Retranscription - Uèle Lamore "J'adore me perdre dans des mondes imaginaires"
Générique
Agathe le Taillandier : Pour le poète Charles Baudelaire, l’enfant est une créature sensible que l’esprit n’a pas encore transformé ou formaté. Proche de la nature, il n’est pas en ce sens pur ou naïf mais il est au contraire traversé par des forces primitives et instinctives. Cette sensibilité est aux yeux du poète la source même de l’inspiration. l’artiste doit être, comme il le formule dans son essai Au delà du romantisme : “homme du monde, homme des foules, et enfant”. Le génie artistique n’est ainsi rien d’autre pour Baudelaire que “l’enfance retrouvée à volonté”.
Ce nouvel épisode du Book Club nous invite à un plongeon dans nos enfances grâce à la cheffe d’orchestre et compositrice Uèle Lamore. Après avoir étudié la musique aux Etats-Unis, elle crée sa propre formation en 2017, L’Orchestre Orage, et sort son premier EP, Tracks, cette année. Elle partage une lecture d’enfance en langue anglaise : un roman de fantasy, un livre où l'imaginaire se déploie sans limites ni frontières, un classique du genre que vous avez peut-être vu au cinéma. Uèle Lamore nous invite surtout à ne jamais oublier l’enfant que l’on a été.
Je suis Agathe le Taillandier, bienvenu.e.s dans Le Book Club !
Générique
Uèle Lamore : En ce moment, je suis dans mon studio, où je travaille, qui est à Vitry-sur-Seine. Il est 18h24 et 51 secondes. Et juste avant de faire cet enregistrement j’étais en train d’apprendre des parties de guitare et de basse que je dois enregistrer demain pour mon album. En fait c’est un très grand atelier d’artiste, que je partage avec mon père. Donc lui, il peint ici et moi je fais de la musique ici. Pour ce qui est de la bibliothèque, c’est assez particulier ici. C’est-à-dire que la bibliothèque est la maison. Il y a des livres absolument partout. Il y a des étagères qu’on a construites avec mon père qu’on a mises dans toutes les pièces. Du coup, la bibliothèque est aussi bien à côté de moi, que dans la cuisine, que dans le salon en fait. Parce que mon père adore collectionner les livres et du coup, partout où il est, partout où il travaille, il y a énormément de livres. C’est quelqu’un qui… Je l’ai déjà vu claquer 500 euros en livre sur Amazon donc c’est vraiment un truc pour lui. Donc il y a un peu de tout. Il y a une partie de la maison avec la bibliothèque où il y a des mangas, des bandes dessinées, des livres d’anatomie. Il y en d’autres où il y a des livres d’histoire, une autre où il y a des livres d’art. C’est pas du tout rangé, c’est pas classé. Il y a juste des zones. On sait que dans telle zone on va trouver tel type de choses et dans l’autre tel type de choses. Il y a pas mal de poussières et puis parfois on peut trouver des petites araignées si on sait où chercher.
Je pense que c’est hyper important d’avoir une bibliothèque chez soi. D’ailleurs c’était une discussion que j’avais avec ma copine récemment où on était un peu en train de regarder des apparts pour s’installer et donc on a parlé de déco intérieure, tous ces trucs. On s'était dit qu'il faudrait qu’on ait une bibliothèque qui en jette quand même, que ça serait pas mal. Parce qu’elle aussi a une collection de livres assez sérieuse.
Je ne dirais pas mon amour des livres. Mais je pense que mon respect des livres vient de mon père, définitivement. Enfin c’est-à-dire que mon père, c’est quelqu’un… On ne pose rien sur ses livres ! C'est-à-dire surtout pas un verre. Même si je pose, je ne sais pas, un Labelo sur un livre ça va être un drame. C’est-à-dire le livre est un objet qu’il faut respecter. Ouais, les livres ont toujours fait part intégrante de ma vie. Quand j’étais enfant je me souviens que mon père me lisait des histoires, pour m’endormir, qui venaient de livres. On a toute une série de livres d’illustrations d’animaux. C’est des livres japonais en fait. Avec des illustrations d’animaux qui sont très réalistes. Ce sont des livres, un peu des encyclopédies. Je me souviens qu’on les regardait, que j’essayais de reproduire les dessins. Donc oui, voilà.
