Retranscription - La Famille Barré

Musique de générique

Charlotte Pudlowski

J'ai passé tellement de temps ces dernières années à réfléchir à la toxicité de la famille, à l'importance de déconstruire sa nécessité, ses schémas établis, le piédestal sur lequel nos représentations la mettent, que j'ai l'impression de n'avoir entendu que des histoires de désamour et de violence. J'en étais presque venue à penser que la norme était dans la douleur. Elle me semblait si rare, la famille joyeuse, aimante, à l'instar de la bulle dans laquelle j'ai grandi, que j'avais oublié qu'elle pouvait aussi être un socle pour d'autres, un maillage de douceur et d'attention. La toile qui entrelace avec délicatesse le pouls de ses membres. C'est si beau, une famille qui est à la hauteur de notre imaginaire et dont la chaleur parvient à illuminer les noirceurs du hasard. L'épisode d'aujourd'hui raconte cette lumière et il a été tourné par Maud Benakcha. Je suis Charlotte Pudlowski, Je suis Maureen Wilson. Bienvenue dans Passage.

Sarah

J'essaie toujours d'être positif, d'être souriante. J'essaie de ne jamais craquer devant eux, de toujours leur faire signe, que je vais bien aller, que tout va bien. Je ne veux pas leur montrer que des fois c'est dur parce que j'ai pas envie qu'ils soient mal, parce que je suis mal.

le 26 octobre 2014, je suis en train de petit déjeuner. Je suis assise sur le canapé avec un bol de céréales dans les mains et à ce moment là, je sens une douleur lancinante dans la jambe gauche et après cette douleur part s'évanouit. Et puis je l'oublie. Et pendant la nuit, je me mets à vomir. Je me dis bon bah... "Ça y est, j'ai une gastro". Mais finalement, les jours passent et je suis toujours malade. Je vomis toujours beaucoup. Je me repose pas vraiment et je commence à avoir des courbatures. J'ai mal à la tête et je me dis "ça peut pas être juste une gastro. Je suis vraiment trop fatiguée pour que ce soit juste une gastro". Je décide de prendre un bain pour me reposer un peu dans la baignoire, donc je monte à l'étage de ma maison pour aller dans la salle de bain. Et après ce bain, au moment de voir redescendre en bas, je me rends compte que je me sens pas descendre les escaliers. Donc je décide de rester en haut et attendre que quelqu'un rentre à la maison pour m'aider à descendre les escaliers. J'avais déjà vu le médecin dans la semaine qui m'avait donné de quoi soigner la gastro. Et là, je me dis il faut peut être que je retourne chez le médecin quand même, parce que au bout d'une semaine, et je suis incapable de descendre les escaliers de fatigue, c'est un peu inquiétant. Donc, je prends rendez vous chez le médecin pour le lendemain.

Le médecin me dit "Bon, peut être que c'est que tu es vraiment trop déshydratée. À force d'avoir vomi donc ce qu'on va faire c'est que je vais te prescrire une prise de sang. Et je vais faire un petit mot pour les urgences. Si vraiment tu ne sens pas bien demain, tu vas aux urgences avec ce petit mot et peut être que t'auras besoin de passer quelques jours à l'hôpital pour te réhydrater".

Gilles

On a dépensé, on y, mais c'est peut être plus grave, mais ce n'est pas une gastro, mais c'est pas si mal, c'est pas ça, mais on lui dit pas tout ça. On est plutôt à ce moment là, on rassure les gens, on a le rôle du parent quand même, qui est toujours prégnant. Et puis, on se rassure soi même en ne le disant pas sur le moment, en se disant bah non, il ne faut pas que je pense à ça... Elle est entre de bonnes mains, il y a un médecin. On fait une prise de sang, ça va se passer, on va trouver on va la soigner, etc. Mais on a, on a derrière la tête. "Ce qui se passe n'est pas normal".

Régine

Dans l'après midi, mon mari m'appelle et me dit "Il faut que tu rentres parce que je reviens de chez le médecin. Il m'a dit que si ça allait pas mieux, il fallait emmener Sarah aux urgences". Lui avait besoin de retourner au boulot. Donc je rentre. Je quitte mon travail précipitamment et je rentre à la maison.

Sarah

En me réveillant de la sieste, je me sens un peu mieux et je décide de goûter. Et à ce moment là, il y a ma maman qui rentre du boulot et qui me demande comment je me sens aujourd'hui. Je me retourne vers elle, je lui réponds

Régine

Et je vois son visage complètement paralysé, c'est à dire que la bouche se tord comme un sourire de clown... De clown triste.

Sarah

Donc je me lève et je me regarde dans le miroir et c'est vrai que je vois que ma bouche dévie en fait vers la gauche, sur mon visage complètement. Et puis, un peu un œil, mon œil gauche qui tombe un peu. Je dis "c'est vrai que j'ai une tête bizarre

Régine

Dans ma tête, je me dis que c'est grave.

Sarah

On se regarde avec ma mère et je lui dis "mais j'ai vraiment une sale tronche". On en rigole, on se dit "oui c'est vrai, c'est bizarre". Et puis elle me dit "T'inquiète pas, on va quand même aller aux urgences quand même pour être sûr". Mais vraiment, ne t'inquiète pas,

Maxime

Je reçois un SMS de Sarah qui me dit qu'elle va à l'hôpital avec sa mère parce qu'il y a une partie de son visage qui est paralysée. Et là, c'est l'inquiétude parce que un bout de visage paralysé, pour moi, ça m'évoque tout de suite une sorte d'AVC ou quelque chose de très grave. J'essaye de rester optimiste parce que finalement, ce n'est peut être pas grand chose. Mais je ne me sens pas forcément légitime à aller appeler la mère de Sarah, que je connais pas tant que ça. Donc, je suis vraiment dans l'attente de nouvelles de la part de Sarah. Je peux pas faire grand chose de plus en

Régine

Arrivées au niveau de l'hôpital là, alors que ce n'est pas du tout dans mon tempérament, je me permets de prendre la voie de l'ambulance, d'aller vite... Il y avait un sens interdit et de me garer, mais vraiment complètement devant, sans me dire si une ambulance qui arrive. Qu'est ce que je fais? Non, non. Je plante ma voiture là devant.

Sarah

Donc ma maman fait le tour de la voiture et elle vient m'aider. Et on pénètre comme ça dans les urgences. Où, en fait, je tiens vraiment plus sur mes jambes, je ne sens plus mes jambes. Et là, je me dis il y a un problème, c'est à ce moment là, on rigole plus.

