Retranscription - Débattre mon coeur s'est arrêté
Charlotte Pudlowski : Il y a plus d'un an, lors d'un apéro Louie, Maud Benakcha, journaliste de L'équipe, nous a parlé d'une de ses amies, Camille. Maud s'interrogeait sur sa relation avec Camille qu'elle fréquentait depuis des années. Elle découvrait des failles dans ce qu'elle pensait être leur conviction commune. Nous nous sommes toutes assises près de Maud pour entendre cette histoire, et à la fin, on s'est dit : voilà un épisode. Il est donc signé Maud Benakcha.
Bienvenue dans Passages.
Générique
Maud Benakcha : quand j'ai rencontré Camille, il y a dix ans, c'était une fille discrète. Elle disait pas grand chose, mais j'ai pris conscience de sa gouaille quand j'ai rencontré sa famille. Ils habitaient dans un grand appartement, et il incarnait à mes yeux la famille de gauche et parisienne. Il avait des grands débats, poussait des gueulantes dans cet appartement qui était plein de tapis, de livres et d'épices. Et puis, il me parlait de choses qui m'étaient inconnues. Il me parlait de chefs, de restaurants étoilés, d'herbes, de mélanges de saveurs. Le mélange d'épices, le ras el-hanout, allez savoir pourquoi, dans mes souvenirs, c'est eux. Et ce qui me revient en tête lorsque je repense aux soirées que j'ai passées dans leur cuisine, c'est vraiment la chaleur, l'accueil et l'ouverture d'esprit. En fait, chez eux, je me sentais bien.
Après la sortie du lycée, on se voit quelquefois dans l'année avec Camille. Notre amitié n'est pas quotidienne, mais elle est constante. Jusqu'au jour où, il y a à peu près deux ans et demi, on se retrouve un été dans un restaurant pour le déjeuner et elle me parle d'un choix qu'elle a fait. Là d'un coup, ça remet les compteurs à zéro. En fait, elle a pris une décision qui me semblait être à l'opposé de l'image que j'ai d'elle et à l'opposé de mes valeurs. Presque un choix qui me remettrait en question moi même, dans mon identité, en tant que jeune femme, de gauche, féministe, et avec Benakcha en nom de famille.
J'ai beaucoup réfléchi à son positionnement. Je me suis demandé à quel point il était possible de distinguer nos idées de nos actes, à quel point certaines décisions peuvent révéler une naïveté, un privilège même, celui de pouvoir croire que des idées ne sont que des idées et que ça n'a pas d'impact sur la réalité. J'ai pensé à couper les ponts, mais cette amitié durait depuis trop longtemps pour tout arrêter aussi sèchement. Alors dans cet épisode, j'ai essayé de comprendre pourquoi Camille avait fait ce choix.
Musique
Camille : en avril 2016, j'ai 23 ans. Je suis tout juste diplômée de l'école de cuisine et je rentre dans un des plus beaux palaces parisiens. C'est le berceau de la cuisine française. Pour moi, c'est là où un cuisinier doit travailler en fait.
Une personne vient me former. C'est Mickael. Il a l’air très bienveillant, plutôt timide. Il va m'apprendre sans me crier dessus, sans me mettre la pression. Je me disais que c’est tout ce que je veux, tout ce qu'il me faut pour le moment, donc c'est très bien.
Mickael : la première fois que j'ai vu Camille dans les couloirs, je ne suis pas allé lui parler, je n'ai pas osé, tout simplement. Je ne suis pas d'un caractère très entreprenant. Et c’est vrai qu’on se croisait juste de toute façon, on est au travail, on a la pression, on n'a pas vraiment le temps de s'arrêter. Ce n'était pas évident du tout pour moi d'aller la voir et de l'interpeller. Donc on s’est juste.. enfin je l’ai juste vu et ça s'est arrêté là.
Camille : une semaine après mon arrivée à la brasserie, je suis super épanouie, hyper intégrée dans l'équipe, tout se passe super bien, je suis aux anges. Et quelques jours après, j'apprends une très mauvaise nouvelle. Ma meilleure amie, Laura, j'apprends qu'elle est atteinte d'une leucémie. Et un mois et demi plus tard, elle décède subitement.
Après son décès, j'ai eu envie de changer d'air. Je décide de partir. Je sais la destination. J'ai envie de partir au Canada. Je fais très vite des recherches pour un permis vacances travail. J'en ai entendu parler, sauf que la période ne concorde pas en fait. Je ne peux pas y accéder pour cette année-là, mais je sais que l'année prochaine, ce sera mon tour et je ferai les démarches à ce moment-là.
