Retranscription - d'où vient notre besoin de plaire aux autres ?

Cyrielle Bedu: J’ai vu et adoré le film Mignonnes de la réalisatrice Maïmouna Doucouré. Il est sorti en 2020. Dans ce film, on suit Amy. Elle a 11 ans, et elle entre sous nos yeux dans l’adolescence. Amy cherche à tout prix à intégrer un groupe de filles de sa nouvelle école. Ces filles sont belles, populaires. Et Amy trouve qu’elles dansent trop bien, comme les femmes sexy des clips de rap qu’elle voit à la télé.

Elles-mêmes ces filles cherchent à tout prix à plaire, à se plaire entre elles, à plaire aux garçons…. Le tout étant bien sûr exacerbé par les réseaux sociaux, par la quête du like, ce like qui est important pour se sentir aimé, apprécié, validé. 

Qu’est-ce qui se joue pour ces jeunes filles dans le fait de plaire à tout prix, quitte à se mettre parfois dans des situations dangereuses ? Pourquoi est-ce que c’est si important pour elles ? Pourquoi cette obsession d’être aimée et de séduire prend une place qui peut paraître disproportionnée dans leur vie ?

Pauline Verduzier s’est posée la question. Elle a grandi dans un monde dans lequel Instagram n’existait pas encore. Mais quand elle était plus jeune, sa quête de validation, son désir de séduire et d’être aimé était semblable à celui d’Amy, de ses copines et à celui de beaucoup d’autres filles et de femmes. Pauline a voulu comprendre d’où venait ce désir de plaire et jusqu’où il pouvait nous mener.

Je m’appelle Cyrielle Bedu, bienvenue dans Émotions

GÉNÉRIQUE 

Pauline Verduzier: Il y a un an, ma mère m'a donné un carnet à couverture rouge. Dedans, elle s'adresse à moi. Elle me parle et elle me raconte mon histoire. Ce carnet, c'est une sorte de journal de mon enfance. Elle a noté des anecdotes, des choses que je disais ou que je faisais quand j'étais petite, et aussi ce qu’elle ressentait.

Sylvie, sa mère: “Juillet 1999.  Pauline, dur, dur en ce moment. Tu revendiques, cries, tient des propos d’une violence inouïe : “Vous ne m’aimez pas, ça ne sert à rien les parents, je veux partir de la maison.” Nous pensons avoir un avant-goût de ce qui nous attend à ton adolescence : ça promet ! C’est épuisant, les enfants. Nerveusement, physiquement, psychiquement. ça use. Il faut être costaud. ça renvoie à soi.”

Pauline: Parfois, je feuillette ce carnet pour trouver des explications à mes problèmes d’adulte. Et il y a un passage en particulier que je relis souvent en ce moment.

Sylvie, sa mère: “Tu es très torturée. Tu n'es pas sûre de toi, te trouves moche. Tu ne fais que dire que “les autres se croient les plus beaux”. C'est une obsession en ce moment. Cette expression revient sans arrêt dans ton discours. “Maxime m'a dit que je me croyais la plus belle. C'est pas vrai, c'est juste que je veux être gentille et qu'on m'aime.” Ah ! Ce regard des autres, quelle obsession. Tu n’y échappes pas, comme moi.”

Pauline: Quand ma mère écrit ça, j'ai 7 ans. Avec le recul, cette anecdote, je l’identifie à mon désir de plaire. Un désir qui a toujours été très fort chez moi, et qui m’a souvent semblé plus fort que chez d’autres personnes de mon entourage Un désir que j’ai envie d’explorer, pour voir ce qu'il raconte, ce qu'il dit de chacun de nous. C’est un désir qui parle de séduction, mais aussi d'expérience du rejet, d’obsession de l’image qu’on renvoie, de blessures, d’épuisement mental et d’angoisse.

Ces lignes du journal de ma mère ont été écrites en 1999. Vingt ans plus tard, j'ai l'impression que ce désir ne m'a jamais vraiment quittée.

Depuis que je suis toute petite, je cherche à plaire aux autres. Aux professeurs. A mes amis. Aux hommes, aux femmes. A des inconnus. Je me demande quand ça a commencé exactement. Est-ce que c’est à 7 ans que je me suis mise à en parler ? Ou est-ce que ça se voyait déjà avant ?

J'ai demandé à ma mère, Sylvie.

On s’est enfermé dans ma chambre pour en discuter.

Sylvie: Tu étais une petite fille qui souhaitait faire plaisir et être surtout conforme, conforme à ce qu'on attendait d'elle. Tu étais dans un respect des normes, de ce que tu avais intégré et que c'était important pour toi, je sentais, bah du coup, de pas dépasser du cadre.

Alors, quand tu rentres à l'école, à l'école maternelle et au primaire, ce que j'ai surtout senti, c'est ta volonté de bien faire, de bien faire par rapport à la scolarité, que ce soit dans les dessins, faire plaisir à la maîtresse, tout bien faire et par rapport aux autres, aux autres enfants en même temps, tu voulais qu'on te remarque et que tu sois regardée par les autres et en même temps, tu critiquais ceux qui se mettaient trop en avant en disant qu'ils faisaient leur belle et en même temps, pouvant peut être un peu jalouser tes camarades qui se mettaient en avant et en même temps en n'ayant intégré que ça se faisait pas d’être dans du débordement.

A l'adolescence, ça a été une autre forme de conformisme qui s'est mise en place. Alors là, du coup, c'était le conformisme par rapport à des codes, des codes de jeunes.

Pauline: Et tu voyais que je voulais plaire à mon groupe d'amis ? 

Sylvie: Oui, c'était hyper important pour toi d'être intégrée et d'être même plus qu'intégrée, c'était presque d'être un peu une position de leader. Et donc, et intellectuellement donc au niveau scolaire et aussi au niveau habillement, séduction, physique. Enfin, voilà, il y avait les deux aspects. Je n'ai pas senti que tu en souffrais, mais j'avais l'impression que tu étais enfermée effectivement dans quelque chose, prisonnière de quelque chose qui t'enlevait de la liberté, la liberté d’être toi-même. 

Pauline: Je suis donc une enfant et une adolescente "conformiste", comme sûrement beaucoup de filles. Dans le processus de socialisation de genre, nous sommes toutes incitées à répondre à ces attentes : être sage, être jolie, être bonne élève.

Autour de mes 18 ans, en tant que fille bien conforme, je cherche à tout prix à plaire aux garçons. A ce moment-là, mon envie de plaire se matérialise par la recherche de leur approbation. Et pour moi ça passe par la séduction, ou par le fait d’avoir une cour de prétendants. Par exemple, je peux embrasser plusieurs hommes dans une soirée, juste pour sentir que je plais, sans même forcément que la personne en face me plaise tant que ça. Si je rencontre un homme, j’ai tout de suite envie de sentir que je l’attire et je déploie beaucoup d’efforts en conséquence. J’y dépense beaucoup d’énergie. D’ailleurs, je suis une des seules de ma bande d’amies à être dans cette frénésie de conquêtes. Ca aussi, ma mère en a été témoin.