Régine

Je vais vite à l'accueil en disant que ma fille va vraiment mal. Elle me dit "Asseyez vous, vous occupez de vous", mais là, je vois quand même les secondes. Pour moi, c'était des minutes qui avancent comme ça et donc j'y retourne une deuxième fois, je dis "mais il faut absolument s'occuper d'elle là". Puis Sarah, c'est vrai qu'à chaque fois que je faisais un aller retour entre l'accueil et que je revenais la voir à chaque fois, je me disais "Mais, tiens, j'ai mon oeil qui voit plus". Après, elle me disait "Je sens plus mes jambes", donc je voyais que ça se dégradait. Et puis donc, là, quelqu'un est venu et l'a emmenée.

Sarah

La médecin se penche vers moi et me dit "Écoute! Il va falloir aller passer un scanner".

Régine

J'ai appelé mon mari et je me suis avancée dans le couloir et à travers les portes vitrées, j'ai vu quand même Sarah et autour d'elle, il y avait plusieurs personnes. Mais enfin, je vois que des gens qui acquiescent, etc. Je pense qu'elle arrive à s'exprimer. J'espère qu'ils comprennent que c'est grave, quoi...

Sarah

On m'allonge sur une table. Et finalement, la table glisse sous le scanner et on me dit "il ne faut pas bouger maintenant, on fait l'examen" et donc je suis allongée, immobile dans ce scanner et je me dis "mais enfin, il y a une heure, j'étais chez moi et là, j'ai 19 ans et on me dit bah tu as peut être une tumeur, tu fais peut être un AVC" et je craque, je pleure et je me dis "Mais c'est pas possible, ce n'est pas ma vie d'être là à ce moment-là".

Régine

Et les heures passent... Et Gilles me dit qu'il faut qu'on prenne les garçons, c'est important qu'ils sachent que leur soeur est aux urgences et qu'elle va pas bien.

Pierre

Je suis à la maison, je reçois un appel de mon père

Thibaut

Il est environ 21 heures. Moi, je suis actuellement à une soirée raclette avec des amis

Pierre

qui me dit que Sarah est à l'hôpital.

Thibaut

Mais rien de grave, vraiment.

Pierre

Il dit qu'on ne sait pas trop ce qu'elle a eu, des difficultés à marcher, qu'elle a une grosse gastro.

Thibaut

Moi, je comprends tout de suite qu'il y a un problème parce quen quand on a une paralysie, un début de paralysie faciale, c'est qu'il y a un problème, donc je m'inquiète très rapidement.

Pierre

Je suis assez inquiet puisqu'on n'a pas plus d'informations que ça.

Thibaut

Je lui dis que il faut que je vienne à ça. Il faut que je vienne. Lui me dit qu'il n'y a pas besoin que je vienne, que tout est sous contrôle, qu'ils sont à l'hôpital, qu'il y ait des prises en charge, etc.

Pierre

Je décide tout de même de rester sur Paris et mon père m'encourage à rester à ce moment là sur Paris et à pas tout de suite venir sur sur Clermont-Ferrand, puisqu'en fait, on attend dans les jours, les heures qui viennent, des examens complémentaires pour pouvoir mettre un diagnostic sur ce qui arrive à ma soeur.

Thibaut

Mais moi, je suis pas bien et il faut que les rejoignent et que je sois avec eux là tout de suite pour voir ce qui se passe et les soutenir.

Pierre

Donc, à ce moment là, je suis vraiment dans l'attente.

Thibaut

Je décide de quitter la soirée précipitamment. Je prends même pas le temps de dire au revoir à mes amis, je signifie juste à ma copine que je dois partir, qu'il y a un problème avec ma soeur, qu'elle est à l'hôpital et que j'y vais. Elle me propose de m'emmener en voiture, mais moi, je suis trop pressé d'y aller. Donc, je mets mes chaussures et je pars en courant. Je pars en courant en direction de l'hôpital. Et je n'arrête pas de courir.... L'Hôpital de Clermont-Ferrand se situe un peu en haut d'une colline et qui fait que pour y accéder, je suis obligé de passer par des marches d'escalier. Donc je cours pendant une vingtaine de minutes et puis j'ai des centaines de marches à monter. Comme ça, je cours au milieu des marches d'escalier. Je suis en sueur et je suis épuisé. Et j'arrive aux urgences de l'hôpital.

Gilles

Il est très, très affolé et nous, Régine et moi, la pression est plutôt retombée puisqu'on a confié notre fille à des gens compétents. Il y a une vraie prise en charge qui se fait très, très vite aux urgences. On se dit mais s'il est affolé tant que ça, nous, peut être qu'on ne l'est pas assez. Il y a une telle différence à ce moment là que ça interpelle aussi.

Thibaut

Quand je rentre enfin dans la chambre de Sarah,

Sarah

je  le vois avec ce regard plein de panique enfin de peur. Et c'est vrai que c'est quelque chose qui lui ressemble pas parce que c'est quelqu'un qui est toujours joyeux et on est toujours en train de rigoler et de se faire des blagues. Et je vois ce regard sur moi.

Thibaut

Je la vois sur ce lit d'hôpital avec cette espèce de robe d'hôpital. Elle essaye de me sourire, mais il n'y a que la moitié de son visage qui me sourit. Voilà, elle a cette paralysie de la moitié de la tête, donc, et la moitié de son visage qui essaie de me rassurer. Mais l'autre moitié de son visage qui me dit que ça ne va pas. Donc moi, je suis juste à moitié rassurée de tout ça.

Sarah

Quelques heures plus tard, le médecin revient avec le résultat des différents examens que j'ai eus et il me dit qu'il a une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle, c'est que ce n'est pas un AVC,

Régine

ce n'est pas une tumeur

Gilles

et ce n'est pas une méningite.

Sarah

Mais ils ne savent pas ce que j'ai

Gilles

Alors là on se dit : "bon, déjà, ça, c'est rassurant". Mais on dit "bin si ils cherchent des trucs de ce niveau là. C'est que c'est un truc grave, quoi".

Sarah

Donc, il me propose d'aller en observation dans un service de neurologie et il y a une chambre qui s'est libérée. Donc on m'emmène dans la chambre 46.

