Retranscription - D’amour et d’amitié

 GÉNÉRIQUE 

Extrait d’une conférence en anglais de Chimamanda Ngozi Adichie

Charlotte Pudlowski : La voix que l'on entend, c'est celle de l'écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie. Nous sommes en 2009 et elle donne une conférence dans laquelle elle parle des récits qu'on se fait du monde, des histoires. Elle dit la manière dont elles sont narrées, qui les raconte, le moment où elles sont racontées, combien on en raconte : tout cela, c'est un enjeu de pouvoir. Avec Maureen Wilson, responsable éditoriale de Louie. On adore cette conférence parce qu'elle fait écho à ce que l'on vous prépare depuis quelques mois un nouveau podcast d'histoires vraies qui interrogent notre subjectivité. Les bulles dans lesquelles on s'enferme, qui interrogent la manière dont ce qu'on est transforme les histoires qu'on raconte, qui interrogent l'endroit ou l'on parle. On vous racontera des histoires à une voix, deux voix, trois voix pour essayer de voir comment, si vous vous retournez, si vous déplacez un peu le cadre, si vous soulevez amplement les paupières, le récit se transforme. 

Et cette semaine, un épisode à deux voix, une histoire d'amitié au micro de Jérôme Massela. 

Je suis Maureen Wilson, je suis Charlotte Pudlowski. 

Bienvenue dans le passage.

Orianna : Je suis beaucoup dans l’amitié. Je suis vraiment dans le partage, dans le don de ma personne. C'est vrai que je peux avoir tendance à beaucoup donner et à attendre en retour. Et ce qui peut me porter souvent préjudice. En 2000. Moi, je rentre en sixième. Je ne suis pas une bonne élève, je ne suis même pas bonne élève du tout. Je n'arrive pas à faire mes devoirs. Je me dispute tous les jours avec mon frère. Je suis un peu garçon manqué. Ma mère ne me comprend pas vestimentairement. Et même dans la vie de tous les jours, elle ne comprend pas. Je crois que mon père est sur le point de partir ou il n'est pas tout à fait encore parti. En tout cas, il y a un gros clash à ce moment-là. Je vois ma mère un peu triste et c'est une période de ma vie pas terrible. On arrive à Blagnac quelques années auparavant et moi j'avais quitté mes amis d'avant donc c'est vrai que... Je suis vraiment à la recherche de quelqu'un avec qui partager tout mon temps et avoir une complicité forte. Je rencontre Mandy en 2000, on a douze ans. Je ne comprends pas du tout mon corps. J'ai de grosses épaules, je ne vais pas très bien. Pas du tout à la mode. Je n'avais pas du tout confiance en moi à ce moment-là.

Mandy : En 2000 j'ai douze ans. Je vis une enfance plutôt heureuse, enfant unique, d'un couple qui s'aimait, d'un papa qui avait des problèmes de santé, de gros problèmes de santé. J'étais un enfant... je pense que je me sentais comme les autres, alors que je pense que j'étais déjà différent à l'époque de mes copines. Bon. Parfois, je dois faire des choses un peu étranges, mais je n'en avais pas conscience… On avait un groupe de copines avec qui on s'entendait super bien. On faisait des chorégraphies sur les Spice Girls, on s'entendait plus ou moins bien toutes ensemble. C'était sympa. Quand je me suis rapproché d'Orianna, je pense que les autres se sont un peu éloignées de moi naturellement. Mais aussi comme Orianna était quelqu'un de très spécial, je pense qu'elles ne comprenaient peut être pas vraiment pourquoi j'étais amie avec cette personne. Elle était un peu exclue parce qu'elle était nouvelle. Elle est arrivée à la fin de l'école primaire et ensuite quand on s'est retrouvés au collège, c'est vrai qu'elles ont peut être pas compris mon amitié avec elle. On avait envie d'évoluer. On voulait plus ce côté un peu cucu, fifille... On était un peu plus rock déjà. Et je pense qu'à l'époque, je la voyais comme la sœur que je n'avais jamais eue. C'était plus qu'une amie. On avait ce besoin de vraiment vivre quelque chose de fort et très intense tous les week-ends. Je pense qu'on était toujours collées. A cette époque là, je suis affectée par les problèmes de santé de mon père et ça, je le savais. J'ai même demandé à mes parents d'avoir une psychologue. Ils n'avaient pas compris parce que je ne comprenais pas pourquoi j'avais cette douleur en moi. Et la psychologue avait dit à mes parents : mais en fait, votre fillette souffre énormément à cause des problèmes de son père, parce qu'elle a énormément d'empathie pour son père. Un amour très fusionnel. Moi, j'ai eu mon complexe d'Œdipe qui a duré super longtemps.

