Retranscription - Pourquoi les open-spaces vont survivre à la pandémie ?

Marie Semelin : Mon image de l’open space, c’est d’abord la collègue qui mange des sushis devant son ordi à midi parce qu’elle n’a pas le temps, et ensuite elle jette ses boites plastique dans la poubelle et il y a une odeur de sauce soja qui flotte pendant les 3h qui suivent. Mais surtout l’open space, c’est voir tout le monde, tout le temps. On peut vérifier d’un coup d’oeil l’écran du collègue de gauche, et il n’y a aucun échappatoire pour ne pas entendre cet autre, là, parce qu’à chaque fois qu’il se déplace, il ne peut pas s’empêcher de faire une blague, un commentaire, bref un truc qui s’entend. Et puis au fond dans un cube transparent avec des stores il y a le chef, celui qui n’a pas à sentir l’odeur de la sauce soja. 

Avec le covid, on a entendu beaucoup de gens annoncer la mort de l’open space. Est-ce que vivre avec ce nouveau virus ça veut dire cloisonner les espaces de travail ? 

Judith Chetrit c’est sérieusement penché sur la question  et, spoiler, la fin de ces grands espaces de bureau, ça n’est pas pour tout de suite, même si l’open space évolue.

Dans cet épisode, Judith Chetrit est allée visiter les locaux de Orange, où elle a rencontré   Laurent Bandelier, délégué central adjoint de la CFDT de l’entreprise. Elle a aussi échangé avec  Pascal Dibie, ethnologue, plus précisément ethnologue du bureau, et enfin avec Olivier Cros. Il conseille les entreprises sur l’aménagement de leurs espaces de travail. 

Je m’appelle Marie Semelin, vous écoutez peut-être cet épisode en faisant semblant de travailler à votre poste et avec un air super sérieux, et là vous avez peut-être souri sous votre masque... Bienvenue dans Travail (en cours).

Judith Chetrit : Depuis plusieurs mois, si vous y retournez, la vie au bureau a un nouveau mobilier : des signes de circulation à suivre, des flacons de gel hydroalcoolique, des masques, des affiches collées dans les ascenseurs ou sur les portes pour rappeler que cette salle est limitée à 10 personnes.  Il y a des nouvelles habitudes aussi : le mètre de distance, la désinfection des mains et des écrans, le salut du coude. Et au siège d’Orange à Paris, je n’y échappe pas quand je retrouve Laurent Bandelier. Il est délégué central adjoint de la CFDT.

Laurent Bandelier : Il y a eu un chamboulement depuis le début de cette année sur l'aménagement des open space. On a condamné les conditions de travail pour que les gens soient plus forcément face à face à cause de la crise sanitaire, pour plus qu’ils soient face à face ni côte à côte, de façon à respecter les distanciations sociales.

Judith Chetrit : Chez Orange il y a beaucoup d’open space. Laurent Bandelier ne sait pas exactement quelle en est la proportion parmi les espaces de travail mais c’est devenu un aménagement commun depuis une bonne quinzaine d’années. Aujourd’hui, environ un tiers des Français travaille en open space. Et ces bureaux partagés en espace ouvert, eh bien il faut justement les aménager autrement depuis la Covid-19 pour respecter la distanciation sociale. Il y a plus de promiscuité entre les postes et ce n’est pas évident de contrôler tous les déplacements. Alors il y a eu des vitres en plexiglas, un renouvellement plus fréquent de l’air et de la ventilation 

Laurent Bandelier : Maintenant, l'impact, c'est s'il y a plein de monde sur un open space à partir du moment où quelqu'un arrive, a déclaré “Bon bah, je suis un contact” ou “je l'ai attrapé”. C'est tout le plateau qui est impacté. J'ai vu sur un site où j'ai l'habitude d'aller, tout un étage fermer. 

