaluer, sous-dévaloriser ses connaissances ou son intelligence. Et on a surtout aussi le cycle de l'imposteur, qui est une sorte de cercle vicieux qui se met en place de manière automatique assez pernicieuse, et qui va justement alimenter cette faible confiance en soi, ce sentiment d'imposture et cette faible estime de soi.

Cyrielle : dans le cycle de l'imposteur, on observe une première étape : j’ai une tâche à réaliser et je suis anxieuse à l’idée de la faire. Moi, en gros, quand j’ai commencé à travailler sur cet épisode.

Cette anxiété est en lien avec la peur de l'échec, la peur de l'évaluation, et donc de la critique, ou encore la peur de réussir, à laquelle vient de faire référence Kévin Chassangre.

De cette anxiété vont découler plusieurs stratégies d'auto-sabotage. Elles peuvent être mises en place consciemment ou non.

Ça peut être par exemple, en ce qui me concerne, le fait de passer mon temps à aller au cinéma, au lieu de lire des livres de référence sur le sujet qui nous concerne aujourd’hui. Ou alors de prendre mon billet de train pour aller interviewer le docteur Kévin Chassangre à Toulouse à la dernière minute, en espérant que tous les trains seront complets, et que du coup cet entretien déterminant ne pourra pas se faire, et que le podcast sera donc annulé.  

Ou pour prendre l’exemple de Nassria, ça peut être de choisir d’envoyer sa candidature dans une seule école, alors que le doyen de son université lui en avait proposé une dizaine. 

Il y a de nombreuses façons de s’auto-saboter, qu’on peut regrouper en deux grandes catégories.

Kévin Chassangre : c'est soit la procrastination, donc repousser au lendemain ou au surlendemain ce qu'on est censé faire. Mais comme tout procrastinateur qui se respecte l'échéance arrive du coup là l'idée c'est effectivement de mettre les bouchées doubles pour y arriver. 

Et la deuxième stratégie c'est le travail frénétique. Les personnes vont donc s'y mettre à 100 ou 200 % pour être sûr de réussir. Et comme les personnes qui ont un syndrome de l'imposteur sont des personnes compétentes et intelligentes, elles réussissent, malgré ces deux stratégies. 

L'ennui c'est que, en cas de procrastination, la première pensée qui va venir c’est : “J'ai réussi grâce à la chance”, et si elles ont été dans un travail frénétique ça va plus être : “J'ai réussi, mais parce que j'ai dû fournir beaucoup d'efforts et si j'ai fourni autant d'efforts c’est que je ne suis peut être pas aussi compétent ou intelligent que ça”, et de ce fait, donc, elles ont toujours cette impression de ne pas être à la hauteur et de tromper les autres et ça va se reproduire pour une prochaine tâche à réaliser.

Cyrielle : la procrastination, c’était l’option de Nassria juste avant de se rendre à l’entretien auquel elle a été convoquée pour l’école d’ingénieur. Dans l’unique école qu’elle avait choisie sur la liste du doyen.

Nassria : typiquement je savais qu’il fallait être bien représentée vestimentairement. J'avais fait aucun effort vestimentaire. J'y suis allée avec un jean, un chemisier, plus bas gamme on meurt je pense. Je me rappelle mes bottes, elles étaient dans un état pitoyable. Ma mère était dépassée par mon accoutrement vestimentaire quand j'y suis allée. Et au final j'avais pris un train qui arrivait ric rac à l'heure. J'avais prévu de prendre un bus qui me faisait arriver pile poil à l'heure, j'avais pas pris tant de marge que ça. Sauf que j'ai trop fait confiance à la SNCF je pense ou j'étais peut être un peu contente.. mais il y a eu un incident qui a fait que le train avait une heure de retard. Ça me faisait arriver vraiment ric rac, je savais que j’allais rater la présentation du départ, mais que j’allais être à l’heure pour les entretiens. Arrivée dans la ville de l’école, première fois que j’entends ça, mais la roue du bus a crevé. Il a fallu énormément marcher pour arriver à l’école et du coup je suis arrivée à l’entretien avec une heure et demie de retard. J'arrive au milieu de tous les élèves qui postulaient, ils étaient super bien habillés. Moi je me sentais un peu à l'ouest. Ils présentaient tous bien, la fiche de renseignements avec les questions de motivation etc.., ils les remplissaient, ils tartinaient, tartinaient… Moi je m'étais préparée, mais je n'avais pas forcément tant que ça à écrire. J'avais écrit des trucs super bateau. Et arrive le moment de l'entretien avec le psy, donc le psy arrive : “Vous avez une heure et demie de retard”. Je lui explique : “J'ai eu beaucoup de soucis, le train, le bus etc”, il me dit : “Ah c'est bizarre, c’est la première fois que j'entends ça”, et je lui dit : “C’est la première fois que vous me voyez aussi, j’'enchaîne souvent les trucs comme ça”.