Orianna : En fait, notre amitié était basée sur le rire. On riait énormément et on s'amusait à faire des vidéos. Du coup, ça sacralisait. Et puis, même matériellement, parce qu'après on montrait des vidéos à des gens. Puis je voyais bien que les gens enviaient notre complicité et nos fous rires. Et c'est des vidéos dans lesquelles on se mettait en scène ou on se déguisait ou on chantait ou on faisait les cons. On imitait des gens, on se mettait en scène, on a monté des scénarios. Elle adorait me maquiller. Moi j'adorais quand elle me maquillait, elle me faisait essayer des habits. Puis moi, j'étais le clown, j'étais le pitre, elle aussi. On avait ce sens de l'autodérision poussé à l'extrême, ce qui marchait parce que nos vidéos faisaient rire tout le monde, et c'était génial. Mandy est une fille unique, que ses parents ont beaucoup désiré, qu'ils ont eu du mal à avoir. Donc c'est l'enfant roi chéri de ses parents. Moi, j'ai un grand frère. Mes parents n'ont pas beaucoup d'argent. C'est un peu compliqué. Mes parents ont fait des crédits à la consommation, ce qui les a mis littéralement dans la merde financièrement. Elle habitait une grande maison avec une piscine. Elle avait tout ce qu'elle voulait, tous les habits. Elle avait une chambre incroyable avec une chaîne hi-fi, avec des posters, avec une batterie. C'était un peu un palais. Et moi, j'avais une maison qui était tout à fait correcte. Mais bon, c'était beaucoup, beaucoup moins bien qu'elle. Rien n'était un problème alors que moi, à ce moment-là, tout est plutôt un problème. Dans ma famille en tout cas.

Mandy : J'aimais beaucoup sa mère et son frère. Il y avait beaucoup d'amour dans sa famille. Donc pour moi, oui, on venait d'une famille aimante. Mais je me sentais mieux chez elle parce que sa mère était plus ouverte d'esprit, plus cool, plus jeune. Je trouve cette femme incroyablement belle, elle me fascinait. Ma mère n'aimait pas du tout sa mère et je pense que c'était réciproque, notamment à cause d'une fois ou j'avais eu une dispute avec ma maman et j'étais partie dans la nuit. J'avais fugué. Alors j'ai fait le mur pour aller chez Orianna à pieds, j'avais failli me faire écraser par un scooter. Et j'étais arrivée chez elle et sa mère n'avait pas appelé ma mère pour lui dire, et ma mère lui en a beaucoup voulu.

Orianna : Ça m'est déjà arrivé d'aller faire des courses avec Mandy et sa mère et moi, j'étais un peu jalouse de la manière dont sa mère mettait tout dans le chariot et je voyais qu'elle mettait des super yaourts au lait de brebis parce que Mandy était intolérante au lait de vache. Quand je faisais des courses avec ma mère, je lui faisais des scènes parce que je voulais absolument manger les mêmes yaourt qu'elle, je voulais qu'elle m'achète les mêmes céréales. Mais bon, ma mère, elle me disait "Non, je suis désolée, on n'a pas les moyens, c'est non". A ce moment-là, elle comble tout le vide que j'avais dans ma vie juste avant et après, elle occupe la majeure partie de mon temps, mais moi, ça me va. C'est très bien. Je suis très heureuse, je ne jure que par elle. Je me dis juste que j'ai de la chance de vivre ça et que c'est les autres qui ont des amitiés nazes et que vraiment moi, celle que j'ai, c'est la mieux. Je me consacre à 100 % à cette amitié. Je reste assez mature quand même, mais je pense que c'est ce qu'elle aime aussi chez moi. Je fais toutes les concessions possibles pour pouvoir passer le plus de temps avec elle. Mes week-ends, mes mercredis après-midi, dès que je peux, dès que j'en ai l'occasion, je cours, je marche, je prends le bus, je me débrouille toujours pour être là où il faut quand il faut. Quand on a quatorze ans, moi ça m'arrive souvent de passer le week-end chez elle et en fait, comme sa chambre est à l'étage et que ses parents sont tout en bas, mais vraiment au bout du couloir, on peut mettre de la musique à fond. Elle a chaine hi fi, on danse on fait les folles, on saute, on crie, on chante.

Mandy : Et du coup, moi dans l'euphorie du fait qu'on écoute de la musique et que c'était un peu la folie de la jeunesse. Je propose qu'on aille piquer de l'alcool dans le placard où mes parents stockent l'alcool fort. C'était le bar du salon, je prends la première bouteille qui me vient. Je sais que c'est une bouteille que mes parents ne boivent pas parce que c'est du whisky label cinq qui est toujours offert par mes grands-parents et mon père : "ne bois pas du label cinq, il s'en sert pour flamber des gambas à la plancha". Donc je me suis dit si on prend ça ils s'en rendront pas compte parce que ce n'est pas quelque chose qu'ils boivent.