Judith Chetrit : Car les open-spaces, ce sont aussi les toussotements, les éternuements des collègues. Et il n’y a aucune cloison pour nous en protéger. On partage le même air, où stagnent des nuages de gouttelettes peut-être contaminées. 

Pascal Dibie : Le bureau, c'était un lieu un peu sale. Tout le monde était un peu sale. Même les gens qui y allaient. Il y avait un problème d'hygiène général. Il faut savoir quand même que toute la France a été équipée de salles de bains qu'en 1970, c'est-à-dire qu'on a été un des peuples les plus sales du monde pendant longtemps. Et le bureau, il en était un des endroits où on transpirait ce qu'était la société.

Judith Chetrit : La personne qui me décrit cette image très peu ragoûtante des bureaux, c’est Pascal Dibie, ethnologue et auteur d’une Ethnologie du bureau. Alors bien sûr depuis, les conditions d’hygiène ont énormément changé. 

Mais en open-space, les conditions sanitaires ne sont pas toujours idéales.

Déjà en 2013, une étude menée sur plus de 1.800 travailleurs suédois a montré que les personnes qui travaillent en open space sont deux fois plus souvent en arrêt maladie de courte durée que celles qui travaillent dans des bureaux fermés. Une étude danoise et une étude canadienne ont eu des résultats similaires. 

Donc si en temps normal on tombe plus souvent malade en open-space que dans un bureau fermé, autant dire qu’avec la covid-19 l’open space pose question. 

Olivier Cros : On a pu lire dans la presse au début du mois de mai, et après ça n'a pas duré, des articles effectivement, qui traitaient de la question : est-ce la fin de l'open space ? Pourquoi venir au bureau ? Pour y faire quoi ? Et du coup, quelles sont la nature d'espace dont on a besoin et quelles sont les surfaces dont on a besoin ?

Judith Chetrit : Olivier Cros, que vous venez d’entendre, est à la tête d’une équipe qui conseille les entreprises sur l’aménagement de leurs espaces de travail chez CBRE, un groupe américain de conseil en immobilier d’entreprise. 

Dès qu’il m’a accueilli, il m’a tué le suspense : c’est loin d’être la mort de l’open space chez ses clients.

Olivier Cros : Régulièrement, on nous oppose quand on propose un aménagement où il y a une part d'espace ouvert plus importante que le point de départ. On nous dit mais c'est curieux parce qu'il y a beaucoup d'entreprises qui se re-cloisonne. Je n'en connais pas. Je suis spécialiste de ce domaine-là depuis des années et des années. Je ne connais aucune entreprise qui significativement j'entends. Il peut y avoir toujours un endroit où une équipe a été cloisonnée parce que c'était un call center et que c'était un non-sens de ne pas l'avoir fait avant, c'est plutôt ça, mais il n'y a aucun mouvement de fond, ni même d'une entreprise qui soit passée de l'open space et du bureau cloisonné. Donc, c'est un mythe urbain de penser qu'il va y avoir un re-cloisonnement dans une logique de balancier.

Judith Chetrit : Quand j’ai commencé à creuser le sujet, j’ai rapidement compris que la période actuelle était loin d’être le premier procès de l’open-space, un moment où on décortique sa valeur ajoutée, mais surtout ses nuisances.
Pour Pascal Dibie, la question de l’open-space est un serpent de mer du bureau. Ca n’arrête pas de venir et de repartir comme questionnement sur la manière de travailler. 

Pascal Dibie : C’est cyclique un petit peu le rapport comme ça, avec un désir de rassembler les gens dans un espace commun. Et puis après un éclatement dans un espace individuel. Et puis on revient un siècle plus tard à la question. En fait, ça a toujours été comme ça. Un truc qui arrive, qui repart, etc.

Judith Chetrit : Pascal Dibie date les premiers open-spaces au Moyen-Age, avec les scriptoriums - ces salles dans les abbayes où des moines copiaient manuellement et illustraient côte à côte des livres, avant l’invention de l'imprimerie.
Plus tard, on voit d’autres exemples apparaître - qui naissent de la volonté des chefs de surveiller leurs équipes.