Maxime

Quand je vais voir ça pour la première fois à l'hôpital, elle est en neurologie et je la vois avec sa maman. Sarah est assise sur un fauteuil. Je vois qu'elle est pas forcément très bien ce qui se comprend et je vois qu'elle est aussi triste. Elle est inquiète. Elle sait pas ce qui l'attend et il y a sa maman et moi à ce moment là, je n'ose pas forcément la rassurer, aller la prendre dans mes bras. Par respect pour sa mère, je n'ose pas trop montrer des signes affectifs à Sarah directement. Quand je vois Sarah, je vois qu'elle est un peu paralysée du visage, que son visage est un peu bloqué. Malgré ça, elle est très belle. C'est quand même la Sarah que je connais. Je suis pas surpris, mais c'est quand même inquiétant de voir cette partie du visage qui ne fonctionne pas bien.

Sarah

Le lendemain, le 1er novembre 2014, le médecin neurologue rentre dans ma chambre et m'annonce "On a un diagnostic".

Régine

Je suis installée sur les chaises qui sont le long du couloir devant sa chambre. Je vois des médecins, alors je ne sais pas les internes qui sortent de la chambre et qui me disent "eh bien, votre fille a un Guillain-Barré". Alors, j'ai fait répéter 15 fois "un quoi ??"

Sarah

Donc je suis atteinte du syndrome de Guillain-Barré, c'est une infection rare, c'est une maladie auto immune. Mes propres anticorps se sont trompés de cible et se sont mis à attaquer mes nerfs. Il m'explique que c'est une maladie qui est souvent en différentes phases. On a d'abord une phase descendante où les symptômes s'installent progressivement avant d'avoir une phase plateau, puis une phase ascendante et que finalement, il n'y a pas vraiment de traitement. Il faut suivre ces trois phases pour guérir. Mais qu'il existe plutôt des traitements pour aider face aux symptômes, mais pas des traitements pour guérir.

Régine

Donc, je demande si c'est grave. Et là, la réponse, "on ne sait pas". Ça va durer longtemps ? "On ne sait pas". Et la réponse que j'ai, c'est que comme Sarah est jeune, c'est plutôt bien pour elle.

Sarah

Dans les jours qui suivent, je sens en effet que la paralysie progresse et j'ai du mal à plier les orteilles, puis les jambes, ça remonte vraiment. J'ai besoin de plus en plus d'aide pour la toilette. Et je me dis "attends! C'est une maladie auto immune, donc ça veut dire que c'est mon propre organisme qui a créé la maladie et c'est mon propre organisme qui m'attaque".Donc à ce moment là,  je me dis il y a moyen de retourner la tendance. Peut être que si je parle à mon organisme, il va comprendre qu'il faut repartir dans l'autre sens. Donc je suis allongée dans mon lit le soir et je dis à mes jambes "allez les filles ! Demain, on bouge, ça va le faire". Que mon cerveau enregistre en fait, que c'est lui même qui est en train de se rendre malade. Je dis "voilà les anticorps. Vous attaquez pas la bonne personne". En fait, j'essaie un petit peu de me soigner comme ça.

Régine

Au niveau du travail, rapidement, je me dis que c'est impossible pour moi d'aller travailler. Il faut que je sois auprès d'elle. Il faut que je sois auprès de ma fille. Enfin, je me pose zéro question quoi. Donc notre médecin, qui d'habitude ne fait jamais d'arrêts de travail, là il me dit "Non, non, madame, il faut absolument vous arrêter". Il me met 15 jours d'arrêt pour rester auprès de Sarah.

Gilles

Moi, j'ai un soutien total de à la fois de ma hiérarchie nationale et de mon équipe locale qui fait que j'aurais pu. Je pourrais, moi, m'arrêter plus facilement avec beaucoup moins de conséquences prévisionnelles. Mais nos... Nos façons de faire et nos relations maman/ fille, père, papa / fille sont telles que, naturellement, c'est Régine qui s'arrête.

Sarah

Le vendredi soir de la semaine d'après donc ça fait déjà une semaine que je suis hospitalisée. Il y a mon grand frère Pierre qui vient me voir.

Pierre

Je décide de prendre le train pour Clermont-Ferrand.

Sarah

Je me dis que si mon frère Pierre est venu de Paris alors que ce n'était pas prévu, il est arrivé tard le vendredi soir. C'est peut être que c'est un peu plus grave que ce que j'ai en tête et que ça va peut être durer un peu plus longtemps que prévu.

Pierre

Je suis devant les portes automatiques de l'hôpital, dans le froid, sous ce temps grisonnant. Et puis ma mère finit par arriver et là, je la vois avec une mine complètement déconfite, abattue. Ce qui me choque un peu puisque ça tranche vraiment avec son caractère un peu solaire habituel. Et donc, j'en perd à ce moment là mon sourire en voyant, en voyant ma mère dans cet état. Et là, sans dire un mot, elle s'effondre littéralement, en pleurs dans mes bras. Et c'est à ce moment là que je que je comprends que ce qui arrive à ma sœur est il vraiment grave.

Je rentre dans la chambre de ma soeur, ma mère me laisse tout seul pendant un petit moment avec elle. Et là, c'est comme si je prenais littéralement un mur. Je m'attendais à pouvoir discuter avec ma soeur, à la voir comme je l'avais quittée, quelques semaines, quelques mois auparavant : souriante, avenante et heu... Et je découvre ma soeur très amaigrie, qui ne bouge pratiquement pas dans son lit. Et à ce moment là, je lui dis quelques mots. Et puis je m'effondre moi aussi, complètement en pleurs

Sarah

et relève la tête, il sèche ses larmes. Et puis il change de sujet.

Pierre

Je lui demande si ça va, tout simplement. Et je me rends compte à ce moment là que ce n'est pas ma sœur. En tout cas, c'est pas la Sarah que je connais.

Sarah

Il me regarde pas vraiment. Il fixe un point au loin. Il parle et me raconte sa semaine et ça me fait beaucoup de peine de le voir comme ça parce qu'on a une relation très fusionnelle. C'est vraiment le grand frère câlin qui s'occupe toujours de moi. Et là, je sens que... Qu'il peut même pas me regarder.

Pierre

Je reste quelques jours sur Clermont-Ferrand. Et puis je finis par retourner sur Paris puisque les cours reprennent. Je reprends le train pour Paris. C'est un déchirement pour moi puisque j'ai l'impression un peu de d'abandonner ma sœur, d'abandonner mes parents, d'abandonner mon frère qui, eux, sont sur place à Clermont-Ferrand. Je vis ça un peu comme une trahison. Tout simplement. J'ai l'impression de trahir ma sœur, trahir, trahir ma famille en les abandonnant dans un moment, dans un moment où ils auraient besoin de mon soutien, où ils auraient besoin de moi présent physiquement avec eux.

