Retranscription - Après la pluie, l'euphorie
Brune Bottero : « Après la pluie, le beau temps », ce proverbe français signifie qu’aux événements tristes succèdent des moments joyeux… Vision du monde certes simpliste, mais toujours rassurante. Si la métaphore du temps qu’il fait est ici employée, ce n’est pas anodin. La pluie désigne les soucis et les tracas, et le soleil reflète l’amélioration de l’humeur.
C’est une image qu’on retrouve dans des milliers de références, que ce soit la chanson populaire, avec Charles Aznavour et son « la misère serait moins pénible au soleil », ou dans la poésie, comme en témoignent ces vers de Baudelaire :
Ce père nourricier, ennemi des chloroses,
Éveille dans les champs les vers comme les roses ;
Il fait s’évaporer les soucis vers le ciel,
Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.
Le soleil, cet astre qui nous procure lumière et chaleur, et sans lequel l’humanité n’existerait pas, inspire à toutes et à tous des sentiments heureux. Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui, scientifiquement, l’explique ?
Dans cet épisode, Florence Epandi interroge le lien puissant entre le soleil et les émotions positives.
Je suis Brune Bottero, bienvenue dans Émotions à emporter.
Générique
Florence Epandi : le premier week-end ensoleillé de l’année, c’est toujours spécial. Je ne sais pas vous, mais moi ça me fait d’un coup passer d’un état, disons un peu blasé, à une sorte d’euphorie.
Comme si je recevais un coup de boost ultime qui me motivait pour mon travail, pour chercher un appartement, faire plein de projets.. qui réveillait ma positivité.
Et la chose qui me fait encore plus plaisir, c’est de ressentir que cet enthousiasme est partagé. Par exemple, la semaine qui suivait ce fameux week-end ensoleillé, quand on a pu recommencer à manger au soleil sur la terrasse, mon copain était de meilleur humeur et avait arrêté de râler sur toutes les choses du quotidien qui lui déplaisait, ou encore une amie d’école à moi, qui souffre de la solitude de cette période, et s’était isolée, avait mis une story sur Instagram en plein air avec comme légende : “La belle vie !”. J’ai trouvé formidable que quelque chose, d’à priori aussi anodin que le beau temps, puisse autant agir sur notre santé mentale.
Alors, pourquoi se sent-on si bien au moment du retour des beaux jours ? Pourquoi notre humeur change autant quand il y a du soleil ? Est-ce que c’est le fait de pouvoir plus sortir et avoir plus d’interactions sociales nous remontent le moral ? Ou est-ce que c’est juste l’idée que les vacances approchent ? Ou est-ce le fait qu’il fasse tout simplement moins froid ?
En commençant mes recherches, il m’a vite été confirmé que nos comportements étaient influencés par les saisons, par la température extérieure, par la durée du jour ou encore par la quantité de lumière.
J’ai alors pris contact avec Gilles Vandewalle. Il est chercheur en neurosciences qualifié du Fonds national de la recherche scientifique, rattaché à l’université de Liège, en Belgique. Il est spécialiste de la lumière et étudie ses effets.
Gilles Vandewalle : il y a des gens qui sont plus fragiles, plus sensibles. Il y a des gens qui, quand on leur parle indépendamment même de la lumière, s'ils sont sensibles aux saisons, il y en a qui vont être très sensibles et d'autres beaucoup moins, qui vont se sentir beaucoup plus d'humeur égale ou de performances égales ou d'attitudes.. de comportement égal, quelles que soient les saisons. D'autres vont montrer des fluctuations beaucoup plus importantes et pour certains, qui semblent être fragiles au départ ou sensibles à ça en tout cas, on va basculer dans un épisode dépressif dans la dépression saisonnière.
Florence : pour ma part, je suis très sensible aux saisons. En hiver par exemple, même si je ne tombe pas dans l’état de dépression saisonnière dont parle Gilles Vandewalle, j’ai des gros coups de blues, je procrastine et je n’ai qu’une envie : rester en boule emmitouflée dans un bon plaid. Alors forcément, je suis toujours impatiente de l’arrivée des beaux jours, où la vie à un autre goût.. où le soleil escorte nos sorties entre amis et où dénicher le meilleur spot pour les vacances est notre plus grande obsession.