Pascal Dibie : Il faut savoir que le Louvre a brûlé dans les années 1760 et que la question a été de reconstruire justement les bureaux qui étaient à l'intérieur du Louvre, qui étaient essentiellement le ministère des Finances.
En fait, on l'a fait à l'imitation du système panoptique anglais, avec cette idée bien archaïque qu'il faut absolument qu'on contrôle et surtout qu'on surveille les gens qui viennent au bureau. Et donc, on a proposé un open space à l'anglaise. Ça a été très, très mal vécu. Et puis, la question s'est posée une seconde fois en 1871. Cette fois-ci, ça a été La Commune. À nouveau, Le Louvre a brûlé, les Tuileries ont brûlé, et on a à nouveau reconstitué.
Et là, il y a une levée de boucliers pour ne pas accepter les open space. Chacun voulant son bureau, on a recommencé à construire des bureaux avec cloisons à l'intérieur du Louvre, par exemple. Donc, il faut savoir que c'est cyclique. Cette demande-là, elle est à la fois... Ça vient pas de la part des gens, ça vient de la part des entrepreneurs et en fait, on fait des lieux où on peut surveiller le plus de gens.

Judith Chetrit : Ce qui va contribuer au développement de l’open-space, c’est aussi l’organisation plus scientifique, PLUS rentable de l’espace de travail dans le secteur tertiaire. Avec quelques grandes compagnies américaines d’assurance qui ouvrent la voie à des bureaux ouverts avec de basses cloisons entre eux pour mieux coordonner le travail sur des dossiers.

Pascal Dibie :  La Lloyd a eu une importance considérable, effectivement, pour la mise en place d'un système de rentabilité administrative, d’une certaine façon. Les assurances demandent une paperasserie importante et là, le fait que, par exemple, à Chicago ou à New-York, l'espace ait commencé à manquer. On a commencé à monter des gratte-ciel pour la réalité et cette fois-ci, on a commencé à rationaliser absolument la production administrative. Et les assurances sont les premières à avoir voulu aller le plus vite possible. Évidemment, une assurance, y’a un cas de sinistre donc il faut le régler assez rapidement. Et là, je pense que l'open space a tout son sens, dans la mesure où, les gens doivent communiquer entre eux, passer d'un bordereau à un autre. Donc, on n'a pas encore de système informatique comme on a des ordinateurs aujourd'hui et là, ça a été vraiment… On le dit d'ailleurs, c'est la taylorisation de la production administrative. Production, en tout cas de bureau. Et là, quelque chose se met vraiment en place qui va déteindre sur l'ensemble des systèmes de gestion. 

Judith Chetrit : La diffusion des open-spaces a continué à se faire par cycles, tout au long du 20e siècle. C’est aussi ce que me raconte Olivier Cros. 

Olivier Cros : Assez paradoxalement, si vous regardez des images du monde bancaire ou d'autres mêmes entreprises dans les années 30, entre deux guerres, vous avez beaucoup d’open space. Et puis, à partir des années 50 et 60 surtout, il y a eu le développement du statut de cadre en France en particulier, mais aussi en Allemagne, etc. Et sont arrivés des hiérarchies intermédiaires en nombre qu'il a fallu récompenser, structurer. Et donc, dans les années 60 70, on est arrivé vers des espaces qui étaient beaucoup plus cloisonnés finalement qu'ils ne pouvaient l'être avant la Seconde Guerre mondiale, c'est déjà un premier paradoxe. On n'en a pas forcément conscience et c'était d'ailleurs probablement la bonne réponse aux besoins du moment puisque à ce moment là, le travail était essentiellement individuel, prévisible, nécessité de la concentration et donc, finalement, le bureau individuel ou le bureau partagé, c'est le meilleur format spatial pour répondre à cette demande-là. En plus, sans forcément de pressions économiques très, très fortes pendant ces années là pour les pays occidentaux en tous les cas.