Orianna : On remonte la bouteille dans sa chambre et on commence à boire l'alcool, mais vite, parce qu'on est jeune et on ne sait pas ce que ça fait. On ne sait pas... Voilà, on boit des shots, un, deux, trois. Je sais plus combien. En tout cas suffisamment pour commencer à être un peu en état d'ivresse. On écoute de la musique et là, elle danse, moi je crois qu' à ce moment là, je me suis assise, je la regarde et je me dis qu'elle est merveilleuse, et qu'elle est belle.

Mandy : Et du coup, je pense que moi qui suis rock and roll, je lui dis "allez vas y viens on s'embrasse".

Orianna : Donc moi je suis très surprise parce que je crois que j'ai jamais embrassé quelqu'un, ou en tout cas c'était nul et sans aucun intérêt.

Mandy : Je pense qu'elle m'a dit d'accord, je ne me souviens pas exactement de ce qu'elle m'a répondu, mais je pense qu'elle était là "bah vas y".

Orianna : Je dis pourquoi... au début, je crois que je refuse parce que j'ai un peu peur. Mais en même temps, je sens que j'en ai  très envie, donc finalement je me laisse tenter. Donc on baisse la musique ou on baisse la lumière...

Mandy : Et on s'est embrassées. 

Orianna : Et là, je crois que ma vie a changé. Tout est devenu rose, beau. Il y avait des étoiles filantes autour de moi. C'était un moment absolument magnifique. Je n'avais jamais vécu ça.

Mandy : Et du coup, on avait trouvé ça plutôt sympa.

Orianna : Mon cœur se met à battre, je rougis et je trouve ça merveilleux. Elle sent bon. Tout est parfait. Je suis très, très heureuse. Juste après le baiser, je crois que je suis assez gênée. Je dois dire un truc de merde, genre j'ai pas envie de dire que j'ai adoré parce que j'en ai peur. Donc j'ai juste peur de ce qui vient de se passer. Et en fait, je pense que c'est le début de l'amorcement de plein de trucs.

Mandy : C'était vraiment pour le fun. Je trouve ça rock'n'roll. Pourquoi pas l'embrasser ? En fait, c'était une suite logique. Je n'avais absolument aucun désir. C'était ni une attirance sexuelle, ni quelque chose auquel je pensais depuis très longtemps. C'est quelque chose qui est arrivé spontanément dans le feu de l'action. À ce moment là, je me dis que ce baiser va rien changer à notre relation, que s'il y en a d'autres, ce n'est pas un problème. Mais moi je me souvenais pas de celui ci. Exactement. Mais effectivement, je me souviens de cette première cuite. C'était ma première cuite elle aussi. Après ce moment là, elle est devenue beaucoup plus possessive. Je ne comprenais pas. Je me posais pas beaucoup de questions. Je savais qu'elle m'aimait, pour moi, c'était pour toujours. C'était acquis. Je pense que je suis restée naïve très longtemps. Ça, c'est quelque chose. Ma mère me disait t'es naïve, tu vis un peu dans un monde de Bisounours. A l'époque, j'observe, je me laisse vivre, mais j'analyse pas vraiment ce qui se passe autour de moi. Pour moi, cette jalousie, c'était juste de la possessivité. je me disais "roh mais elle est chiante. j'étais là bon bah c'est bon lâche moi la grappe quoi!". Je vivais ma vie, mes expériences et j'avais envie qu'elle fasse pareil. J'avais envie qu'elle aussi, elle vive la même chose que moi en fait. Et je l'encourageais dans ce sens et elle faisait blocage. Et elle m'expliquait pas pourquoi. Comme j'ai changé trois fois de collège là, en troisième comme du coup, j'ai un peu des tendances dépressives, mes parents décident de m'annoncer qu'ils m'envoient en pension à Garaison. Donc c'est un peu un camp de redressement pour les jeunes. C'est une ancienne prison en plus, c'est vraiment horrible. Et ils me disent "Bon bah voilà Mandy, tu verras un petit peu moins des amis". Là, forcément, il y a des amitiés qui se créent avec les filles avec qui je suis en dortoirs, ultra intenses. C'est une vie complètement différente et j'ai moins de disponibilité du coup pour voir mes amis en semaine et je n'ai pas le droit au téléphone. Donc du coup, je ne pouvais pas téléphoner non plus, passer des heures comme on faisait parce qu'à l'époque, avec Orianna. Et alors  mes parents m'engueulaient pour ça. Ils avaient des notes de téléphone, de fou parce que c'est moi qui appelais et on passait 1h et demie ou 2h tous les soirs. Et ils étaient là "c'était n'importe quoi, vous vous êtes vues toute la journée, vous avez encore des trucs à vous raconter ?"