Cyrielle  : Nassria répond donc aux questions du psychologue scolaire, qui est censé évaluer si elle aura suffisamment de force mentale pour les trois années d’études exigeantes de cette école.

Et en sortant, elle a l’impression d’avoir complètement raté l’entretien.

Quelques semaines plus tard, elle reçoit les résultats. 

Nassria : pendant l’été, je reçois le courrier qui m’annonce que je suis acceptée dans l'école. J’étais énormément surprise. Mes parents étaient super fiers de moi, super contents et moi j'ai eu très peur, très très peur 

Cyrielle : Nassria est donc allée dans cette école. Et pendant trois ans, à la veille de chaque examen, elle avait peur d’être démasquée, peur de ne pas être à sa place...

Elle a finalement été diplômée de l’école, et à la sortie, il a fallu entrer sur le marché du travail.

Nassria : au final, je trouve assez vite du travail, je crois que je suis restée au chômage trois semaines. Et je suis tombée sur une responsable formidable que je n'oublierai jamais et qui m'a fait très vite confiance, qui m'a donné de grandes responsabilités tout de suite, une fois en congé maternité, elle était très vite tombée enceinte, elle voulait que je reprenne l'équipe. Mais je ne me sentais pas du tout prête à reprendre l'équipe. Je me suis dit : “Mais tout le monde va se moquer de moi”. 

Dedans il y avait des profils très différents, il y avait des ingénieurs très jeunes, il y avait des ingénieurs très expérimentés qui avaient 20 ans de bouteille. Moi je suis arrivée, j'avais juste mon diplôme et l'expérience que je vivais actuellement. 

Je ne comprenais pas comment elle pouvait avoir l'audace de me faire autant confiance et je me rappelle que, à un moment j'étais tombée sur tous les CV des gens qui avaient postulé pour avoir le poste que j'avais actuellement, et je les ai épluché ces CV, un à un. Et je ne comprenais pas pourquoi ils m’avaient prise moi, parce que c'étaient des CV d'excellence, il y avait des gens qui avaient énormément d'expériences ou d'autres qui avaient fait des super bonnes écoles, qui avaient des références tops, que moi j'avais l’impression de ne pas avoir. Si bien que ça me torturait tellement, que je suis allée lui en parler à ma responsable en disant : “Est ce que je peux te parler, ça va te paraître bizarre mais pourquoi tu m'as prise ?”. Elle me dit : “Pourquoi cette question ?”, et je lui dis : “En fait je suis tombé sur les CV de mes concurrents et ils sont top leur CV, et ils ont l'air d'être des gens très bien.. et pourquoi moi ?” , et elle commence à rigoler en me disant : “Tu veux que je te vire ?”. “Non non, je veux juste comprendre..”, “Y'a pas à comprendre, l'entretien s'est bien passé, j'ai senti que t'avais la niaque et que tu le voulais, donc moi je te fais confiance et je sais que tu vas y arriver”. 

Et ces mots-là m'ont fait énormément de bien parce qu’au final, les projets qu'elle avait pour moi, je les ai concrétisés, je l'ai fait. Et encore aujourd'hui, je ne comprends pas forcément pourquoi elle m'a fait autant confiance et quelle est la connexion qu'elle a observé pendant l'entretien qui fait qu'elle s'est dit que je serais la personne adéquate. Mais elle a eu la confiance que moi je n'ai pas eue et elle l'a eu pour toutes les deux en fait. 

Cyrielle : aujourd’hui Nassria est cheffe de projet dans l’industrie pharmaceutique.

Nassria : je gère des projets d'envergure avec des équipements chers, de pointe, avec une technologie qui est très poussée. Je travaille avec des équipes multidisciplinaires, avec des gens, des chercheurs, des doctorants, des gens qui ont des expériences professionnelles incroyables, qui ont sillonné le monde, et si aujourd'hui je peux être assise à la même table que ces gens là et être au même niveau c’est grâce à la confiance qu’elle m’a fourni et que moi je n'avais pas. Et si je ne m’étais écoutée que moi, je pense qu'aujourd'hui, je n’en serais pas là.