Et puis, le monde a évolué, mais pas forcément l'espace. Donc, on a commencé à avoir une distorsion très forte entre le travail qui évoluait, de plus en plus imprévisible, de plus en plus collaboratif, alors qu'on restait dans des espaces individuels qui ne répondaient plus, du coup, à ce qu'étaient les journées de travail des différentes personnes. Donc en plus des espaces individuels, il fallait rajouter énormément d'espaces collaboratifs avec l'impossibilité à le faire pour des raisons économiques, une pénurie d'espaces collaboratifs, donc.

Il a fallu simplement, c’est ce qui se passe depuis dix/quinze ans, rééquilibrer tout ça pour fournir des espaces qui répondent à ce que sont les journées des collaborateurs. 

Judith Chetrit : Par contre, derrière l’open space, il ne faut pas voir la promesse d’une meilleure communication entre les collaborateurs. Olivier Cros insiste beaucoup dessus

Olivier Cros : L'autre légende urbaine, c'est les open space ont été créés pour faciliter la communication. Non, les open space ont été créés pour faciliter les réorganisations, la fluidité des équipes pour se rencontrer, etc. Mais ce n'est pas la communication one to one avec des collègues qui font partie de l'équipe parce que de toute façon, ça fonctionne en bureaux partagés. Ça fonctionne pas, évidemment, quand on est dans une succession de bureaux individuels. Les open space n'ont pas été créés. C'est un contre-sens de penser qu'ils ont été créés pour générer de la communication accrue au sein des équipes. 

udith Chetrit : Surtout parce qu’en fait, l’open-space, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ne favorise pas toujours la conversation directe entre les personnes. En 2019, deux professeurs de l’université d’Harvard comparent, à partir de microphones posés sur les tables, le niveau d’interactions au sein d’une même équipe. Celle-ci vient de quitter ses bureaux privés individuels pour un open space. Leurs discussions en face à face baissent de 67%. Ils préférent désormais s’envoyer plus de mails.
Parce qu’en France il y a en moyenne 8-10 personnes dans les open spaces, et elles font du bruit, ce qui parasite parfois la concentration de leurs collègues. Laurent Bandelier :

Laurent Bandelier : Le travail en open space a développé certains comportements. Les gens qui veulent s'isoler pour pouvoir travailler pour se concentrer mettent un casque et écoutent de la musique éventuellement. L'autre aspect, c'est surtout ce qui est conversations, conférences téléphoniques. D'une manière on va dire correcte, les gens évitent de tourner sur une conférence téléphonique avec un haut parleur ouvert. C'est arrivé, c'est tout de suite, c'est très gênant. Et ça, ça, c'est quelque chose qui en était sorti d'ailleurs sur les plateaux : des espèces de petites lampes qui sont posées régulièrement. Si on fait trop de bruit, ça passe au jaune, puis au rouge. Et quand c’est au vert, ça veut dire qu'il n'y a pas trop de bruit, donc on respecte les autres.

Judith Chetrit : C’est pourquoi le type d’espace de travail compte quand on mesure les critères de la qualité de vie au travail. D’après un baromètre Actineo publié en 2019, ceux qui travaillent dans un bureau individuel fermé se disent plus satisfaits que ceux qui se trouvent dans un espace ouvert avec plus de 10 personnes.
Donc si l’open-space nuit à la concentration, mais aussi à la communication, et qu’en plus on est plus susceptibles d’y tomber malade, alors pourquoi est-ce que cette organisation du travail, avec renfort de plexiglas, survit ? Parce que : l’argent. 