Sylvie: Oui alors c’est vrai que j’ai ressenti de l’incompréhension de voir que chez toi il y avait vraiment cette volonté de séduire. Mais séduire pas pour aller plus loin. Et j’ai notamment en tête un souvenir où on était parti en randonnée.

Et la randonnée a dû s’écourter parce qu'il s'est mis à pleuvoir. On s'est retrouvé dans un petit restaurant tout à fait champêtre et rural, au bord d'un lac, et tu es allée à la table de deux garçons qui étaient là. Des rugbymans. 

Et tu as déballé tout un schéma de séduction. Et nous, on est à la table à côté. Je t'ai vu faire et j'étais estomaquée. Je me suis dit : mais c'est quoi le but? C'est quoi l'intérêt? Surtout que je pensais bien que derrière, il n'y allait pas y avoir autre chose. Mais c'était vraiment cette volonté que les gars te mangent dans la main, qu'ils soient séduits par toi. Il y avait vraiment, ça qui était en œuvre. Et puis, à d'autres reprises, tu as pu me parler aussi de certaines choses, de cette envie dans des soirées, que tu plaises et que des gens soient accrochés par toi et aient envie d'aller plus loin, ce que toi  tu n'avais pas forcément envie. Et c'est vrai que ça a pu me surprendre parce que je me disais : Mais à quoi bon? Parce que c'est quoi l'intérêt?

Musique

Pauline: Dans le journal intime que je tenais au lycée, je parle de ces fameuses soirées où je passe la plupart de mon temps à séduire. En classe de terminale, j'écris que que j’ai jeté mon dévolu sur un mec principalement parce qu’il se trouvait au bon endroit, au bon moment. On a dormi dans le même sac de couchage.

Je me souviens très bien de cette soirée. C’est moi qui me suis jetée au cou de ce garçon et c’était absolument consenti. Simplement, au réveil, mon désir de séduire m’apparaît moins reluisant : pour plaire, je suis prête à tout, quitte à ne pas me poser la question de ce que je désire, moi, et quitte, parfois, à me mettre en danger.

Sentir que je plais me valorise et me fait plaisir. Mais ça me fait aussi du mal. Et ce qui me différencie peut-être d’autres personnes, ce sont les efforts que j’y mets, et l’angoisse provoquée par l’idée de ne pas plaire. 

Si je sens que je ne plais pas plus que ça, cela entraîne beaucoup, beaucoup de pensées négatives. Je me dis que je ne suis pas assez bien, qu’il y a un problème avec moi.  Il y a une différence entre la Pauline qui séduit les deux rugbymen parce que ça l’amuse, et la Pauline qui, si les deux rugbymen s’étaient détournés d’elle, aurait paniqué en se demandant ce qui n’allait pas chez elle.

En fait, je place ma valeur dans ce que les autres pensent de moi. Je dois être notée, validée, approuvée, tout le temps.
Dans mon journal, au lycée, j’écris que je puise mon assurance dans l’identité que j’essaie de me construire par rapport aux autres.

Lecture : Vendredi 8 mai 2009. Je crois que je comprends l’origine de tout ça. C’est la soif d’être reconnue. J’aime séduire les enseignants, les faire m’approuver, me louer. En société, il n’est plus question de notes. L’enjeu, c’est se mirer dans le regard de l’autre, de mesurer sa force d’attraction. Ces deux domaines m’apportent de la joie, mais je me laisse porter sans savoir vraiment moi-même ce que je veux.

Je me suis demandé si ce sentiment pouvait aussi se déclarer chez des hommes qui n’auraient pas été soumis aux mêmes injonctions que moi. J’en ai discuté avec Mathias Il a 28 ans, comme moi. Il est fonctionnaire et il vit dans le nord de Paris. Il m’a reçue dans son appartement. Lui aussi a très envie de plaire. Il se souvient bien de la première fois où il a ressenti cette émotion.

Mathias: En fait, je me souviens de la première fois où j'ai eu une émotion forte par rapport à ce désir de plaire. Et ce n'était pas très calculé, parce que j'étais enfant. Je devais avoir aux alentours de 8-9 ans et je faisais du théâtre par envie, mais pas spécialement avec cette idée dans la tête à l'époque.

En fait, quand on a fait nos premières représentations et que j'ai entendu le public répondre en rigolant parce que c'était plutôt comique, j'ai senti une sorte de décharge euphorique en me disant : mais c'est génial. J'avais l'impression d’avoir une sorte de pouvoir ou de reconnaissance donnée par les autres et ça m'a beaucoup marqué. Et j'ai l'impression que c'est quelque chose que depuis, j'ai vachement recherché, en tout cas qui m'est apparu comme une possibilité à chaque interaction sociale. Et du coup, je suis un peu, c'est un peu mon étalon pour comparer toutes les autres interactions.

Pauline: Le fait qu’on l’applaudisse pour lui, le fait qu’on me mange dans la main pour moi : ces événements nous apportent à tous les deux de la satisfaction, une forme de plaisir et de lien à l’autre.

Cette satisfaction est normale. Elle fait partie de la fonction du désir de plaire, qui est enjeu de reconnaissance et qui nous permet de nous situer par rapport au groupe. 

J’en ai parlé avec la philosophe et psychanalyste Elsa Godart. Pour elle, ce désir que nous partageons Matias et moi est utile, et même essentiel.

Elsa Godart: La nécessité de plaire est quelque chose de fondamental puisque, pour commencer, c'est la question de la reconnaissance de sa propre image et au-delà de son image, de sa propre identité dans le regard de l'autre. Et on peut évoquer, même si cette théorie est souvent remise en cause, mais au moins du point de vue symbolique, le désir de séduction infantile tel que Freud l'évoque. C'est à dire qu'au départ, et c'est tout à fait logique, un enfant veut plaire à ses parents et a besoin d'être, entre guillemets, désiré, c'est à dire d'être aimé dans le regard de ses parents pour pouvoir grandir.

Pauline: Ce désir nous poursuit à l’âge adulte et prend d’autres formes.

Le Dr Roger Covin est psychologue clinicien à Ottawa, au Canada, et il a étudié le sujet dans son livre The Need to be liked (le besoin d’être aimé). Dans cet ouvrage, il s’appuie sur la recherche en neurosciences et sur ses observations auprès de sa patientèle. Je décide de l’appeler.

Roger Covin: Basically, everyone on the planet is trying to connect with other people, trying to be part of a group. The only way you can really do that or one of the key things you need is to be liked by those people. And fear of rejection is important because we need to form relationships with people in there or we need to get a job. There are situations where we need to be liked to some degree. And then there are severe consequences when you're not liked, when people are excluded, when they're rejected, when they spend time away from other people. That's when you see problems with anxiety, depression. So you see some differences, but for the most part, ninety nine percent of the people on the planet have this need.