Cette responsable là je pense que je l'ai crue parce qu'il y avait des résultats concrets derrière en fait. Je me rendais compte que dans le travail que je fais, à la fin, il y avait des résultats concrets pour l'entreprise, et que c'était apprécié. Et le fait de me rendre compte que mon travail concrètement était apprécié, que ça allait au-delà d'une note, au delà d'un contrôle, d'un examen, et que ça avait de l'impact sur la vie des gens, et que ça avait de l'impact sur sur une entreprise entière. A 24 ans, il y a très peu de gens qui ont eu cette chance là, et moi j'ai eu cette chance là. Et ce sont des choses comme ça, grandes, qui me dépassaient moi, qui ont fait que je me suis rendue compte que le potentiel que moi je ne voyais pas, d'autres gens le voyaient et que j'avais intérêt à l'utiliser parce que pour les autres ça paraissait de l'or, et même si ça ne le paraissait pas pour moi, bah en fait ça l’était. 

Cyrielle : j’ai trouvé sur internet un test créé par la psychologue Pauline Rose Clance dans les années 80, celle-là même qui a identifié le syndrome. Ce test nous permet de savoir à quel point on est touché ou non par le syndrome de l’imposteur, et il fait référence dans le milieu de la psychologie. C’est un questionnaire à choix multiple, composé de 20 questions. Parmi lesquelles on peut par exemple trouver : “J’ai peur que des gens important pour moi se rende compte que je ne suis pas aussi compétente qu’ils pensent”, ou encore : “Il est difficile pour moi d’accepter des compliments ou des louanges sur mon intelligence et mes accomplissements”.

J’ai fait ce test, et je l’ai aussi fait faire à Nassria. Elle a eu 70, et moi 75. 

Nous sommes donc dans la même fourchette, entre 60 et 80, fourchette qui indique selon ce test, que nous avons toutes les deux fréquemment le syndrome de l’imposteur, mais que ce phénomène n’a pas non plus un impact handicapant dans nos vies.

Quand le score à ce test est entre 0 et 40, le syndrome de l’imposteur est très peu présent, voire quasi-inexistant chez la personne. Au-dessus de 80, en revanche, on considère le phénomène du syndrome de l’imposteur très présent, et pouvant avoir des conséquences sérieuses liées au stress, à l’angoisse voire parfois à la dépression.

Nassria et moi ressentons donc régulièrement le syndrome de l’imposteur, sans que ce soit dramatique.

Mais ce que ce test ne nous indique pas, c’est pourquoi nous l’avons ce syndrome ? Et, d’où il vient ?

Est-ce que le phénomène psychologique de l’imposteur est récent ? Est-ce qu’il est propre à notre génération d’inquiets ?

J’ai essayé d’en savoir plus en interrogeant le Dr Tara Swart, qui est une psychiatre et neuroscientifique anglaise. Elle enseigne dans les prestigieux établissements du King’s College en Angleterre ou du MIT, aux Etats-Unis. 

Très réputée dans son domaine, elle vient d’écrire un livre, La Source, dans lequel elle raconte les expériences de coaching qu’elle a mises en place, pour aider certains de ses clients à faire face au syndrome de l’imposteur. Et selon elle, ce syndrome existe depuis la nuit des temps. Il serait lié à une peur profonde de ne pas être accepté, d’être rejeté par sa communauté.

Dr Tara Swart : il y a très longtemps, avant que l’on ne découvre le feu, avant que nos cerveaux se développent, on vivait dans la savane, à proximité d’autres animaux et on n’était pas beaucoup plus importants qu’eux. On ne sait pas vraiment si l’on a découvert le feu par accident ou si notre cerveau a évolué et nous a ainsi permis d’utiliser des outils pour en faire. Quoi qu’il en soit, on a découvert comment faire et comment contrôler le feu, et c’est ça qui nous a permis de cuire la viande que nous attrapions. 

Et grâce à ça, on a pu digérer les protéines de manière plus efficace. Nos intestins ont rétréci, et notre cortex cérébral a grossi, ce qui nous a permis de parler, parce qu’avant on ne faisait que grogner et nous exprimer par gestes, on n’avait pas la parole. 

C’est cette capacité à parler qui nous a différencié des autres animaux. 

L’autre aspect de notre cortex, qui nous a en quelque sorte permis d’être plus performant, c’était notre capacité à prévoir et planifier le futur. Et une fois qu’on a acquis ces deux capacités, on a pu commencer à vivre en tribu de cent cinquante personnes ou plus. 