Pendant longtemps, je n’ai pas été quelqu’un qui vraiment, lisait des livres quand j’étais plus jeune. Je lisais mais c’était pas des livres, c’était des mangas. J’ai lu et consommé une quantité assez effrayante de mangas et aussi de bandes dessinées. Je pouvais passer des heures à lire ça. Par contre, le premier livre qui m’a marquée, bah c’est le premier livre avec lequel j’ai appris à lire, l’anglais, tout simplement. Et c’est le livre dont on va parler aujourd’hui qui est le Hobbit. Mon père m’a appris à lire et aussi à écrire en lisant Le Hobbit. Parce que Le Hobbit, à la base, c’est un livre pour enfants, dans la littérature anglaise. Par contre après, quand je suis arrivée au collège et au lycée, dans Paris, j’ai très vite fait la section littéraire. Là j’ai dû lire énormément de livres et un peu m’ouvrir à la littérature française. Et c’est là que j’ai découvert plein de livres qui m’ont vraiment vraiment plus. Mon style de livre préféré… Bah en vrai mon style de livre préféré c’est les livres qui parlent un peu du social mais de manière très romancée. Par exemple, je suis très fane de Maupassant. Le Horla est l’un de mes livres préférés. Je suis très fane de Joseph Conrad. Son livre Heart of darkness - je connais pas le titre en français mais… - c’est un livre fantastique qui se passe en Afrique. Que j’ai adoré. En fait j’ai bien les livres qui parlent un peu de personnages, qui d’une manière assez lente, perdent la raison, tout ça. Je trouve ça intéressant, j’aime bien.
(Lecture d’une question) : quel est en général mon processus créatif quand il s’agit de composer ? J’essaie de m’immerger dans une histoire. Quand on parle de composition : que ça soit une musique de film ou ma musique personnelle, j’essaie toujours de m’imaginer un monde, une histoire et de faire la bande son de cette histoire en fait. C’est ça que j’aime faire. Donc c’est pour ça que j’aime beaucoup faire de la musique de film. Et j’applique ce concept, énormément, à la musique que moi-même j’écris.
Générique
Je vais parler du Hobbit de Tolkien. Et pour résumer l’histoire - je pense qu’on la connaît tous plus ou moins - mais en gros il y a un Hobbit, qui s’appelle Bilbo, qui est amené, après plusieurs choses qui se passent, à suivre des nains dans une aventure qui va l’amener, entre autre à trouver l’anneau unique qui va ensuite être centre du Seigneur des anneaux plus tard, mais surtout leur mission ça va devenir de débarrasser un village de Smaug, qui est un vilain dragon qui est très méchant. Donc c’est un livre qui effectivement a… avec lequel j’ai une relation particulière. Pour moi il est directement relié à mon père, et mon père qui est donc américain, passionné de littérature, qui est écrivain d’ailleurs, aussi. Il a écrit deux livres de science fiction. Oui donc j’aurai toujours une relation assez intime avec ce livre. Et si j’ai des enfants, je compte leur apprendre à parler, à lire et à écrire en anglais avec Le Hobbit aussi. Ils vont souffrir comme moi j’ai souffert mais ils seront très content après.
Après, le processus éducatif avec ce roman bah… Moi je me souviens que c’était un peu dur. Le Hobbit, même si c’est pour les enfants, ça a été écrit pour les enfants il y a quand même plusieurs décennies donc à l’époque les gens parlaient un peu différemment. De manière un peu plus soutenue. Donc il y a plein de mots hein, enfin moi j’avais un peu du mal à comprendre leur sens, et c’est des mots qui aujourd’hui, en anglais, on n’utilisera jamais. Mais vu que c’était très soutenu et qu’il fallait vraiment, vraiment comprendre le sens des phrases pour avancer dans la lecture, ça m’a vraiment fait avancer de manière très efficace quoi, dans l’apprentissage de l’anglais.
Alors moi j’adore Tolkien. Parce que c’est quelqu’un qui va de A à Z, avec son univers. C’est-à-dire qu’il a vraiment créé un monde entier, véritablement une planète avec une mythologie où il part du tout début, du néant, il explique comment le monde a été créé : les Dieux. Enfin un peu comme la Grèce Antique. Et après on a toutes ces histoires qui en émanent et qui, quand on regarde sur une frise chronologique qui se déroule sur des milliers d’années. Donc c’est absolument fascinant. Moi j’adore en fait me perdre dans des mondes imaginaires. C’est quelque chose que j’adore. J’adore quand on me fait voyager, quand on me propose des nouvelles races, des créatures, des monstres et que tout tient en fait. Aussi loin qu’on veut creuser le truc, essayer de trouver ce mur où en fait le monde de l’auteur disparaît, de pousser le truc à sa limite en fait. Bah avec Tolkien c’est très dur. Parce que tout est expliqué et explicable en fait.
