Retranscription - Sommes-nous maîtres de nos désirs ?

Cyrielle Bedu : Le désir, vous savez c’est cette attirance forte qui paraît parfois incontrôlable, qu’on peut avoir pour une personne ou pour un objet. Le philosophe hollandais Spinoza va jusqu’à dire que le désir est l’essence même de l’être humain. C’est une émotion pourtant difficile à appréhender, à comprendre, tellement elle est complexe, multiple et semble mystérieuse. Comment justifier en effet que l’on désire ce que l’on désire ? Est-on maître de nos désirs ?

Pour le savoir, Iris Ouedraogo a fait cet épisode d'Émotions dans lequel elle s’intéresse à plusieurs objets de désirs, avant de faire la part belle au désir sexuel et affectif.

Je m’appelle Cyrielle Bedu, bienvenue dans Émotions.

GENERIQUE


Iris Ouedraogo : Quand je vous dis désir, vous, vous pensez à quoi ? Moi à un feu à aux creux du ventre, à des papillons qui nous remuent les entrailles, quelque chose de volatile, qui survient d’un coup, sans qu’on puisse le maîtriser. Le désir ce serait ce qui nous pousse à vouloir obtenir quelque chose : c’est de l’attraction. Et a priori, ça nous tomberait dessus quand ça ne nous attend pas. Enfin moi, c’est comme ça que je le voyais. Et le féminisme est arrivé dans ma vie. Des lectures, des films, des podcasts, des rencontres, depuis dans tout ce que je fais, dans les décisions que je prends, le féminisme prend de la place. Et bien entendu, cela s’applique aussi à la sphère privée. Je suis une femme hétérosexuelle et à force de lectures, je me suis interrogée petit à petit sur mon désir pour les hommes. Tous mes ex-compagnons sont blancs, valides, hétérosexuels. Pourquoi est-ce qu’ils ont déclenché un désir chez moi ? Est-ce que c’est parce que les phéromones ont fait leur job et que le hasard a bien fait les choses en les mettant sur ma route ? Ou est-ce que mon désir est seulement éveillé par des gens qui sont dans la norme?

Cette interrogation, je l’ai depuis un moment, et c’est pour cela que j’ai commencé à me pencher sur cette émotion. C’est aussi la question que s’est posée Anaelle, elle a 24 ans, et pour elle le désir a une signification assez similaire à la même. Elle nous la donne, dans son jardin, chez elle, alors qu’elle est confinée pendant la pandémie du Covid19.

Anaëlle : Moi le désir je le vois comme une attraction assez incontrôlable, qui peut être intellectuelle ou physique, ça amène une alchimie dans des relations sociales qui est assez inexplicable et je pense que c’est pas forcément un concept qu’on conscientise généralement.

Iris : Anaëlle est tombée amoureuse pour la première fois quand elle était au lycée. C’était lors d’un concours scolaire inter écoles, organisé dans un autre département que le sien. Elle y a alors rencontré un garçon que l’on appellera Romain. 

Anaëlle :  Dès le début en fait, c’était juste une attraction physique, donc une attirance qui n’était pas spécialement intellectuelle mais au final, quand on s’est mis à discuter, il y a eu aussi un lien très facile, des discussions vraiment fluides etc. Et donc en fait, oui j’ai ressenti du désir pour cette personne à ce moment-là. C’était un peu comme un aimant, on avait besoin de continuer cette discussion, de continuer de se voir et de se parler. On a pu discuter toute une nuit et après c’était la fin du concours et il fallait repartir. On a pas pu se voir pendant 2 semaines, on a fait que parler ces deux semaines là et au bout de deux semaines on s’est dit “ok il faudrait qu’on se revoit” parce que c’était quand même un lien fort. C’est une personne qui était quand même à Paris et moi j’étais en Haute-Savoie donc moi j’étais loin…

Iris : La jolie histoire de coeur d’Anaelle peut paraitre assez banal, pourtant à l’époque la jeune femme il n’était pas du tout évident de ressentir du désir pour Romain. Romain était pourtant un adolescent comme il en existe beaucoup en France et dans le monde, une taille moyenne, une morphologie dans ce que l’on appelle la norme, mais c’est justement ce point qui aurait pu déranger Anaelle.

Anaëlle : Cela peut paraître anodin d’avoir une attirance pour une personne qui a un physique entre guillemets lambda, c’est à dire avec un poids tout à fait normal, mais pour ma part ça a été la première personne dans ma vie qui avait ce physique dit “standard” selon les codes sociétaux, et pour moi effectivement c’était pas anodin j’avais eu cette construction grossophobe dont j’avais pas pris conscience jusque alors. J’avais grandi dans un milieu familial qui était extrêmement malsain vis à vis de la grossophobie et je m’étais rendue compte qu’on avait à la fois essayé de mettre une pression sur mon propre poids mais aussi le poids des partenaires que je pourrais avoir dans le futur ; et ça c’était dès l’âge de l’enfance. Cela m’a amené à être attirée par des personnes particulièrement maigres, je n’avais aucune conscience de tout ça, mais je me suis rendue compte par la suite que c’était évidemment lié.