A partir du moment où on a eu les moyens de communiquer et la capacité à se projeter dans l’avenir, faire partie d’une tribu c’est devenu un élément clé de notre survie parce qu’on pouvait désormais chasser, manger et dormir ensemble, nous serrer les uns contre les autres dans des grottes quand il faisait froid… 

On a commencé à ressentir les avantages des liens humains et de l’appartenance sociale. Ce sens de l'appartenance est le facteur de survie le plus important pour nous, plus important que le sommeil ou l’exercice physique. 

C’est pour ça que le syndrome de l’imposteur est si dangereux. Parce que si vous n’appartenez pas à un groupe, si quelqu’un se rend compte que vous ne faites pas vraiment partie de la tribu, vous risquez de vous faire exclure. Vous devrez donc trouver votre nourriture tout seul. Vivre et dormir tout seul. Ce qui vous rendra beaucoup plus vulnérable pour les prédateurs. 

Même si ça relève de l’histoire ancienne, que nos modes de vie ont énormément changés depuis, et que nous sommes moins menacés physiquement par des prédateurs, il s’agit de notre sentiment de sécurité dans la société, par exemple, au travail ou dans nos relations. 

Le syndrome de l’imposteur est devenu profondément lié dans nos sociétés à ce qu’on appelle “social safety”, c'est pour cette raison qu’il s’agit d’une peur primaire pour nous. 

Je sais que je peux trouver de la nourriture, mais si quelqu’un avec qui je travaille, ou un membre de ma famille, décide que je ne suis pas qui je prétends être, ça peut être une véritable menace pour ma sécurité psychologique. 

Cyrielle : si le syndrome de l’imposteur existe donc depuis que l'on vit en collectivité, pendant longtemps, les chercheurs n’ont pas cru qu’il concernait tout le monde.

En 1978, avec sa collègue et amie Suzanne Imes, Pauline Rose Clance publie un article retentissant. Dedans, elle identifie et définit pour la première fois ce qu’est le syndrome de l’imposteur. Les deux chercheuses l’appellent alors, le phénomène de l’imposteur.

A cette époque, Suzanne Imes et Pauline Rose Clance sont toutes deux professeurs en psychologie, dans des universités de l’Ohio, aux Etats-Unis. Le Docteur Imes enseigne dans une petite faculté, à des groupes d’étudiants en difficulté, qui ont raté leur première année. Le Dr Rose Clance travaille elle dans la prestigieuse université d’Oberlin, dans laquelle elle propose aux étudiantes un suivi psychologique.

L’université d’Oberlin est connue pour avoir été la première institution d’enseignement supérieur américaine à admettre des femmes en son sein. Pendant qu’elle y enseigne, le Dr Rose Clance compte alors un grand nombre d’étudiantes parmi les élèves qu’elle reçoit. Le Dr Imes, qui enseigne à des élèves en difficulté dans l’autre faculté, côtoie elle des groupes essentiellement constitués de garçons. Nous l’avons contacté et elle nous a raconté le contexte dans lequel elles ont toutes les deux identifié le syndrome de l’imposteur. 

Dr Imes : Pauline et moi avons remarqué une grande différence entre nos étudiants. Les étudiants d’Orberlin avaient un excellent niveau, alors que mes étudiants avaient échoué à l'université. On a remarqué une grande différence entre eux donc, et ensuite on a commencé à discuter de nos propres sentiments, du fait qu’on ne se sentait pas assez intelligentes, qu’on avait pas assez de capacités.. On était de très bonnes amies. On se disait : “J’ai l’impression de ne pas être assez bonne pour faire ci, je ne suis pas assez intelligente pour faire ça…”, et tout d’un coup, on a levé le voile sur ces sentiments et on a commencé à en parler avec ses étudiantes et avec d’autres professeurs de l’université. 

Ce qui était vraiment drôle, c’est qu’on avait organisé une soirée pour mes étudiants qui avaient échoué à l’université, et juste après on a organisé une soirée pour les étudiantes de Pauline qui ont un excellent niveau scolaire. Mes étudiants ont passé une soirée merveilleuse, ils ont dansé, joué.. on a vraiment passé un moment formidable. Ensuite, on a organisé celle pour ses étudiantes. Et pendant la soirée, elles sont venues nous voir et nous ont dit : “On s’attendait à ce que vous nous appreniez quelque chose ce soir”. Pendant les cours, on leur enseignait la communication, le leadership etc. Et elles voulaient encore qu’on leur apprenne des choses pendant la soirée. Elles ne pouvaient tout simplement pas se résoudre à passer une bonne soirée et à s’amuser. Ensuite, Pauline a parlé à de nombreuses autres profs femmes et a discuté avec ses étudiantes, et c’est comme ça que tout a commencé.   