Mickael : on est deux mois après l'arrivée de Camille à la brasserie, elle part au bistrot, elle suit.. son travail plaisait à tout le monde. Du coup, une personne a eu un poste intéressant au bistrot. Il a pris Camille avec lui. Du coup, on se voit encore moins, juste quand elle vient et qu’elle dit bonjour. Et par contre, on a une activité qui est entre nous deux, c'est-à-dire qu'on a un tea time l'après midi et que ses petits canapés passent au bistro le soir pour être vendus, et du coup, c'est un peu.. mon idée c’est de me servir de ça pour créer un espèce de lien avec Camille, au moins une discussion régulière. Et du coup, je lui demande tous les jours combien est-ce qu'elle en a vendu, jusqu'au jour où je lui demande si elle pourrait me faire un petit papier chaque soir, en partant, pour que moi le matin, je sache si on vend beaucoup pour que je puisse ajuster ce que j'aurais à faire faire le lendemain matin. Un matin mi-novembre, je lis son papier et du coup, j'ai le nombre de chacun de ses canapés qui a été vendu. C'est pas énorme. Et à la fin, il y a une signature. Moi, je n'ai jamais cru que c'était une signature. Enfin je l'ai jamais lu comme étant une signature. Ça ressemble à un cœur. Et à ce moment-là, je ne comprends vraiment pas. Bien sûr, c'est ce que j'aurais aimé lire, mais ça me paraît bizarre. Je me dis que c'est à la vue de tout le monde. C'est un petit papier qui est sur mon plan de travail que tout le monde pourrait voir. En ce moment, je me posais des questions : est-ce qu'il est en train de se passer quelque chose ou pas ? J’en suis vraiment pas sûr. Du coup, je vais quand même prendre les devants en quelque sorte, en tout cas essayer d'initier quelque chose. J'ai proposé qu'on se voit en dehors du travail pour une fin d'après-midi.
Camille : on est installés à la terrasse du Pierrot. Il fait plutôt bon et je suis complètement détendue. Il apparaît un peu comme un petit rayon de soleil dans ma vie qui est assez noire.
La conversation commence autour d'un fameux sujet qui est le travail.
C'est très réjouissant. On en discute en tout cas avec beaucoup de légèreté et d'humour. C'est pas du tout barbant. Il commence à me parler de sa vie privée. C'est très naturel. Je l'écoute beaucoup. Je lui pose un peu plus de questions, mais moi je reste complètement muette face à ce qui se passe dans ma vie. Je lui dis que je fais du sport, que ça m'arrive de courir, mais pour moi c'est épisodique. Mais lui réagit tout de suite en me disant : “ah oui, tu cours ?”. “Oui, je cours enfin, ça m'arrive”. Et là, il me dit : “ah, mais moi je fais des parcours sportifs…”. D’accord très bien. Et là, sans prendre de pincettes, le sujet va très vite. Il me dit : “je vais au Bois de Boulogne, je vais courir avec des royalistes”. Et là, je me dis : dans quoi je m'embarque ? Je ne visualise pas vraiment. Je visualise pas la portée de cette réflexion. Et puis là, je sens qu'il a pas fini sa phrase. Il n’y a pas eu un point après : “je vais courir avec des royalistes”.
Mickael : je lui annonce que je cours avec des jeunes de mon âge, des jeunes qui sont militants du FNJ, au sein de L'action Française aussi. Au sein du FNJ, c’est des gens que j'ai rencontrés en allant à des conférences et ceux de L’action Française sont des gens que j'ai rencontrés durant les manifs pour tous. A force de se revoir tous les weekend ou toutes les deux ou trois semaines en faisant du sport, ça devient de très bons amis. Donc à ce moment-là, je lui explique ça et je lui propose justement de venir si jamais elle veut faire du sport, de venir en faire avec moi, donc avec nous.
Camille : et là, c'est le drame ! Cet acronyme là, il me parle directement, c'est-à-dire que là, je me dis pas que FNJ ça veut dire quelque chose d'autre. Ça représente la jeunesse du Front National. Et là, je suis complètement perdue. Je suis choquée. Je suis choquée par l'annonce. Je suis choquée et la colère vient ensuite. Mon monde s'écroule parce que c'est une annonce qui est insupportable. Qui est insupportable parce qu’il m'a proposé de venir courir avec lui, il a pensé que j'avais les mêmes valeurs que lui, il a rien compris. Il n'a rien compris. Il n'a pas compris qui j'étais. Il m'a assimilé à ces gens-là. Il a voulu que j'en fasse partie. Non en fait, c'est pas possible.
Mickael : mais j'essaye de relancer une conversation parce que je ne veux pas que ce rendez vous se termine, non pas sur une dispute, mais en tout cas, sur une mauvaise note. Et à ce moment-là Camille ne réagit plus au final. Elle se referme sur elle-même. Chacune des conversations que j'ai lancée, ce sera une réponse très laconique, un oui ou un non, un hochement de tête parfois, je n’obtiens rien de plus à ce moment-là.
Je décide de payer, d'une part pour faire gentleman et pour lui offrir un verre, puis d’autre part, aussi un peu aussi pour m'excuser pour ce moment très gênant que j'ai procuré. Parce qu'à ce moment-là, je me sens mal. En fait, je me sens gêné parce que je l'ai gêné. Ce que je ressens.. pas forcément énervé parce que je m'en veux de lui avoir fait cette proposition. En même temps, c’était quelque chose de très naturel. Je ne voyais rien de malaisant quand j'ai fait cette proposition. Donc, je suis un peu perturbé en effet. Je m'en veux. Je lui en veux aussi un peu quand même de réagir comme ça. C'est la première fois pour moi qu'une personne fasse.. ce que je ne définis pas encore auprès d'elle comme étant mes idées, mais mes fréquentations, mais juste qu'une personne me juge par rapport à ça. Et au-delà de me juger, me mettre de côté en quelque sorte. C’est-à-dire qu’elle pourrait me juger et avoir un débat, mais là, pour le coup, c'est pas le cas. C’est : elle juge, elle m’impose une fin de non-recevoir et derrière, il n'y a plus rien. Il n'y a plus de discussion. Y'a rien qui ressort de ce moment-là en fait.