Iris : La grossophobie, c’est le fait de stigmatiser et de discriminer les personnes grosses. A cause des discours qu’elle entendait autour d’elle, dans sa famille, Anaelle a intégré sans s’en rendre compte l’idée que les personnes qui ne sont pas maigres sont moins attirantes et ce rapport au poids a eu un impact sur son propre désir vis-à-vis des hommes. Mais ce qui lui a permis de dépasser cela, c’est cette rencontre avec Romain. Une rencontre qui a eu lieu dans un environnement différent de l’environnement auquel elle s’était habituée. 

Anaëlle : Ça a été une rencontre qui a été réalisée dans un cadre où il n'y avait pas de pression sociale dû à ma famille ou à mes amis, puisque j’étais à l’autre bout de la France, qu'avec des gens que je ne connaissais pas. j’avais la sensation de ne pas avoir de pression familiale ou sociale, donc déjà je pense que c’était plus facile pour moi. Et c’était une personne qui m’avait mis particulièrement à l’aise, je n’avais pas la sensation que mon propre poids était un problème. Et à ce moment là en fait, je me suis rendue compte que je pouvais avoir, que ce soit dans les personnes que je croisais, l’été à la plage ou dans la rue, qu’il n’y avait pas cette limite de poids à mon désir qui auparavant était malsaine. Donc cela a été le début de ce changement.

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Iris : Pour Anaelle, le désir qu’elle éprouvait uniquement pour les personnes maigres était lié à l’environnement familial dans lequel elle avait grandi. Son désir serait donc le résultat du conditionnement de ses proches. En essayant de comprendre qu’elle est l’influence de l’environnement sur notre désir, je suis tombée sur un article écrit par Claude xx, psychologue à Nantes, intitulé “Mes désirs sont-ils à moi ?”. Une question qui m’a paru assez étonnante sur le moment, bien sûr mes désirs je les ressens, ils sont donc bien à moi et à personne d’autre. Mais pour Claude Coquelle, c’est plus subtile que ça. Pour m’aider à le comprendre, il décide de se focaliser sur le désir amoureux. Il prend ici l’exemple du désir de vivre en couple. Si vous avez déjà été dans une relation à deux, vous avez peut-être envisagé d’emménager ensemble. C’est un désir qui vous est très personnel, construit dans votre sphère intime. Mais alors, comment se fait-il que ce désir si intime et singulier, soit le même qu’une majorité des gens qui vous entourent ? Et pourquoi ce désir de ne vivre qu’à deux dans un foyer, n’existe pas dans d’autres cultures ?


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Claude Coquelle : La principale source, pour prendre conscience de ça, c’est l’Histoire. Si on regarde comment les gens vivaient dans des sociétés différentes à des époques différentes, on remarque que effectivement ce désir là n’existe pas ou prend des formes totalement éloignées de ce que nous connaissons. Le meilleur exemple que je connaisse, c’est celui du travail de Michel Foucault qui s’appelle “L’usage des plaisirs” et qui décrit les formes de la vie sexuelle en Grèce. Ca fait partie de son livre “L’histoire de la sexualité” et où il montre bien que ces gens qui nous semblent assez proches de nous, parce que nous sommes dans une culture très influencée par la culture grecque, avaient un rapport de la sexualité et de la conjugalité très différent du nôtre. Notre manière de vivre l’amour, en tout cas l’amour passionnel disons, pas l’amour chrétien, est une invention qui date assez précisément de la fin du Moyen-Âge, vers le 12-13e siècle, dans les cours européennes.


Iris : Nos désirs seraient donc influencés par notre culture, la société et l’époque dans laquelle on vit. Claude XX a identifié quatre mécanismes qui façonnent nos désirs.

Claude Coquelle : Il y a effectivement les renforcements sociaux, c’est à dire que tout simplement quand nous nous baladons au milieu des autres dans la société, et bien nous recevons des renforcements, c’est à dire qu’il y a des choses, les autres ça leur convient et les autres ça ne leur convient pas. Parfois on peut se rebeller contre ces renforcements, mais quand ils sont convergents, quand ils se répètent, nous sommes dans une bonne relation, nous les intégrons et on se dit oui finalement, ça doit être comme cela qu’il faut vivre, puisque c’est cela qui est prisé par mon environnement. Le deuxième mécanisme c’est l'imitation, quand nous voyons les autres faire quelque chose, il y a quelque chose qui nous pousse à agir de la même manière,  surtout quand c’est des sources d’imitation que nous percevons comme plus grandes, c’est à dire des adultes si nous sommes des enfants, des riches si nous somme pauvres.