Orianna : Là, je commence à avoir un peu peur parce qu'elle me raconte ses premiers jours. Elle me dit qu'elle a rencontré des gens avec qui elle rigole. Moi, je suis jalouse. Je suis malheureuse parce que je sens que je vais la perdre et que je me dis que ces personnes là sont géniales et là, je commence un peu à avoir peur. Je l'imagine dans sa chambre, je l'imagine avec d'autres gens parce que je sais qu'elle dort avec d'autres personnes et je les imagine rire. J'imagine plein de choses. Moi, je pense tout le temps, elle, ouais.

Mandy : Quelque temps après, on part dans les Landes. Ma mère louait une maison avec mon frère et puis là, je m'ennuie un peu. Je me rends compte qu'elle me manque terriblement.

Orianna : A ce moment là, je sais qu'elle est dans les Landes, avec ses parents, à une centaine de kilomètres, et je supplie ma mère de m'amener là bas parce qu'elle me manque beaucoup trop. Et puis, bien sûr, Mandy m'avait proposé de venir dans sa maison avec ses parents, ma mère cède. On prend la voiture, elle m'amène. Il fait chaud, c'est des kilomètres. Je sens bien que ma mère est très ennuyée, mais je m'en fous complètement parce que je vais chez Mandy. Et j'arrive là bas et là bas, forcément, c'est génial! Elle est belle, elle est bronzée, elle met du monoï. C'est vraiment en train de me rendre dingue cette histoire. Quoi, je me dis wow ! Là, je commence à comprendre ce qui se passe. Mais bon, pareil, je me le dit, mais je me l'interdis... mais c'est plus fort que moi. Quelques semaines après, elle rencontre un garçon et ils tombent amoureux très rapidement. Moi, je suis de moins en moins conviée. Et puis quand je suis là, je sens qu'il y a des moments ou il faut que je rentre chez moi. Je suis la troisième personne. Je ne dirais pas que je dérange, mais bon, il y a des moments ou c'est un couple. Ils sont tous les deux et c'est normal. Mais moi, je n'avais pas envie de les laisser tous les deux. Je voulais toujours rester. C'était assez ambigu comme situation. Le soir de la Saint-Valentin. Ils devaient aller dîner tous les deux au restaurant et moi, j'ai absolument tenu à venir. Je l'avais eue au téléphone et elle m'a dit "On va la Pasta Tutta", c'est un resto de pizza à Toulouse, assez grand ou il y avait beaucoup de tables, où ça brassait énormément. C'était un endroit où on aimait bien aller et je voulais venir parce que j'étais seule et j'étais amoureuse d'elle et que c'était hors de question qu'ils passent la soirée tous les deux.

Mandy : C'était ma première vraie histoire d'amour, donc j'avais un amoureux. C'était très important pour moi. C'était toute ma vie à cette époque là. Mais je me dis moi, je vais aller au restaurant avec mon amoureux. C'est la Saint-Valentin et elle m'a fait une crise. Elle fait des pieds et des mains, en disant "mais tu me laisse tomber, tu vas me laisser toute seule". Et du coup, j'ai fini par l'inviter et elle est venue avec nous au restaurant, en trouple.

Orianna : Parce qu'en plus Rémi, il avait une voiture, était vraiment super cool ce mec. Donc en plus il vient me chercher chez moi. Ma mère me demande "Qu'est ce que tu fais ?". Je dis "bah je vais au restaurant avec Mandy et Rémi", et ma mère me regarde en disant "mais Orianna, c'est la Saint-Valentin, c'est la fête des amoureux. Enfin laisse les tous les deux quoi." Et puis là moi je m'énerve, je dis "mais n'importe quoi, ça va, c'est une fête commerciale. C'est pas grave du tout, on s'en fout, c'est cool". Enfin bon, je l'envoie un peu balader. On dîne, ça se passe bien. J'en fais toujours des caisses avec Mandy. J'ai envie de la faire rire. J'ai envie qu'elle me regarde. Avec du recul, c'est un peu pathétique. Mais bon, qu'est ce qu'on ferait pas quand on est amoureux en fait ?

Mandy : Au début, je me disais bon c'est bizarre, puis ben non, finalement non. Si je les aime, pourquoi ne seraient-ils pas là tous les deux ? Je pense que Rémi ça l'agaçait, mais bon il était un peu jeune, puis il était un peu bête ce mec avec le recul. Je pense qu'il captait pas grand-chose, genre "ta pote elle nous colle". 