En gros, tout le monde essaie de se connecter à d'autres personnes, et essaie de faire partie d'un groupe. La seule façon de faire ça, c’est d'être aimé par ces personnes. Et la peur du rejet est importante parce que nous devons établir des relations avec les gens, ou nous devons trouver un emploi par exemple. Il y a des situations où nous devons être aimé dans une certaine mesure. Et puis il y a de graves conséquences quand on n'est pas aimé, quand les gens sont exclus, quand ils sont rejetés, quand ils passent du temps loin des autres. C'est là que vous voyez des problèmes d'anxiété, de dépression. La plupart des gens, je dirais, 99% des gens, ont besoin d’être aimé.

Pauline: Pour lui, derrière le désir de plaire, il y a donc la peur du rejet.

C’est bien ce que je ressens quand je suis adolescente. Ce n’est pas une simple question de conformité aux normes : mes pensées négatives sur l’éventualité qu’on ne m’aime pas engendrent un stress important, et aussi des manifestations physiques liées à l’anxiété qu’elles génèrent.

Je rougis beaucoup. Dès qu’on s’adresse à moi, dès qu’on me regarde, je deviens cramoisie, ça fait rire les autres. Alors, c’est auto-réalisateur : quand on pose les yeux sur moi, j’ai peur de ce que la personne pourrait se dire à mon sujet, donc je rougis encore plus. Ce n’est pas de la timidité que j’éprouve : je ne supporte pas l’idée qu’on pourrait avoir une image négative de moi. Je ne veux pas qu’on me voie faible, je ne veux pas montrer de signes de vulnérabilité. Je veux qu’on m’aime, comme je le disais à ma mère quand j’étais une petite fille. Je développe une forme d’éreutophobie, la peur excessive de rougir en public, qui se nourrit de la peur du regard des autres. C’est une phobie qui peut aussi bien s’activer quand on reçoit des compliments ou quand on cherche à plaire, que lorsque l’on ressent une émotion négative, comme la peur d'être jugé-e.

C’est cette peur que Roger Covin a étudiée.

Roger Covin: The first stage of this is what we would call threat appraisal, so this is the ability to identify things that could hurt us physically in some way. And humans definitely seem to be wired to do this. So, you know, research studies show that if you show a grid of pictures on a screen and the pictures include things like flowers or mushrooms, but also spiders and snakes, people are really good, really fast at being able to identify the snakes and spiders much more quickly. We know the next stage after threat appraisal is sort of this, you know, reaction to threat. So an organism, when it's feeling threatened, will either want to fight the attack, run away from the attack, or in some cases will freeze as if there's nothing you can do.

La première étape est ce que nous appelons l'évaluation de la menace. C’est la capacité d'identifier les choses qui pourraient nous blesser physiquement d'une manière ou d'une autre. Et les humains semblent absolument prédisposés à le faire. Des études montrent que si vous montrez des images à quelqu’un sur un écran et que ces images incluent des choses comme des fleurs ou des champignons, mais aussi des araignées et des serpents, les gens sont vraiment bons, et rapides pour identifier les serpents et les araignées. 

L’étape d’après dans l'évaluation de la menace c’est la réaction face à la menace. Donc, un organisme quand il se sent menacé, voudra soit combattre l'attaque, soit la fuir, soit, dans certains cas, se geler, comme s' il ne pouvait rien faire. 

Face au danger, il y a donc trois possibles réactions : combattre, fuir ou se geler, comme l’explique Roger Covin. Et selon lui, ce modèle peut aussi s’appliquer aux situations sociales, notamment quand on a peur du rejet de l’autre.

Roger Covin: OK, so the first one is flight. So running away. Like you will just see people not go on a date or not go to parties. You know, you could just avoid situations where you could possibly feel social pain. But you'll also see it be done in more subtle ways. So, you know, when you're interacting with other people, you can subtly avoid by drinking alcohol, you could just sort of get rid of all the body anxiety. And most of us do this to some degree. Right. But you can do it sort of in the way that you interact with people by, you know, engaging in very superficial conversation, not really revealing much about you. Many of the patients that struggle with the self-doubt and insecurity about these things. They often describe wearing a mask. So they are rarely showing other people who they really are in terms of what they believe and what they think and what their personality is like. They're often just avoiding showing anyone these qualities out of fear that it will lead to rejection. And if someone's going to reject you, it'd be better that they reject the fake you than the real you. So you can see these different sort of types of avoidance.

The other sort of next category of things that people do when they really fear rejection and they're trying to prevent it is you will see sort of a fight response. It's a way to, you know, if you're really insecure and you look around and you see that other people are really likeable or they're really attractive or they're really funny, if you can tear them down mentally in your own head, then you close that gap between where you think you are and where you think they are. It's a way to mentally feel, you know, more acceptable by tearing other people down.

But the other thing that tends to come up in this sort of category is what we call overcompensation. So when you have a flaw, when you have something about you that you don't like, you know, we all kind of will try to compensate for that in some way.But it becomes unhealthy when you're persistently putting in effort and time to hide and change the flaws that you think make you unacceptable or unlovable or whatever. Some people overcompensate by trying to be excessively entertaining and just be admired by people. It's going way beyond what you have to do to just get people to like you normally.

Some people engage in self-sacrifice. Doing things for other people to be liked.

And then the final one is sort of a freeze response. They just act as if they are fundamentally unlikable and unlovable. And so they will just move through life as if that were true. The person who's freezing is not dating because they don't even believe that they could be liked or loved, that's sort of when it's in more extreme form.

Donc, la première réaction, c’est la fuite. Vous verrez des gens ne pas aller à un rendez-vous amoureux ou ne pas aller à des fêtes. Ils évitent des situations où ils peuvent ressentir de la douleur sociale. Mais ça peut aussi se faire de manière plus subtile. Quand vous interagissez avec d'autres personnes, vous pouvez fuir                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       en buvant de l'alcool par exemple, pour se débarrasser de l'angoisse corporelle. Et la plupart d'entre nous le font dans une certaine mesure. Mais vous pouvez aussi le faire quand vous interagissez avec les gens en ayant des conversations très superficielles, sans vraiment révéler grand-chose sur vous. Beaucoup de patients qui se débattent avec leur manque de confiance en eux et leur insécurité disent souvent porter un masque. Donc, ils montrent rarement aux autres qui ils sont vraiment, ce en quoi ils croient, ce qu'ils pensent et leurs personnalités. Ils évitent souvent de montrer ces choses à qui que ce soit par crainte d’être rejeté. Et si quelqu'un veut vous rejeter, il vaut mieux qu'il rejette le faux vous que le vrai vous. Vous pouvez donc voir ces différents types d'évitement. 

Les choses que font les gens quand ils ont peur d’être rejeté, c'est une sorte de réaction de combat. Si vous n'êtes pas sûr de vous et que vous regardez autour de vous et que vous voyez que les autres ont l’air vraiment sympathiques ou qu'ils sont vraiment attirants ou drôles, si vous pouvez les démolir mentalement dans votre tête, pour combler cet écart entre ce que vous pensez de vous-même et ce que vous pensez qu'ils sont. C'est une façon de se sentir plus acceptable.

