Retranscription - Quotidien, travail, musique : comment se protéger du vacarme du monde ?
Brune Bottero : Il y a le bruit des pas dans la neige
Les gros orages d’été (son orages)
Le chant des oiseaux au début du printemps, bien sûr
Le bruit de la bombe de chantilly qui remplit la coupe de glace
Le ronronnement du chat (son ronronnement)
Il y a les premières notes de la première chanson du premier album d’Arcade Fire
Il y a cette voix (son voix d’enfant)
Le bruit de la cafetière et du grille pain le matin
Cette voix-là, aussi (son voix de grand-père)
Et puis le son des cloches dans les églises des tout petits villages
Nous avons tous et toutes des sons qui nous touchent, nous émeuvent. C’est particulièrement vrai avec la musique, mais aussi avec toutes sortes de bruits quotidiens.
Pour moi, ces sons n’ont un pouvoir émotionnel que lorsqu’ils sont accompagnés de silence. Comme beaucoup de personnes sensibles, j’ai beaucoup de mal à apprécier un son s’il est superposé à un autre. J’aime le silence. C’est d’ailleurs l'atmosphère sonore qui, en réalité, me procure le plus de bien-être.
Je me dis que ce n’est pas vraiment un hasard si aujourd’hui je me retrouve à faire des podcasts. N’est-ce pas, finalement, réfléchir à des agencements harmonieux de sons et de silences ? Des silences et des sons qui expliquent le monde et racontent des histoires ?
En tout cas j’aime cet équilibre sonore, la liberté qui en découle, les subtilités qu’il permet.
Pour certaines personnes, la frontière est plus floue, moins évidente. Le silence s'immisce dans le son, ou le son dans le silence... Quand l’ouïe est défaillante, la connexion entre ce sens et les émotions s’en retrouve forcément perturbée.
Dans cet épisode, la journaliste Capucine Rouault s’intéresse à la perte d’audition et à son impact émotionnel.
Je suis Brune Bottero, bienvenue dans Émotions.
Capucine Rouault : J’habite à Paris où tout est bruyant. La grande avenue sur laquelle donne mon salon, le vacarme des voitures qui défilent et klaxonnent tous les jours, les wagons de métro qui crissent sur les rames, les soirées avec la musique à fond…. Dans mon quotidien, il y a du bruit, partout et tout le temps.
Paradoxalement, dans les rares moments où je pourrais m’accorder un moment de silence et autant de répits pour mes tympans malmenés, j’ai tendance à plutôt rajouter du bruit dans mes oreilles.
(Son des écouteurs qui se connectent puis musique)
Le tout en ignorant le message d’alerte qui pop quand j’augmente le son et qui déconseille d’écouter la musique au-dessus d’un certain niveau sonore.
La plupart du temps, tous ces bruits je ne les vis pas forcément comme des agressions. (Son d’ambiance de bar)
Et puis certains week-ends, ça le devient. Je travaille comme serveuse dans un bar. Entre la musique, le bruit du lave-verre, le brouhaha des discussions qui s'entremêlent …. en termes d’échelle des bruits de ma vie, là c’est le summum.
Pour compenser, je parle beaucoup plus fort à mes collègues ou aux clients et quand je ressors du service j’ai la tête en vrac, fatiguée par ces sons écoutés trop forts et trop longtemps. A chaque fois je me dis que je maltraite mes oreilles.
Récemment on m’a parlé de l’effet cocktail, c’est le fait de comprendre son interlocuteur dans un environnement trop bruyant comme un bar justement, et je m’y suis rapidement identifiée. Cet effet cocktail, en références aux bruits d’un bar ou d’une soirée, c’est en fait notre cerveau qui parvient à faire le tri en traitant toutes ces infos, et du coup, on s'adapte et on suit une seule conversation tout en restant conscients des autres signaux sonores autour de nous. L’effet cocktail, c’est un phénomène reconnu par les spécialistes de l’audition qui a été publié dans le Journal de l'Association pour la recherche en oto-rhino-laryngologie, en ORL.
En me renseignant sur cet effet, je me suis questionnée sur la place des sons dans ma vie. D’aussi loin que je me souvienne, ils m’ont toujours accompagnée. Le son des longs trajets en voiture en écoutant les albums de rock de mon père, le son de la radio toujours branchée que ma mère écoutait dès le réveil… le son m’a toujours apaisé, bien plus que les images.
L’ouïe c’est l’un des 5 sens qui nous permet d’entrer en contact avec le monde. C’est un sens épidermique : à son contact, je peux immédiatement ressentir les émotions à travers mon corps. Certains morceaux me hérissent les poils ou peuvent même me faire pleurer. J’aime particulièrement les voix Soul comme celles de Norah Jones, de Tracy Chapman et par-dessus tout celle d’Amy Winehouse. La puissance de sa voix grave teintée de par la douceur, sa palette vocale et tout simplement son timbre de voix si singulier me transportent. Écouter c’est se faire murmurer quelque chose directement au creux de l’oreille, c’est pénétrer dans l’intime. Et d’ailleurs c’est sûrement pour toutes ces raisons que j’ai choisi de travailler dans le son.
Cette relation particulière avec le son et les voix, ça m’a rappelé le film Sound of metal. C’est un film américain coécrit et réalisé par Darius Marder où on suit l’itinéraire de Ruben, un batteur de métal qui devient progressivement sourd. On ressent les émotions de ce personnage qui perd le sens qui lui est le plus important, en passant par la peur, la tristesse, la colère et parfois même la joie.