Sarah

Le lendemain, j'explique que j'ai un peu du mal à tousser et en fait, les médecins me disent que c'est parce que j'ai les poumons qui sont un peu fatigués et que je vais aller passer 24 heures dans un service de soins continu. C'est un service qui a les machines faites pour un peu stimuler les poumons et ils me disent que je vais partir juste 24 heures pour donner un petit coup de boost aux poumons. Et puis que je laisse toutes mes affaires et que de toute façon, ils me gardent la chambre et que je reviendrai.

J'arrive dans cette chambre de soins continu et là, c'est complètement différent. C'est vraiment tout blanc. Il y a énormément de machines. Il n'y a pas de fenêtres et ça fait vraiment un peu film d'horreur parce qu'il y a vraiment pas de vie. Et les portes sont vitrées donc tout le monde nous regarde sans cesse. Et finalement, on m'installe beaucoup de dispositifs. Donc il y a beaucoup de bruit, de PIB, de machines. Donc finalement, je suis branché de partout et je le vis pas très bien. Je trouve que c'est un peu déprimant aussi de ne pas voir s'il fait jour ou s'il fait nuit. Déjà que je ne dors pas très bien, je me dis ça m'aide pas non plus me à caler. Donc, c'est vrai que je perd un peu mes repères parce que finalement, j'ai une sonde urinaire. Donc j'ai plus besoin d'aller faire pipi régulièrement. J'ai une sonde gastrique, donc j'ai plus d'heures de repas pour manger. Et là, on m'enlève le jour et la nuit. Donc je ne sais plus vraiment quelle heure il est, quel moment de la journée il est. Je suis un peu déconnectée du temps, finalement.

Thibaut

Je demande toujours à ma sœur ce que je peux faire pour elle

Sarah

et je lui ai dit Bon bah, faut que je profite de la situation. Et faut que je fasse en sorte que ce soit un peu plus rigolo.

Thibaut

La seule chose qu'elle me demande, je suis obligé de lui dire oui. 

Sarah

Donc, on aime beaucoup les déguisements dans la famille

Thibaut

et donc elle me demande de venir déguisé tous les jours.

Sarah

Et c'est comme ça que s'est installé le concours de déguisement.

Thibaut

Donc je me retrouve embarqué dans ce challenge d'un jour, un déguisement

Sarah

Les jours qui suivent, j'ai donc la visite de Spiderman, de Dracula, d'une tortue ninja, d'un pigeon, de personnages de Star Wars. Il y a plein de monde qui vient me voir, finalement.

Thibaut

Et bien sûr, La reine des neiges : ma masterpiece. !

Sarah

Je sens que ça a un vrai impact sur mon quotidien parce que chaque jour, je me dis "bon, qui sait qui va venir me voir aujourd'hui?" Qu'est ce que ça va être le déguisement du jour? Et puis, finalement, ça me donne aussi quelque chose à raconter.

Pierre

J'essaie de contribuer à distance à l'idée de mon frère, de venir déguisé avec un déguisement différent tous les jours. Donc, je mets à contribution mes amis pour leur demander s'ils n'ont pas de déguisements à prêter pour qu'on puisse vraiment, que mon frère puisse vraiment venir tous les jours avec un déguisement différent.

Sarah

Le 12 novembre, ça fait trois jours que je suis en soins continu et malgré la machine qu'on me met plusieurs fois par jour qui m'envoie de l'air dans les poumons pour les entraîner, je sens que j'ai du mal à respirer. Je suis très essoufflée et j'ai comme des glaires dans la gorge que je n'arrive pas à tousser et qui me gênent. Ce soir là, ça me gêne plus particulièrement et je me rends compte que je n'arrive plus à respirer. Et à ce moment là, il y a énormément de soignants qui rentrent dans ma chambre et le médecin se penche sur moi et m'explique que du coup, ils vont m'endormir pour pouvoir m'intuber, donc me mettre un tuyau par la bouche jusqu'aux poumons qui va insuffler de l'air et que du coup, ils vont m'emmener en service de réanimation. Et c'est sur ces phrases que je m'endors.

Quand je me réveille. Je comprends que je suis plus au même endroit, mais je peux pas bouger. Je suis extrêmement fatiguée et je sens qu'il y a quelque chose dans ma bouche. Et je sens aussi que mes poumons se soulèvent tout seul. Et là, j'entends des voix. Une infirmière qui qui explique à ma mère qu'il faudrait pas que je m'endorme, que mon état n'est pas très stable, qu'il faut essayer de me maintenir éveillée, qu'il faut que je m'habitue à la machine. Ça fait beaucoup d'informations et je suis tellement fatiguée que je me dis "mais moi, je, je vais m'endormir. Je ne peux pas rester éveillée, même si j'entends qu'elle dit qu'il ne faut pas..." C'est trop épuisant, cette machine. Je ne comprends pas trop ce qui m'arrive et j'entends que ma mère, elle, pleure à côté sans pouvoir la regarder ni bouger. Et j'entends qu'elle me dit "Écoute, je vais te lire Harry Potter comme ça, tu pourras pas s'endormir, je vais te lire ton livre" et j'entends sa voix qui me lit Harry Potter, mais pleine de sanglots et ça me brise le cœur parce que je me dis "Mais moi, je vais devoir m'endormir. Je n'ai pas le choix, j'ai plus de force" Alors est-ce que c'est vraiment dormir ou est ce que c'est la fin? Parce que je me suis jamais sentie autant épuisée et je crois qu'en fait, je préfère que ça s'arrête et que j'arrête de lutter comme ça parce que je n'y arrive pas. Mais en même temps, je me dis j'ai pas envie de mourir devant mes parents comme ça, ça serait trop horrible pour eux de les laisser sans leur dire un mot. Donc... J'arrive un peu avec ma main à aller jusqu'à la paume de la main de ma mère et je trace un cœur dans la paume pour lui faire comprendre que je l'aime. Je me dis je, je sais qu'on se comprend et qu'elle comprend. Et elle me répond Moi aussi, je t'aime. Et donc je me dis bon bah je, je peux y aller parce que là je n'y arrive plus, donc je me laisse aller.