Pour Gilles Vandewalle, tous ces paramètres permettent d’expliquer pourquoi chaque différente période de l’année, et sa saison change notre comportement. Mais c’est avant tout la lumière du soleil qui nous apporte du bien-être.
Gilles Vandewalle : la lumière est importante pour qu'on puisse se voir. Mais au-delà de ça, elle est importante pour toute une série de réponses qu'on appelle non visuelles, ça veut dire qu’elles ne sont pas en lien direct avec la vision. Et dans ce cadre là, la lumière est importante pour la régulation de nos rythmes biologiques, par exemple, mais aussi la régulation de notre humeur. Il semble que, en tout cas chez un certain nombre de personnes, la diminution de la durée des jours en même temps que la diminution de la quantité de lumière qu'on a généralement en hiver, fait qu'il y a une baisse de l'humeur.
Et donc l'arrivée des beaux jours ou l'allongement des journées, l'augmentation de la quantité de lumière, ça va ramener l'humeur à un niveau, un meilleur niveau pour tous ces gens qui souffrent un peu des saisons. Et donc, dans ce cadre là, la lumière du soleil va avoir un impact positif, même si on pourrait peut être mimer l'impact de la lumière du soleil avec des lampes qu'on pourrait utiliser à l'intérieur.
Florence : ce serait donc surtout la vue de cette lumière qui impacterait nos émotions. Même si ses impacts ne sont pas en lien direct avec notre vue, ils sont quand même captés par nos yeux. Autrement dit, l'œil a un double rôle. Au-delà de nous faire voir les choses qui nous entourent, il nous fait percevoir.. éprouver.
Gilles Vandewalle : chez l'homme et chez les mammifères, la lumière rentre au niveau du système nerveux uniquement via les yeux. Donc là, je ne parle pas de l'effet sur la peau et de la synthèse de vitamine D qu'il peut y avoir via la peau qui est aussi nécessaire et bonne pour la santé. Mais la lumière arrive à notre cerveau via les yeux.
Il y a dans les yeux des photorécepteurs qui vont nous aider à voir, qu'on appelle les cônes et les bâtonnets. Et il y a seulement une vingtaine d'années, on a découvert qu'on avait aussi un troisième type de photorécepteurs, les cellules qui sont plus sensibles à la lumière bleue parce qu'elle exprime un pigment, photo pigment, qui s'appelle la mélanocytes et qui réagit plus aux photons bleu de la lumière.
Florence : le soleil est notre source principale et naturelle de lumière bleue. Et c’est donc cette lumière qui aide à améliorer l’humeur.
Gilles Vandewalle : donc, la lumière, ça va de 400 à 700 nanomètres dans sa partie visible. Donc, on a besoin de tout ça pour voir en couleur et même dans une lumière blanche. Mais il y a toutes ces longueurs d'onde et la longueur d'onde qui est la plus efficace pour tout ce qui est non visuelle, elle se situe dans le bleu aux alentours de 480 nanomètres, pour être technique, donc, ces photorécepteurs vont capter la lumière et vont renseigner le cerveau sur le niveau lumineux ambiant. Alors, ça va nous aider à régler notre horloge biologique, faut savoir que notre horloge biologique n'est pas exactement de 24 heures et tous les jours, elle a besoin d'être mise à l'heure. Et si on n'a pas un signal lumineux suffisamment fort, elle va être mal remise à l'heure, ce qui peut contribuer apparemment à des problèmes d'humeur.
Florence : ce troisième photorécepteur, plus sensible à la lumière bleue, va non pas contrôler les parties du cerveau liées à la vision, mais celles liées à notre horloge biologique. Elle gère notre rythme de sommeil et d’éveil, souvent facteur de nos troubles de l’humeur. Et le soleil prend soin de remettre les pendules à l’heure.
C’est notamment une étude portant sur des personnes non-voyantes ou malvoyantes qui a permis de découvrir que l’exposition à une source lumineuse stimulait notre cerveau. En fait, même en ne voyant rien ou presque, ces personnes ressentaient toujours les effets de la lumière au niveau de leur horloge biologique et donc de leur humeur.
Gilles Vandewalle : il y a la constriction de la pupille qui, chez certaines personnes aveugles, ça ne va pas aussi vite que chez une personne qui voit normalement mais on va continuer à avoir une constriction de la pupille. On va voir qu’ils sont un petit peu réveillés par la lumière, boostés par la lumière et surtout aussi restent en synchronie avec l'alternance jour/nuit.