Iris : Le renforcement pour Anaelle c’est donc de voir partout autour d’elle des personnes maigres, que ce soit dans la rue ou dans les médias. Et c’est cette morphologie qui était jugée comme désirable par ses proches. L’imitation, c’est le mécanisme qui l’a poussé à aller dans le sens de sa famille, en allant plutôt vers des personnes maigres.

Claude Coquelle : L’autre mécanisme, c’est un complément des précédents, au bout d’un certain temps tout ça devient complètement intériorisé. Et puis la dernière chose importante à dire, c'est vraiment très important, nous ne sommes pas des victimes passives de cette influence sociale, nous en avons réellement besoin. Si nous nous demandons ce que nous devons faire de notre, quel désir nous devons avoir pour notre propre vie, nous sommes assez démunis si nous ne trouvons pas dans notre environnement social, des indications, des guides, si quelqu’un devait inventer une façon de vivre, d’être en couple, je ne sais pas où il trouverait la réponse.

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Iris : En résumé, il existe des mécanismes sociaux qui nous poussent à adopter les modèles qui nous entourent. Nous intégrons ces modèles au point d’être sûr qu’ils nous conviennent, cette auto-persuasion est plutôt légitime. Ce n’est pas très agréable de dire que tout ce que l’on désire vient de notre imitation des autres. Et pour Claude XX, être maître de nos désirs est encouragé par la société individualiste dans laquelle nous vivons.

Claude Coquelle : Une des normes sociales des désirs sociaux c’est que nous devons être un individu autonome, qui gouverne lui-même sa propre vie à partir de ses propres préférences et de ses propres choix, et au premier abord cette thèse selon laquelle nos désirs ont une origine sociale paraît incompatible avec ce principe d’individualisme. 

Iris : Il existe un domaine qui illustre particulièrement bien le fait que nos désirs ne sont pas totalement les nôtres: le marketing. On le sait, beaucoup des objets que nous avons acquis, nous les avons choisi car des professionnels nous ont donné envie de les acheter. C’est le but même du marketing que de satisfaire les désirs des consommateurs en créant de nouveaux produits, mais aussi de nouveaux désirs pour vendre davantage. Pour le comprendre, j’ai contacté Joël Bree, qui l’enseigne à l’IAE de Caen-Normandie et à l’ESSCA.

Joël Bree : Alors le rôle du marketing est effectivement de créer un désir chez le consommateur, dans le but de pouvoir promouvoir un produit. La première chose que les gens marketing vont faire, ça va être d'identifier chez le consommateur un besoin, c'est-à-dire un état de tension qui peut être soit de nature physiologiste (faim ou soif), soit de nature psychologique (besoin de prestige, de liberté, de lien social). A partir du moment où ce besoin atteint un certain niveau d’intensité, ça crée chez l’individu une tension. Et donc, cette tension, il va chercher à la réduire. C’est en cherchant à la réduire, que le marketing va pouvoir proposer quelque chose susceptible de créer un désir. J’ai par exemple identifié chez un individu, un besoin de liberté ; et bien si je suis un fabricant de téléviseurs, je vais effectivement à travers le replay, à travers tout un ensemble de fonctions qui permettent justement de regarder la télévision en différé, de le libérer de la contrainte que représentaient les horaires des programmes télévisés. Et ce qui va générer du désir chez le consommateur, c’est justement cette liberté. Chez un autre consommateur qui peut être dans une recherche de prestige, et bien je vais pouvoir susciter chez lui du désir en mettant en avant un ensemble de choses qui sont assez peu présentes chez les autres téléviseurs et qu’il pourra montrer à ses amis, de manière à en retirer du prestige. Peut-être que ces deux consommateurs vont acheter le même produit, mais comme ce qu’il achète n’a pas pour fonction de réduire une tension sur le même besoin, ils achètent en fait des réalités différentes. On achète pas du rouge à lèvres, on achète de la séduction. On achète pas de l’essence, parce que ça pue, mais si on en met pas dans la voiture, on ne pourra pas rouler ; on achète du déplacement.

Iris : On achète quelque chose qui va nous donner l’illusion de réduire cette tension. Mais en réalité, ce qui se retrouve dans notre panier, c’est bien un rouge à lèvres, pas de la séduction. Et la frustration reviendra petit à petit. 