Cyrielle : en discutant avec les étudiantes d’Oberlin, les deux psychologues constatent le même phénomène : toutes les femmes qu’elles interrogent, malgré les parcours brillants et les résultats excellents qui leur ont permis d’intégrer cette université prestigieuse, n’ont pas le sentiment de mériter leur place, ont constamment peur d’être “démasquées” comme n’étant pas assez à la hauteur, et craignent d’être expulsées de l’école.

Dans le cadre de ces recherches, Pauline Rose Clance et Suzanne Imes ont aussi interrogé des femmes en dehors de l’université d’Oberlin. Des femmes actives de tous âges, mais aussi des patientes en thérapie…

Dr Imes : je pense que c’est juste qu’il y avait plus de femmes qui faisaient des thérapies. On a donc discuté avec plus de femmes. Et tout ça s’est également passé à une période au cours de laquelle il y avait une vraie montée du féminisme. On était très sensible aux problèmes qui touchaient les femmes et on a donc supposé qu’elles seraient plus touchées par le phénomène de l’imposteur que les hommes. Au début des années 70, on mettait beaucoup l’accent sur l’accès des femmes au monde de l’entreprise. On a donc prêté plus d’attention à leur accomplissement à cette période. 

Cyrielle : pendant longtemps, après ces premiers travaux, beaucoup ont cru que les femmes, comme toutes les minorités sociales, étaient celles qui ressentaient le plus le phénomène. Mais en travaillant en tant que psychiatre et neuroscientifique, le Dr Tara Swart s’est rendue compte que le syndrome de l’imposteur pouvait toucher une catégorie de population à laquelle elle ne s’attendait pas du tout : les personnes riches et privilégiées, qu’elle coache désormais dans le cadre de son travail.

Tara Swart est en effet très souvent sollicitée par de grandes fortunes mondiales, en quête d’experts en neuroscience, pour les aider à booster leurs performances cérébrales.

Dr Tara Swart : la première fois que quelqu’un m’a parlé du syndrome de l’imposteur, c’était un investisseur milliardaire. Il m’a dit : “Vous savez, un jour quelqu’un va rentrer dans mon bureau et me dire ‘qu’est-ce que tu fous ici ? Dégage. Tu n’aurais jamais dû être ici !”. On a tendance à penser que ces personnes qui réussissent viennent toutes de familles privilégiées, mais dans mon travail ce n’est pas ce que j’ai observé. Que ce soit à l’école, à l’université ou dans leur travail, mes clients n’ont cessé de penser : “Je ne veux pas être pauvre, comme quand j’étais jeune”. Et pour eux, l’éducation et le travail sont le seul moyen de s’en sortir. Quand on ne vient pas d’un milieu riche et privilégié, on peut parfois avoir l’impression de ne pas être à sa place, ce qui peut contribuer à l’apparition du syndrome de l’imposteur. Mais je pense que même les gens qui viennent de familles privilégiées veulent souvent réussir autant, voire davantage que leurs parents. On se compare toujours à d’autres, ça fait partie de la nature humaine. 

Cyrielle : ce que dit Tara Swart m’a étonné. Et puis, j’ai compris. 

En fait, ce à quoi je n’avais pas pensé, c’est qu'à partir du moment où le syndrome de l’imposteur est suscité par le sentiment de sa propre différence dans un environnement donné, n’importe qui peut l'éprouver. Tout dépend des critères. Par exemple, si vous êtes un homme blanc, dans une réunion du CAC 40 avec au hasard que des mecs blancs, de l’extérieur, on peut se dire que vous êtes comme les autres. Mais si vous êtes le seul à ne pas avoir été diplômé de l’ENA, peut-être que vous pourrez vous dire : “ Je suis un imposteur, je ne suis pas légitime dans cette réunion”.

Donc je comprends pourquoi ce syndrome peut toucher tout le monde. Reste que globalement, quand vous êtes comme Nassria, une femme, noire, transfuge de classe, et aujourd’hui cheffe de projet dans l’industrie pharmaceutique, la probabilité de que vous vous sentiez toujours différente des autres, est beaucoup plus importante.

Kévin Chassangre : dans tout contexte où on a l'impression d'être le premier ou le seul que ce soit comme vous disiez tout à l'heure ou même au niveau de la famille, le premier membre d'une famille qui va être diplômé qui va avoir un poste à responsabilités, il peut y avoir aussi ce sentiment d'imposture.