L'autre chose c’est la surcompensation. Quand on a un défaut, qu’on a quelque chose qu’on aime pas, on essaie tous de compenser cela d'une manière ou d'une autre, mais cela devient malsain quand on fait constamment des efforts pour cacher et changer les défauts qui nous rendent soit pas agréable ou pas aimable. Certaines personnes sur-compensent en essayant d'être excessivement divertissantes et d'être admirées par les gens. Cela va bien au-delà de ce que vous devez faire pour amener les gens à vous aimer normalement. D’autres personnes se sacrifient. Elles font des choses, pour les autres, pour être aimées. Et puis la dernière catégorie c’est une sorte de réaction qui s'apparente à celle d’être gelée. Les gens agissent comme s'ils n’étaient pas aimables. Et ils évoluent dans la vie comme si c'était le cas. La personne qui se gèle évite les rencards et les rendez-vous, parce qu'elle ne croit même pas qu'elle peut être aimée. C’est une des réactions extrêmes à la menace.

Pauline: Moi, je crois que je suis dans le “fight” - le combat. Pas parce que je critique les autres pour me sentir mieux, mais parce que je suis dans la surcompensation. J’essaie de séduire à tout prix, je masque mon stress, je veux être gentille et agréable avec tout le monde, quitte à nier mes envies.

Pour Roger Covin, la manière dont nous réagissons dans certaines situations nous permet d’éviter ce qu’il appelle la douleur sociale. La douleur sociale, c’est ce qu’on peut ressentir quand on se sent rejeté ou exclu.

Roger Covin: So, for example, with threat appraisal, it seems we're wired to identify whether other people are upset with us or are going to reject us. You know, infants are able to start to recognize emotions that around four months, that's incredibly early. And if you flash pictures of angry faces on a computer screen at like, you know in 80 milliseconds, 90 milliseconds, we can identify or, you know, you can see a reaction in people when it's an angry face. So we're very good at identifying people's expressions and how they might relate to us in terms of potential threat. We see the same thing when people are in social situations and they feel threatened, except in this case, the threat is not to the physical safety. The threat has to do with social pain.

Par exemple, si on reprend la question de l'évaluation de la menace, il semble que nous soyons câblés pour déterminer si d'autres personnes sont en colère contre nous ou vont nous rejeter. Vous savez, les nourrissons sont capables de reconnaître les émotions vers quatre mois, c'est incroyablement tôt. 

Si on nous montre des images de visages en colère rapidement en 80 millisecondes ou 90 millisecondes, on peut identifier si un visage est en colère. Nous sommes donc très doués pour identifier les expressions des gens et comment ils pourraient nous toucher en termes de menace potentielle. On voit la même chose quand les gens sont dans des situations et qu'ils se sentent menacés, sauf que dans ce cas, la menace n’atteint pas la sécurité physique. La menace est la douleur sociale.

Pauline: Plusieurs travaux de recherche en neurosciences ont constaté des similitudes entre l'expérience de cette “douleur sociale” et celle de la douleur physique.

Par exemple, la psychologue et chercheuse américaine Naomi I. Eisenberger a étudié l’activité cérébrale de participants en les faisant jouer à un jeu virtuel de lancer de balle, dans lequel le joueur est censé jouer à plusieurs. Quand le joueur était exclu des échanges de balle, elle a constaté que les régions du cerveau qui s’activaient étaient les mêmes que quand on est blessé physiquement.

D’autres études ont mené à des conclusions similaires, y compris dans le domaine amoureux. Par exemple, les travaux de l’anthropologue Helen Fisher ont montré que c’était ces mêmes régions neuronales qui s’activaient quand des personnes qui s’étaient faites larguées regardaient une photo de leur ex.

Roger Covin: And when you look around the world at different cultures and the way they talk about being rejected, they use words that reflect that. In English we would say I felt crushed when that happened or it really hurt, you know, when I was when my partner left me or the criticism stung, you know, in French they say blessé.

Mirroring the physical safety system, we respond to feeling rejection in the same way we fight it or we run away. You know, you can see that when people feel hurt by another person, they will sometimes attack that person. And conversely, people will run away when they feel that they have been severely criticized or hurt by another person. So you can see these reactions to social pain that are very much in line with physical pain and the way we respond to it.

Quand vous regardez à travers le monde les différentes cultures et la façon dont on parle du rejet, on utilise des mots qui reflètent cela. En anglais on dit je me sens écrasé ou ça m’a fait vraiment mal, quand mon partenaire m'a quitté ou les critiques m’ont vraiment piqué. En français on dit blessé...

Et là encore, nous réagissons au rejet de la même manière:  nous le combattons ou nous nous enfuyons. Vous pouvez voir que lorsque les gens se sentent blessés par une autre personne, ils attaquent parfois cette personne. Et inversement, les gens s'enfuiront lorsqu'ils auront l'impression d'avoir été sévèrement critiqués ou blessés par une autre personne. Donc on peut voir que ces réactions à la douleur sociale sont comparables avec la douleur physique et la façon dont nous y répondons.

Pauline: Roger Covin explique que le désir de plaire est nécessaire quand on veut nouer des relations, et qu’il est normal de se sentir blessé quand on se sent rejeté.

Mais le problème, c’est quand la simple envie d’être apprécié-e devient une peur très forte du rejet. Quand cette peur nous fait souffrir. Quand elle est irrationnelle. Quand elle fait qu'on s'adapte à l'autre, et qu’on valorise son regard plus que nos besoins. Ou quand elle génère un niveau élevé d’anxiété.

Dans ces cas-là, on peut dire que le désir de plaire ne provient pas d’une envie de satisfaction personnelle : il est motivé par la peur de l'échec plus que par le désir de succès. 

Ça avait été mon cas : mon désir de plaire n’était pas qu’un jeu léger de séduction et d’échanges. Il agissait sur mon humeur, il me faisait angoisser, même quand il n’y avait pas de preuve du danger.

Roger Covin: One of the main problems that people get themselves into is they're identifying rejection or potential rejection where it doesn't exist. So they are, you know, in a conversation with someone and engaging in mind reading, you know, in psychology, when you are always trying, always assuming that other people are thinking negative things about you we call that mind reading and you see that all the time, you know. The other thing that that I think can contribute to misinterpretation is if you've had bad experiences in the past, let's say, with a group of friends who who did something mean to you or whatever, and then you're in a similar situation in the future where you have a group of friends and they all, let's say they were all able to get tickets for a concert, but none for you, that might stand out as being : Oh, no. Am I back in a situation where friends are abandoning me? And that's where being able to step back and evaluate the evidence and not rush to judgment ends up being really important. Misinterpretations get so many people in trouble.