Olivier Cros : Un autre argument qui est avancé pour les open space, c'est le gain financier potentiel. Par rapport à des espaces qui seraient significativement plus cloisonnés. C'est en partie vrai puisque quand on regarde l'architecture d'un immeuble. Finalement, l'open space permet d'aller conquérir la circulation comme étant un espace quasiment, non pas de travail, mais c'est en partie le cas quand même, permet d'avoir un mètre carré finalement plus efficient grâce à l'open space.

Judith Chetrit : Et l’open space permet de gagner de l’argent non seulement en économisant des mètres carrés, mais parce que par la suite, cela voudra dire que même si on doit ré-organiser des équipes, comme il n’y a pas de cloison à abattre ou à remettre sur pied, on va aussi faire des économies. 

Olivier Cros : Au fur et à mesure du temps, au fur et à mesure des années, puisque quand on est en open space et en flex office, on a besoin de faire relativement peu de réaménagements à chaque fois qu'il y a une réorganisation. Là, sur la durée de vie d'un immeuble, on y gagne assez significativement.

Judith Chetrit : Parce que pour Olivier Cros, l’open-space, c’est la promesse de la réactivité. 

Olivier Cros : Quand on dit que l'open space facilite l'agilité, c'est entre autres parce que ça évite d'interroger trop significativement toute la techniques de l'immeuble quand on décide de réorganiser des équipes.

Une cloison? Quand vous maintenez un immeuble, c'est un problème. C'est à dire, si une équipe grandit, il y a des cloisons, ça devient un problème parce qu'il faut déplacer les cloisons. C'est coûteux. Voir, ce n'est pas possible. Et ainsi de suite. 

Dire que telle équipe fait 10 personnes aujourd'hui, dès lundi matin, par une note de service, elle fait 12, et on ne change rien à l'espace, que telle équipe se déplace et va désormais travailler à côté de telle autre équipe et on ne réorganise pas massivement l'espace.

Bien sûr, il faut faire des adaptations, mais à la marge. Quand on dit que l'open space permet l'agilité, c'est l'agilité liée au fait que les organisations maintenant sont extrêmement mouvantes. Avant on changeait d'organisation, - alors avant, avant - on changeait d'organisation tous les cinq ans, après tous les trois ans. Et maintenant, on a des entreprises qui changent d'organisation tous les six mois quasiment, c'est à dire qui passent d'une organisation matricielle par produit à une organisation où la dominante, c'est plutôt la géographie. Et ainsi, de suite après l'expertise et ainsi de suite. 

Judith Chetrit : L’enjeu économique, pour les entreprises, est énorme. Car elles ne sont pas toujours propriétaires de leur locaux, et que l’immobilier est leur deuxième poste de dépense. 

Olivier Cros : Maintenant, depuis plusieurs années, ce qui est déployé, c'est ce qu'on appelle l'activité based-workplace en très bon français, donc organisation de l'espace par activités. C'est certes des postes de travail en espaces ouverts, mais qui sont complétés par énormément d'espaces support pour téléphoner, pour se concentrer, pour se réunir de manière formelle ou informelle, pour se détendre, pour de la rêverie, pour des services donnés aux utilisateurs, etc. C’est beaucoup plus large que d'être dans un champ de bureau ouvert.

Si on regarde les entreprises de grande taille, allez, on va être au delà de 100/250 personnes là, globalement, on peut dire que quasiment tous les projets, en tout cas tous les nouveaux projets, sont très majoritairement en open space. Quand je dis très majoritairement en open space, c'est 90/95 pour cent des postes de travail sont en espace ouvert. Et sur tous les projets que l'on lance depuis 3/4 ans, il y a toujours une part de Flex Office.

Judith Chetrit : Pour survivre, l’open space s’adapte. Toujours dans une logique de réduction des coûts de l’immobilier. Et la dernière adaptation en date de l’open-space, c’est le flex office. 