Je me suis alors demandée ce que ressentaient ces personnes qui perdaient l’audition, un peu comme Ruben dans Sound of metal.
Ce film, ça m’a aussi rappelé qu’en tant qu’entendante, je ne réalise pas toujours à quel point mon capital auditif est précieux. Ça m’a donné envie pour cet épisode de creuser la question de la perte d’audition…
Je me suis alors demandée ce que ressentent ces personnes qui présentent une défaillance auditive. Est-ce que le lien avec le monde qui nous entoure est transformé quand on n’entend peu ou plus ? Et quelles émotions nous traversent quand ce sens est altéré ?
Pour démarrer mes recherches pour cet épisode, je me suis rendue sur des forums, où des personnes qui présentent une déficience auditive viennent se confier, chercher des conseils et parfois du réconfort. Ce que j’ai compris en lisant ces échanges, c’est que si ces personnes préfèrent se retrouver et dialoguer sur les réseaux, c’est souvent parce que les échanges dans la vie sociale sont devenus quelque chose de difficile pour eux. Parfois c’est même un peu tabou de parler de cette fragilité… Et c’est encore plus délicat d’en parler, quand nos oreilles deviennent un outil de travail, comme dans le milieu de la musique par exemple.
Etienne (son prénom a été modifié) : Ça atteint le moral directement.
Capucine Rouault : Etienne est musicien professionnel. Il travaille la musique à l’image, c'est-à-dire la musique pour les films et les documentaires pour la télévision. Je l’ai rejoint dans le studio de musique parisien pour lequel il travaille.
Il y a 5 ans, Etienne a développé des acouphènes suite à une session d’enregistrement. Un acouphène, c’est un sifflement que l’on entend dans ses oreilles ou dans sa tête sans qu’il soit émis par une source extérieure. Ces symptômes sont souvent liés à un traumatisme acoustique :
Etienne : Ce qui m'est arrivé, c'est que j'effectuais un enregistrement, j'accompagnais une chanteuse, et je travaillais au casque. Le niveau de volume dans le casque était assez fort. J'avais notamment un métronome, donc, qui battait la mesure et un batteur qui jouait à côté de moi du côté droit. Et en fait, j'ai enregistré toute la journée. J'ai pas été gêné, j'étais habitué à travailler à ces niveaux de sons et je ne me suis pas rendu compte. Je n'ai pas été gêné dans la journée par le niveau. Et le soir, en fait, j'étais fatigué, mais j'ai rien remarqué de particulier. Une fatigue plutôt habituelle, quoi. Et par contre, au moment de me coucher, j'avais un sifflement dans l'oreille droite, un sifflement qui était un acouphène et qui m'empêchait de m'endormir. C'est une sensation, c'est quelque chose que j'avais déjà vécu. Souvent, après les concerts, je me couchais avec les oreilles qui sifflaient, avec vraiment le sens de la sensation ressentie d'avoir vraiment un peu tiré sur la corde au niveau de au niveau du son.
La sensation, c'est dans le silence que ça se manifeste. Donc, ça s'entend vraiment quand on est dans un lieu silencieux et la nuit, quand on cherche à dormir. Donc, en fait, la sensation, c'est un agacement d'avoir ce sifflement dans l'oreille. Un agacement qui capte l'attention, en fait. Et ça vous pique quoi. Et donc, vous êtes fatigué. Parce que moi, c'est ça mon problème. C'est l'insomnie que ça provoque. Vous êtes fatigué, vous cherchez à vous endormir et en fait, ça vous empêche de vous endormir. Moi, c'est l'effet que ça a sur moi.
Capucine Rouault : Les semaines qui suivent cet accident sont éprouvantes pour Etienne. Il se met en arrêt de travail car il ne peut plus écouter de sons forts sans que ça soit douloureux pour lui. Il prend des somnifères pour pouvoir trouver le sommeil. Mais le bruit persiste dans son oreille droite, il entend toujours 2 sifflements, un grave et un plus aigu.
Didier Bouccara : “Au début, je croyais que c'était le bruit de mon frigidaire ou c'était le bruit de l'aération dans mon immeuble”. Et en fait, quand ils demandent à leurs proches, il s'agit bien d'un bruit qu'eux seuls sont en mesure de percevoir, en fait qu'ils entendent eux seuls. Et donc c’est un bruit qui n’a pas de structure, si vous voulez.
Capucine Rouault : Pour mieux comprendre les acouphènes, J’ai rencontré le Docteur Didier Bouccara, médecin ORL en libéral et à l’hôpital européen Georges-Pompidou. Il est spécialisé en matière d'exploration des troubles de l'audition et de l'équilibre. Je me suis rendue dans son cabinet du 15ème arrondissement à Paris.
Didier Bouccara : En fait, c'est quand une personne entend de façon plus ou moins intense et de façon plus ou moins permanente, un bruit au niveau des oreilles.
Ce type de bruit, il peut s'agir d'un bourdonnement ou d'un sifflement. Alors, ce bruit est particulier parce que seule la personne l'entend. Alors, de temps en temps, les patients viennent nous dire : “Voilà, j'ai du bourdonnement et sifflements d'oreille”. Donc, ces acouphènes sont un symptôme qui est très fréquent. On considère qu'en France, il y a plusieurs millions de personnes qui souffrent d’acouphènes. Et donc, il faut bien insister sur un point : très souvent, c'est un symptôme qui est banal, qui va être tout à fait, soit transitoire, soit très léger, et qui va en fait être ressenti comme une gêne minime. Et puis ensuite être complètement oublié.