Joël Bree : Beaucoup d’entreprises vont malgré tout entretenir artificiellement une forme de frustration. C'est-à-dire qu' il y a 6 mois, ou il y a 1 an, j’ai fait percevoir par le consommateur le fait que mon offre constituait une réponse extrêmement désirable pour réduire un besoin donné. Sauf que aujourd’hui, j’arrive avec un produit nouveau sur le marché et je vais essayer de faire accepter par le consommateur l’idée que, contrairement à ce qu’il pensait, cette solution que j’avais présenté comme étant très désirable il y a 6 mois ou 1 an, elle n’est finalement pas une solution si performante que ça ; mais celle que je lui apporte aujourd’hui, là elle pourra représenter quelque chose qui pourra véritablement réduire, de façon bien plus performante, son état de tension. Donc, les désirs finalement, ne font que se substituer à des désirs déjà existants. Mais c’est vrai que, même si un besoin normalement est satisfait, je peux donner à mon consommateur l’illusion que finalement il ne l’est qu’imparfaitement, et qu’à travers la nouvelle offre que je lui propose, cet état de tension pourra être finalement bien supérieur.

Iris : Des scientifiques ont réussi à déterminer pourquoi il nous est difficile de résister à ces désirs. Sylvie Thirion, maîtresse de conférence en neurologie et neurosciences à l’université d’Aix-Marseille, étudie les zones cérébrales en lien avec le désir. Pour m’aider à comprendre ce qui se passe dans notre cerveau quand nous désirons, elle a pris l’exemple de l’attraction que l’on ressent pour quelqu’un.

Sylvie Thirion : On se rend compte souvent, de manière inconsciente aussi, on a tendance aussi à être attiré par ce que l’on connaît, par ce que l’on a pu déjà rencontré précédemment, y compris dans la petite enfance, un comportement, une gestuelle, des choses que l’on arriverait pas à décrire nous personnellement en disant “ah oui, c’est cela qui m’a attiré chez lui ou chez elle”, mais qui quand même quand on vient décortiquer ça dans nos laboratoires, on se rend compte qu’il y a ce côté un petit peu de mémorisation, de rappel de mémoire enfouie, d’expérience plaisante ; qui ont été vécus par l’individu. 

Il y a une structure qui fait partie de ce circuit de la récompense qui est très importante dans la mémorisation: c'est l’hippocampe. Cette structure, l’hippocampe cérébral, et il va y avoir à chaque fois que ce circuit est activé, c’est à dire j’ai réalisé une action, ça engendre du plaisir parce que mon circuit de la récompense est activé, ça vient se stocker en mémoire. Et donc ces actions qui ont été agréables, sont associées à un souvenir agréable, il y a cette mémoire un petit peu inconsciente, d’évaluation qui s’effectue dans le cerveau.

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Iris : Selon Sylvie Thirion, on est donc en général attiré de façon inconsciente par des choses, des expériences, ou des personnes que l’on a déjà côtoyé dans notre passé. Ce qui nous pousse à aller vers des gens ou des expériences que l’on connaît déjà, c’est l’hippocampe cérébral, cette structure du cerveau relâche une hormone quand on reproduit une expérience plaisante. Et cette hormone du bonheur, c’est la dopamine.

Sylvie Thirion : C’est une molécule chimique qui est capable de transmettre les informations entre les différentes cellules du cerveau qui sont les neurones. Et selon comment sont activées ces zones cérébrales, il va y avoir naissance du plaisir à un certain moment, et qui dit plaisir dit parfois après un apprentissage de cette récompense qui a été obtenue, et c’est cet apprentissage qui va donner la motivation de recommencer cette expérience ou cette action ; et donc cette motivation, ce désir de quelque chose.

Comme il y a un apprentissage permanent automatique, et qui commence aux premières heures de notre vie, voir parfois en anténatal, quand le foetus est dans le ventre, et bien ce système va avoir en mémoire le fait que cette action que l’on désire va être suivie d’une récompense gratifiante ou au contraire punitive, et là ça va être des choses qui vont nous réfreiner par rapport au fait d’avoir envie de quelque chose, de désirer quelque chose ou pas.

Iris : Le cortex nous permet aussi d’évaluer les situations, est-ce que c’est mieux pour moi d’assouvir ce désir ou pas ? Si tout fonctionne bien, il nous permet de nous auto-réguler, pour ne pas céder à la tentation en permanence.

Sylvie Thirion : Ce cortex va faire une analyse de la situation en fonction d’une part de ce que l’on sait mais aussi des expériences précédentes. Donc un certain nombre de fois, on va être capable de contrôler ces choses, même si je sais que là tout de suite, dans l’instant, ça va me remplir de bonheur de pouvoir déguster ça, il va y avoir des conséquences, qui peuvent être négatives, peut-être sur le champs de ma santé où j’ai déjà un problème de glycémie etc. Toutes ces choses là vont être évaluées, et donc ce raisonnement propre à chacun va parfois être dépassé parce qu’il s’emballe : ça va être trop de dopamine sécrétée, trop de neurones activés et suractivés, ça vient faire un plaisir ressenti qui est tellement fort que la motivation pour recommencer cette expérience va être supérieure au fait de se dire ce n’est pas raisonnable, et c’est d’ailleurs ce que l’on retrouve aussi cette dérégulation dans tout ce qui va être addiction, c’est à dire prise de drogues, même quelquefois lorsque la personne a conscience que c’est mauvais pour sa santé, que c’est en train de lui apporter des problèmes, et bien c’est plus fort quelque part qu’elle, et c’est ce circuit qui est dérégulé et c’est important d’ailleurs de dire qu’il n’y a plus de possibilité de pouvoir contrôler ça. Ce n’est plus une question de volonté, mais une vraie pathologie.