Ce qui a de spécifique au niveau des minorités pour le syndrome de l'imposteur, c'est je pense une plus grande difficulté à trouver sa place et à assurer ou à asseoir sa légitimité, compte tenu justement des stéréotypes sociaux. C'est un double combat, à la fois s'autoriser du coup à se considérer légitime et se battre et lutter contre les stéréotypes qui peuvent être ancrés, tant vis-à-vis de l'entourage que vis-à-vis de la personne elle-même d'ailleurs, ce qui fait qu'effectivement on peut retrouver ce syndrome de l'imposteur chez cette population. Et ils vont pouvoir expliquer le fait qu'ils sont arrivés dans cette position dans cette situation par différents facteurs notamment qui peuvent être en lien avec les stéréotypes : “Je suis là parce que je suis telle personne, donc on m'a pris moi mais pourquoi moi. Après tout est ce que je mérite vraiment ma place ce qui aurait pas eu quelqu'un d'autre de plus compétent ou plus à la hauteur que moi”. Et donc, ça va alimenter ces sentiments et de ce fait, on a soit effectivement travaillé plus et encore plus que n'importe qui pour prouver sa légitimité, ou des fois malheureusement le fait de se mettre en échec.

Cyrielle : mais en dehors de ce que la société nous renvoie avec ses critères collectifs de représentation, et ce qui va induire que vous vous sentez différent ou non, ce qui construit aussi cette échelle de valeur, ce sont les critères mis en place dès l’enfance.

Kévin Chassangre : les études ont montré qu'il y avait quatre environnements, quatre types d'environnement familial qui pouvaient effectivement amener un syndrome de l'imposteur. Le premier c'est on va dire une survalorisation ou une idéalisation de l'enfant, où l'enfant va justement intégrer l'idée qu'il est parfait et qu'il n'a pas le droit à l'erreur, et du moment où comme tout le monde va échouer ou faire une erreur, il va se dire automatiquement que puisque tout le monde pensait qu'il était parfait et puisqu’il ne l’est pas, il est un imposteur. Ça, c'est le premier environnement. 

Le deuxième, c'est l'opposé c'est une absence totale de renforcement ou de valorisation. Ce qui fait que l'enfant n'arrive pas à intégrer un sentiment de confiance d'estime ou d'efficacité, et il n'a donc pas conscience effectivement de ses connaissances ou de son intelligence.

Et un autre environnement c'est celui de la comparaison. Des enfants qui vont être comparés à beaucoup, que ce soit dans la fratrie ou par rapport à un autre environnement. Et c'est le fait qu'il y a un décalage aussi dans cette comparaison. Par exemple, un enfant qui va être valorisé, on va dire à l'école par exemple, et qui ne va pas recevoir cette valorisation à la maison, il peut y avoir un décalage et l'enfant ne sait pas trop du coup sur quel retour se positionner. Après, généralement il va se concentrer sur les retours des modèles qui lui sont importants, généralement les parents. 

Et le dernier environnement qui va plus être en lien avec le profil de l'enfant en tant que tel sont les profils atypiques, ou potentiels intellectuels, ou surdoués, où les compétences sont plutôt différentes et non reconnues et donc ne vont pas être forcément valorisées. Et l’enfant ne va pas non plus intégrer un sentiment de confiance. 

Ces sentiments qui sont là dès l'enfance peuvent prendre différents chemins. En fait c'est là aussi en fonction du contexte de vie. Soit ils vont rester et pouvoir s'intensifier en fonction des périodes si la personne effectivement n'arrive pas à remettre en cause ses sentiments, soit en fonction des contextes elle va être amenée à relativiser ses sentiments, c'est tout à fait possible, par elle même, on peut très bien s'en sortir d'ailleurs en relativisant son syndrome par soi même, et parfois il va rester tel quel avec des fluctuations en fonction des périodes.

Cyrielle : car, dans bien des cas, comme dans le mien ou comme dans celui de Nassria, on peut ne pas se laisser submerger par ce syndrome, par le stress ou la peur qu’il fait naître, et on peut éviter de passer à côté d’opportunités professionnelles ou relationnelles.

Le Dr Tara Swart a elle des solutions très pratiques pour se défaire de son syndrome de l’imposteur, à commencer par essayer de comprendre ce qui se passe dans le cerveau quand on le ressent.