Par contre, chez certaines personnes, heureusement, c'est un nombre beaucoup plus rare, les acouphènes peuvent être un problème plus important parce qu'ils sont plus intenses et que parfois, ils vont perturber la vie au quotidien, comme on dit, et génèrent même parfois même un certain niveau d'anxiété et de dépression.
Capucine Rouault : Perdre l’audition ou abîmer ses oreilles, c’est le pire cauchemar des musiciens ou des personnes qui travaillent dans le son. Leurs oreilles, c’est leur outil de travail. Ce que traverse Etienne, ça me rappelle le film Sound of metal dont je vous parlais plus tôt. Dans ce film, le personnage principal Ruben, un batteur interprété par Riz Ahmed, vit ce cauchemar et devient progressivement sourd.
(Extrait bande annonce)
Ce film a eu 6 nominations aux Oscars, il a remporté 2 prix, celui du meilleur son et celui du meilleur montage.
Nicolas Becker : Ce qui m'intéresse beaucoup, c'est l'aspect phénoménologique, c'est-à-dire de pouvoir proposer aux gens une expérience.
Capucine Rouault : Nicolas Becker est un sound designer.
Nicolas Becker : C'est à dire la différence entre un film qui parlerait de quelqu'un qui est sourd et on verrait sa vie, sa psychologie, son histoire, ses amis, etc. et un film où actuellement on serait dans sa tête et on peut percevoir le monde tel qu’il le perçoit et se rendre compte de ce que c’est comme expérience.
Capucine Rouault : En 2021, Nicolas Becker a remporté l’Oscar du meilleur son pour ce film. Pour cet épisode, je l’ai interrogé sur Zoom depuis Los Angeles, où il travaille régulièrement. Tout au long de la réalisation de Sound of metal, comme pour tous ses projets sonores, Nicolas Becker a travaillé de façon expérimentale. Son but, c’était de retranscrire en audio ce que peut entendre une personne atteinte de déficience auditive, d'acouphènes et de surdité. Pour ça, il a posé tout un tas de des micros sur le corps de l'acteur Riz Ahmed, jusque dans ses oreilles :
Nicolas Becker : Moi, je suis très simple dans mon approche. C'est une approche très scientifique, c'est-à-dire expérimentale. C'est-à-dire comment, si nos tympans ne marchent plus, comment on reçoit le son ? Alors, on reçoit le son par les tissus et les cavités osseuses. Alors, comment on peut simuler cela ? Est-ce qu'on peut réussir à mettre des micros pour simuler sur le crâne ou sur les muscles et envoyer des sons dans le corps pour essayer de voir… Vous voyez ce que je veux dire ? C’est vraiment, je fais vraiment des expérimentations très simples pour essayer de reproduire de manière très naturaliste ce qui se passe vraiment. C’est pas quelque chose d’inventé, c'est quelque chose que les gens peuvent ressentir. Parce que, par exemple, le fait que quand vous enregistrez votre voix, je ne sais pas si ça vous est déjà arrivé que quelqu'un enregistre votre voix et que vous l’écoutiez après, vous avez l'impression que c'est pas votre voix, que c'est pas vous. C’est parce qu’en fait, quand vous parlez, vous faites pas que produire du son, produire des vibrations dans votre corps. Ces vibrations se répandent dans votre corps et c'est une sensation physique aussi. Et ça c’est exactement ce qui vous reste, ce que vous avez en plus, cette chose en plus que l’on a quand on parle et qui est pas la même chose que quand on est enregistré, c’est exactement ce qui reste quand quelqu’un devient sourd. C’est-à-dire cette sorte de sensation physique, sonore. Le corps devient une sorte de récepteur, c'est plus les oreilles, mais le corps devient une sorte de récepteur de fréquences moins sensibles, monophoniques, puisqu'on on a deux oreilles alors qu'on n'a qu'un corps. Donc, c'est une manière d'écouter de manière très, très différente. Et donc, moi, ce que j'ai essayé de faire, c'est de reproduire cette sensation-là.
Capucine Rouault : C’est une coïncidence malheureuse, mais quelques mois après avoir travaillé sur ce film, Nicolas Becker vit lui-même l’expérience de la perte d’audition.
Nicolas Becker : Étrangement, six mois après avoir fini le film, un matin, je me réveille, j'avais perdu complètement l'oreille gauche. Ce qu'on appelle un hypdrops, ça arrive de temps en temps. J'espère que ça ne ré-arrivera pas, parce que si ça ré-arriverait, ça serait mauvais signe. Ça peut arriver de temps en temps. C'est une surpression de l'oreille interne.
Capucine Rouault : L’hypdrops endo-lymphatique dont parle Nicolas Becker c’est une perte de l’audition ou une modification de la perception auditive qui se manifeste sans signe avant-coureur.
Nicolas Becker : Et j'ai, pendant deux semaines, je n'avais plus l'oreille gauche et en fait, quand j'ai compris que j'allais potentiellement perdre l'oreille gauche. Je me suis carrément évanoui et je me suis retrouvé…. Je me suis réveillé plusieurs heures… alors que je ne m'étais jamais évanoui de ma vie.