Orianna : J'étais assez mauvaise au collège, ce qui fait qu'évidemment, je n'ai pas mon brevet. Je m'en vais dans un lycée de couture. Bon, c'est à peu près tout ce que je peux faire parce que je suis refusée partout.

Mandy : Elle était à Roland-Garros, c'est super loin ce lycée. Et nous, on est à Saint Sernin, dans l'hyper centre de Toulouse, le lycée où tout le monde voulait être ou il y avait tous les artistes, les bobos. On en est arrivé là, c'était la nouvelle vie en se disant wow, ça y est, on va devenir adulte, on va faire des trucs de fous parce qu'on est en ville, on est libre. Tout de suite on est devenu un groupe ultra fort, soudé, on vivait des choses ultra intenses. Ça faisait un moment déjà qu’elle avait ce comportement un peu agressif avec moi, possessif, qui m'étouffait un peu et que je commençais à trouver vraiment très désagréable. Du coup, au fond, c'est comme si j'avais senti un soulagement le fait de recommencer une nouvelle vie. Je ne voulais pas me séparer d'elle, mais j'avais l'impression que c'était la suite logique des choses et qu'elle elle allait vivre sa vie, comme moi, j'allais vivre la mienne. Au fond, je me préoccupe plus d'elle, quoi. C'est quelqu'un qui aura toujours de l'importance pour moi. Mais c'est comme si je n'avais plus de disponibilité pour cette personne parce que je vivais autre chose en fait. Je pense que c'est le moment où notre relation est arrivée à son terme car elle faisait quand même l'effort de venir nous voir. Elle prenait le bus. C'était un peu loin pour venir nous voir à la sortie du lycée. Elle faisait ça souvent le vendredi soir, je crois, et l'ambiance était tellement tendue à couper au couteau qu'au final, je pense que je l'ignorais parce que je ne voulais plus vivre ça en fait. Et je pense qu'elle trouvait mon comportement complètement odieux. Et ce qui fait que du coup, on n'avait plus rien à se dire en fait.

Orianna : Quelque temps après on a seize ans, on devait aller quelque part, je ne sais plus très bien où, on devait faire une activité ensemble. C'était en journée. C'était prévu depuis le début de la semaine. Elle m'appelle et elle me dit que finalement, ça ne va pas se faire, qu'elle a prévu de voir Rémi, qu'ils ont prévu de faire un truc à deux. Je crois que je raccroche à la figure parce que je suis trop énervée et je fais une crise de nerfs. Je me mets dans la salle de bain, je hurle, je pleure. Ma mère arrive. Elle frappe à la porte parce que je m'étais enfermée et me dit "Qu'est ce qui se passe ? Qu'est ce qui se passe ?". Moi, je ne veux pas lui répondre, parce que je ne sais pas ce qui se passe. Donc je n'ai pas les mots, je ne veux pas l'ouvrir. Elle insiste, elle insiste. Et puis finalement, elle arrive à me calmer et j'arrive à dire que Mandy, on devait se voir, mais on ne voit pas. Et puis elle me dit "mais Orianna mais c'est pas grave, ça arrive". Le fait qu'elle me dise que c'est pas grave, ça me rend encore plus énervée. Je repars dans ma crise de nerfs. Et là je mais tu te rends pas compte, on avait prévu de se voir. Et là ma mère me dit "mais Orianna c'est pas normal que tu réagisses comme ça. Ya quelque chose qui ne va pas, ma chérie". Inconsciemment, elle a compris. Elle a compris ce qui se passait. Mais même moi, je pense que cette crise de nerfs là m'a fait comprendre aussi que mes sentiments pour elle étaient beaucoup plus que de l'amitié. Et voilà. Donc là, j'ai compris ma douleur. Un soir, on fait un dîner chez elle. C'était un soir d'été, donc on finit dans la piscine, on se baigne. Je crois qu'il y avait mon frère, à ce moment-là aussi, qui était là. Ensuite, je rentre chez moi avec mon frère. Et le lendemain matin, elle m'appelle. Et puis elle me dit "Ça y est avec Rémi on l'a fait".

Mandy : J'ai appelé Orianna pour lui raconter. Parce que forcément, c'est ma meilleure amie et forcément il faut que je partage ça avec elle. Il faut que je lui dise, c'est un moment important dans ma vie qu'on partage avec sa meilleure amie.