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Iris : Bon. Avec tout ça, on a un peu l’impression qu’on a absolument aucune maîtrise sur nos désirs. Entre les normes sociales, le marketing, la dopamine et nos expériences précédentes, mais en vérité si on prend conscience de tous ces mécanismes, il est possible de s’en détacher progressivement. Vous vous souvenez d’Anaelle ? Après son histoire avec Romain, elle a rencontré via une application de rencontre un autre jeune homme pour lequel elle a eu des sentiments. En débattant avec lui sur de nombreux sujets, elle a pris conscience que son désir avait été conditionné par la grossophobie de sa famille mais aussi par d’autres remarques. 

Anaëlle : J’ai évolué dans un milieu qui était assez sexiste, qui faisait perdurer des clichés sur les hommes et les femmes, la féminité et sur ce que devait être une femme. J’avais la sensation que mon rapport au corps, à mon désir, ont été vachement axés sur le physique et sur ce que devait être une femme, qu’elle devait être féminine etc. Moi quand j’ai rencontré cette personne, qui était dans un milieu totalement différent du mien, artistique, j’ai pu faire d’autres rencontres. C’était des personnes à l’aise avec la diversité, parmi les femmes, parmi les hommes. Cela confirmait mes questions sur mes propres attirances et mon propre désir.

Iris : Anaëlle a donc eu l’opportunité de découvrir un autre milieu, ce qui lui a permis de désir d’autres corps. Ce cheminement, c’est un peu le même que Téo, 24 ans. J’ai interviewé cette étudiante en Master de sociologie du genre qui m’a raconté comment elle a découvert petit à petit qu’elle n’était pas seulement attiré par les hommes.

Téo : J’ai eu plusieurs relations qui ont durées entre 2 et 3 ans, et dans la construction de ces relations sur le long terme, j’ai l’impression que j’ai eu beaucoup le temps de me rendre compte que j’ai été quand même en train d’essayer de mettre en place en situation qui nous mettrait tous les deux à l’aise, faire beaucoup de concessions. Et en fait ça, c’est quelque chose dont on ne se rend pas forcément compte tout seul.

Iris : Téo m’explique que dans son couple, elle prend en charge la plus grande part émotionnelle. Elle a l’impression de se plier ainsi à la norme de la petite amie parfaite. Par exemple, elle se force à passer du temps avec les amis de son copain, elle ne les apprécie pas particulièrement, mais elle part en vacances avec eux, elle va aux soirées, à l’inverse son compagnon ne s’intéresse pas à ses amis à elle. C’est à Téo de faire des efforts et de prendre sur elle. C’est pareil dans le domaine de la sexualité, Téo se met en retrait et essaie de se conformer aux désirs de son partenaire, aux projections de la société sur ce qu’elle doit désirer, ainsi que quand et comment elle doit le faire.

Téo : Je dirais que même mon accès à la sexualité, il a été fait beaucoup par pression, où en fait je me rappelle je suis partie en colonie de vacances, avec des personnes que je connaissais pas, on était une bande de 8 filles et moi j’avais pas encore eu de rapports sexuels et certaines en avaient eu ; et je suis revenue de ces vacances, c’est là où j’ai eu mes premiers rapports sexuels avec des hommes, il y avait vraiment ce truc de maintenant il est temps, il faut s’y mettre, c’est une première approche de la sexualité pas très positive. Que ce soit sur le moment ou encore moins maintenant. Cela a commencé comme : il faut avoir des rapports sexuels, et puis cela s’est continué avec mon premier copain comme une très grosse injonction à la sexualité et au désir, beaucoup de tensions et de moments assez durs. Moi j’avais pas forcément de désir ou j’en avais plus, et j’étais mise au pied du mur, énormément culpabilisée par rapport à ça.

Iris : Les normes sur la sexualité de Téo sont si fortes qu’elle ne réalise pas que son désir est absent parce que les relations avec les hommes ne lui conviennent pas. Ce qu’elle m’explique après coup, c’est que son désir à l’époque était une sorte de performance. Une image, un leur qu’elle donnait à voir pour convaincre son partenaire et elle-même que c’est bien ce qu’elle désirait.