Le flex office, c’est partir du constat qu’il y a tous les jours des postes qui ne sont pas occupés. Parce que les gens sont malades, en congés, en télétravail ou chez des clients. Concrètement avec le flex office, il n’y a plus de bureaux attitrés. Les gens tournent sur les postes en fonction des disponibilités. Avec cette organisation, il y a souvent moins de places de bureaux que de salariés. Le syndicaliste Laurent Bandelier suit très attentivement ce dossier chez Orange depuis quelques années   

Laurent Bandelier : Le Flex Office a commencé à apparaître chez Orange, essentiellement sur deux grands projets. Le premier est ce projet emblématique Lyon 2020. De nouveaux locaux d'un nouveau campus sur Lyon, proche de la Part-Dieu, où là, on a commencé à découvrir des aménagements flex office. Et autre gros projet, ç’a été la reprise de locaux sur la défense, endroit qui s'appelle Coeur Défense pour les services communication entreprise où on a commencé à aménager des locaux flex office, c'est à dire les endroits où les salariés n'avaient plus de positions de travail attribuées. Maintenant, derrière, il y a eu des cas, alors j'espère que ça s'est amélioré depuis puisque je n'ai pas eu de retour, mais sur Coeur Défense, par exemple, il y a des collègues qui sont arrivés le matin, ils n'avaient plus assez de places disponibles. D'autre part, aujourd'hui, le Flex Office provoque des comportements où les gens vont réserver des salles de réunion, puisqu’on a des systèmes de réservation de salle de réunion informatisés, vont réserver des salles de réunion de façon à pouvoir se réunir et travailler la journée en équipe, pas forcément pour tenir une réunion. Et dans certains locaux, il y a des règles qui avaient été établies.

OK, tu prends une salle de réunion pour deux heures et pendant ce temps là, la position sur laquelle tu étais, tu dois tout virer et cette position devient disponible pendant douze heures. Ce qui fait que quand on sort de la salle de réunion, si toutes les positions sont occupées, on ne sait plus où se mettre. 

Judith Chetrit : Pour Laurent Bandelier, le flex office, c’est sans doute la métamorphose lente du bureau qui va être accélérée par la Covid-19. Et le fait que des salariés en télétravail ne viennent plus que deux à trois fois par semaine au bureau

Laurent Bandelier : Maintenant, ne pas avoir forcément un endroit attribué. Il y a des tas de métiers qui en ont l'habitude.

Les vendeurs en boutique n'ont pas un bureau attribué, par exemple. Tout ce qui est commercial, ce qu'on appelle les salariés nomades, sont habitués depuis très longtemps à ne pas forcément avoir une position de travail personnalisée. Ceci dit, c'est loin d'être la majorité des salariés de l'entreprise. Il y a une tentation de faire accélérer le Flex Office à travers le Covid-19, disent clairement clairement, puisqu'on a réussi à placer pour Orange plus de 60.000 personnes en télétravail en l'espace d'une semaine, voire une semaine et demie.

On s'est aperçu qu'il était capable de mettre des gens hors de nos locaux. Maintenant, les gens qui sont en flex office, il y a des choses. Ça ne pourra pas, ça ne pourra pas fonctionner. Il y a des équipes qui ont vraiment des spécificités métier, entre autres les gens qui travaillent sur tout ce qui est transactions boursières au sein de l'entreprise, les acquisitions qu'on va faire… On ne peut pas se permettre de travailler en open space en flex office. Les données sont trop confidentielles et des gens qui travaillent des contrats fournisseurs, c'est pareil. Il y a des notions de confidentialité qui doivent être maintenues. Donc tout ça, il y a des métiers qui sont vraiment pas adaptés à cet aspect flex office. Tous mes collègues qui travaillent dans la cybersécurité, ce n'est pas forcément adapté.