Camille : ça me touche autant qu'il ait fait cette proposition parce que je suis quelqu'un de profondément ouverte, ouverte aux gens qui me sont proches, ouverte aux gens que je ne connais pas, qui n'ont pas la même religion que moi, qui n'ont pas la même couleur de peau que moi.
Et j'ai un entourage qui me ressemble énormément, qui vote à gauche. Et puis, j'ai aussi mes parents qui m'ont apporté leur passé et leurs histoires avec une partie de ma famille qui était résistante. Mes idées politiques, par contre, elles sont à l'image d'une petite graine. Elles sont là, tout est disséminé. Mais je n'ai pas encore tous les arguments pour les développer. Mais je sais qui je suis. Je ne vote pas FN et je ne voterai jamais FN.
Mickael : le soir, du coup, je lui renvoie un message pour m'excuser un peu de la situation qu'on vient de vivre. Quand elle me répond, c'est assez radical. Elle évacue le problème. En même temps, j’ai l’impression qu’elle m’évacue moi aussi, j’ai l’impression qu'il n'y a plus de suite à donner. C'est vraiment par politesse. On va encore avoir à travailler ensemble. C'est bon, y'a pas de souci. Salut, au revoir !
Durant les mois qui vont suivre la fameuse soirée au Pierrot avec Camille, notre relation, c'est juste une relation professionnelle. C’est : bonjour, pas au revoir parce que je suis du matin et elle est du soir ducoup on se recroise pas, on se dit juste bonjour. Éventuellement, si on peut parler de travail, on en parle, mais en général il n'y a pas grand-chose qui motive ce genre de conversation. Après quelques mois, Camille bosse du soir, je bosse du matin, et tous les jours je sais qu’elle part manger à 17h à la cantine et à chaque fois, à ce moment-là, on se croise. Au fur et à mesure, on recommence à discuter un petit peu. Bon, du boulot essentiellement. Et un jour, elle commence à me parler de sa situation à elle et à me dire qu'elle est sur le départ et qu'elle a envie de partir. Bon, j'ai pas grand chose à proposer, mais j'ai demandé : qu'est-ce qui pourrait t’intéresser parmi tous les points de vente qu'il y a dans ce palace pour te persuader en tout cas de te faire rester ?
Camille : moi, mes options étaient quand même très restreintes. Je ne voulais pas aller au gastro. Retourner au gastro. Je voulais pas aller à la brasserie. Je voulais pas y retourner. Le banquet, ça m'intéressait moyen et la seule option qui m'a incité c’était le petit déj. Et donc, du coup, je lui ai dit que ce serait bien que j'aille au petit déjeuner. C'est le seul truc que je n'avais pas fait, mais vraiment, c'était sans conviction. C’était vraiment pour lui donner ce qu'il voulait et quoi. Et pour qu'il me laisse tranquille. Pour que la conversation s'arrête.
Mickael : deux jours après, le chef de la brasserie qui vient me voir et qui me dit : “j’ai un souci avec le planning, ça se passe mal. Au petit déjeuner, j'ai une personne qui ne fait pas l'affaire, qu’il faut que je mette ailleurs”, et me dit sans savoir que moi, j'ai une idée derrière la tête. Il me dit : “s’il y a une personne qui peut me sauver. Je t'offre deux bières”. Et du coup, à ce moment-là, je réfléchis pas longtemps. Oui, j'ai la personne sous la main.
J'ai une personne qui ne demande que ça. Donc voilà. Je propose Camille et Camille passe au petit déjeuner.
Camille : d’où tu te permets de prendre une initiative pareille ? Donc là, je l’ai un peu mal pris. Et puis j'ai réfléchi. Et finalement, j'y vais, à ce petit déjeuner là. J'y vais un peu, sans grand enthousiasme, et finalement, c'est une très bonne surprise. Je suis très à l'aise avec eux. Je suis avec un chef qui est incroyable et l'aventure redémarre là.
Ça me fait du bien.
Mickael : c'est peut être la solution pour réussir à garder Camille au sein de l'hôtel, pour pouvoir continuer à la voir régulièrement. Donc à ce moment-là je suis quand même très satisfait de mon idée.
Camille : quand j'arrive au poste du petit déjeuner, en fait Mickael vient dire bonjour tous les matins à l'équipe du petit déjeuner. Donc 'en fait, on se reparle. L'ambiance est vraiment très agréable le matin. On se voit cinq minutes, mais c'est cinq minutes qui me font, moi, beaucoup de bien. Je le vois très souriant et on s'envoie toujours quelques petites vannes à travers la figure alors qu'il est 7h du matin.
C'est toujours une belle journée qui commence à chaque fois que je le vois.
En octobre 2017. On se rapproche énormément. Si bien que le sujet politique arrive quand même très vite sur la table. Mais on en parle de façon plutôt légère, sur le ton de l'humour, avec beaucoup de blagues. Et vient le moment où il me fait ses excuses quant à la proposition qu'il m'avait faite de courir avec lui et ses amis au Bois de Boulogne. Je ne les attendait pas forcément, mais je les prends, je les accepte parce qu’il a été maladroit. Il le reconnaît. Il m'a pris pour quelqu'un que je n'étais pas et ça me fait du bien de l'entendre.