Capucine Rouault : Si Nicolas Becker fait un malaise à ce moment-là c’est parce qu’il prend conscience qu’il a peut-être perdu son outil de travail.
Nicolas Becker : J’étais tellement choqué, en fait, que je suis tombé dans les pommes. Je me suis réveillé à l'hôpital quelques heures plus tard. Ça a été pour moi très violent et je sais que j'ai beaucoup d'amis musiciens qui n'ont pas vraiment pu regarder Sound of Metal parce que cette idée-là, pour eux, était trop compliquée et trop douloureuse à supporter.
Capucine Rouault : Les ingénieurs du son savent bien qu’à cause de la pratique, de l’écoute au casque, des sessions d’enregistrement qui s’enchaînent, ils risquent de s’abîmer les oreilles.
Aujourd’hui, des campagnes de prévention pour protéger l’audition tapissent les murs des salles de répétition, de concerts, les affiches des festivals…Il y a d'ailleurs même des normes de décibels à ne pas dépasser dans les salles de spectacles et de concerts. C’est aussi le cas dans les bars et les établissements de nuit. La limite est de 102 décibels… Pour vous donner une idée, 102 décibels, ça correspond à un gros aboiement de chien. A Paris, c’est rare de voir des sonomètres dans ces endroits et donc de contrôler ce volume. Mais dans d’autres métiers, le danger pour les oreilles n’est pas forcément toujours autant conscientisé.
En regardant la liste des métiers les plus à risques, j’ai appris que les pompiers étaient concernés à cause de l’intensité des sirènes et des alarmes. Les agriculteurs aussi à cause des gros engins bruyants comme les tracteurs ou les moissonneuses batteuses avec lesquelles ils travaillent. Et plus globalement, c’est aussi le cas dans le monde industriel.
Myriam Maouche : Je ne sais pas comment expliquer ça, mais ça agit sur nous, sur notre moral, sur notre mental. On en devient très sensible au bruit. Pour un rien on peut exploser…
Capucine Rouault : Myriam Maouche m’a accueilli chez elle à Montreuil, en banlieue parisienne. Elle a travaillé 27 ans dans une usine de blanchisserie à Brétigny-sur-Orge. Pendant toutes ces années elle travaillait aux calandres, des machines cylindriques pour lisser le linge, qui sont extrêmement bruyantes. Le brouhaha de l’usine a été son quotidien pendant toutes ces années.
(Son de la blanchisserie)
Myriam Maouche : On passe les taies d'oreiller dans des machines, de grosses machines qui font beaucoup de bruit. Et le bruit, quand on arrive le matin, c'est, ça qui nous prend. Voilà, ouf ! C'est presque oppressant. C'est oppressant parce que… On oublie un peu, on est à l'extérieur malgré les voitures, les bruits et tout, mais ça, ça n'a rien à voir. Ça, c'est un bruit incessant. C'est un bruit comme un bruit de fond. La pression de la tête, elle est ouf !
On le sent fort, on est dedans, on est dedans, et on se rend pas compte, tellement on a pris l'habitude. Mais c'est quand on sort à l'extérieur… Des fois, il y a une panne d'électricité et tout s'arrête d'un coup, alors on est tous surpris, comme si on dormait puis on se réveille d'un coup ! Tellement c'est fort, tellement c'est oppressant. C'est….
Capucine Rouault : Et vous, vous avez perdu de l'audition ?
Myriam Maouche : Un peu, oui, ah oui.
Capucine Rouault : Au bout d’une dizaine d’années dans l’usine, après une batterie de tests auditifs lors des visites de la médecine du travail, Myriam a constaté concrètement sa perte d’audition.
Aujourd’hui, elle est à la retraite depuis deux ans. Mais dans son quotidien, les bruits de la blanchisserie l’habitent encore…
Avant de continuer avec l’histoire de Myriam, je vous propose quelques secondes de pause.
(pause)
Capucine Rouault : Myriam est devenue particulièrement sensible aux bruits de tous les jours. Les sons lui semblent plus forts qu’ils ne le sont en réalité, même douloureux.
Myriam Maouche : Quand je rentre à la maison, je suis très sensible. Comme je vous ai dit, la hotte aspirante, je ne supporte pas, le téléphone, je ne supporte pas, même à l'extérieur, des gosses qui jouent… Ils jouent, c'est des enfants qui crient, et tout. Je ne supporte pas, surtout l’été. L’hiver tout est fermé, double vitrage, on n'entend pas, c'est superbe. L'hiver, l'été, je veux dire, c’est terrible, c'était terrible. Je me rends compte que ce n'était pas normal. Les enfants qui jouent – moi, j'adore les enfants – mais on devient tellement sensible. On a les nerfs à vif, on a les nerfs à vif. Le moindre bruit, ça fait sursauter. On ne supporte pas, on ne supporte pas. On devient vraiment... Je ne sais pas comment expliquer ça mais.... On devient insupportable, à la limite pour les autres, parce que le moindre bruit, ça nous dérange, ça nous dérange. Pour les autres, ce n'est pas normal, ce qui est pour les autres normal, pour nous n’est pas normal.
Capucine Rouault : Ces symptômes, ce sont ceux de l’hyperacousie.