L'aménagement Flex Office, aujourd'hui, est quand même fait de façon plutôt maligne, on va dire. Il y a ce que l'on appelle des clusters. Alors, ce n'est pas des clusters Covid. Cluster, c'est un vieux terme de géographie. C'est une zone dans laquelle tout le monde fait à peu près la même chose, comme un quartier d'affaires ou un quartier commerçant. Donc, on a les clusters dans les locaux, qui sont quand même réservés par rapport à une direction.

Judith Chetrit : En 2019, 14% des actifs auraient déjà goûté au flex office, surtout dans des grandes entreprises comme la BNP, Accenture, Danone, Sanofi ou très récemment PSA. Chez CBRE, l’entreprise où travaille Olivier Cros, c’est aussi le cas depuis deux ans à l’exception du PDG et de ses deux assistantes. 

Olivier Cros : Le taux d'occupation d'avant, je ne le connais pas. Ce que je sais, c'est qu'ici, on est à un taux de Flex relativement, d'ailleurs pas si agressif que ça, on doit être à 0,8 poste de travail par collaborateur. On est, je crois, sur le siège social ici, 650 personnes pour à peu près 540 positions de travail. Et ça fonctionne très, très, très bien. Il y a parfois des grippage sur certains étages parce qu'on s'est trompé dans le niveau de taux de présence et les pics de fréquentation.

Mais l'avantage du flex, c'est qu'on le ré-ajuste extrêmement facilement. Il suffit de dire que le quartier de telle équipe est de tel à tel endroit et finalement, on redonne la souplesse nécessaire.

Judith Chetrit : Et pour lui, c’est rentable si implanté dans des open space et à condition d’avoir bien défini et discuté des règles avant avec les salariés et entre les équipes. 

Olivier Cros : Le principe de base du Flex Office, c'est l'autorégulation. On ne réserve pas son espace avant de venir. On se base sur les statistiques de présence en général, le nombre de bureaux offerts et des ratios qui font que, sans plus d'organisation que ça, ça fonctionne. Et pour que cet équilibre fonctionne et qu'on puisse aller vers vraiment une révolution des espaces de travail, vers de la réservation beaucoup plus significative et donc du coût de localisation, un fonctionnement vraiment sur réservation, y compris dans les espaces ouverts, probablement avec beaucoup de services, beaucoup d'animations sur site. 

Judith Chetrit : En 2009, le siège Alcatel-Lucent de Vélizy était passé en flex office, un pionnier. Et en 2013, Stéphane Dubled, élu CGT du site qui a fermé depuis, écrivait dans les colonnes du Monde que “les flex offices […] ont été très mal vécus.” Pour lui, le flex office était “ressenti comme une économie de bouts de chandelle réalisée sur le dos des salariés.” Cela peut aussi virer au jeu des chaises musicales où c’est la course aux réservations, aux places que l’on garde pour les collègues et amis et au surbooking stressant. 

Plus largement, en 2017, selon un sondage d’Opinionway, beaucoup de Français disent ne jamais avoir entendu parler de ce modèle et deux bons tiers d’entre eux y seraient défavorables si l’idée leur était soumise au travail.

Chez Orange, selon la CFDT, le flex office est un choix qui pourrait être fait sur une vingtaine d’autres projets immobiliers en cours.

Marie Semelin : Vous venez d’écouter Travail (en cours)

Judith Chetrit a réalisé cet épisode sur les open-spaces. 

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Louise Hemmerlé est chargée de production. 

La musique est de Jean Thévenin et Cyril Marchan est à la réalisation. Le mix a été fait par Olivier Bodin. 

Marion Girard est responsable de production, et Maureen Wilson responsable éditoriale. Mélissa Bounoua est à la direction des productions et Charlotte Pudlowski à la direction éditoriale. 

Vous pouvez nous retrouver là où vous avez l’habitude d’écouter vos podcasts : Deezer, iTunes, Spotify, Soundcloud. Vous pouvez aussi nous laisser des commentaires et des étoiles, et si l’épisode vous a plu, n’hésitez pas à en parler autour de vous. 

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