Maintenant, la balle, elle est au centre. On est sur un terrain maintenant qui m'appartient et mes règles, elles sont miennes.
En novembre 2017, j'ai été prise pour mon PVC, donc mon permis vacances travail pour le Canada, ça s'est fait hyper rapidement. C'est fou parce que c'est un choix qui a été mûrement réfléchi, mais ça arrive super vite et j'en reviens pas. Et je me dis que c'est génial, dans pas longtemps, je vais pouvoir partir. Et il n’y a pas un mois ou une date qui soit arrêtée. Et je me dis courant septembre voilà, dans ces eaux là.
Mickael : quand elle me l’annonce, je suis assez triste en fait. On recommence à ce moment-là à avoir une vraie bonne relation, on est bons amis. Notre relation se passe beaucoup mieux qu'un an avant et quand elle m’annonce ça ouais, je suis assez triste. Et j’ai un peu l'idée d'un minuteur qui vient de se mettre au-dessus de ma tête. Cette espèce de compte à rebours. Je me dis qu’il va vraiment falloir que je me dépêche de trouver le courage de lancer quelque chose, d'avancer un peu dans sa direction. Sinon, je vais me faire avoir par le temps et elle partira avant que j’ai tenté quoi que ce soit.
Camille : en février 2018, ça fait plusieurs mois qu'on se parle tous les deux, que notre relation s'est intensifiée. Et là, j'arrive au poste des cuissons à la brasserie et j'apprends que je vais travailler avec lui. On va travailler sur le même poste, mais pas en même temps. Je suis hyper excitée.
Je me rends compte qu’on est très proches. On est très complices. On passe beaucoup de temps ensemble. Je me dis que c'est bizarre quand même.
Musique
Mickael : mercredi 7 mars, c'est une soirée Top Chef où elle vient à la maison, donc on se fait à manger, on mange très bien et on regarde Top Chef en chamaillant beaucoup et en discutant beaucoup. Et à chaque fois, ce sont des soirées qui se finissent relativement tard et plus ça va, plus ça finit tard, et du coup, ce jour-là, je sens qu’on.. on se voit au quotidien de toute façon, on se voit en dehors du boulot, on se voit tous les jours. Il n'est pas possible qu'il ne se passe rien entre nous deux. Et ce soir, je vais tenter un coup. Je scrute l'heure toute la soirée. Puis je me dis que si ça se finit plus tard que le dernier métro et le dernier tramway, il y a moyen qu’elle reste à la maison. Et du coup, minuit et quart passe, minuit 25. Bon bah là c’est plus possible, elle ne peut plus repartir. Pour une fois, je trouve le courage de tenter quelque chose et je lui dis : “bon je vois qu’il est tard, si tu veux, tu sais, tu peux rester dormir”. Elle accepte. Même s'il ne se passera rien, ça peut paraître idiot, mais juste le fait de savoir qu'on va passer la nuit ensemble, bah en fait on va passer encore plus de temps ensemble. Et plus on passe du temps ensemble, mieux c’est pour tous les deux. Et du coup, on dort ensemble. Le matin au réveil, le réveil pique parce qu'il est ici moins de 6h, il est 5h40 quand le réveil sonne, mais malgré tout, ça se passe. C'est agréable, c'est agréable. On est l'un avec l'autre. On discute encore dès le matin, on se chamaille. Je pars un peu plus tard que d'habitude au boulot, mais j'arrive toujours avec une heure d'avance, donc ça posera pas de problème pour une fois. Et le lendemain, elle revient et là c'est elle qui met les pieds dans le plat et qui dit qu'il faut qu'on discute un peu plus sérieusement et qu’il y a beaucoup de choses qu'il faut qu'on mette au clair. Quand elle dit qu'il faut qu'on aborde notre relation, je dis clairement : plus, mais pas moins, c'est-à-dire que je veux clairement que cette relation avance. Peu importe où ça nous mènera. Mais aujourd'hui, on est à un moment où peu importe ce qu'on va se dire ce soir, je veux plus moins que ce qu'on a aujourd'hui. Je veux plus que cette relation recule. Se voir autant de fois aussi longtemps, c'est devenu quelque chose d'hyper addictif, en fait, pour moi.
Musique
Camille : une semaine après, je lui dis : “oui, je veux aller plus loin, je veux aller plus loin avec toi”. Il réagit de façon ultra positive. On est très proche. On est tous collés. On se prend dans les bras, on s'embrasse enfin et je savais que je n’avais pas pris la mauvaise décision. Dix jours après, on couche ensemble pour la première fois. Le lendemain matin, je me réveille, je suis hyper bien, je pète la forme. On n'a pas beaucoup dormi, mais je me sens revigorée. Je me sens renaître. Je suis super contente.
Mickael : j’ai l’impression de marcher sur l'eau. Je ne suis absolument pas stressé. Il ne peut rien m'arriver. Je ne sais pas, je ne peux pas trop le décrire, mais je suis inatteignable. Je marche sur l’eau quoi.