Didier Bouccara : Donc, l'hyperacousie, qui est parfois et même assez régulièrement associée aux acouphènes, doit être prise en charge de la même façon avec une démarche où il peut y avoir une évaluation de l'audition, une évaluation de l'intensité de la gêne ressentie et décider, là aussi en fonction des symptômes, d'un traitement plus ciblé.
Capucine Rouault : Myriam a travaillé dans des conditions de travail particulières et elle était très exposée aux risques auditifs. Mais en fait, nous sommes tous exposés aux bruits et à l’altération de nos tympans. Selon une enquête de la direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques datant de 2014, en France 10 millions de personnes ont des problèmes d’audition. J’ai donc demandé au Docteur Didier Bouccara, la cause principale de la perte d’audition.
Didier Bouccara : S'agissant de la situation la plus courante de la perte d'audition, il s'agit effectivement de ce qu'on appelle la presbyacousie. En fait, la presbyacousie n'est pas une maladie, c'est l'évolution naturelle de l'audition avec l'âge, à savoir que chacun d'entre nous possède ce que l'on va appeler un capital auditif, c'est à dire un nombre limité de cellules ciliées.
Ce sont les fameuses cellules qui codent les sons au niveau de la cochlée, la cochlée est l'organe qui va assurer le codage des sons. Elle est localisée au niveau le plus profond de l'oreille. On parle donc de l'oreille interne et cette cochlée a une forme d'escargot. Eh bien, le nombre de cellules ciliées va diminuer progressivement, en particulier à partir de l'âge de 50 ans. Et cette perte de l'audition va se faire de manière très progressive, touchant les deux oreilles, avec comme premiers symptômes une gêne à la compréhension de la situation bruyante.
Capucine Rouault : En dehors de la presbyacousie, les causes des troubles de l’audition sont variées et plus rares. Elles peuvent être accidentelles comme des traumatismes mécaniques, des traumatismes lors de plongées sous-marine ou des expositions à des sons trop élevés. Parfois, elles peuvent aussi être liées à des fragilités infectieuses de l’enfance ou de l’adolescence comme des otites sévères ou chroniques par exemple, ou encore des maladies plus particulières à l’oreille. Mais quelle qu’en soit la cause, nous ne sommes pas tous égaux vis-à-vis de ce risque.
Didier Bouccara : Cette différence d’une personne à l'autre traduit bien le fait que nos oreilles ne sont pas toutes identiques. Il y a vraiment une sensibilité variable d'un individu à l'autre et malheureusement, aujourd'hui, nous ne sommes pas capables de déterminer, de mesurer ce facteur de risque.
Capucine Rouault : L’ouïe, c’est un des 5 sens qui nous permet d’entrer en interaction avec le monde. C’est une faculté sensible et charnelle qui nous permet de tenir des conversations avec les autres ou de s’accorder une petite pause musicale, par exemple. Souffrir d’une déficience auditive, ou se retrouver du jour au lendemain avec des sifflements incessant dans une des deux oreilles, ça peut donc très vite impacter le moral.
Étienne : Ça vous mine complètement. Parce que forcément, sur le plan professionnel, c'est le cœur de votre travail. Enfin, c'est pas compliqué à comprendre… Vous êtes vraiment au cœur de ce qui vous sert de travail quoi, l'oreille.
Capucine Rouault : En plus d’avoir changé sa façon de travailler, Etienne a adapté sa vie personnelle, par rapport aux acouphènes dont il souffre.
Étienne : Moi, j'ai eu quand même des phases où je me suis mis à écrire de la musique. Juste comme ça, je me suis dit “Bon, tu vas écrire de la musique juste sur feuille, quoi”. Juste en écrivant, voilà, en entendant tout. Bon, ça ne marche pas trop. Donc oui, oui, c'est complètement déstabilisant, et en plus, c'est obsédant. Donc après, ça dépend des tempéraments. Mais c'est vrai que quand on est pris par ça au début, c'est très déstabilisant. On ne pense qu'à ça.
Capucine Rouault : Si Étienne a décidé de témoigner c’est aussi parce que son cas n’est pas si particulier. Dans le monde de la musique amplifiée beaucoup de musiciens souffrent d'acouphènes. Et pour cause, d’après une étude de l’institut Leibniz de recherche sur la prévention et l’épidémiologie, ils sont 57% plus susceptibles de souffrir d’acouphènes.
Etienne : Moi, perso, je n'avais pas du tout cette angoisse là, pendant des années. Je ne sais pas, je ne sais pas pourquoi, mais j'ai été souvent exposé à des sons très forts et ça ne me dérangeait pas du tout. Et même je kiffais ça même, j'aimais ça. Et le fait de me coucher avec des sifflements, les oreilles qui bourdonnaient m'inquiétait pas plus que ça. Je savais très bien que le lendemain matin, ce serait passé, quoi. Et d'ailleurs, une fois, je suis allé en boîte de nuit, je suis ressorti avec des acouphènes. C'était au tour de 25 balais, 25 ans; et en fait, donc j'ai été voir quand même voir un ORL. J'ai pris un traitement. Il y a eu une phase d'inquiétude et puis, une fois que c'est passé, en fait, j'ai complètement oublié cet épisode-là. C'était vraiment affaire classée et donc non, c'était pas un sujet dont je parlais avec mes potes musiciens. Et ce n'était pas une source d'inquiétude pour moi.