Et finalement, au bout de quelques jours, je commence à plus me réveiller et à être vraiment consciente et à ce moment là, on m'explique qu'on va mettre un traitement en place pour essayer de diminuer un peu les symptômes parce que finalement, j'ai quand même un syndrome de Guillain-Barré qui est assez fort. Du coup, ils vont mettre en place la plasmaphérèse avec une machine de dialyse. Ils vont prendre mon sang qu'ils vont passer dans la machine, qu'ils vont nettoyer de tous les anticorps, mes propres anticorps, qui attaquent mes nerfs, pour me remettre du sang propre. A ce moment là, du fait du tuyau d'intubation qu'on m'a mis, je ne peux plus parler parce que le tuyau passe entre les cordes vocales et du coup, ça empêche toute communication possible. En plus de ça, il sort par la bouche. Donc, je ne peux pas non plus bouger les lèvres. J'ai toujours la paralysie du visage, donc je ne peux pas vraiment m'exprimer par des expressions de visage, ni par les yeux. Et en plus de ça, la paralysie a pris la plupart de mes membres et je peux pratiquement pas bouger. Donc, je me retrouve vraiment allongée sur ce lit, sans moyen de communication. Du coup, c'est un peu compliqué pour pouvoir poser vraiment les questions de : où je suis? Pourquoi? Qu'est ce qui va se passer? Je ne suis pas en mesure de communiquer parce que je n'ai aucun moyen de le faire.

Gilles

Dans cette période où Sarah est en réanimation avec des hauts et des bas. Moi, je prends mon rythme quotidien qui consiste à aller encore plus tôt que d'habitude au bureau, donc j'y vais relativement tôt. Je ne fais pas grand chose, mais je me gare sur mon lieu de travail. Et puis j'arrive assez tôt, donc à l'entrée de la ria et au bout de trois jours, dans mon quotidien, ils m'ont dit "C'est pas les horaires, mais vous pouvez y aller quoi"

Sarah

Ils arrivent à avoir dans mon regard, il me pose des questions, il va me dire bien dormi et j'essaye de lui faire passer par le regard.

Gilles

Et donc, je fais le SMS généralement. Un message ce matin,

Sarah

"j'ai envoyé à tout le monde que

Gilles

bien dormi

Sarah

nuit deux heures. Morale : oK

Gilles

c'est mieux qu'hier

Sarah

et pas de douleur pour le matin".

Gilles

Et je pense que le contenu du message a peu de valeur. C'est le fait de faire le message qui a de la valeur.

Régine

Chaque jour, j'arrive vers 11 heures, 11 heures et demie

Gilles

parce que je repasse à midi, je déjeune souvent avec Régine le midi, je repars donc au travail

Sarah

et après en fin de journée, à la fin de son boulot, il y a mon frère qui arrive, toujours déguisé et toujours à me raconter des bêtises et à raconter des bêtises aux soignants. Donc je crois que tout le service l'attend. Il n'y a pas que moi, il y a tout le service qui l'attend. Après, il y a mon copain Maxime, qui vient tous les jours pour raconter sa journée, pour prendre des nouvelles.

Maxime

Et je commence un peu à me décontracter par rapport à la famille. Je suis moins gêné d'être là, j'ai l'impression d'avoir ma place. Je n'ai pas l'impression d'être une pièce rapportée ou autre chose et je me sens beaucoup mieux avec eux.

Sarah

C'est le 18 novembre, ça fait six jours que je suis dans le service de réanimation et six jours que je suis intubée et j'en peux plus de ce tuyau et je leur avais fait comprendre en écrivant que je voulais une trachéotomie. La trachée automotrice et que le tuyau, il commence au niveau de la trachée. Il passe plus au niveau de la bouche et donc on est relié à la machine à la base du cou. Du coup, on est un peu plus libre au niveau de la tête et on me dit "Écoute Sarah, ça va mieux. Tu vas même pas avoir besoin de passer par la trachéotomie. On va te t'extuber". Donc, la médecin, la kiné et une infirmière sont sont dans ma chambre et dégonflent le petit ballonnet qui est entre mes cordes vocales et qui maintient le dispositif dans mon organisme et à partir de là, elles sortent par ma bouche le tuyau qui était enfoncé jusque dans mes poumons et qui me permettait de respirer depuis plusieurs jours. Je me rends compte que j'ai l'impression que je respire dans une paille et que je prends des toutes petites quantités et j'entends les machines qui sonnent comme j'avais pu entendre en soin continu. Et je comprends qu'encore une fois, je n'ai pas assez d'oxygène dans le sang et que il va falloir faire quelque chose. Donc, la médecins se penche sur moi et m'explique que l'exhumation n'a pas fonctionné et qu'on va m'endormir et que cette fois ci, on va me faire une trachéotomie.

Je me réveille et donc je me rends compte que j'ai mon visage libéré. Donc c'est plutôt un soulagement pour moi et ça me fait beaucoup de bien au moral parce que finalement, je me dis que je vais pouvoir plus m'exprimer avec mon visage, même s'il est paralysé en partie mais il y a quelques expressions qui persistent et qui vont me permettre de communiquer. Et j'arrive de plus en plus aussi à écrire sur le tableau. Ou sinon, j'utilise un tableau que ma créé, ma famille, où ils ont recensé mes principales demandes. Et j'ai plus qu'à montrer si j'ai mal quelque part, si j'ai besoin qu'on me réinstalle dans le lit, si je veux la télé, changer de chaîne. Il y a vraiment un tableau qui a été construit et personnalisé en fonction de mes besoins et j'ai plus qu'à montrer ce qu'il me faut et ça marche plutôt bien.

Ça fait quelques jours que je suis assez stable et que je réussis bien les exercices de sevrage respiratoire. En fait, on me débranche la machine et c'est à moi par la canule de trachéotomie à inspirer l'air et on se rend compte que j'y arrive. Donc est prévu de m'enlever le dispositif de trachéotomie et à ce moment là, il y a il y a Yann aide soignant et Anne-Cécile infirmière dans la chambre qui me disent "bon bah Sarah t'es prête? On te l'enlève !" Et là, ça fait trois semaines que je n'ai pas pu parler. Donc, ils dégonflent le ballonnet, ils enlèvent le dispositif et ils me regardent et me disent "Bah, ça y est! Maintenant, tu peux parler". Et là, je me dis bon, qu'est ce que je dis? C'est mon premier mot. Est ce que je fais une blague? Juste un mot qui a rien à voir. Je dis sandwich, mon premier mot, ce sera sandwich ? Ou est ce que je reste sérieuse? Je sais pas trop. Et puis finalement, je dis "Bon bah, je me lance et je dis coucou!" Mais finalement, j'ai une voix, on dirait Voldemort. Une voix vraiment effrayante qui ressemble pas du tout à ma voix d'habitude. Et en fait, on est tous les trois et on rigole.

