Alex Blumberg: «Le podcast est encore un média naissant»

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Alex Blumberg est un héros. Le héros du podcast «Start Up», dans lequel il a raconté l’épopée du lancement de sa boîte de podcasts, Gimlet Media, en 2014. (Au départ, il était seul, ils sont une centaine aujourd’hui). Il sera aussi bientôt le héros d’une série télé: Alex Inc, adaptation de «Start Up» dans laquelle le comédien Zach Braff jouera son rôle (en mars 2018 sur ABC). Et il est déjà notre héros, chez Louie Media, parce qu’il fait les podcasts que l’on aime, ceux qui s’écoutent comme on regarde des séries Netflix. D’ailleurs, en parlant de séries, un autre de ses podcasts est en cours d’adaptation: la fiction audio «Homecoming», qui sera portée à l’écran chez Amazon, avec Julia Roberts. Gimlet ne cache pas ses ambitions de devenir le «HBO des podcasts»: début 2018, ils ont carrément lancé une cellule film et télé.

Quelques semaines plus tôt, en novembre, nous le rencontrions dans ses impressionnants bureaux de Brooklyn. Et à quelques mois du lancement de Louie, alors que nous venions de quitter Slate, c’était l’occasion de s’interroger sur le sens nouveau que peut prendre aujourd'hui le mot média, ce petit mot accolé à Gimlet, qui fait pourtant de la fiction autant que du documentaire.

Qu’est-ce qu’un média pour vous aujourd’hui ?
C'est pas facile à expliquer car cela prend plus de formes différentes que par le passé. Un média pouvait être un film, une émission de télé, un article, un livre... Aujourd'hui, vous avez des vidéos YouTube, des posts Instagram, des diatribes sur Facebook, des tweetclashs, et tout ça peut être considéré comme du média.
Les médias étaient historiquement des sortes de gardiens du temple, mais cette période est terminée. Il y a longtemps eu des entreprises de médias, maintenant il y a des plateformes sur lesquelles les gens peuvent publier des médias.

Comment faire la différence alors, entre tous ces contenus média?
Parmi les entreprises de média, on commence à voir des façons de se différencier. Certaines essaient de faire beaucoup de choses différentes qui ne valent pas cher. Et si vous pouvez produire du contenu pour peu cher, alors vous pouvez gagner de l'argent avec. Et si vous faites beaucoup de contenu peu cher, vous pouvez gagner beaucoup d'argent.

Ce n'est pas votre stratégie!
Non, nous avons choisi l'autre possibilité, qui est d'ajouter de la valeur à l'objet que vous créez pour que cela devienne du contenu que les internautes vont chercher. Vous aurez ainsi plus d'auditeurs qu'en produisant la version low cost. Et il y a d'autres stratégies encore mais ce sont les deux principales.
Si vous venez des médias traditionnels, vous pouvez vous considérer comme un professionnel qui a un savoir-faire. Et avec ce savoir-faire, il y a beaucoup d'opportunités, c'est sûr. D'une certaine manière, il y a tellement de contenus aujourd’hui que c'est encore plus important d'avoir une idée de ce que c'est de produire un bon contenu.

Pourquoi avoir préféré vous définir comme un média plutôt que comme une boite de production?
C’est une décision économique et intellectuelle. Les podcasts peuvent devenir des franchises : si vous avez un show qui sort régulièrement comme «Reply All» ou «Every Little Thing», on peut vendre de l’espace publicitaire, cela devient une habitude pour les auditeurs, l’audience croît régulièrement, et cela peut devenir une franchise avec beaucoup de valeur. C’est aussi une façon d’être capable d’investir. On ne peut pas engager autant d’argent pour un show qui n’est pas à nous. S’il appartient à quelqu’un, ils peuvent juste partir et nous avons perdu tout notre argent. Nous avons la propriété intellectuelle, si ça marche bien, l’équipe gagne, le présentateur est valorisé et cela rapporte de l’argent que l’on peut investir dans d’autres émissions. Pour avoir travaillé à «This American Life» et «Planet Money», je sais que ce sont des émissions très chères à faire et nous avons levé des fonds. Ce ne serait pas cher par rapport à la télé, mais c’est très cher dans le monde des podcasts. Pour un épisode comme «Planet Money», le budget peut s’élever à un ou deux millions de dollars par an. Pour «This American Life», j’imagine que c’est plus que ça.

Et en tant que média, pourquoi avoir choisi de faire la fiction? Est-ce un moyen de vous renouveler, de raconter le monde autrement?
Oui, la fiction est très intéressante pour ça. La fiction audio avait disparu ici aux États-Unis, tout était passé à la télé. Et la fiction audio qui perdurait restait nostalgique et vieillotte. Mais notre intuition était que les gens aiment les bonnes histoires et que si on pouvait en produire en audio de manière plus contemporaine, ce serait remarquable. Nous avons donc fait «Homecoming», qui réunit des acteurs connus [David Schwimmer, Oscar Isaac] et c’est l’un de nos podcasts les plus écoutés.

Mélissa Bounoua et Charlotte Pudlowski