L'un des principaux problèmes dans lesquels les gens se mettent à voir le rejet ou le rejet potentiel là où il n'existe pas. Dans une conversation avec quelqu'un, ils se mettent à essayer d'interpréter ses pensées. En psychologie, on parle d'interprétation de pensées ou de lecture de pensées, quand quelqu’un suppose toujours que d'autres personnes pensent du mal de lui et on voit ça très souvent. L'autre chose qui, je pense, peut contribuer à une mauvaise interprétation, c'est si vous avez eu de mauvaises expériences dans le passé, disons par exemple, avec un groupe d'amis qui vous a fait quelque chose de méchant. Quand vous êtes dans une situation similaire plus tard, que vous êtes par exemple avec un groupe d'amis qui a acheté des billets pour un concert pour tout le monde, sauf pour vous, vous pouvez vous dire : “Oh non. Est-ce que je suis de nouveau dans une situation où mes amis m'abandonnent?” Et c'est là que le fait de prendre du recul, d’évaluer de façon objective la situation et ne pas se précipiter vers des conclusions hâtives finit par être vraiment important. Les mauvaises interprétations mettent beaucoup de gens en difficulté.

Pauline: C’est cette idée de lecture de pensées des autres et d'interprétation d’un événement douloureux qui va agir sur notre attitude future pour nous préparer à une nouvelle menace potentielle. C’est exactement ce qui est arrivé à Mathias.

Mathias: Quand j'étais à l'université et qu'il a fallu sociabiliser d'une façon - pour moi qui était la plus répandue, c'était d'aller dans des soirées organisées par les gens - j'avais vraiment l'impression d'être finalement devant un public aussi et d'être en représentation. Et en tout cas qu'il y avait un enjeu et une pression à ce niveau là, comme une pression de performance. Et ce qui fait que j'ai commencé à ressentir plutôt des émotions négatives assez fortes à ce moment là, et notamment, ça m'est arrivé plusieurs fois de un peu, j'allais dire dissocier, en tout cas de un peu m'éteindre pendant des soirées parce que j'avais l'impression de donner beaucoup de choses et de ne pas recevoir de retour, de ne pas plaire. Et ça me mettait vraiment mal, ce qui faisait que je me mettais vraiment en retrait. Et ça m'est souvent arrivé de partir plus tôt de soirée parce que c'était trop difficile pour moi et que j'avais l'impression de renoncer parce que je n'obtenais pas ce que je voulais.

Pauline: Mathias me donne un exemple précis d'interaction où il s’est senti mal.

Mathias: En fait, c'était une soirée qui était organisée par plusieurs membres de ma promo et en fait, j'avais de l'espoir parce qu'on se connaissait assez bien. Donc j'avais une base de laquelle partir. Le chemin me semblait moins long pour pouvoir arriver au fameux résultat que j'attendais. Et en fait, les gens m'ont accordé vraiment peu d'attention et il s'est vraiment passé peu de choses. Je me suis même inquiété du peu que je parlais. Et en plus, c'était un cercle vicieux puisque je me mettais plus en retrait. Je commençais déjà à me dire “Oh là là, il y a quelque chose qui ne va pas, fais mieux”. 

Et en même temps, je regarde autour de moi. Je voyais les gens rigoler ensemble. Il y avait quelque chose d'un peu parano, sans doute. Mais je voyais, je me disais “mais qu'est ce qui se passe pas, là?”. En fait, je me suis dit -c'est typiquement un exemple, tout à l'heure, je disais de partir plus tôt-, je me suis dit “si j'arrive pas maintenant c'est qu'il y a un problème de fond” et en fait, ça m'a complètement découragé. Et vraiment, j'ai dû rester, je ne sais pas, peut être max deux heures sur un truc qui a commencé tôt vers 20 heures. Donc vraiment, j'en suis arrivé au point, j'ai dit au-revoir à tout le monde, j'ai dû prétexter quelque chose. J’ai clairement pas dit “je n'y arrive pas”. Je me sentais mal. Je me sentais en échec. 

Et j'ai commencé à me dire que ce soir là, après une fois rentré chez moi, je me suis dit que quelque chose n'allait pas avec moi et il y avait un côté un peu un couperet un peu définitif, comme si quelque chose s'était un peu cassé dans ma perception de ces interactions là.

Pendant facilement un an - j’étais en colocation à l'époque et en couple - en fait, je me suis vraiment replié sur ces deux relations et j'ai vraiment réduit mes interactions avec mes camarades de classe d'université au minimum. Et même quand ils me proposaient des choses, des verres, des choses peut-être moins exigeantes, je refusais systématiquement parce que je me disais que ça n'allait être que de la souffrance.

C'est complètement de la phobie sociale puisque là, je ne pouvais pas penser à un évènement social autrement qu'en ayant beaucoup d'appréhension. Je regardais la série The Office version américaine et le personnage de Pam à un moment dit que c’est une “people pleaser”. Je me suis dit en fait, ça me renvoie à quelque chose. Cette idée de plaire à tout le monde, c'est quelque chose qui existe. C'est comme si ça avait mis un projecteur sur cette émotion là, cette sensation là. Je me suis dit oui, c'est clairement, ça parle à quelque chose en moi.

Pauline: Matias veut être un people pleaser, et il a tout le temps peur de ne pas réussir à attirer l’attention comme quand il faisait du théâtre. Cela l’obsède au point d’être paralysé dans ses contacts. Moi aussi, j’ai peur de laisser les autres indifférents.

Nos désirs de plaire sont devenus des sortes de mesures de nos échanges sociaux et ils ont eu des conséquences sur nos comportements. D’ailleurs, nos corps réagissent parfois de la même manière que si on se trouvait face à un vrai danger pour notre sécurité. 

Matias parle de phobie. C’est aussi ce que j’ai vécu. Quand j’ai 25 ans, je ne rougis plus comme quand j'étais petite, mais je me mets à angoisser à haute fréquence quand je suis en présence d’un groupe de gens. Mon désir de plaire et la peur qu’il provoque ont évolué dans leurs manifestations physiques. Ça me prend toute entière, comme une vague de peur glacée qui s'abat sur moi et dans laquelle je me noie. Je me dis que les gens vont le voir et qu’ils vont moins m’aimer. A ce moment-là, quand je suis en présence du regard des autres, je ressens un inconfort, j'ai la nuque qui se raidit, qui tremble parfois, le cœur qui palpite, la tête prise dans un étau. Ce n’est pas un simple stress : la peur est intense et se transforme parfois en attaques de panique. Elle me fait développer des pensées envahissantes. “Qu’est-ce qu’on va penser de moi ?” “Est-ce que ça se voit ?” “Je vais faire pitié.” “On va penser que je suis faible.” ou encore “Je ne suis pas à la hauteur.”

Le problème dans tout ça, c’est l’intensité. Tout est question de proportionnalité.

Roger Covin: If you were in front of a bear or a tiger, you can just let your body go crazy with heart rate and muscle tension and shaking and run away. But, you know, the crazy thing in our society is we have to do job interviews and speeches and we have to have interactions where in some cases our bodies and brains are going crazy. But on the outside, we have to look composed or we try to look composed. 

Si vous êtes face à un ours ou un tigre, votre corps peut devenir fou : votre rythme cardiaque peut augmenter, vos muscles peuvent se tendre, vous pouvez vous mettre à trembler et fuir. Mais ce qui est fou dans notre société, c'est qu’on doit faire des entretiens d'embauche, des discours et avoir des interactions au cours desquelles, dans certains cas, nos corps et nos cerveaux deviennent fous. Alors qu’à l'extérieur, on doit avoir l'air calme, on doit essayer d’avoir l’air posé et tranquille.