Camille : je culpabilise pas, je n'ai pas de sentiment de honte parce que même si on s’est unis, on n'a pas fusionné pour autant. Je n'ai pas pris ses idées, il n'a pas pris les miennes. On a partagé un moment. C'est toujours très clair dans ma tête ce que je pense.
Et lui dans la sienne aussi. On s'est unis sur notre amour, mais pas sur la politique.
Quelques jours après, la question du Canada me revient en tête. Je me dis que le moment de mon départ va toujours avoir lieu. Je ne sais pas quand. Je ne sais pas à quel moment, mais en tout cas, malgré notre relation qui commence, je sais que je vais partir.
Mickael : pour moi, c'est évident que j'ai envie de partir avec elle. Comme je lui avais dit au début de notre relation, je voulais plus, certes, mais surtout je ne voulais pas moins. Et du coup, le Canada ça équivaut à ça en fait. Si elle part au Canada et que je n’y vais pas, forcément j'ai moins, je ne la vois plus, on s'appelle beaucoup moins, on ne pourra plus discuter, on aura le décalage horaire. Donc, pour moi, c'est une évidence. Si j'ai droit à plus et que de toute façon, je ne veux pas moins bah je vais partir avec elle.
Camille : début avril, nous sommes dans la rue avec Mickael. On se balade. Et là, il m'annonce sur un ton plutôt très léger alors que c’est quand même une grande nouvelle, il dit : “je vais venir avec toi au Canada”.
Je m'y attendais vraiment pas et je me dis que c'est une super bonne nouvelle. On va continuer le chemin ensemble. C'est vrai que ça peut paraître un peu fou qu'on prenne cette décision-là, de partir tous les deux après un mois de relation et de partir dans quelques mois, ça peut paraître un peu cinglé, ça l'est, mais en fait, on ne l'a pas du tout mesuré. On a cette opportunité de partir, faisons le. Qu'est-ce qui nous en empêche ?
On est amoureux. C'est un super beau projet. Allons-y, allons-y vraiment ! Il n'y a pas d'obstacles.
On est en septembre 2018, quelques jours avant notre départ, Mickael et mes parents se sont déjà vus plusieurs fois à la maison sans que l'officialisation de notre relation soit faite. C'était tacite, ils le savaient parce qu’il passait beaucoup de temps à la maison, qu’on était très proche. Je n'avais jamais dit clairement : Mickael c'est mon copain et on est ensemble. Ce qui fait qu’il n’y a pas de débat autour du fait qu'il vote FN. Ma maman le sait parce que je lui ai dit à la suite du café au Pierrot où Michael m'a fait cette annonce et je sais qu'elle l'a dit par la suite à mon papa. Donc je sais que tous les deux sont au courant que Mickael vote FN. Puis voilà, pour moi, c'était mon affaire maintenant, c'était plus à leur.
Quelques jours avant de partir, ma maman me fait cette remarque en me disant : “je comprends pas pourquoi tu sors avec un mec comme ça”. Sous entendu : un mec qui vote FN. Je suis un peu choquée. Qu'elle me dise ça comme ça, alors que je vais partir pour plus d’un an loin de la maison. Si ça la turlupine tellement, pourquoi elle n'a pas parlé plus tôt ?
Là, c'est.. faut la convaincre super vite du choix que je fais de partir avec lui. J'ai pas envie de partir en mauvais termes aussi loin de la maison pour aussi longtemps. C'est assez compliqué là, je suis un peu.. je sais pas trop quelle réaction avoir, c'est assez compliqué. Je laisse la soirée s'écouler et la nuit porte conseille pour en parler le lendemain et en parler à tête reposée parce qu'il est trop tard.
Je comprends sa position parce qu’elle m'a élevé comme ça, je sais qu'elle a ces valeurs-là, que j'ai aussi, qu'elle m'a inculquées et je veux qu'elle comprenne aussi la mienne. Je veux qu'elle comprenne aussi ma position, qui est d'accepter ma relation avec lui et que le fait qu'il vote FN ne fait pas de moi quelqu'un qui vote FN aussi et que je ne suis pas complice de son vote. J'aimerais qu'elle comprenne que je l'aime avant tout, que c'est une histoire d'amour. Qu’il y a quelques années, on m'aurait dit : “tu vas tomber amoureuse de quelqu’un qui vote FN”. J’aurais dit : “pas possible, t’as vu ce que je suis, t’as vu ce que je pense. Jamais de la vie. C'est inconcevable”.
Le lendemain matin, c'est assez tendu au réveil. Ça m'a beaucoup remué, elle aussi. Elle en vient très vite à s'excuser de la parole qu'elle a eue, maladroite.
On revient dessus et elle me fait comprendre autrement qu'elle est pas inquiète, mais qu'elle a envie de savoir que je suis toujours moi. Qu’il m'a pas fait changer d'avis. Qu'elle est désolée d'avoir réagi de cette façon-là. Je sais que le débat n'est pas refermé pour autant et qu'on n'y reviendra. Mais pour le moment, la dispute, en tout cas, avait pris fin et c'est ce qui comptait.