Le 5 décembre, vu que mon état s'est stabilisé, les médecins me disent que je suis sur la courbe ascendante et que les rechutes dans le syndrome de Guillain-Barré sont impossibles donc que chaque jour, je vais aller mieux. On me renvoie donc dans le service de neurologie. Je reprends un petit peu de mobilité, mais le 11 décembre, je me sens, je me sens très fatiguée et je dis "oh, j'ai encore un peu du mal à respirer comme ça a pu me faire des fois". Mes proches rentrent à la maison, je me retrouve toute seule. C'est la nuit dans cette chambre. Et puis je sens que mon coeur bat très vite. Du coup, je n'arrive même pas à me reposer parce que il bat tellement fort que je me sens pas bien. Je dois tirer l'air. C'est vraiment compliqué. Je sens que ça ne va pas, que je me sens pas bien. Ils me disent " bah écoute, le médecin je dirais de venir te voir demain matin. Repose toi!" Je me dis "bon allez". J'avais l'impression d'être un capitaine sur un bateau qui devait ordonner à ses poumons de respirer. Je me disais "Allez les gars, on y va.Allez, on inspire, on respire" enfin... Chaque inspiration c'était vraiment un exercice et ça me demandait énormément de concentration avec à côté de ça, mon coeur qui battait très vite et mes membres qui avaient de plus en plus de mal à bouger. Donc, sonner pour appeler les soignants plusieurs fois dans la nuit, c'était très compliqué. C'était toute une épreuve d'attraper la sonnette et de réussir à appuyer dessus. Et je me suis dit "mais là, je ne vais pas pouvoir tenir la nuit comme ça.Je ne vais plus réussir à respirer" . J'ai déjà vécu ça deux fois, je sais. Et là, ça va pas. Donc, j'arrive à faire glisser le fil de la sonnette entre une phalange parce que c'est le seul endroit où j'ai de la sensibilité au niveau des mains. Et je coince le bouton de la sonnette sur l'os de ma hanche pour réussir à avoir la force de sonner parce que je n'avais pas la force avec la seule force de mes de mes doigts. Donc, un exercice qui me prend plus d'une demi heure et l'aide soignante arrive et je dis "ça ne va pas", elle me dit "je peux rien faire pour toi", je dis "écoutez, envoyer un message à mon père et dites lui "viens !""

Il arrive, ils me voit et en un coup d'œil, il dit "ça va pas !"

Gilles

Je vois le personnel médical. Je demande des explications. On me renvoie vers un interne, bon heu... Et là je dis "elle est en train de rechuter, c'est évident". Et eux minimisent les choses. Donc je dis "maintenant, vous appelez la réa. Et puis, c'est tout de suite et c'est pas dans dix minutes".

Sarah

Ça y est, je suis sauvée. Il prend toujours les choses en main quand j'ai un problème dans la vie, c'est toujours lui qui me sort de toutes les situations. Il est là et ça va aller.

Quand je me réveille, je suis de nouveau trachée. On m'a fait de nouveau une trachéo.

Régine

Le médecin de la réa est là donc je vais le voir. Je lui dis "Mais qu'est ce qui se passe quoi ?" Donc là, de façon très pédagogique, il me montre son écran. Et puis il me dit "Mais la médecine n'est pas une science exacte madame, vous voyez c'est des pourcentages. On essaie des trucs, ça marche, ça marche pas. Effectivement, chez Sarah, ça n'a pas marché, mais ça a déjà marché à un moment. Donc on va remettre des plasmaphérèse en place. Elle nous fait un Guillain-Barré, qu'on appelle à rebond. Effectivement, c'est un cas à part. Voilà, je peux rien vous dire d'autre. Peut être qu'elle aura besoin d'une plasmaphérèse à vie. En tout cas, ça a marché, donc on va essayer, on va continuer, on va remettre en place ça et et c'est tout ce que je peux vous dire".

Gilles

Mon quotidien reprend : le boulot, la visite du matin, etc. Et puis, il y a des hauts et des bas, et un jour, alors que c'est pas forcément le plus bas et j'ai... En arrivant, je la voix et j'ai un gros coup de blues. Je me dis "mais enfin... Qu'est ce que je fais là?" On n'arrête pas, on revient. On en est reparti. Elle s'en sortira jamais. Et j'ai dû faire trois fois le tour de l'hôpital, tous les escaliers, tous les étages, pour essayer de m'en prendre. Pour pas montrer que ce jour là, je n'y croyais plus quoi...

Sarah

Jusque là, j'ai toujours gardé le moral, j'ai toujours été positive, mais en fait, si ça revient, est ce que je vais m'en sortir? Et je me dis "par contre, je veux que cette fois ci, ça se passe pas comme la dernière fois. Je veux vraiment qu'on m'écoute. J'ai 19 ans, je suis jeune, mais je ne suis pas une enfant. Et ce n'est pas parce que je ne parle pas que je ne comprends pas". Donc, que je demande à voir la médecin avec mon tableau Weleda, je lui écris : "maintenant, je veux qu'on me parle avant de prendre une décision médicale et qu'on me demande" et elle me dit "oh excuse moi, je pensais pas que tu le ressentait comme ça. Mais bien sûr, tu as entièrement raison. Et c'est toi qui décide. Et c'est toi qui va être actrice de ta prise en charge". Face à cette baisse de moral,  je me raccroche vraiment à ma famille.

Speaker 3

Le 24 décembre, je me dis "c'est vraiment trop triste, je vais passer Noël à l'hôpital, Noël sans pouvoir dire un mot" et j'en parle au médecin et le médecin me dit "Ecoute, j'ai quelque chose à te proposer".

Régine

J'arrive dans la chambre et Sarah a une grosse écharpe qu'on lui a offerte autour du cou. Et puis, elle a le bras, elle a son bras de la trachéotomie qui va jusqu'au jusqu'au respirateur. Et là, elle me dit "Bonjour maman".

Sarah

Le médecin me dit "On va te mettre une canule parlante". C'est un petit dispositif qu'on place sur l'endroit où il y a le trou de trachéo. Au, on enlève le tuyau. Et il n'y a plus que le petit dispositif. Donc l'air rentre par ici".

Régine

Je dis "quoi?" Elle me dit "Bonjour maman". Et là, je lui dis "Mais qu'est ce qui se passe? J'hallucine! Mais qu'est ce qui se passe?" je suis transportée de bonheur.

Maxime

La nuit du 31 au 1er, j'ai la chance de pouvoir dormir avec Sarah.

Sarah

Je demande un peu à ce qu'on me coiffe, à ce qu'on me maquille pour donner un peu une ambiance festive. Maxime arrive vers 18 heures. On se met dans le lit, devant la télé. Il vient avec moi dans le lit.