Orianna : Et là, je suis devenue pâle, blanche. Je n'ai pas eu les mots, je suis restée quelques secondes muette et j'ai pris sur moi parce que ça m'a fait comme un coup de poignard dans le ventre. Ça m'a vraiment fait mal physiquement. Elle a commencé à me raconter, je devais me comporter en bonne amie, c'est-à-dire l'écouter et être heureuse pour elle. Donc, j'ai fait semblant de l'écouter et de trouver ça super. Moi, à ce moment-là, je crois que j'ai l'instinct de survie qui refait surface. C'est à dire que ça fait vraiment beaucoup trop de temps que je consacre mon temps à cette amitié là. Et ce coup là m'a fait énormément de mal et je me suis dit "là Orianna il faut que faut que t'arrêtes. Il faut que t'arrêtes tout".

Mandy : En 2005, elle commence à se rapprocher d'un groupe de filles qui sont un peu dans le même mood qu'elle, elles sont toutes ou presque avec des filles. Après, elles aimaient beaucoup faire la fête, c'était récréatif pour elle. Je pense qu'elles lui faisaient beaucoup de bien.

Orianna : L'année suivante, j'ai 17 ans et je rencontre mes amies, mes amies qui sont encore mes amies aujourd'hui d'ailleurs. Mandy c'est quelqu'un de très extravagant et quelqu'un qui est un peu, entre guillemets, bling bling. Moi, ce n'est pas du tout ma personnalité. Avec du recul, c'était pas du tout comme ça que j'étais moi même. Peut être que je m'étais un peu fondu sur sa personnalité à elle et que en fait avec mes amies, je suis devenue moi. On allait au cinéma, on écoutait de la musique. J'ai commencé à ouvrir des bouquins qui m'intéressaient, à sortir ailleurs et en tout cas à faire des trucs qui avaient plus de sens pour moi que mon amitié d'adolescente avec elle. Mon instinct de survie me dit "il faut que ça s'arrête". Donc à chaque fois que je pense à elle, je me dis “Orianna arrête, arrête de penser à elle”. Je me concentre sur autre chose. Disons que je mets beaucoup d'énergie à plus ressentir ça. C'est vrai que quand je la vois, je trouve ça vraiment toujours super. Mais elle a vraiment des côtés qui me fatiguent. Elle est vraiment hyper extravagante et elle en fait toujours des caisses. Et même quand ça lui est arrivé de me retrouver avec mes amis, il y avait des moments ou j'étais un peu gênée parce qu'elle en faisait toujours trop et j'en avais marre, et qu'elle en face, j'avais envie d'avoir envie d'exister sans elle, quoi. Donc il y a eu un moment ou j'ai eu besoin de plus la voir du tout.

Mandy : Je pense que c'était peut être à la fin de la seconde, elle vient nous voir de son lycée. On passe un moment, puis, comme d'habitude, elle est agressive et pas très contente d'être là. Donc elle s'en va. Et là, je commence à dire 'j'en ai marre. Je ne comprends pas pourquoi elle est comme ça. Pourquoi elle vient si c'est pour faire la gueule et tout'. Et là, il y a une personne qui me balance de but en blanc, 'mais en fait, elle est amoureuse de toi. Mais tu ne t'en étais pas rendue compte? Mandy enfin tout le monde le sait, sauf toi." Je pense que je n'ai pas voulu le voir. J'avais pas envie en fait. Donc du coup, ça n'existait pas.

Orianna : J'ai décidé du jour au lendemain de ne plus la voir, je ne voulais plus la voir, je voulais plus l'appeler. Je l'ai acté dans ma tête et je me suis forcée parce que j'en avais marre de souffrir. Je souffrais énormément, j'avais mal et j'ai décidé de ne plus la voir du jour au lendemain, pour me guérir. Et ensuite, elle a voulu savoir pourquoi ce silence. Donc je lui dis que je suis amoureuse d'elle et en même temps, je lui ai dit que je préférais les filles. Là, c'était deux choses en une. Elle tombe des nues. Elle ne comprend pas du tout. Elle dit "Ah bon ? Mais je ne l'ai pas vu. J'ai rien vu du tout". Et là je dis "non, mais quand même, il faut vraiment être aveugle". Moi je comprenais pas qu'on ne puisse pas voir. Surtout venant d'elle, parce qu'on s'est disputées, je lui ai fait des crises de jalousie. Comment elle n'a pas pu voir? Et en fait, je ne sais pas ça... Ça m'a vraiment confortée dans mon idée en me disant "ouais bon bah écoute Orianna, continue à faire ta vie, perd plus de ton temps quoi". Parce que j'avais l'impression d'avoir perdu mon temps toutes ces années, à l'aimer comme une folle. Et au final, pour qu'elle me sorte "Ah bon ? J'avais pas vu", j'avais trouvé ça dommage. Et puis après, moi j'ai continué ma vie. Et puis je ne suis plus revenue là dessus.