Mickael : le début du séjour au Canada se passe bien. Cependant, j'ai un petit souci administratif et il faut que je retourne en France pour obtenir des données biométriques. Chose que je ne peux pas faire au Canada parce que le bureau n'est pas encore ouvert. Au bout d'un mois, je dois donc retourner en France juste pour faire ces données biométriques. Je retourne donc à Paris, le soir même, je reçois une invitation, enfin Camille me fait parvenir une invitation de la part de ses parents pour venir manger chez eux. Du coup, je suis content de cette invitation. Je le prends bien, je me dis que c'est une bonne chose. Le repas se passe très bien. C'est très intéressant. On discute énormément, que ce soit de ma relation avec Camille ou de leur relation avec Camille. A un moment, on en vient à parler politique et j'annonce assez légèrement que j'ai milité au sein du FNJ pendant trois ans et à ce moment-là, je ne réalise pas vraiment l'ampleur des dégâts, mais je constate que son père s'attendait pas à une telle information et son comportement change instantanément. C'est simple, en fait, il dit plus un mot.
Au bout de cinq minutes il part de table, il part fumer un cigare, puis remonte. Il passe à côté de nous, mais il ne s'arrête pas et monte à l'étage. Et pendant ce temps là, sa mère me parle, me fait comprendre qu'il y a un problème. Au début, elle essayait de me faire jurer que si Marion ou Marine se présentaient en 2022, que je ne voterai plus pour le Front national. Bon, je réponds que je ne peux rien affirmer, que je ne vote pas pour des personnes, mais pour des idées et que j'ai besoin de savoir quelles personnes défendront ou ne défendront pas mes idées à ce moment là pour pouvoir prendre une décision, que je ne peux pas faire des promesses si longtemps à l'avance. Du coup, je sens que ma réponse ne la convainc pas pour autant. Ce n'est pas la réponse qu'elle aurait aimé entendre. Et son père redescend, mais ne s'arrête pas pour autant. Il part se coucher sans dire un mot et du coup, sa mère explique ce qu'il en est à ce moment-là. Elle m’explique que c'est quelque chose qui est assez rédhibitoire pour lui, que la politique et les gens qui votent Front national ou qui sont proches du Front national, c'est quelque chose qu’il ne supporte pas. Du coup, en disant ça, j'ai dit quelque chose que je n'aurais pas dû dire. Et du coup, la soirée se termine comme ça et je retourne chez moi.
Camille : Mickael m'appelle dans l'après-midi. Je suis super content d'avoir son appel comme à chaque fois. Il me raconte qu'il a passé la soirée chez mes parents.
Mais il me raconte plus en détail ce qu’il s'est passé. Je suis un peu mêlée à ce moment-là, je suis un peu mêlée dans mes sentiments parce que je me mets de son côté. Ça a dû être horrible. Il a dû se sentir super mal du fait de la réaction de mon papa et en même temps, je me dis qu'il a un peu eu ce qu'il méritait. Parce qu'il sait qui je suis, il sait ce que je vote et il sait très bien, du coup, ce que mes parents votent. Et il a eu leur réaction extrême vis-à-vis de son vote extrême. Bon bah, on va faire en sorte que ça se passe, qu'on en discute.
À la suite de cela, j'appelle ma mère parce que je vois bien que Mickael est super mal et j'ai pas envie que notre relation en pâtisse. Donc je l'appelle pour lui dire voilà, je sais ce qu’il s'est passé. C'est quoi ton ressenti à toi ? Je ne voulais pas qu'elle me dise : “à partir du moment où tu seras avec lui, tu mets plus les pieds à la maison”. Ça, j'avais pas envie. J'avais peur de ça. Je n'appelle pas mon père parce que sa réaction je la connaissais.
Je savais qu'il allait me dire : “écoute, le mec avec qui tu sors. C'est un petit nazi. C’est un raciste antisémite. Je cautionne pas du tout et c'est un connard”, quoi. Je n'avais pas envie qu’il me dise ça. Je la connaissais la phrase. Je savais ce qu'il allait me dire.
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Moi aussi, je suis dans cette situation, à me dire ce qu'il est ou ce qu’il n'est pas fait. Je me pose des questions tous les jours, même plusieurs fois par jour, quand on a des débats tous les deux ou qu'il y a quelque chose à la télé qui fait qu'on va avoir un débat. Et là, il y a des moments où je me dis “ah merde ! Là, il est raciste, je sais pourquoi il vote FN”, et je suis vite rattrapée par, pas ma bienveillance envers lui, mais en fait, je ne veux pas l'essentialiser lui. C'est une idée. J'essaie de creuser et je veux avoir le fin mot de l'histoire et, soit en général je veux qu'il me le dise. Enfin il ne l'a jamais dit vraiment : je suis raciste, parce que c'est un peu le gros mot. C'est drôle, mais j'essaye de savoir si j'ai raison, même si c'est pour moi une idée raciste ce qu'il a dit. Donc j’essaye un peu de creuser là dessus. En général, bon, je m'aperçois que j'ai quand même raison, malheureusement, mais par ailleurs, il y a des moments où le débat est là et où, finalement, j'arrive à lui faire entendre raison, où mon point de vue a du poids. Et donc là, je me dis qu'il n'est pas si raciste. Ma mère, elle a essayé d'apaiser la situation tout en disant : “voilà ton père, voilà comment il a réagi. Tous les deux, on ne comprend pas, mais moi, j'ai une réaction. Je t'aime, je sais que t'es heureuse et pour moi c'est le plus important, mais je comprends pas quand même, mais c'est pas pour autant que ma réaction, elle, est aussi extrême que ton père”. Elle s'est plus focalisée là-dessus. Ça m'a apaisé et du coup, j'ai tout de suite dit à Mika : “voilà, tu seras peut être pas le bienvenu à la maison tout de suite, tout de suite après qu'on rentre à Paris, donc t'as le temps, mais sache que t'es pas le bienvenu, mais t'es pas exclu”.