Maxime

Ce que je n'ai pas fait depuis de nombreuses semaines. Et finalement, Sarah, assez tôt avant minuit, elles commence à être très fatiguée, la pauvre. Elle commence à s'endormir, elle s'endort et

Sarah

je commence à me réveiller. Et puis, je sens un peu que c'est humide et chaud et je me rends compte

Maxime

qu'elle fait pipi au lit.

Sarah

Donc je suis super gênée. Je le regarde et je lui dis "mais qu'est ce qui se passe?"

Maxime

La rassure directement en lui disant "T'inquiète pas,

Sarah

tu es en train de me faire pipi dessus, mais c'est pas grave, dors."

Maxime

Je ne suis pas du tout gêné, je trouve ça... Je ne vais pas dire que je trouve ça normal mais...

Sarah

Donc on en rigole parce que c'est quand même particulier de faire pipi sur quelqu'un.

Maxime

Je vois pas de problème à ça. Elle est très malade. C'est des choses qui peuvent arriver. Je savais que ça pouvait arriver

Sarah

mais en fait, on le vit assez bien et on se dit "bon bah pour la nouvelle année, à minuit pile, je t'aurai fait pipi dessus". C'est un peu gênant, mais je crois qu'on a passé le cap dans notre relation, de la pudeur. On a passé tellement de choses, il m'a vue dans tellement d'états, que du coup, c'est pas grave.

Maxime

Et à aucun moment, on peut vraiment avoir de discussion sur ça, sur ce qu'elle est en train de vivre. Où je peux lui expliquer clairement que non, moi, ça me fait rien. C'est pas grave, il y a aucun souci. Tu peux te montrer comme ça sans aucune gêne. Tu es malade. C'est ton droit en fait.  Le plus important c'est pas forcément ce que je peux penser de toi. C'est plutôt que tu ailles mieux.

Sarah

Le 9 janvier 2015, mon état s'est stabilisé, donc on m'a enlevé la canule parlante. On m'a enlevé la sonde urinaire. On m'a enlevé la sonde gastrique et je peux reprendre une alimentation normale. On m'explique que je vais pouvoir partir en centre de rééducation

Gilles

et cette fois, c'est la bonne ! Puisque la première fois elle est sortie un peu vite et cette fois, ils sont sûrs. Elle peut sortir. J'ai beaucoup de tenu, j'ai fait une espèce de zoom arrière et j'ai dit "j'ai bien tenu le coup". J'ai bien fait que je voulais faire, dans le rôle que je voulais avoir. Et puis, tout d'un coup, j'ai l'impression que tout lâche. Je ne sais pas, il se passe quelque chose dans mon corps, je sais pas ce qui se passe. Et bah c'est bon, elle est sauvée. On va pouvoir passer à autre chose. Mais je ne peux pas passer à autre chose parce que je ne peux même pas attraper ma souris d'ordinateur. Je suis complètement bloqué sur ma chaise de bureau. Alors je dis "mais qu'est ce qui se passe?" Et puis, je me dis "bon... Je vais essayer de me lever", j'ai vraiment beaucoup, beaucoup de mal à me lever, un peu comme Sarah quand elle a commencé à être paralysée. Je me suis un peu paralysé... Alors comme j'avais eu des problèmes cardiaques quelques années avant, je me dis "ça y est, je rechute". Je me traîne jusqu'à la porte parce que j'ai un grand bureau calfeutré, un grand bureau de chef où si je crie toute façon, on ne m'attendra pas. Donc, je me traîne jusqu'à la porte, j'ouvre la porte et j'ai dit à la jeune collègue qui est en face de mon bureau "je me sens pas bien, je vais me reposer un moment, mais viens voir de temps en temps".

Bon... Je me retraine péniblement à mon siège et là, je dis pas je vais attendre que ça passe. Et puis, bien entendu, le branle bas de combat commence dans  l'étage, des gens viennent voir et voient que je suis quasiment incapable de bouger, que je parle à peine. Donc, bien sûr, le premier réflexe il appelle le médecin du travail. Il vient me voir et au bout d'un moment il me dit "je vois que vous allez mieux, je m'en vais". Et je dis "bon, je vous raccompagne". Et à ce moment là, je suis bloqué sur mon siège, je ne peux pas me lever. Il me dit "vous n'arrivez pas à vous lever". Je lui dis "bah non ! Je suis bloqué". Et il dit "bon c'est que vous n'allez pas mieux". Et donc là, bien sûr, il déclenche l'Armada. Donc, les pompiers sont là très, très vite. Le Samu, bien sûr puisque l'hôpital n'est pas très loin, arrive très rapidement également. Alors, m'amène pas à l'hôpital où était Sarah, on m'amène au pôle République à la clinique. On me fait une batterie de tests. Je me couche. Je dors pendant quatre heures et c'était  passé. C'était pas du tout auprès de cardiaque. C'était l'annonce de la guérison de Sarah.

Pierre

Au moment de l'entrée en rééducation de ma soeur, je décide de reprendre un peu le cours de ma vie normale, de venir moins souvent sur Clermont-Ferrand. Et puis ça tombe bien puisqu'on a un séminaire avec notre MBA, un séminaire d'une semaine au Brésil, à Rio de Janeiro. Et donc, c'est vraiment aussi une bouffée d'air pour moi, où ça me permet complètement de penser à autre chose et d'alléger mon esprit en pensant à autre chose que l'état de santé de ma sœur.

Sarah

Donc, petit à petit, je réapprend à marcher, je réapprend à me servir de mes mains, à boire, à manger. Je retrouve petit à petit une autonomie et les jours passent et on me propose de rentrer chez moi les soirs, de retourner à domicile et de venir faire la rééducation la journée. Donc, je suis trop contente de retourner enfin chez moi. Enfin, dans ma chambre, retrouver mon lit, c'est vraiment le bonheur. Et un mois après, le 7 avril 2015, on m'explique que c'est bon : la rééducation s'est terminée ! Et que je vais pouvoir vraiment rentrer chez moi et faire à présent de la kiné, en libéral.

Régine

On se dit ça y est guérie !

Maxime

Et on peut même commencer à se projeter sur la suite des événements. On était complètement bloqué  pendant toute la réanimation. Et là, je retrouve la Sarah que je connaissais. On essaye de faire des plans pour la suite. S'imaginer de partir en week end, peut être même prendre un appartement ensemble, continuer notre vie, la reprendre là où elle s'était arrêtée, en fait, tout simplement.