Et le passage qui m’a le plus marqué, bah c’est le passage le plus iconique du Hobbit ! C’est le moment où Bilbo fait le jeu des énigmes. Avec Gollum et elle lui fait totalement à l’envers. Je pense que ça, c’est l’un des plus grands moments de littérature qui n’a jamais été écrit. Sur l’intelligence des énigmes, par le fait qu’elles soient comprises par les enfants et les adultes. Et la manière dont c’est narré. Gollum fait beaucoup plus peur dans les livres que dans les films. Ça il faut le savoir. On sent qu’il est vraiment là pour te bouffer quoi. Et aussi, Bilbo est pas aussi sympathique que dans les films. C’est un peu un filou et c’est pas forcément la personne la plus recommandable. Mais on finit par s’attacher à lui quoi. Donc cette scène des énigmes dans les ténèbres, c’est vraiment top ! Et je pense que c’est quelque chose que l’on peut lire en PDF. Il n’y a pas besoin d’avoir le livre. Juste ce passage est vraiment super.
Uèle lit la question de la journaliste : La bande originale composée par Sir Howard Shore, ça a été peut être ma plus grande influence. Peut-être même en tant que musicienne tout court. Pas forcément en tant que compositrice de film. Parce que je l’ai trouvée juste puissante. J’ai trouvé que tout était iconique. C’est des trucs qui font vivre l’action. Le thème de l’anneau à chaque fois qu’on voit Gollum, là la petite musique, elle est incroyable. Et puis même, le processus créatif de Shore : comment il a étudié, enfin il a fait des recherches sur les musique primitives européennes, les musiques primitives de je ne sais plus quel pays, pour faire le terme des Orques. Son choix de note, très précis pour faire le thème de l’anneau. Pourquoi ? Que vraiment tout était aussi réfléchi que Tolkien dans sa manière de raconter son histoire en fait. Rien n’est là par hasard. Et, je ne sais pas, est-ce que c’est quelque chose que je pourrais faire également ? Je ne sais pas si j’en aurais les capacités, tout simplement (rires). Parce que Howard Shore c’est quand même un sacré monstre. Mais si un jour j’ai la chance de faire la musique pour une histoire pareille… Après, est-ce qu’il y a une histoire pareille pour laquelle faire la musique, je ne sais pas… Je le ferais avec toute mon âme, mon sang et ma sueur.
Pour moi c’est quelque chose qui est très important. J’ai besoin de me déconnecter totalement du monde réel et de me plonger dans des mondes parallèles. C’est un truc qui est absolument nécessaire. Si je ne le fais pas disons quasiment quotidiennement, je pète une durite assez vite. Donc ça peut-être avec les livres, les films, les séries, les mangas, les animés, les jeux de plateau, les jeux vidéos, les jeux de carte… Et je sais pas… Je pense que ça dit de moi que peut-être que le monde réel m’ennuie, profondément. Enfin que ma vie dans le monde réel peut-être m’ennuie. Et que j’ai besoin de vivre du fantastique, de l’irréel pour combler cet ennui. Peut-être. Et je sais pas… Je trouve aussi que c’est bien de juste imaginer et de se laisser emporter par l’imagination de quelqu’un dans un monde où juste on rentre et on ne pose pas de question. Juste on est dedans quoi. On est là ah ouais il y a des dragons et on ne se demande pas oui mais il y a des dragons, ça n’existe pas ! Non ! T’es là, il y a des dragons, il y a des épées et tout. Juste, vis l’histoire quoi ! Je trouve que ça permet aussi d’ouvrir son esprit. Sur plein de plans différents. Ça permet d’avoir un esprit ouvert, d’accepter qu’on nous raconte des choses sans se poser de questions. Et juste de digérer le truc quoi. Et oui, je pense que le fait que je viens d’un milieu artistique. Tout le monde dans ma famille étant de près ou de loin dans l’art et la culture, j’ai grandi, aussi avec mes parents qui m’apprenaient que c’était important de se créer des mondes, d’apprécier des mondes différents. Avec mon père par exemple, on regardait énormément de films de science fiction. Ma mère me racontait beaucoup d’histoires un peu légendaires africaines, sur les fétiches. Oui ça fait juste partie de moi. C’est un truc qui est essentiel.