Téo : Et en fait moi je me mettais en quatre pour leur faire plaisir, et même le désir que moi je performais c’était pour activer leur désir à eux. Même dans les pratiques sexuelles, que ce soit la pénétration ou quoi, même si moi j’ai découvert rapidement que c’était pas ça qui me donnait des orgasmes, et du coup comme c’était a priori ce que je pensais qui leur donnait du plaisir et qu’on avait beaucoup de mal à en discuter, je performais le plaisir de la pénétration.

Iris : Mais Téo a réussi à trouver de nouveaux guides, de nouvelles façons d’imaginer sa sexualité pour mieux s’épanouir. Cette liberté, elle l’a découverte en s’initiant au féminisme. Cela lui a permis d’envisager un autre champ des possibles dans son désir. Il s’est élargi quand elle a commencé à intégrer des mouvements militants, mais aussi en fréquentant des milieux queer. Quand elle parle de milieux queer, elle parle de milieux créé et par et pour des personnes non hétérosexuelles et non cisgenres, où il et elle peuvent se réunir. Être cisgenre, c’est à dire que votre identité de genre correspond au sexe que l’on vous a assigné à la naissance. En gros, si quand vous êtes né on a regardé entre vos jambes et on a dit que vous étiez un garçon, et qu'aujourd'hui vous vous sentez garçon, vous êtes cisgenre. A l’inverse, si le sexe que l’on vous a assigné ne correspond pas à votre genre, on utilise le terme transgenre. Et c’est dans ces lieux, ces espaces de libération de la parole, de la sexualité, que Téo a redécouvert son désir. Elle se donne désormais l’autorisation d’éprouver du désir pour d’autres personnes que des hommes cis. Et comme pour Anaelle, c’est grâce à un changement d’environnement et de contexte qu’elle peut enfin envisager un autre modèle. Souvenez-vous, comme nous l’expliquait Claude, nos désirs sont influencés par des renforcements sociaux, c'est-à-dire que nous reproduisons des comportements que les gens autour de nous approuvent. C'est-à-dire que quand nous changeons de milieu, nos modèles évoluent. Ainsi, soudainement, Téo pose un autre regard sur des scènes de son passé.

Téo : Quand je réalise que ces désirs existaient depuis très longtemps chez moi, que quand j’étais ado j’avais eu des sortes sexuelles avec des meufs, qui étaient sérieuses ou qui étaient plus vécues sur le mode de l’expérimentation, mais qui étaient quand même des relations sexuelles. Avec un groupe de meufs. Cela a été la première chose à laquelle j’ai pensé en rejoignant ce groupe féministe, en fait j’ai déjà eu des relations avec des meufs. A ce moment-là, on se pensait toutes hétérosexuelles. C’était pas forcément le cas… Et je me suis permise de me dire : en fait, ça fait longtemps que tu vis ces choses là. Ce que je ressentais, c’était pas seulement une envie d’expérimentation mais aussi du désir.

Iris : Téo s’était toujours dit que si elle était lesbienne ou bisexuelle, elle le saurait. Mais finalement,  c’est plus compliqué que ça, car l’hétérosexualité étant de nos jours considérée comme la norme, la société invisibilise les autres formes de désirs. Mais cela n’a pas toujours été le cas. La journaliste Chloé Rébillard se pose la question dans un article publié dans la revue Sciences Humaines “L’hétérosexualité a-t-elle toujours été la norme?”. Elle explique que les notions d’hétérosexualité et d’homosexualité, ne datent que du 19ème siècle. Par exemple, dans la Grèce ancienne, le sexe entre hommes n’était pas considéré comme anormal. On l’a donc compris, notre désir et notre sexualité sont encadrés par des normes sociales dues à notre milieu et à notre époque. Et il s’avère que la norme en Occident et au 21ème siècle, c’est d’être hétérosexuel. C’est ce que l’on voit dans les films, les pubs, ce que l’on lit dans les livres. La majorité des relations visibles sont des relations hétérosexuelles. Comme l’explique Stéphanie Arc, autrice d’un livre sur les idées reçues autour des lesbiennes, l’invisibilisation de la sexualité lesbienne fait que cela peut être difficile d’assumer ce désir.

Stéphanie Arc : On a aucun modèle, très peu de modèles, maintenant un peu plus quand même mais dans les séries, au cinéma etc. L’invisibilisation du désir lesbien, ça peut faire que vous prenez plus de temps pour découvrir votre propre désir, vous mettez plus de temps à l’assumer etc.

Iris : Les lesbiennes, notamment, sont victimes de beaucoup d’idées reçues et de clichés qui rendent difficile de faire son coming out et de vivre pleinement ces relations. La première idée reçue, énorme, c’est simplement l’idée que entre femmes ce n’est pas vraiment du sexe. C’était une manière de dévaloriser, de considérer que une sexualité sans homme n’est pas une sexualité, donc cette idée reçue là, de toute façon, elle était très présente dans la pronographie hétérosexuelle mainstream. Quand il y avait deux femmes qui intervenaient, c’était toujours pour le plaisir de l’homme, sous le regard de l’homme, avec la complicité d’un homme etc. Pour l’homme assujetti, d’une certaine manière.