Régine

Et finalement, par la suite, on s'aperçoit qu'on reprend pas vraiment notre vie d'avant. Et puis moi, je vois que dans ma tête, ça ne va pas quo. C'est à dire que je me dis sans arrêt, "mais je ne suis pas moi. Je me regarde vivre, mais je n'ai pas retrouvé ma vie d'avant". C'est un sentiment très compliqué à expliquer. Je me revois dans la rue dans Claremont en me disant "Mais c'est qui cette femme là? Avec son sac à main qui marche à côté de moi?" Dans ma tête, ça ne va pas.

Sarah

J'ai vraiment envie d'être toute seule et d'apprendre à me redécouvrir parce que je me rends compte que beaucoup de choses ont changé, que j'ai énormément changé et j'aimerais bien me connaître et prendre du temps pour moi et faire vraiment ce que j'ai envie. Du coup, j'en parle, j'essaie d'en parler, d'expliquer que j'ai besoin d'être un peu plus seule. Et à ce moment là, j'en parle à Maxime.

Maxime

Je suis seul avec Sarah dans sa chambre. Ses parents ne sont pas loin, ils sont à côté dans le salon. On discute et elle vient à m'annoncer qu'elle aimerait qu'on prenne un peu nos distances, que c'est un peu bizarre entre nous en ce moment et qu'elle aimerait faire une pause, en fait, tout simplement. Et moi je suis super surpris, je m'attendais vraiment pas à entendre ça dès maintenant.

Sarah

Je me rends compte que j'aime plus forcément les mêmes choses, mais que je sais plus non plus de quoi j'ai envie. C'est comme si j'avais été un peu brisée en mille morceaux et qu'il fallait que je reprenne les bouts par ci par là pour tenter de reconstruire qui j'étais. Et pour ça, il fallait bin... Que que j'aie du temps seule pour réfléchir et pour savoir ce que je voulais vraiment.

Maxime

Puis après, assez vite. Au fil des discussions, je comprends un peu son ressenti. Je comprends qu'elle ait besoin un petit peu d'air. Il y avait des personnes qui. Qui lui disait par exemple "Bah voilà, Maxime avec tout ce qu'il a fait, tu vas rester toute ta vie avec lui...

Sarah

...Qu'après avoir vécu ça, plus rien ne pouvait nous séparer". Mais on avait 19 ans, on n'avait pas encore vu la vie et du coup...

Maxime

...Mettre une grosse pression quand même surtout à cet âge là. Je suis super triste, mais je comprends, je comprends sa décision et surtout, je. J'avais peur qu'elle reste avec moi un peu par pitié en se disant "voilà bin après tout ça, je peux, je suis obligé de rester avec lui". En partant de la chambre de Sarah pour rentrer chez moi, Sarah est en pleurs et je croise ses parents dans le salon et je leur dis au revoir. J'ose pas à leur dire ce qui s'est passé directement. Ce n'est pas vraiment mon rôle de leur annoncer ça. Et je leur dis au revoir en sachant que c'est sûrement la dernière fois que je vais les voir...

Sarah

Ça arrive dans la vie qu'on perde un ami, qu'on qu'on se sépare d'un copain et du coup, c'est plutôt ces liens là que j'ai rompu.

Maxime

J'ai vécu beaucoup de moments avec toute la famille de Sarah, au point d'être presque intégré à cette famille. Et du jour au lendemain, je me retrouve seul, privé de ça, privé de ça et de tout ce qu'on a vécu ensemble. Les repères que j'avais, que j'avais créés ces derniers mois n'existent plus et j'ai beaucoup plus de temps pour moi. C'est à moi d'exploiter ce temps maintenant sans... En oubliant tout ce que j'ai vécu.

Régine

Et en octobre, je suis allé voir quelqu'un pour parler de ça, pour peut être raconter tout ce que j'avais vécu parce que finalement, on le vivait au jour le jour mais on se racontait pas ce qu'on ressentait vraiment. Et de pouvoir le dire à quelqu'un, de pouvoir le raconter. Ça m'a fait du bien.

Maxime

Je me suis rendu compte avec un peu de recul que j'étais. J'avais été énormément fermé dans ma relation avec Sarah, où je n'osais pas montrer mes sentiments. Je ne voulais pas paraître faible, en fait. Je me souviens d'une fois où Sarah m'avait demandé quand elle allait mieux, e"st- que tu as pleuré pendant ma maladie ?" Et j'avais répondu en mentant "non" pour paraître fort, pour paraître, pour ne pas paraître sensible. Aujourd'hui, j'ai pris conscience que c'est ridicule de mettre cette distance là, notamment avec l'être aimé, et j'ai regretté ces moments où je lui disais pas les choses.

Régine

Cette expérience m'a changée. J'ose plus, j'ose dire des choses. J'ose dire quand ça ne va pas, j'ose dire non. Ça m'a bousculée on va dire là aussi dans le bon sens.

Pierre

Cette période, elle m'a, elle m'a changé dans le sens où je me suis rendu compte que ma famille comptait avant tout. Moi qui n'était pas très famille je me force aujourd'hui à prendre beaucoup plus de nouvelles. Et forcément aussi, cette expérience nous a, a renforcé les liens qui existaient, qui se fait entre nous. Donc j'appelle beaucoup plus souvent ma sœur, j'appelle plus souvent mon frère. Et puis, on a créé tous ensemble aussi un petit groupe familial. Sur les réseaux sociaux pour pouvoir échanger régulièrement des nouvelles.

Sarah

Aujourd'hui avec ma famille, on sait que les autres sont là si on en a besoin, mais surtout, on se dit plus les choses. Si vraiment on a quelque chose sur le cœur, même si on est un peu gêné de se le dire, c'est pas grave, on met cartes sur table et on se raconte.

Régine

Voilà, on est une vraie famille. Je crois que c'est sûr qu'on est une vraie famille.

Charlotte Pudlowski

Cet épisode de Passages a été tourné par Maud Benabicha, qui est aussi chargée de la production de passage. Il a été monté par Amel Almia. La musique, la réalisation et le mix sons de Jérôme Petit. Maureen Wilson, Anaïs Dupuis et Mélissa Bounoua ont supervisé l'éditorial et la production. Le générique de passage a été composé par Number Ultra Je suis Charlotte Pudlowski et Passages est une production Louie Média. Vous pouvez vous abonner sur toutes les plateformes de podcasts, nous envoyez vos histoires à hello@louiemedia.com et si vous souhaitez soutenir Louie, n'hésitez pas à vous abonner au club. Vous y trouverez des bonus, une newsletter, des rencontres avec l'équipe et bien plus loin. louiemedia.com/club, a très vite.