Mandy : Je ne sais pas si j'ai feins le fait de ne pas le savoir parce que je le savais. Mais de toute façon, j'étais toujours aussi choquée... le fait qu'elle me le dise... Je me sentais un peu désolée. Je me sentais un peu con, et en fait à ce moment là j'ai pas su quoi dire. J'ai même pas pu la rassurer ou lui dire quelque chose qui aurait pu lui faire du bien. Parce que dans tous les cas, je pense que c'était terminé, je ne pouvais plus rien faire. J'étais impuissante.

Orianna : C'est vraiment la fin de mon amitié avec elle, de mon amour. Et moi, je m'en vais vers d'autres contrées. Vraiment.

Mandy : Avec le recul, si je regrette quelque chose, c'est que je pense que j'aurais dû plus essayer de comprendre sa souffrance et pas juste d'essayer de l'éponge pour essayer qu'elle ait moins mal. C'est d'essayer de comprendre pourquoi elle avait mal et de la pousser à me parler et de me dire les choses parce que je pense qu'elle s'est enfermée dans un mutisme qui fait que du coup, à ce niveau là, elle n'a jamais exprimé ses sentiments. Et elle s'en est empoisonnée de le garder pour elle. Je suis triste parce que c'est une relation qui se termine et pour moi, c'était quelque chose pas vraiment d’acquis, mais ça allait continuer pour toujours. C'était quelqu'un qui faisait partie de ma vie. Pour moi, c'était inenvisageable qu'en fait, nous aussi, on arrête notre amitié. Et finalement, ça a été le cas. Et voilà, c'est le moment, c'est terminé et on ne voit plus. J'ai l'impression d'avoir perdu ma sœur. Et c'est vrai que déjà, moi qui ne suis pas proche de beaucoup de gens de ma famille, ça même pas du tout. Je me suis dit voilà, je suis de nouveau toute seule dans ma famille, quoi. Je pense que les gens me voient d'une certaine façon comme je suis potentiellement tout le temps de bonne humeur, rayonnante, je rigole, et solaire en quelque sorte. Ils pensent du coup, que je vais bien et que moi, je souffre jamais. Et du coup, ils ne tolèrent absolument aucun faux pas. Alors, au fond, toutes ces années où on a vécu cette relation d'amitié, je pense qu'elle ne s'est jamais vraiment penchée sur mes souffrances parce qu'elle pensait tout le temps qu'elle souffrait plus que moi. Mon père a commencé sa vie avec le crédit de la baraque de ses parents sur le dos. Il a travaillé comme un fou toute sa vie pour avoir ce qu'il a vu et avec les problèmes qu'il avait. Il faisait  une infection par mois avec des convulsions et tout ce que c'était.  On avait pas de problème... Moi, je pense que franchement, c'est juste, c'est ce qu'elle avait envie de voir en fait, pour enjoliver le truc, ce qu'on pouvait penser. Mais en fait, au fond de moi, j'étais complètement meurtri. J'ai vécu une crise d'adolescence qui a été très violente et très très longue, mais je pense que pas beaucoup de gens se sont rendu compte.

Orianna : Quelques années après, on a passé la vingtaine et moi je vis en colocation à Paris avec un ami qu'on a en commun. Je crois qu'on organise une fête et je sais qu'elle va venir et je suis très content de la voir. Je n'ai pas le trac, je suis à l'aise. J'assume complètement ce qui s'est passé. Je le dis sans problème.

Mandy : Moi, j'habite encore à Toulouse, je termine mes études et j'ai une folle envie de Paris. Je suis trop content de venir à Paris Sylvain me dit vient dormir à la maison, on fait des soirées et Orianna est là. Et je suis très contente de la voir. On arrive à retrouver un petit truc, une petite complicité, à se faire des petites blagues qu'on avait en commun parce que finalement, c'est quelque chose qui avait de super fort entre nous. Je trouve qu'elle évolue mais qu'elle ne vieillit pas et que la maturité qu'elle prend la rend belle et extrêmement charismatique. Mais c'est comme si elle était. Elle était quand même froide, un peu reine des glaces, genre comme si elle ne me laissait pas trop l'approcher comme un animal sauvage. Genre je te donnerai l'occasion de me faire du mal.

Orianna : Bon, on rigole, mais ça reste. En tout cas, on n'en parle pas. J'ai l'impression que c'est... après on n'a pas besoin d'en parler, on le sait... mais c'est plus comme avant... il y a plus de... C'est plus aussi intense.