Pauline: Effectivement, pour moi, c’est très éprouvant. C'est pour cette raison qu’en 2017, je décide de consulter une psy. Celle que je choisis s’appelle Cyrielle Blau, elle est une psychologue clinicienne à Paris. 

C’est avec elle que j’arrive à mettre un mot sur ce qui se passe en moi. Ce que je ressens, comme ce que ressentais Mathias, c’est de l’anxiété sociale. Ce trouble anxieux qui se caractérise par une peur intense quand on se trouve confronté aux regard des autres et qui peut être motivé par le désir de plaire. Avec elle, je découvre que ce désir de plaire peut nous emmener loin.

Cyrielle Blau: Ce désir de plaire quand il fait souffrir, il peut prendre plusieurs formes. Il peut prendre une forme émotionnelle: ça peut être le mal être quand je sors non maquillée, par exemple, le stress la veille d'une réunion. Il peut également être cognitif: quand je me dis que je dois être appréciée de tous ou que le travail que j'ai rendu était nul, alors que ma hiérarchie est satisfaite. C'est vraiment un décalage avec la réalité. Il peut également être comportemental: ça peut être accepter toute demande de travail alors que je suis déjà surchargé, sans rien dire. Annuler un week-end que j'attendais depuis longtemps pour aider un ami à un déménagement, pas pour l'aider et lui faire plaisir mais de peur que cette amie ne nous aime plus, c'est l'intention qui est importante à ce moment-là. L'envie de plaire quand elle prend trop de place, peut nous déprimer parce que c'est extrêmement coûteux en énergie. On est dans le contrôle excessif, permanent et ça fatigue, et ça mobilise beaucoup de ressources. Ça fatigue et la fatigue déprime. On peut se sentir nul, ne pas y arriver dans l'échec et du coup, ça altère le moral.

Pauline: C’est ce qu’a vécu Matias. Il voulait tellement plaire, qu’il a fini par s’isoler. L’anxiété sociale, liée à la peur du rejet, était si forte que ça a eu des conséquences importantes sur sa santé mentale.

Mathias: A l'époque, je ne l'ai pas forcément vécu comme ça, parce que je continuais à aller en cours et à assurer des interactions minimales, mais clairement ce repli dont je parle, j'étais vraiment enfermé dans ma tristesse. Donc oui, je pense qu'on peut parler d'un épisode dépressif. 

La phobie sociale, l'anxiété sociale a vraiment quelque chose de fatiguant, physiquement et mentalement. Et quand j'évoquais tout à l'heure le fait que je partais plutôt de soirée, c'est parce que j'avais plus d'énergie. Mais forcément, je voulais tellement être partout, être tellement à l'écoute de ce qui se passait autour de moi, en train de comparer en permanence que ça prend beaucoup plus d'énergie qu'une conversation normale. Ce qui faisait que je finissais par m'éteindre, arriver à bout d’énergie et avoir plus de mal à exister dans la conversation. 

Ça devenait même un peu absurde parce que des fois, je me torturais pour un échange de deux phrases avec le boulanger en me disant “J'ai pas bien répondu, c’est peut-être une perche qu’il me tendait que je n'ai pas saisie du coup”. Comme si tout, tout le temps, c’était une représentation, sans arrêt.

Pauline: Avec Matias, on s’est demandé d’où ça pouvait venir, cette envie de plaire qu’on a en commun. Lui, il a cherché des réponses auprès d’une psychanalyste.

Mathias: C'est vrai que la psychanalyse a cette particularité, qu'elle est quand même assez tournée vers les origines, de chercher les origines des choses, et c'est vrai que ma psychanalyse m'a pas mal poussé à chercher du côté de l'enfance. Et c'est vrai que j'ai retrouvé un désir de plaire qui s'est mal passé avec mes parents et j'ai eu un manque de reconnaissance. À un moment, je pense que je cherchais leur reconnaissance, ce qui est normal pour un enfant et ça ne s'est pas fait ou j'ai ressenti comme une forme de désintérêt ou de manque d'intérêt de leur part. Ça m'est venu après, après coup, mais vraiment, j'ai fait le parallèle comme si c'était toujours la même scène que je remettais en scène moi-même et dans laquelle il s'agissait d'arriver cette fois à attirer l'attention et à obtenir la reconnaissance des gens.

Pauline: En fait, c’est comme si Matias était toujours sur cette scène de théâtre… J’ai aussi parlé de cet aspect-là avec ma mère. 

J’entend cette approche psychanalytique. Bien sûr que notre rapport à nos parents joue. Mais il ne doit pas nous faire oublier les causes sociales de notre mal-être. Parce que le désir de plaire, il se construit aussi socialement. En ce qui me concerne, j’ai l’impression que l’anxiété qui découle de mon envie d’être aimée tient aussi aux injonctions et aux normes sociales.

Je pense surtout aux normes sexistes dont je parlais tout à l'heure. Même si toutes les femmes n'ont pas le même besoin de séduction que moi, je sais que, dans mon cas, ces normes ont joué. Des normes qui m'ont poussée à me définir dans le regard des hommes, qui poussent en général les femmes à se voir au travers des autres, et non à travers leurs actions ou leurs accomplissements.

Selon la psychanalyste Lynne Layton, chez les femmes la construction sociale de la féminité et l’estime de soi se nourrissent des relations humaines. Dans le fait par exemple d’être à l’écoute de ses proches, de chercher le bien-être de l’autre. Elles finissent donc par ne se concevoir qu’à travers ces relations avec autrui et par être incapables de mettre en avant leurs besoins.

C’est ce que me confirme ma psy. 

Cyrielle Blau: Ces normes, ces injonctions, j'ai plutôt envie de dire, elles jouent un rôle parce que ce qu'on va entendre beaucoup, pour une petite fille notamment, ça va être : “Qu'est ce qu'elle est belle ! Oh tu es belle”. Comme si sa valeur dépendait de sa beauté et on n'emploie pas forcément les mêmes adjectifs pour un garçon. Ça peut être : “Qu'est ce qu'il est vif! Qu'est ce qu'il est fort!”. Et effectivement, on peut se construire par rapport à ce qu'on entend, parce qu'on se dit que c'est ce qu'on attend de nous. On entend beaucoup des propos tels que “Ne me fais pas honte, tiens toi bien”. Ce qui ne développe pas l'être, c’est-à-dire “qu'est ce que tu as envie de faire? Comment tu te sens?”. 

Non, c’est “tiens toi bien”, “tiens toi correctement”,“il faut”. Les “il faut”, “tu dois”, on les entend beaucoup. Et pour une fille, effectivement, le “t’es belle” développe en tout cas ce comportement de séduction, de “en étant belle, je peux avoir ce que je veux. Si je fais des petits sourires, on va m’apprécier”. Il y a aussi le “fais-moi un bisou, fais un bisou”, “dit merci quand on te dit que t'es belle”. Donc on se dit que finalement, c'est comme ça qu'il faut fonctionner. Et ça met une pression, c'est très pressurisant parce qu'on se dit qu'on doit justement être belle, et belle en permanence si on veut être aimée.