La question revient sur la table huit mois après, parce qu'il doit venir dans quelques jours à la maison passer des vacances. Et je vois bien que Mika est très stressé, il me dit sur le ton de l'humour et je sais qu'il y a un fond de vérité, il me dit : “t’es sûre que ça va bien se passer avec tes parents. Mais si tu veux je pars de la maison, tu restes seule avec eux pendant leurs vacances”. Et je lui dis : “mais hors de question. Ici, c’est chez nous, c'est chez nous et on les invite, donc non, tu ne vas pas partir”.
Ça se passe super bien. Ils passent des super bonnes vacances et moi, je suis super contente de les retrouver. Je suis rassurée. Durant leur séjour au Canada, mes parents décident de faire un road trip dans la région de Québec et je décide de les suivre. Mickael, du coup, reste à la maison pendant notre séjour, et un soir, on décide d'aller au restaurant et intervient une dispute entre mon père et moi pour une banalité. Moi, je décide de fuir un peu cette dispute, donc je m'en vais et vient un moment donné où il me rattrape. Et là, ça repart de plus belle. Ma mère qui essaye de temporiser et là mon papa me sort plein de choses et notamment par rapport à Mickael en me disant : “oui, mais pourquoi tu sors avec lui ? En gros, tout ce qu'on t’a inculqué, t'as rien compris, quoi ?”. Et là, c'est tout qui ressort, je me défends, je me défends et je le défends aussi en lui disant : “c'est toi qui a rien compris. Je suis heureuse. Pourquoi tu viens toujours juger ?”.
Et quand on est rentré, je savais qu'il y allait avoir une suite. La suite, elle est arrivée le lendemain où mon papa s'est excusé. J'ai pris ses excuses parce que ma maman était derrière et que j'avais envie que la suite du voyage se déroule correctement. Ma mère m'a dit : “pardonne lui quoi”. Mais cette histoire, elle est restée gravée.
Aujourd'hui, ça fait deux ans et demi qu'on est ensemble avec Mickael, on travaille près de la Côte d'Azur, donc on y vit. On travaille pour un hôtel très luxueux. Notre rythme de vie est très intense, on fait de la coupure. On travaille le matin et le soir de 8h30 à 16h quand on a de la chance, voire 16h30, et on reprend à 17h30/18h pour finir à 23h30/minuit. Le peu de moments qu'on a, on passe des beaux moments tous les deux.
On est complémentaires dans le sens où quand on rentre, il y en a un qui file sous la douche, il y en a un qui prépare à manger, on inverse. C’est un peu on se tape dans la main et on inverse les rôles. Ça peut se passer comme ça. Il y a des moments où on a besoin de parler et on se met tous les deux dans la salle de bain. On discute. Quelquefois, on prend notre douche ensemble. C'est un peu le moment où on souffle.
Notre communication est toujours aussi présente. Un peu moins sur la politique ces derniers temps parce que je ne regarde plus trop les infos, je mets pas trop le nez dehors. Donc on parle pas trop politique, mais on parle toujours autant.
Il n'y a jamais eu, et là, il n'y a encore jamais de sujet tabou. Voilà, on a une question, on se la dit, peu importe si on passe du coq à l'âne, on a pas de barrière.
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Mickael : après notre journée de travail vers 23h30/minuit, on a l'habitude de regarder Quotidien en replay.
Camille : c’est une émission d'actualité avec plusieurs chroniqueurs, et vient un moment donné, une petite fille sur le plateau qui se prénomme Lilie, et qui va parler de sa transidentité.
Mickael : c’est une interview qui pose problème entre nous parce qu'on ne la voit pas de la même manière. Je suis assez choqué de voir une petite fille de cet âge qu'on met sur une des principales chaînes de télévision à une heure de grande audience et qu’on la confronte à des questions d'un journaliste. C'est vrai que ça me choque un peu.
Camille : ben si elle a envie de le faire, elle le fait et si ça peut servir. Déjà, elle, c'est génial et si ça peut servir à d'autres, c'est encore mieux.
Je ne suis pas curieuse de savoir comment elle a changé de genre, mais plutôt, comment sa maman l'a accompagnée. Qu'est-ce qui fait que maintenant elle se sent mieux, et de voir aussi son petit frère jumeau qui est hyper content pour elle alors que bon, il est tout petit. Mais en fait, il a vécu au quotidien avec elle et il a vu les cauchemars qu'elle faisait, ses tentatives de suicide, en tout cas elle en parlait fortement. Elle était triste, malheureuse, isolée. Et son petit frère, quand elle a dit : voilà, je veux être une fille, son petit frère, il est super heureux quoi. Il est super heureux pour elle et il est super heureux de la voir heureuse. Et c'est super touchant.
Le sujet est hyper important, mais moi, ce qui me fascine, c'est toute la positivité qui est autour d'eux.