Et pour une bonne part d'entre eux, c'est à cause de la subsistance de ces photorécepteurs à la lumière bleue. Donc, les cônes et les bâtonnets qui nous permettent de voir ne sont plus fonctionnels. Mais ces autres photorécepteurs sont toujours présents et ils ont été étudiés au cours d'une dizaine d'études. Je dirais sur une vingtaine d'années pour mieux comprendre l'impact de ce type de photorécepteurs. Et comme je le disais avant, il y a une vingtaine d'années, on s'est rendu compte de ça et les études chez l'homme ont contribué à ce qu'on se pose des questions. Et les études chez l'animal ont permis de faire quelques manipulations génétiques pour identifier précisément la cellule et le photopigment qui était responsable de cette captation de lumière bleue.
Florence : lorsque nos photorécepteurs ne sont pas altérés, nous sommes donc toutes et tous en mesure de tirer parti des effets de la lumière. Pour autant, notre sensibilité à la lumière évolue et décroît au fil du temps.
Les personnes âgées par exemple, sont moins réceptives au retour des beaux jours et ont besoin d’encore plus de soleil pour recevoir ses bénéfices.
Gilles Vandewalle : il faut savoir qu'au cours de la vie, notre œil et notre cerveau changent. Donc, il semble que en tout cas, en vieillissant, le cerveau ne reçoit pas le signal lumineux de la même façon qu'ils ne soient pas impactés de la même façon. Donc, la lumière semble être moins stimulante quand on vieillit. Il leur faudrait peut-être plus. Et cela, indépendamment de ce qui se passe au niveau de l'œil, sachant qu'il se passe quand même quelque chose au niveau de l'œil, c'est-à-dire que notre cristallin jaunit en vieillissant. C'est le cas chez tout le monde depuis qu'on naît jusqu'à notre jusqu'à la fin de notre vie. Notre cristallin va jaunir avec des cas extrêmes que sont la cataracte, là, il faut vraiment remplacer le cristallin et donc cela va laisser entrer moins de lumière et particulièrement moins de lumière bleue qui pourrait avoir un impact même si notre système s'adapte peut être à ça. Et donc, à l'inverse. Alors que chez les personnes âgées, il y aurait moins de lumière bleue chez les jeunes, il y aurait plus de lumière bleue parce qu'ils ont vraiment un cristallin très, très clair. Donc, ils pourraient être plus sensibles ou plus gênés par la lumière que les personnes plus âgées.
Et pour la petite histoire. Par exemple, quand on remplace un cristallin d'une personne qui a eu une cataracte, on lui remet une lentille de quelqu'un de 15 ans à peu près.
Florence : notre sensibilité est aussi différente d’un individu à l’autre. Chez des personnes avec des prédispositions à des maladies mentales, le manque de lumière est un facteur qui peut déclencher certaines pathologies. Ce manque peut aussi aggraver les symptômes de beaucoup de troubles psychiatriques tels que les troubles de l’alimentation, comme la boulimie ou l’anorexie par exemple.
Gilles Vandewalle : dans beaucoup de troubles psychiatriques, il y a une augmentation des symptômes en gros en hiver. On peut le voir notamment dans l'admission, dans la quantité d'admissions dans des hôpitaux psychiatriques où les dépressions majeures ou les problèmes de type bipolaire vont aller en augmentant en hiver, avec la dépression saisonnière aussi.
Il y a aussi des gens qui sont plus sensibles que d'autres. Probablement, les patients psychiatriques ont déjà une fragilité qui va être exacerbée par l'arrivée de la période hivernale, où les personnes qui souffrent de dépression saisonnière sont peut-être un peu fragiles et vont basculer du côté clinique avec l'absence de lumière. Ça nous rappelle que la saison est importante et que le retour du printemps peut certainement être quelque chose de positif.
Florence : Gilles Vandewalle ajoute que les effets de la saisonnalité étaient amplifiés par un niveau de lumière souvent trop bas dans les institutions psychiatriques. La conséquence est un manque de contraste entre le jour et la nuit, ce qui est défavorable, parce que plus de lumière la journée, favoriserait le sommeil, et ralentirait la progression des troubles cognitifs des patients.