Lecture de la question de la journaliste : Bilbo devrait avoir hérité d’une certaine bizarrerie du côté Touc, quelque chose dans son tempérament qui n’attendait que le bon moment pour se manifester. C’est très drôle comme citation. Ça décrit bien Bilbo. Rires. Et oui, quand j’étais plus jeune, parce qu’aujourd’hui ce n’est plus la même époque, qu’à l’époque où j’étais enfant, maintenant c’est cool d’avoir une culture manga, animée, c’est cool d’avoir des références geek, c’est un peu à la mode. Mais moi, quand j’étais en primaire et au collège, arg, être geek c’était pas bien hein ! Les geeks c’était les gens chelous qui traînaient entre eux, qui faisaient des trucs bizarres avec des cartes. Et qui n’étaient vraiment pas du tout les plus cool de l’école quoi ! Ouais, moi au collège je me suis un peu fait martyriser, Pour la petite histoire, on m’a déjà mise dans une poubelle parce que j’étais geek et parce que je jouais aux cartes à la récré… Oui ça m’est arrivée, voilà… Bah ça m’a forgé mon caractère ! Ouais, donc moi je suis très contente que maintenant ça soit stylé. Parce que je peux dire en interview que j’adore les mangas, que j’adore les Warmer. Et c’est plus bizarre ! Mais je trouve ça assez drôle ! Et je pense que des geeks, des vieux de la vieille, sont un peu comme moi. Je trouve ça assez drôle mais tu sais quoi ? Ça fait que c’est plus accepté. Et si ça aide à ouvrir l’esprit aux autres et à faire rêver et ressortir le côté enfantin que la plupart des gens oublient assez souvent, tant mieux ! Et je sais pas, être geek pour moi… Bah qu’est ce que c’est être geek ? Être geek c’est être à fond dans le truc quoi. Rires. Tous les geeks on a les mêmes codes, on a les mêmes références. Enfin je trouve aussi que la culture geek dans laquelle j’ai grandi, les nerds et les geeks c’est des gens qui sont très tolérants quoi. Enfin moi je me souviens, quand j’ai commencé à traîner avec cette communauté, quand j’avais 11/12 ans, c’était une des communautés où il y avait des gens gay, des gens trans, des gens qui s’habillaient trop bizarrement, des gens chelous, des gens moins chelous. Mais en fait tout le monde était welcome. Les seuls critères c’était : est-ce que tu connais le Seigneur des Anneaux ? Est-ce que tu joues à Magic ? Est-ce que tu connais Yu-Gi-Oh! ? T’as des cartes Pokémon ? Tu lis quel manga ? Donc c’était au-delà du physique, d’où tu venais. Le critère d’acceptation c’était : est-ce que tu connais la culture tu vois ? Et à quel point tu connais la culture ? Donc ouais, les geeks et les nerds, c’est les gens les plus tolérants gay friendly, queer friendly, enfin ils sont juste queer quoi. C’est des gens trop cool et je suis trop contente qu’aujourd’hui la culture geek soit devenue cool.
Pour moi, oui mon âme d’enfant, oui, je pense qu’elle est indispensable à mon âme d’artiste parce que, enfin… Comme je l’ai dit, je pense que tout le monde doit en fait continuer à nourrir l’enfant qui est en soi quoi. Faut jamais l’oublier. Jamais oublier qu’on a été enfant à un moment. Qu’il y a un moment on a été émerveillé par tout. Où on écoutait avec attention tout ce qu’on nous racontait. On était curieux de tout, on voulait savoir pourquoi pourquoi pourquoi. Pourquoi tout ? Pourquoi en fait ? Et je crois qu’il faut jamais le perdre en fait. Il faut toujours assumer son côté enfant. Il faut pas se prendre trop au sérieux, faut pas se prendre trop pour adulte. Je pense qu’il faut savoir rigoler de tout. Il faut s’intéresser à des trucs qui ne sont plus de notre âge. Et puis qu’est-ce que ça veut dire que ça n’est plus de notre âge ? Je sais pas ! Ça veut rien dire. Faut juste être curieux et ne pas être trop sévère avec son imagination, je pense.
Musique
Et le prochain livre qui m’attend… Ah bah tiens ! Bah c’est drôle parce que je sais en fait. C’est un livre qui s’appelle. Je crois qu’en français le titre c’est La Submersion du Japon. C’est un livre de science fiction aussi. Netflix a fait une série que je recommande énormément, qui s’appelle Japan sinks 2020. Le Japon coule 2020. Super bien fait, très bien animé, histoire fascinante. Et je me suis rendue compte que cet animé était inspiré d’un livre. Donc je vais le commander, et je vais le lire. Et j’ai hâte.
Générique
Agathe le Taillandier : Vous venez d’écouter Uèle Lamore, à son micro, et elle répondait aux questions de la journaliste Marie Salah. Elle vous recommande Le Hobbit, de Tolkien, paru chez Stock dans une traduction de Francis Ledoux.
Uèle Lamore est cheffe d’orchestre, compositrice et arrangeuse française.
Son EP, Tracks, est paru en 2020 grâce au distributeur digital IDOL.
Maud Benakcha est à l’édition et à la coordination du Book Club, elle a également fait le montage de cet épisode et Jean-Baptiste Aubonnet a réalisé le mixage.
Ce podcast est aussi rendu possible grâce à Maureen Wilson, responsable éditoriale, Marion Girard, responsable de production, Charlotte Pudlowski, directrice éditoriale et Mélissa Bounoua, directrice des productions.
Dans la période difficile que nous traversons, je vous conseille d’écouter notre podcast Émotions : son nouveau format diffusé tous les quinze jours sous le nom de ”Emotions à emporter” interroge nos émotions au prisme de l’actualité. Je vous recommande notamment l’épisode : “Comment aborder l’actualité avec les enfants ?”
À très vite !
Générique de fin