Dr Tara Swart : en somme, le cerveau fait face à un stress chronique, on n'éprouve un stress constant à l’idée d’être démasqué, à l’idée que quelqu’un s'aperçoive qu’on est pas là où on devrait être, et on a peur de ne pas être reconnu à sa juste valeur, de ne pas se sentir en sécurité à son travail ou dans ses relations. C’est un niveau de stress assez bas, mais omniprésent et qui n’a pas à être là. S’il n’y était pas, on serait beaucoup plus confiant et ça nous permettrait de prendre des risques qui pourraient ensuite nous conduire à une promotion par exemple ou à de meilleures relations. L’idée n’est pas de prendre des risques dangereux, mais d’être capable de prendre la bonne dose de risques. Et le fait de se sentir confiant est absolument fondamental pour ça. Ce que vous pouvez donc faire, c’est tout mettre en œuvre pour augmenter vos compétences et réduire votre stress. 

Personnellement, la chose qui m’a vraiment permise de diminuer mon syndrome de l’imposteur, c’est de faire une liste de tout ce que j’accomplis parce que parfois je me dis sans cesse : “J’ai tellement envie d’écrire ce livre, d’avoir cette promotion, de travailler dans ce pays etc..”, que j’en oublie de me dire : “Mais oui, tu as fait ça ! Tu es allée en Australie et tu y as travaillé. Tu as écrit un livre et tu as participé à ce podcast”. On a juste tendance à se dire : “Ok, c’est bon, je l’ai fait. Maintenant je passe à autre chose”. Et je pense que ça nourrit notre sentiment d’insécurité, notre sentiment de ne pas être assez bon, de ne pas être à notre place. L’idée c’est vraiment de prendre du recul, de prendre conscience de ce que nous avons déjà fait et ensuite seulement de passer à autre chose. 

Pour être honnête, le plus grand danger avec le syndrome de l’imposteur, c’est d’être malheureux. Je coache beaucoup de gens qui ont énormément de succès et qui sont extrêmement riches, mais ils sont malheureux. Donc je pense qu’il faut être très présent, prendre du recul et se demander : “Dans quelles situations est-ce que je ressens le syndrome de l’imposteur ?”. Essayer de comprendre d’où ça vient. Si vous ne pouvez pas faire une thérapie pour comprendre, ce que vous pouvez faire, c’est de faire des choses qui vous aident à ne pas vous sentir comme un imposteur. Et ça commence par des choses régulières, très simples, comme écrire des listes de toutes les choses dont vous êtes reconnaissants, que vous avez accompli. Dans mon journal par exemple, je note les compliments que l’on me fait. Je les écris pour pouvoir les relire quand je ressens un peu de syndrome de l’imposteur. Je les relis parfois, ça m’aide aussi à me rappeler ce que les autres pensent de moi. Tenir un journal peut être une très bonne chose aussi pour garder une trace et comprendre comment le syndrome de l’imposteur s’est logé en nous. 

Kévin Chassangre : et comment faire pour se défaire de ce syndrome ? Déjà en parler, c'est très important puisque c'est d’une part se rendre compte qu'il y a d'autres personnes qui se sentent concernés et c'est lever le secret. Le syndrome de l'imposteur, il est vécu généralement de manière complètement secrète et clandestine. Et comme je disais ça va auto-alimenter ces sentiments. Donc en parler déjà, c'est s'autoriser à lever le masque et à lever le secret. 

Ensuite c'est le considérer comme il est, c'est-à-dire un ressenti. Ce n'est pas un fait.

Et comme vous le disiez, les véritables imposteurs ne se posent pas vraiment la question de leur légitimité, alors qu'en parallèle, rares sont les personnes qui sont vraiment compétentes ou intelligentes et qui ne vont pas justement douter. Donc c'est quelque chose qui est tout à fait légitime, tout à fait normal. 

Et ensuite pour surmonter son syndrome, l'idée c'est de bien se connaître pour soi puisqu’on est sur des manifestations très hétérogènes, il y a autant de syndrome de l'imposteur que d'individus qui l'expriment. L'idée c'est vraiment de savoir chez soi, pour soi, comment il s'exprime, quels sont les symptômes, pour ensuite utiliser les outils qui vont être perçus comme les plus adaptés pour soi et à sa problématique.

Cyrielle : poser les choses à plat, lister factuellement ses accomplissements et être objectif quant à ses réussites… Ce sont des solutions possibles et c’est justement ce qu’a fait Nassria, quand elle a commencé à réaliser l’impact concret que son travail avait sur son entreprise et sur le monde qui l’entoure.