En effet, pour lui, il est possible de jouer artificiellement avec les effets de la lumière. Il m’a parlé du fait que jusqu’il y a une dizaine d’années, les anciennes générations, qui n’étaient pas au courant de cette fonction de l'œil dont la découverte est finalement très récente, ont eu tendance à mettre à mal leurs yeux en négligeant la lumière. Le type d’éclairage fréquent à l’intérieur des foyers était des ampoules à incandescance avec un spectre plutôt jaune et donc pauvre en lumière bleue par rapport à celle du jour, nécessaire au bien-être. Aujourd’hui c’est moins le cas, mais d’autres problèmes se posent.
Gilles Vandewalle : maintenant, on a d'autres types d'éclairage, comme les éclairages LED, qui contiennent beaucoup plus de lumière bleue. Ça se rapproche un peu de la lumière du jour. Alors ça, c'est très bien en journée.
Par contre, là où on malmène un peu notre système, c'est que l'on a maintenant de la lumière qui est très active, qui contient beaucoup de bleu. Le soir même, jusque dans son lit, où beaucoup de gens ont tendance à utiliser leur téléphone ou leur tablette ou regarder la télévision et les écrans LED contiennent beaucoup de lumière bleue. Donc, ils vont agir beaucoup sur ce système non visuel à un moment qui n'était pas forcément prévu pour.
Ça va contribuer à affecter le sommeil ou à dégrader un peu le réglage de l'horloge biologique.
Florence : savoir bien profiter de la lumière et vivre au rythme du soleil ne peut qu’avoir de bonnes répercussions sur notre santé mentale.
D’ailleurs, voici quelques recommandations pour savoir comment l’utiliser au mieux.
Gilles Vandewalle : alors je commencerai par essayer de m'exposer à plus de lumière le matin en général, puisqu'on a tendance à être trop exposé à de la lumière le soir parce qu'on a de l'éclairage à l'intérieur, des écrans, etc. Essayer de balancer les choses en déplaçant un peu le curseur vers le matin ne peut pas faire de tort. Donc plus de lumière le matin, soit avec un appareil de luminothérapie, soit de la lumière naturelle, soit aussi en allumant l'éclairage à l'intérieur simplement avec une ampoule, quelle qu'elle soit, c'est une source de lumière. Donc je ferais ça, peut être couplé avec un peu d'exercice, c’est au delà de la lumière. Ensuite, pendant les heures de travail, que ce soit à l'école ou au bureau, ou même chez soi, je ne négligerai pas le niveau lumineux, aussi je m'arrangerais pour qu'il soit suffisamment important, particulièrement en hiver. Donc, je pense qu'il ne faut pas hésiter à éclairer la journée, même si c'est pas très écologique en termes d'énergie économisée, ça pourrait l'être en termes de problèmes prévenus, donc, je pense que plus de lumière la journée, c'est bien. Le soir, à partir du repas ou après le repas, ça dépend, évidemment, mais je veux dire à partir de sept ou huit heures du soir, j'éviterais les lumières trop intenses et trop blanches, trop froides, avec des lumières plus chaudes. J'éviterais aussi d'avoir des écrans trop près des yeux. Un écran de télévision qui est de l'autre côté de la pièce pose beaucoup moins de problèmes qu'un écran de tablette qui est très luminescents à 50 cm des yeux. Et alors là, vraiment, quand je me retrouve dans mon lit, j'évite les écrans. Je lis un livre avec une lampe de chevet classique pas forte. Ce qui va m'aider à entrer dans le sommeil, c'est ça que je ferais. Alors évidemment, en été, c'est plus facile et on s'expose à plus de lumière. Et dans tout ce que je viens de dire, on peut remplacer tout ça par de la lumière naturelle ou plus d'exercices à l'extérieur.
Générique
Brune Bottero : Vous venez de lire Émotions à emporter.
Cet épisode a été tourné et monté par Florence Epandi.
Maud Benakcha est la chargée de production d’Émotions. Jean-Baptiste Aubonnet a fait la réalisation et au mix de cet épisode, et Nicolas De Gélis a composé la musique du générique d’Émotions.
Cet épisode a également été rendu possible grâce à Maureen Wilson, responsable éditoriale, Marion Girard responsable de production, Mélissa Bounoua directrice des productions et Charlotte Pudlowski directrice éditoriale.
A bientôt.