Mandy : Alors que moi j'avais envie de peut-être de recommencer parce que je me disais bon, maintenant qu'elle est passée à autre chose, qu'elle a vécu, qu'elle a cicatrisé, peut être en quelque sorte notre relation. Peut être que maintenant on veut redevenir amies, retrouver quelque chose. Peut être que ça peut repartir... peut être pas comme avant, mais que l'on puisse passer des bons moments, passer du temps ensemble, rire, boire, manger, faire la fête.

Orianna : Pas du tout envie de rallumer la flamme. On est bien chacune dans nos vies. On est parties, chacune dans une autre direction. On partage plus trop de choses en commun. Et puis les seules choses qui nous font rire, c'est quand on parle de ce qui s'est passé quand on était adolescente. Ce qu'on partage, c'est nos souvenirs. Mais maintenant, on n'a plus rien à voir ensemble.

Mandy : Entre nous aujourd'hui, je ne sens pas du tout de décalage. Je pense qu'on s'est juste affinées chacune dans ce qu'on avait envie de faire. On a juste perfectionné notre personnalité en restant nous-mêmes. Elle n'a pas changé. Je n'ai pas changé. On est juste devenus plus que ce qu'on était.

Orianna : Elle vit un peu quand même. Elle vit toujours dans son monde de princesse et je vis dans mon monde d'adulte. Voilà.

Mandy : La dernière fois qu'on a été en contact, c'était il n'y a pas si longtemps. C'était peut-être il y a deux ans ou même pas. J'avais mon petit appartement et elle m'avait demandé si elle pouvait me le sous louer pour les vacances d'été. Parce que moi, je rentrais dans le sud ouest pour aller travailler et elle m'avait proposé de sous-louer mon appartement. Et je l'avais dit par contre, l'été, c'est sous les toits, il va faire une chaleur étouffante. Si tu viens, je vais acheter une clim comme ça, au moins tu pourras survivre. Et par contre la clim je vais l'acheter ça coûte un certain prix, il faut que tu me dises si t'es sure devenir, "oui oui c'est bon". Ok. Et plusieurs fois, je l'ai relancée deux ou trois fois par texto. T'es sûre que tu prends l'appartement ? Je vais l'acheter la clim demain ? "Oui, oui, c'est sûr". Et deux semaines avant de prendre l'appartement, elle m'envoie un texto "Oui, désolé. Du coup, je ne viendrai pas parce que je vais prendre une coloc avec Mélanie. Oh mais si tu veux..." Et je lui dis mais attends mais moi j'ai acheté la clim "Si tu veux, je t'aide à la revendre". Et ça a été notre dernier échange, parce que j'étais là mais franchement, elle est gonflée celle-là!

Orianna : C'était la dernière fois qu'on a été en contact. Ça ne s'est pas très bien passé parce que je devais sous-louer son appartement et elle avait investi dans une clim. Ça ne s'est pas fait parce qu'on m'a proposé un appartement gratuit et donc elle m'en a voulu à ce moment-là, mais je trouvais ça limite venant de ça part dans l'histoire. Je travaille depuis que j'ai 18 ans et elle, elle n'a jamais travaillé pour payer son loyer...ou très peu. Donc j'ai trouvé ça limite de sa part de me faire une crise là dessus en fait.

Mandy : Orianna aujourd'hui, c'est quelqu'un... Franchement, je pense que si jamais elle m'appelle pour me dire qu'elle a besoin de quoi que ce soit, je serai là pour elle. En fait, c'est quelqu'un qui fera toujours partie de ma vie, même si on n'a pas de contacts.

Orianna : Ça reste pour moi quand même... pas mon premier amour... mais si... C'est une personne que j'ai aimé profondément de toutes mes tripes. Donc elle aura toujours une place dans mon cœur, évidemment. Mais on partage plus rien à part.

Mandy : Mais au fond de moi, c'est une blessure qui reste. C'est quand même une déchirure de perdre quelqu'un comme ça.

FIN DE L'ÉPISODE

Charlotte Pudlowski : Cet épisode de passage a été tourné et monté par Jérôme Massela sous la responsabilité éditoriale de Maureen Wilson, qui était aussi à l'édition et à la coordination. Il a été réalisé par Léa Fossey. La musique a été composée par Antoine Graugnard et Mélodie Loret. L'épisode a été mixé par Jean-Baptiste Aubonnet. Marion Girard est responsable de production et Mélissa Bounoua directrice des productions. Je suis Charlotte Pudlowski et vous venez d'écouter Passages, une production Louis Média à laquelle vous pouvez vous abonner sur toutes les plateformes de podcast, nous laisser des commentaires, des étoiles et en parler autour de vous. 

A très vite.

GÉNÉRIQUE DE FIN