Ces clichés stigmatisent les personnes qui ne sont pas considérées comme étant dans la norme, ici l’hétérosexualité. En dénigrant les personnes à la marge, on s’assure que personne n'ait envie de sortir de la norme et que les désirs de chacun soient maîtrisés. 

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Iris : On l’a donc compris, changer de milieu, fréquenter d’autres personnes, permet de faire évoluer notre désir, tout simplement parce que cela libère notre imaginaire. C’est ainsi que Monique xx, grande penseuse féministe, explique que les lesbiennes échapperaient à certaines normes de la société. Comment ? Et bien, en créant de nouveaux modèles, en dehors du schéma de l’hétérosexualité et du désir des hommes. Car comme elle l’explique, l’hétérosexualité est plus qu’une orientation sexuelle, c’est un système qui influe sur toute notre vie. Monique xx est née en 1935 en Alsace, membre fondatrice du mouvement de libération des femmes et homosexuelle, elle s’en éloigne progressivement avec d’autres militantes lesbiennes. Elle estime que le groupe ne prend pas assez en compte la question homosexuelle. Elle part vivre aux Etats-Unis et poursuit son travail de recherche, et travaille ainsi sa grande idée : l’hétérosexualité est un régime politique. Dans ce régime, les hommes sont considérés comme supérieur aux femmes, et donc les dominent. C’est ainsi dans le couple, le travail, la parentalité. Les femmes sont des filles de, soeurs de, femmes de. Mais pour elle, une catégorie de femmes échappent à cette condition : les lesbiennes. 

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Iris : Ainsi, pour Monique Wittig, les lesbiennes échappent aux contraintes de la conjugalité hétérosexuelle. Dans un couple composé de deux femmes, il n’y a pas de domination sexiste. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de domination économique ou culturelle, mais elles ont moins à rentrer dans les codes de la sexualité dominante. Ce qui semble primordial pour sortir du carcan des normes dans le désir, ce serait donc l’imaginaire. Voir d’autres modèles, s’ancrer soi-même, ne pas se limiter à ce que l’on est censé faire ou être. Afin de définir quels sont nos vrais désirs, et pouvoir les vivre pleinement. Et c’est ce qu’a fait Robin.

Robin : Avant de sortir de l’hétérosexualité, j’ai déjà résisté à l’hétérosexualité pendant en fait toute ma vie, toute mon enfance et même là je continue d’y résister, j’ai l’impression qu’on en sort jamais.

Iris : Robin est non-binaire, donc ne se définit pas comme homme ou femme. Je vais utiliser le pronom iel, une contraction des pronoms il et elle. Robin étudie à Paris et milite à Fières, une association portée par des personnes lesbiennes, bi et trans. Assignée fille, c’est vers l’âge de 13 ans que Robin découvre qu’iel n’est pas hétérosexuel, puis plus tard iel découvre de nouveaux espaces qui vont lui permettre de découvrir son désir. Comme d’autres, c’est en changeant d’environnement qu’elle a ouvert son imaginaire sur son orientation sexuelle, sur les corps qu’iel désirait. 

Robin : Dans mes premières attirances etc, j’étais quand même profondément encore emprise de pleins de normes, de désirs, de désirer un corps mince, un corps blanc, un corps valide, un corps jeune. En fait au fur et à mesure, dans les espaces queer, j’ai commencé déjà à politiser mon désir.

Iris : Il est donc possible d’habituer notre regard à de nouvelles normes et apprendre à désirer d’autres corps. Pour Robin, c’est aussi en changeant sa consommation de prono qu’elle a pu ouvrir son imaginaire. Il existe depuis quelques années du porno féministe, qui milite pour une meilleure représentation de la sexualité féminine, mais aussi une plus grande diversité de corps.

Robin : Déjà dans ce type de porno, il y a rarement quelque chose de très subversif dans notre rapport à notre corps, notre corps comme sujet du désir mais aussi qu’est-ce qu’on attend de notre corps assigné meuf, d’un corps assigné mec.

Iris : Pour Coraline Delebarre, psychologue et sexologue à Paris, c’est aussi et surtout les rencontres, la communication, qui permettent cette exploration du désir. Elle a beaucoup travaillé sur l’homophobie et l’influence que cette discrimination peut avoir sur les personnes LGBTQ+.

Coraline Delebarre : Il faut savoir que la sexualité c’est quelque chose qui va se construire avec les partenaires et donc ça va aussi bouger, fluctuer. La rencontre à l’autre est très importante. En fonction des désirs de l’autre, les siens, des rencontres, on va peut-être apprendre et désirer de nouvelles choses. C’est s’autoriser à pouvoir communiquer, désirer ses choses. A partir du moment où tout le monde est consentant, tout est possible. 