Capucine Rouault : Mais s’ils sont conscients de ces risques, je me demande pourquoi les musiciens sont si peu à se protéger ? Leur volonté n’est clairement pas d'abîmer leurs oreilles. En fait, c’est une question d’émotions, de ressentir les sons pleinement. Pour Étienne à ce moment-là, la musique, c’est intense. La puissance du son l’englobe et lui permet de vibrer et de profiter à 100% de l’expérience. L’adrénaline du live, les basses qui crachent, les sons amplifiés… Ce n’est pas une insouciance du risque mais bien une recherche de sensations fortes.
Étienne : C'est une histoire de sensation, je pense. C’est un peu comme comme l'alcool ou… C'est une histoire de sensations, je pense. Et par exemple, sur scène, il y a beaucoup de musiciens qui se sentent rassurés quand ils sont vraiment pris dans un son fort, immergés dans la vibration. Faut savoir que quand vous jouez sur une scène, il y a des caissons de basses qui font vibrer toute la scène. C'est quand même, voilà, la musique amplifiée, c'est ça. A priori, c'est quelque chose qui est très positif. Donc, on n'a pas envie de s'en priver, surtout quand on a 20 ans.
Capucine Rouault : A 20 ans, peu de personnes portent ces fameux bouchons. Parce que diminuer le son, ça va à l’encontre de cette notion de puissance qu’on peut ressentir quand on écoute de la musique très fort.
Étienne : C'est presque un aveu de faiblesse de se protéger. Surtout quand on est jeune. En fait, je pense que passée la quarantaine, c'est autre chose, mais entre 20 et 30 ans, voilà, on se sent quand même, normalement, on a tendance à se sentir un peu indestructible. En plus, quand on monte sur scène, il faut quand même une certaine dose aussi de courage, de volonté. On est pris dans un mouvement, dans un élan et on n'est pas là à regarder “Attention, attention je risque peut-être de perdre un peu d'audition ou de choper des acouphènes. On n'y pense même pas, en fait.
Capucine Rouault : Parfois, les défaillances auditives entraînent un état dépressif, parce qu’elles peuvent conduire à l’isolement. Faire répéter plusieurs fois les gens car on ne comprend pas, lâcher une conversation car les bruits autour parasitent notre attention…
Didier Bouccara : Effectivement, nous sommes dans un monde de communication où beaucoup de choses se font par téléphone ou par numérique. Et donc, le fait de ne pas pouvoir communiquer normalement par voie orale va avoir un impact direct sur les interactions personnelles, professionnelles et, bien sûr, dans la vie sociale au sens le plus large. Finalement, cela va entraîner un certain niveau de retrait lorsque celui-ci apparaît uniquement pour les personnes qui ont des troubles de l'audition les plus importants. Mais ceci est parfois un peu insidieux. Par exemple, chez les personnes les plus âgées, on observe un retrait des activités sociales avec une limitation des activités associatives. Ils ou elles ne vont plus aux ateliers qui sont organisés dans les structures dédiées aux seniors. Un autre exemple, c'est le retrait pour des plus jeunes des activités de loisirs ou un niveau d'audition nécessaire pour participer de façon active.
Capucine Rouault : Myriam, elle, se sent exténuée à cause de ce brouhaha de la blanchisserie dans laquelle elle travaillait qui la hante encore dans sa vie de tous les jours. Une routine bruyante qui joue sur son moral et ses relations. Les petits bruits du quotidien comme les rires des enfants, les plats qui mijotent deviennent un véritable enfer pour elle.
Myriam Maouche : On les supporte pas, on essaie de s'isoler. Même quand je dormais, le soir, je mettais mes bouchons de bouchons d'oreille et d'habitude, pour ne pas entendre de bruit à l'extérieur parce que ça me dérangeais, et je n'arrivais pas à dormir, je n’arrivais pas à dormir. Il faut vraiment le calme total, sinon je ne dors pas.
Didier Bouccara : Ceci amène aussi à poser la question de la possible dépression liée aux troubles de l'audition. Et c'est vrai que, ce que l'on constate parfois, c'est que la perte des relations sociales, familiales, professionnelles en raison d'une atteinte de l'audition peut conduire réellement un état dépressif avec des conséquences bien entendu plus spécifiques.
Capucine Rouault : Le Docteur Didier Bouccara travaille auprès de la SNCF dans la prévention du bruit pour les employés contraints aux bruits des trains ou des machineries ferroviaires. Pour lui, le monde industriel a pris en compte les risques liés à l’audition, ce qui est moins le cas dans les métiers de la musique amplifiée. Pour autant la solution reste la même : se protéger à l’aide de bouchons.
Didier Bouccara : Alors, si vous voulez, il y a en fait plusieurs situations. Il y a la situation de personnes qui travaillent dans un milieu bruyant. Alors ça, c'est vrai pour l'industrie, le commerce et les transports. Et dans ce cas, les entreprises et les médecins du travail sont maintenant très sensibilisés aux risques du bruit. Et que prévoit-ils ? Ils prévoient à la fois des tests systématiques de dépistage, de troubles de l'audition dans le cadre de la médecine du travail et également des campagnes d'information pour sensibiliser les différentes personnes qui travaillent dans des ambiances bruyantes pour se faire examiner et dépister s'ils ont des symptômes et surtout, pour utiliser des protections auditives, des systèmes qui permettent de protéger leurs oreilles en cas d'exposition à des niveaux sonores élevés. Alors, ceci est bien organisé dans le cadre des grandes entreprises, par exemple de transports ou de commerce ou d'industrie. Cela l'est un peu moins pour tous les domaines professionnels qui concernent les loisirs.