Nassria : je me rendais compte que dans le travail que je fais, à la fin il y avait des résultats concrets pour l'entreprise et que c'était apprécié, et le fait de me rendre compte que mon travail concrètement était apprécié que ça allait au delà d'une note au delà d'un contrôle, d'un examen et que ça avait de l'impact sur la vie des gens et que ça avait de l'impact sur sur une entreprise entière dans mon domaine ont fait que je me suis rendue compte que le potentiel que moi je ne voyais pas, d'autres gens le voyaient et que j'avais intérêt à l'utiliser parce que pour les autres ça paraissait de l'or et même si ça ne le paraissait pas pour moi, bah en fait ça l’était. 

Cyrielle : Nassria a donc réalisé que le syndrome de l’imposteur n’était pas quelque chose de figé, mais qu’il pouvait être passager, voire très peu présent dans sa vie, quand elle se mettait à prendre en compte l’impact concret de ses accomplissements. 

L’aspect mouvant du syndrome de l’imposteur est une chose que les docteurs Imes et Rose Clance avaient déjà constaté dans les années 70. C’est pour ça qu’elles ont d’abord parlé de phénomène de l’imposteur, et non de syndrome. Ce sont les médias qui ont adopté ce terme, à la suite de la publication de leur travail. Mais les deux psychologues le réfutent complètement.

Le mot “phénomène” a en effet une portée beaucoup moins dramatique que “syndrome”, qui sous-entend une maladie constante, dont on pourrait difficilement se défaire.

Kévin Chassangre : le syndrome de l’imposteur ce n’est absolument pas une pathologie. Ce sont plus les éléments autres qui vont s'y greffer qui vont poser problème, comme les symptômes anxieux ou dépressifs, le stress important qui va pouvoir être ressenti. Mais en tant que tel, le syndrome de l'imposteur est plus une barrière à l'expression de son véritable potentiel qu'une pathologie en tant que telle. 

Toutes les personnes qui ont un syndrome de l'imposteur l'oublient mais on apprend énormément de l'échec. C'est une énorme source d'apprentissage. Ce n'est pas une preuve ni d'incompétence ni d'imposture ou quoi que ce ce soit d'autre. C'est vraiment une étape vers une réussite, donc c'est vraiment faire apprendre ça aux enfants. Je dirais que l'une des meilleures façons après de faire apprendre tout ça ou de faire relativiser le syndrome de l'imposteur chez les enfants c'est d’incarner soi-même un modèle. C'est de pouvoir dire aussi à son enfant qu'on a le droit de douter. On a le droit d'avoir des sentiments d'imposture. Ce n'est pas forcément un fait. Ce sont des sentiments. Qu'on peut en parler. Que comme tout être humain, on est faillible et imparfait. Et de montrer la voie à l'enfant ne serait ce qu'en en parlant et en l'autorisant lui aussi à parler de ses sentiments d'imposture.

Cyrielle : le sentiment d’imposture, quand il n’est pas démesuré, est donc loin d’être dangereux et négatif. 

Il peut même être un gage d’intelligence et d’humilité car comme le disait le docteur Kévin Chassangre, rares sont les personnes vraiment compétentes ou intelligentes, à ne jamais douter d’elles-mêmes. 

GÉNÉRIQUE DE FIN 

Vous venez de lire Émotions, un podcast de Louie Media. Suivez-nous sur Instagram et Twitter @emotionspodcast (émotions, avec un s). Vous y trouverez nos recommandations de lecture sur le syndrome de l’imposteur, comme le livre “Cessez de vous déprécier!” de Kévin Chassangre, ou encore tout un tas de livres sur d’autres émotions. 

Maële Diallo, Hortense Chauvin et Wendy Le Neillon ont participé à la conception de l’épisode. Charlotte Pudlowski était à la rédaction en cheffe et à la production. Jean-Baptiste Aubonnet, Nicolas Ver et Claire Cahu ont assuré la réalisation, la création sonore, l’enregistrement et le mixage de cet épisode. Nicolas de Gélis a composé la musique et Jean Mallard a réalisé l’illustration. Un merci tout particulier à Amandine Gay, et à Adélie Pojzman-Pontay. 

Merci évidemment à tous nos interlocuteurs de nous avoir accordé de leur temps, vous pourrez retrouver leurs œuvres et leurs références sur notre site: LouieMedia.com

Émotions, c’est un lundi sur deux, là où vous avez l’habitude d’écouter vos podcasts: iTunes, Google podcast, Soundcloud, Spotify ou Youtube. Vous pouvez aussi nous laisser des étoiles et nous laisser des commentaires. Et si ça vous a plu, parlez de l’émission autour de vous !

Et s’il vous est arrivé une histoire forte en lien avec une émotion, n’hésitez pas à nous écrire, à hello@louimedia.com. A très vite !