Pauline: Ma mère n’y a pas échappé, elle non plus. Elle a développé une variation du désir de plaire différente de la mienne. Pour moi, ça passait par la séduction. Pour elle, par le fait de faire passer les désirs des autres avant les siens.

Sylvie: Je ne suis pas dans ce désir de séduction. Par contre, moi, je suis dans le désir d'arranger tout le monde. Donc ça veut dire que je ne mets pas en avant ce que je souhaite. D'ailleurs, je ne sais pas vraiment ce que je veux. Je suis quelqu'un qui doute beaucoup. Mon désir à moi, c'est quoi? Mon désir, c'est celui des autres. Il y a aussi un manque d'affirmation de soi au profit des autres. C'est les autres avant tout, c'est les autres, ils y sont mieux que moi et savent mieux que moi. Ou en tout cas, il ne faut pas que je les contrecarre en direct.

Pauline: Mais les injonctions ne concernent pas que les femmes. Mathias en a aussi connu en tant que garçon, notamment vis-à-vis des normes corporelles. Il a un handicap physique visible : il boîte. C’est une donnée qui a pu jouer dans son rapport aux normes de la masculinité.

Mathias: Je me suis rendu compte que dans le profond désir de performance qu'il avait dans mes interactions sociales, il y avait sans doute quelque chose qui me venait de ma sociabilisation en tant que garçon. 

Parce que, étant donné que je suis handicapé, je n'ai pas été vraiment dans la performance physique et sportive qui était très présente, notamment au collège, lycée. Par contre, il y avait clairement aussi un côté, une invitation à être grande gueule, à parler plus fort et à s'imposer j'allais dire même naturellement -ce n'est pas du tout naturel- mais à s'imposer par son charisme, par sa présence dans la conversation, ce qui se faisait autour de moi, dans ma famille, dans mes groupes sociaux, plus facilement quand on est un garçon. Et ça passe par un certain nombre de façons d'interagir par l'humour, par le répondant, le fait d’avoir toujours un truc à répondre. 

Le fait que ça s'inscrivait pour moi toujours dans une comparaison avec les autres, dans une performance je pense que ça vient beaucoup de la manière dont j’ai été sociabilisé en tant que garçon. Et notamment quand on était en groupe et qu’on racontait des histoires, des choses comme ça, il fallait être drôle, quoi. Et c'était un peu une sanction immédiate de “c'est nul ce que tu racontes” ou au contraire “c'est vachement bien, drôle”. 

C'est sans doute venu encore plus se rajouter aux autres choses qui existaient déjà mais oui, ça a clairement joué un rôle.

Pauline: Ce poids des normes peut même nous amener à changer notre manière d’agir. Le désir de plaire peut alors se doubler d’un désir de se conformer aux attentes de genre. C’est d’autant plus périlleux quand l’identité de la personne ne correspond pas à ces normes. C’est le cas pour Charly, un garçon trans de 19 ans. 

Charly: Le désir de plaire dans la transidentité, c'est deux fois plus compliqué parce qu'on est vraiment soumis à ce truc où voilà, on annonce à tout le monde, dans mon cas, que je suis un garçon et donc les gens attendent que je fasse tout comme un garçon, alors que ce n'est peut être pas forcément ce que j'ai envie de faire. Donc c’est vraiment d’autant plus compliqué, c'est vraiment regarder tout le temps à quoi je ressemble, est ce que ça va? Est ce qu'on ne voit pas trop que j'ai une poitrine? Donc au moment où j’en avais encore une. Donc c'est deux fois plus compliqué.

C’est vrai que pendant une époque, je me disais voilà, j'ai quand même envie de plaire et pour une raison inconnue, surtout plaire aux filles, alors que je suis gay, me dire qu’elles me trouvent beau tout ça alors que ce n’est pas ce qui m’intéresse. A mon avis, oui, ça me faisait sentir validé en tant qu'homme. Donc j'avais ce besoin de plaire aux gens en disant “Voilà, je suis vraiment dans les normes, je suis vraiment dans les stéréotypes, donc je suis normal entre guillemets”.

Pauline: Pour lui, les réseaux sociaux, en particulier Instagram, ont été un moyen pour lui de se sentir validé dans ce qu’il est vraiment. Il y parle de sa transidentité et milite pour la visibilité des personnes trans. Il y cherche aussi d’autres formes de validation.

Charly: Sur Instagram c'est vrai que je cherche toujours à avoir plus de vues, plus d'abonnés, plus de likes. C'est un peu le problème d'Instagram, je dirais. Après, ce n'est pas forcément pour dire “je suis connu”. C'est aussi pour me dire que plus il y a de gens qui me suivent, plus j'aide des gens et plus je peux raconter mon histoire à plus de gens, toujours. Mais c'est toujours quand même cette validation que j'ai envie d’avoir et me dire je suis celui qui a le plus de likes parmi mes potes.

Pauline: Comme on parlait de ce réseau social, je me suis demandé si on pouvait dire qu’on a plus envie de plaire aujourd’hui que par le passé ? Les réseaux sociaux ont-ils modifié notre rapport à cette émotion ? J’en ai discuté avec Roger Covin.

Roger Covin: Les réseaux sociaux ont vraiment changé les choses. Si vous pensez à ce qu'était la vie il y a cent ans, nos chances d'être aimé, auraient été pour la plupart d’entre nous limitées aux membres de notre famille et à quelques amis. Et c'était tout. Mais maintenant, vous pouvez vous mettre régulièrement sur le devant de la scène et on le fait avec l'intention d'essayer d'être aimé. 

Pauline: J’ai aussi abordé la question des réseaux sociaux avec la psychanalyste et philosophe Elsa Godart qui a écrit le livre Je selfie donc je suis : Les métamorphoses du moi à l'ère du virtuel 

Elsa Godart: Je pense que dans les réseaux sociaux, comme il y a beaucoup d'opinions différentes, il y a beaucoup de regards, une pluralité de regards et qu'on a tendance à les convoquer de plus en plus. Notamment pour les personnes qui exposent beaucoup leurs vies il est évident qu'il y a une recherche d'assentiment. 

Donc de ce point de vue là, je vais tenter de trouver des accréditations dans le regard des autres sur les réseaux sociaux. Je me mets en doute beaucoup plus facilement. Je m'interroge davantage, ce qui peut être bien pour développer l'esprit critique, mais qui parfois peut être en revanche complètement paralysant et surtout ça peut pour les personnes qui sont les plus les plus fragiles, accentuer le manque de confiance en soi parce que finalement, je ne peux rien faire sans le regard de l'autre. J'exagère, bien sûr, mais c'est pour montrer les conséquences que ça peut avoir. Et il y a une forme de fragilité, alors quand le terrain est favorable, ça peut prendre davantage d'importance et de place.

Pauline: Et en dehors des réseaux sociaux, comment guérir d’un désir pathologique de plaire ?

Comme moi, Mathias a suivi une thérapie où il a appris à se détacher de ses pensées envahissantes.