Quand je dis loisirs, je pense principalement aux salles de spectacles, aux salles de discothèques. En fait, toutes les circonstances où il va y avoir, dans le cadre des loisirs, d'écoute de la musique amplifiée. Et là, on est un petit peu confronté à deux choses. Le fait que la sensibilisation n'est pas parfois importante parmi les personnes qui travaillent dans ces ambiances bruyantes et d'autre part, ce que nous avons déjà évoqué, la grande variation de ressenti des symptômes en fonction des personnes. Donc, en fait, dans ce domaine des spectacles, là aussi, il y a des campagnes de prévention. Finalement, le conseil principal c'est de protégeons nos oreilles du bruit.
Capucine Rouault : Dans des cas plus extrêmes, et plus rares, la perte d’audition peut entraîner la surdité. Cette surdité n’est pas forcément un handicap mais elle est toujours une gêne au quotidien. Si la personne qui présente une défaillance auditive le désire, elle peut faire le choix de porter un appareil. Mais certaines personnes revendiquent le fait de ne pas se faire appareiller, car pour eux, c’est à la société de s’adapter et non l’inverse. Les techniques d’appareillages évoluent aujourd’hui pour proposer des appareils plus discrets qui ressemblent par exemple à des écouteurs intra-auriculaires.
Didier Bouccara : Il n'en reste pas moins que c'est vrai que le fait de porter des appareils auditifs est un peu un tabou. Pourquoi ? Parce que, ce que nous disent les patients qui viennent nous consulter, c'est qu'ils font une association entre le fait de mal entendre et de devoir porter un appareil avec un vieillissement. Et on a toujours un petit peu l'image, vous savez, du professeur Tournesol qui n'entend pas bien, qui répond complètement à côté. Et donc, il y a un côté un peu péjoratif. Donc, en fait, c'est le rôle de tous les professionnels de santé. Donc, c'est vrai pour les médecins traitants, c'est vrai pour les ORL, les audioprothésistes, c'est vrai pour tout un chacun, de bien montrer que le fait de s’appareiller c'est pas du tout la traduction d'un vieillissement, mais bien au contraire, c'est de vouloir rester dans la communication. Et on sait qu'en corrigeant une perte auditive légère, on va améliorer non seulement la qualité de vie au moment où on réalise l'appareillage, mais aussi à plus long terme, lors du vieillissement. Car on sait aussi qu'il y a un impact de la perte auditive sur la mémoire.
Capucine Rouault : Dans les cas d’une perte d’audition partielle ou d’acouphènes c’est un long chemin vers l’acceptation et la réparation du traumatisme qu’il faut effectuer.
Didier Bouccara : Surtout, pas de fatalité pour les acouphènes. Il ne faut pas baisser les bras, il faut pas hésiter à consulter son médecin traitant et voir avec lui quelles sont les orientations à prendre.
Etienne : J'ai changé mes habitudes vraiment complètement.
Capucine Rouault : Etienne a dû s'adapter dans sa vie comme dans son métier pour gérer son nouveau rapport aux sons.
Etienne : Quand ça m’est arrivé, ça faisait quasiment… donc en 2017, donc ça faisait quasiment 20 ans que je faisais de la musique déjà. Et puis, sans jamais faire attention aux sons. Et donc, je faisais du rock et du jazz, en fait. Et donc, effectivement, déjà, je faisais partie d'un groupe de rock et j'ai progressivement, progressivement, mais vraiment arrêté, voilà les concerts et puis ensuite quitté le groupe. Mon activité principale, c'est devenu la composition de musique à l'image, parce que je gpère moi-même le volume et que quand mes oreilles sont fatiguées, je peux baisser. Je ne suis pas, on m'impose, personne, m'impose le niveau de son.
Capucine Rouault : Etienne m’a même parlé de rechutes comme si le son était une véritable drogue. Parfois il s'octroyait le plaisir d’écouter de la musique un peu trop fort et ses crises revenaient. Alors, il a appris à cohabiter avec ce bruit dans son oreille droite, à vivre avec, et surtout à se protéger.
Etienne : Alors, c'est sûr que c'est une épreuve et que au départ, ça m'a déprimé. J'étais vraiment inquiet pour mon avenir professionnel. Je me suis demandé comment j'allais faire, s'il ne fallait pas que je raccroche les gants et que je fasse autre chose. Et puis ensuite, j'ai vu que le problème était surmontable. Après, il peut toujours y avoir une inquiétude quant à l'évolution. Est ce que s'il n'y a pas un risque d'aggravation ? Mais je vois que en tout cas, en ce qui me concerne, ça n'évolue pas dans le mauvais sens. Et une fois qu'on se rend compte que c'est gérable en étant prudent, c'est une petite fragilité, quoi, qu'on gère au quotidien. Alors au niveau émotionnel, je pense qu'effectivement, c'est une épreuve qu'on traverse et après, on dit ce qui nous tue pas nous rend plus forts. Donc voilà.
Capucine Rouault : Aujourd’hui, son regard est différent. Il ne recherche plus la puissance de la musique comme avant. Il apprécie les musiques acoustiques, les musiques plus douces. Mais surtout, au travail il porte des bouchons moulés à son oreille pour pouvoir réduire les décibels. Il les porte parfois même dans les rues trop bruyantes.