Iris : L’essentiel c’est donc de se sentir à l’aise, de pouvoir parler de son désir sans tabou. A l’inverse, lorsque l’on subit trop les normes sur notre désir, que l’on se sent jugé, il est difficile de se sentir bien dans l’intimité.

Coraline Delebarre : Le fait de se sentir soi-même comme non légitime, comme anormal ou dans quelque chose qui n’est pas souhaité ou souhaitable, qui va à un moment donné avoir une influence sur la façon dont les personnes se sentent, sur la santé mentale, sur la santé sexuelle, sur le lien amoureux et sur le lien sexuel. Ca, on sait que c’est l’un des déterminants majeurs de la santé sexuelle, comment désirer quelque chose que l’on ne souhaite pas, comment désir quelqu’un qui nous renvoie à ce que l’on accepte pas. Donc forcément ça va créer des difficultés aussi et dans le lien relationnel et sexuel.

Iris : Ce que dit Coraline Delebarre me fait penser à ce que racontait Anaelle en début d’épisode, quand elle expliquait que son désir pour les personnes maigres était aussi la conséquence du désir de contrôle que ses parents mettaient sur son propre poids. Il ffaut donc être bien entouré de personnes bienveillantes, comme dans les lieux queer que fréquente Robin par exemple. Mais espace queer ne veut pas forcément dire bienveillance assurée, Robin a par exemple eu du mal avec une forme d’hypersexualisation dans certains lieux. En déconstruisant la sexualité et le désir, il faut veiller à ne pas imposer non plus de nouvelles contraintes.

Robin : Maintenant, il ne faut pas non plus le voir comme un espace en dehors de toutes ces normes, c’est imprégné, il y a d’autres rapports de domination. Quand on sort de l’éhétrosexualité, certes du coup on sort des rapports hétéro normés, mais il y a pleins d’autres rapports de domination qui continuent de jouer dans le désir, les rapports sexuels, l’âge, la validité, la richesse et notamment l’hypersexualisation. Il y a beaucoup de personnes mal à l’aise en arrivant dans le milieu queer car il y a vraiment une hypersexualisation, on se retrouve ici car on est opprimés par l’hétéropatriarcat ; du coup, en tant que personne queer, c’est principalement notre désir, qui est le symbole de ce pourquoi on est opprimés. Tout ça c’est la question de l’orientation sexuelle, mais il y aussi celle de l’identité de genre.

C’est quand même le terreau qui fait qu’on se retrouve ensemble et du coup je peux comprendre cette dynamique un peu exacerbée, qu’on a ce point là dans notre interactions, pour autant je pense qu’il faut pas non plus que ça devienne une norme, une nouvelle norme dans nos espaces, dans nos microcosmes et que voilà moi ça m’a fait me sentir mal à l’aise de temps, cette hypersexualisation au fur et à mesure. Quand j’arrivais en soirée, au début, si j’avais pas ce rapport de séduction et bien en fait je me sentais mal, parce que il y avait pas eu de rapport de séduction avec n’importe qui, qu’importe sur quoi ça débouche, mais en fait tu as un sentiment de dévalorisation de soi car en fait c’est devenu quelque chose de constant, dans toutes les interactions.

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Iris : Comme pour toutes les normes, la clé c'est d’abord de réaliser qu’elles existent : cela est valable pour tous, communiquer sur son désir, parler de ses fantasmes, ne pas se forcer, respecter le consentement, ce n’est pas réservé au milieu queer. A la marge, se crée de nouvelles pratiques, des nouvelles formes de sexualité qui nous concernent tous. 

Robin : On cherche justement à dépasser les limites, et à pas considérer qu’un corps ne peut se réduire qu’à sa capacité d’action sexuelle, je ne sais pas comment expliquer, un rapport sexuel c’est pas forcément une pénétration, des caresses, une interaction sexuelle ça peut juste être s’embrasser, s’aimer, se regarder ; et ça, tu l’as aussi dans les rapports hétéro qui déconstruisent ça. je pense que oui on peut être une source d’inspiration, attention après à ne pas non plus fétichiser les rapports queer, c’est toujours individuel, unique. Mais on peut donner des clés d’analyse. 

Iris : Notre désir est influencé par beaucoup de choses, le marketing, nos hormones, les normes de genre, les normes de physique. Mais dès lors que l’on en prend conscience, il nous appartient de chercher à les comprendre. C’est dans nos lectures, nos visionnages de films, de séries, nos écoutes de podcast et grâce à nos rencontres que l’on réussira à ouvrir progressivement notre imaginaire et à inventer encore et toujours de nouvelles manières de désirer.

GENERIQUE 


Vous venez de lire Émotions, un podcast de Louie Média.