Mathias: J'ai recommencé à aller à des soirées, et j'appréhende beaucoup moins avant d'y aller et quand j'y suis, je vais être honnête, mes pensées anxieuses n'ont pas disparu, mais j'arrive plus à les saisir. Et parfois aussi, j'arrive à voir la pensée arriver quand je suis en train de parler avec quelqu'un que je ne connais pas et que j'essaye à tout prix d'interpréter son attitude en termes d'intérêt pour moi, j’arrive à calmer l'emballement et à me dire “tu ne sais pas ce que cette personne ressent et tout ce que tu sais, c'est que vous continuez à parler de façon intéressante et chouette”. Donc, petit à petit, ça me donne l'impression de regagner du terrain sur quelque chose que je m'étais interdit.

En fait, c'est la sincérité qui a un peu mis des bâtons dans les roues de cette anxiété parce que pour moi, ce qui est important, c'est d'être la personne que je suis et ne pas être en représentation ou en performance comme si je présentais un spectacle devant les gens, parce que ça peut marcher dans des circonstances très ponctuelles mais ce n'est pas viable sur le long terme. 

Pauline: Vous faites encore du théâtre? 

Mathias: Non. Ça fait longtemps, ça fait quelques années que je n'en ai pas fait, mais ce serait intéressant de retenter puisque, à mon avis, peut-être que ce serait intéressant de faire de la représentation au bon endroit, à un endroit qui est prévu pour.

Pauline: De mon côté, j’ai entrepris une thérapie comportementale et cognitive avec ma psy. Ces thérapies dites “TCC” peuvent être prescrites pour soigner des troubles anxieux et elles aident face aux symptômes envahissants. Je ne fais plus d'attaques de paniques, je me sens plus à l'aise dans mes conversations, je n'ai plus la nuque raide, je profite beaucoup plus de mes amis et de mes rencontres. J’ai toujours ce désir de plaire qui fait partie de moi, mais je me sens plus légère. Je laisse la vague de peur refluer. Je respire.

Ma psychologue Cyrielle Blau suggère aussi d’essayer de se plaire à soi, en ayant conscience de ses limites.

Cyrielle Blau: Je dirais spontanément que le désir de plaire peut être utile lorsqu'il est dirigé vers soi même, lorsqu'on veut se plaire à soi même et non sentir qu’on plait aux autres. Donc ce désir, il va me guider dans ce qui est important pour moi, de me rapprocher vers mes valeurs, le sens de ma vie, là, il va être utile en tenant compte de ma personne dans sa globalité et pas de ce qu'on attend de moi. Et quand je dis “tenir compte de ma personne dans sa globalité'', c'est aussi la possibilité de me plaire avec mes qualités et mes défauts, c'est-à-dire que j'accepte mes limites et c'est ok. 

Pauline: L’idée n’est pas forcément de s’adorer, mais plutôt de cultiver une forme de neutralité bienveillante vis-à-vis de soi : j’ai le droit d’être tel que je suis et c’est suffisant. 

Roger Covin, lui, propose un dernier exercice pour nous aider à nous détacher de l’avis d'autrui.

Roger Covin: There's an exercise I do with some of my patients where I asked them to give me a to estimate the percent of people in the world that would like them if they got to hang out with everybody, all seven billion people on the planet. And many of them will say, like, oh, I think, you know, maybe 70 percent or 50 percent or whatever. Let's let's say it's 80 percent like really a really high number. That would still mean on a planet of seven billion people, 80 percent of seven billion is, what, five point six billion? That would mean that one point four billion people wouldn't like you. And they're everywhere. And this is the thing that I probably emphasize the most when it comes to dealing with not being liked is to accept and allow the people that don't like you to just be there in the world and to accept the fact that they don't like you mostly for things that have nothing to do with you. They have their own preferences and just let them be there. And if you ever come across someone, either as a friend or a dating partner and it turns out that they don't like you, that's wonderful. You've crossed that person off. You found one of the ones who doesn't like you. Let them move on, and go and try to find one from the big group that does like you.

Il y a un exercice que je fais avec certains de mes patients dans lequel je leur demande de me donner une estimation du pourcentage de personnes dans le monde qui les aimeraient s'ils devaient passer du temps avec tout le monde, toutes les 7 milliards de personnes de la planète. Et beaucoup d'entre eux me disent “oh, je pense, peut-être 70% ou 50%, disons 80%”, un nombre très élevé. Cela voudrait quand même dire que, sur une planète de 7 milliards d'habitants, 1,4 milliard de personnes ne vous aimeraient pas. Et ils sont partout. Et c'est la chose sur laquelle j'insiste le plus quand je parle du désir d’être aimé : c'est d'accepter et de permettre aux gens qui ne vous aiment pas d'être simplement là dans le monde et d'accepter le fait qu’ils ne vous aiment pas surement pour des raisons qui n'ont rien à voir avec vous. Ils ont leurs propres préférences et il faut les laisser. Et si jamais vous rencontrez quelqu'un, que ce soit une connaissance, un ami, une compagne ou un compagnon, et qu'il s'avère qu'il ne vous aime pas, c'est merveilleux ! 

Vous pouvez la rayer de la liste, vous avez trouvé une des personnes qui ne vous aime pas. Laissez-la passer son chemin et essayer d'en trouver une parmi le grand groupe de ceux qui pourraient vous aimer.

Pauline: La jeune fille que j’ai été n’aurait jamais été capable de faire ça. Aujourd’hui, le regard des autres est toujours important pour moi, mais je choisis davantage les personnes auprès desquelles je cherche de la reconnaissance. J’ai réduit le nombre de gens dont je veux me sentir aimée, et j’ai aussi réduit les efforts déployés dans mes interactions sociales. J’essaie de me dire que c’est suffisant.

GÉNÉRIQUE DE FIN 

Vous venez d’écouter Émotions, un podcast de Louie Media. 

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Pauline Verduzier a réalisé cet épisode sur le désir de plaire. Merci à toutes celles et ceux qu’elle a interviewé.

J’étais en charge de la production et de l’édition.  Jean-Baptiste Aubonnet s’est occupé de l’enregistrement et du mixage. La composition musicale est de Nicolas Vair. Marine Quéméré a fait la réalisation. Nicolas de Gélis a lui composé le générique d’Émotions.

Marion Girard est responsable de production de nos podcasts, Maureen Wilson, responsable éditoriale, Mélissa Bounoua est à la direction des productions et Charlotte Pudlowski est directrice éditoriale.

Émotions, c’est un lundi sur deux, là où vous avez l’habitude d’écouter vos podcasts: iTunes, Google podcast, Soundcloud, Spotify ou Youtube. Vous pouvez aussi nous laisser des étoiles et nous laisser des commentaires. Et si l’épisode vous a plu, parlez-en autour de vous !

Et si vous aimez Émotions, vous aimerez aussi sûrement nos autres podcasts, “Entre”, “Travail en cours” ou encore le Book Club, dans lequel des femmes nous font découvrir leur bibliothèque. 

Bonne écoute et à bientôt !