Etienne : Ça respecte le spectre sonore, ça vous détruit pas le son. Ça baisse le niveau, mais ça permet quand même, ça garde le son un peu identique à ce qu'il est en réalité. Ça n'altère pas trop le spectre sonore.
Didier Bouccara : Nous avons un capital auditif. Il est fragile et limité. Il est précieux, mais avec un certain nombre de situations où nous sommes sensibilisés, nous pouvons tout à fait préserver ce capital. Et s'il y a des situations exceptionnelles, des petits accidents comme l'apparition d’acouphènes ou de traumatisme sonore, il y a une réponse qui est possible à la fois par une prise en charge médicale ou par d'autres disciplines non médicales. Et il y a aussi surtout une démarche de prévention, de protection des oreilles et surtout, ne pas hésiter au moindre symptôme à consulter. Il faut éviter la fatalité qui est de dire : j’ai des sifflements d'oreille, ça finira bien par passer. Non, pas forcément. C'est peut-être l'occasion de faire un bilan de l'audition et de voir s'il n'y a pas quelque chose à faire pour préserver ce capital auditif le plus longtemps possible.
Capucine Rouault : Myriam, m’a confié encore penser à ce que subissent ses collègues en se remémorant le bruit de la blanchisserie. Pour autant, plus jamais elle ne remettra ni un pied, ni une oreille, et c’est une certitude.
Myriam Maouche : Le bruit, ça reste un mauvais souvenir. Ça laisse des séquelles, ça laisse des séquelles. L'exemple, c'est la hotte aspirante, que je la supporte pas. Et justement, le bruit de la hotte, ça me fait penser à... C'est ce bruit là, pshiiit comme ça, incessant. C’est pas un bruit comme je sais pas, une musique, ça monte, ça descend. Là, le bruit il est là tout le temps. Il est au même niveau, le même rythme. Vous avez l'impression que vous êtes parti vivre dans un autre monde, dans une autre dimension tellement c'est fort. Voilà, c'est insupportable. J'avoue que… C'est après, deux ou trois ans après, je me dis “qu'est-ce que j'ai pu supporter ? Qu'est ce que j'ai pu vivre ?” Vraiment des trucs terribles. On commence à 6 heures moins cinq, on était devant nos machines, à travailler le bruit dans la tête. Le moindre petit truc, hop on sursaute, puis quand on sort, ou ça s'arrête. Mon dieu, mon dieu, qu'est ce que ça fait du bien. C'est là le mot qu'on avait : “Ah, qu'est ce que ça fait du bien ?” C'était une souffrance, une souffrance. J'avoue que je pensais à mes collègues qui sont encore là bas ou ceux qui arrivent. J'avoue que c'est pas facile, pas facile du tout pour supporter ça, franchement, ou pour sortir indemne de ce bruit-là.
Capucine Rouault : Lorsqu’on entend peu ou plus du temps, notre rapport au monde est transformé, mais pas brisé. Se rendre attentif à l’ouïe permet à la fois de la reconnaître à sa juste valeur, et de saisir son importance dans nos vies en se souciant d'une réalité sensorielle qui nous échappe en tant qu'entendant.
C’est important de ne pas fantasmer ou dramatiser la déficience auditive, par respect pour les personnes sourdes ou malentendantes qui vivent cette condition au quotidien.
En faisant cet épisode, j’ai pris conscience de l’importance de mon capital auditif. En fait l’ouïe, le fait d’écouter, d’entendre, de ressentir le monde dans ses oreilles, il faut apprendre à le préserver quand c’est possible.
Nicolas Becker : Tu peux fermer les yeux, mais tu ne peux pas fermer les oreilles, quoi. Il y a une chose comme ça, assez étrange avec l’oreille. Comme si c’était une sorte de puits, ouvert…
Capucine Rouault : On voit des signes là où on veut, mais en rentrant de mon interview avec l’ORL Didier Bouccara, comme toujours dans le métro je connecte mes écouteurs à mon téléphone pour écouter de la musique. Et pour la première fois, je n’ai pas ignoré le message d’alerte du son. J’ai baissé le volume.
Brune Bottero : Vous venez d’écouter Émotions.
Cet épisode a été tourné et écrit par la journaliste Capucine Rouault. Elle vous faisait entendre les témoignages de Etienne et Myriam, et les analyses de Didier Bouccara et Nicolas Becker. Vous pourrez retrouver toutes les références liées à leurs activités sur notre site.
Camille Bichler était en charge de la production de cet épisode, accompagnée de Marie Koyouo. Charles de Cillia en a fait la réalisation et Benoît Daniel s’est occupé de la prise de son. Jean-Baptiste Aubonnet était au mix et c’est Nicolas de Gélis qui a composé le générique d’Émotions.
Si cet épisode vous a plu et que vous souhaitez continuer à questionner les liens entre sensorialité et émotions, je vous recommande la mini-série sur les cinq sens que j’ai réalisée pour ce podcast.
Émotions est un podcast de Louie Média, également rendu possible grâce à Maureen Wilson, responsable éditoriale, Marion Girard, responsable de production, Mélissa Bounoua directrice des productions et Charlotte Pudlowski, directrice éditoriale.
Émotions, c’est un lundi sur deux, là où vous aimez écouter vos podcasts : Apple Podcast, Google Podcast, Soundcloud ou Spotify.
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Bonne écoute, et à bientôt.