Mickael : je pense que si c'était juste la mère qui était venue parler pour sa fille ou son fils, ça ne m'aurait pas dérangé. C'est une mère, elle est adulte, elle sait de quoi elle parle. Il n'y a pas de souci, qu'elle le fasse et c'est sa cause, c'est son combat. Ça ne me dérange pas. Mais aujourd'hui, que la petite fille puisse ressentir ça, encore une fois, ça.. libre à elle. En fait, si c'est vrai, je ne vais pas aller la juger. Mais les enfants, c'est pas à moi de définir l'âge juqu’auquel ils doivent être protégés, mais doivent être protégés de pas mal de choses. C'est le rôle des parents. Et justement, le rôle de sa mère aurait été de la protéger de ce genre d'interview qui peut ensuite lui poser du tort. Aujourd'hui, la fille, comme on la nomme, a 8 ans, et 8 ans, mais c'est pas l'âge où on va au tribunal pour porter plainte, pour mener des grandes batailles juridiques. Et le rôle d'un parent, c'est justement de veiller sur ses enfants et de faire en sorte qu'ils s'épanouissent le mieux possible. Moi, j'estime que c'est le combat de la mère, pas de la fille.
Camille : sa maman le dit très bien. Je pense que n'importe quel enfant à 3/5 ans, sait si c'est un garçon ou une fille, donc je ne vois pas pourquoi ça choquerait si elle ne se sent pas bien dans son corps. C'est comme ça.
Je trouve que le fait qu'elle en parle, en tout cas, ça permet de raviver des débats au sein des familles. Et puis, ça permet peut-être de faire monter ça à une échelle politique un peu plus importante, plus haute en tout cas. Donc, je trouve ça super.
Mickael : en général, quand a ce genre de débat, ça commence, on se rend compte qu'on n'est pas d'accord. Du coup, chacun avance ses arguments. Le ton monte un peu, mais ce ne sont pas des énervements. C'est juste que chacun essaye de crier plus fort que l’autre, de parler plus fort que l'autre pour faire entendre sa vérité. Et bah en général, quand on sent qu'il y en a un qui est en train de s'énerver et qui n'arrive pas à comprendre, en général, l'autre calme la situation. On redescend, on passe aux choses et éventuellement, on change de chaîne et on se calme.
Camille : on pourrait être têtus si on ne vivait pas ensemble. Si j'étais en face d'un mec qui votait FN, là, un inconnu, à débattre, c’est peut être pas bien, mais je pense que je m'en ficherais un peu. Je serais un peu moins souple, comme je dis. Parce que là, on vit ensemble et en fait, tout ne tourne pas qu'autour de nos idées politiques, en fait. Donc oui, ça ne sert à rien de se pourrir la vie pour, voilà parce qu'on n'a pas été d'accord à un moment donné. Ce n'est pas la fin du monde.
Mickael : j'aimerais avoir des enfants avec Camille dans un futur proche.
Oui, le plus vite possible. Il y a beaucoup de conditions pour ça. C’est des conditions sur lesquelles on s'est mis d'accord. La première c’est d’avoir une situation professionnelle stable. La deuxième, c'est d’avoir une situation financière relativement bonne et la troisième c’est d'avoir un logement fixe à nous. Aujourd'hui, on est dans un logement de fonction. Avant, on était dans un logement au Canada. Et encore avant, on était un peu chez moi, un peu chez ses parents. C'est quelque chose qu'on n'a pas encore eu, c'est-à-dire avoir notre appartement à nous en France, de préférence à côté de nos familles. C’est des raisons qui font que c'est pas possible encore pour le moment, elles ne sont pas réunies aujourd'hui. Et puis, professionnellement, aujourd'hui, on ne peut pas parce qu’on est en CDD. Et puis, c'est de voir quand est-ce que Camille s’estimera prête en tant que femme, puis en tant que professionnelle aussi, parce que je suis conscient que ce sera un petit coup d'arrêt pour sa carrière aussi. Voilà, aujourd'hui, la balle est dans son camp.
Camille : moi, je ne suis pas prête encore à en vouloir une. Je ne sais pas encore dans quel cadre on pourrait élever un enfant tous les deux, sachant nos divergences politiques.
Est-ce que.. il y a beaucoup de questions qui restent en suspens.
Par contre, le moment où je me sentirai prête à avoir une famille, c'est sûr que les questions seront beaucoup plus précises, par exemple sur l'éducation, sur les valeurs qu'il faudra inculquer à l'enfant. Sur quel type d'école, alors peut être que c'est basique, mais pour moi, je veux que mon enfant aille en public pour ne pas être confronté à une classe sociale en particulier. Mais qu’il y ait la représentation d'une société en cour de récréation. Ça peut paraître bête, mais pour moi, ça a son importance. Surtout le fait qu’il vote FN, je veux qu'il soit confronté à la différence. Moi, j'ai toujours été dans du public face à des gens qui ne me ressemblaient pas et c'est ça qui a fait ma richesse. C'est-à-dire que je n'ai pas eu d'a priori.
Mickael : je n'ai pas peur. Le but ce n’est pas de faire de nos enfants des petits soldats écolos ou votant rassemblement national, ce serait juste d'avoir des enfants qui arriveraient à s'épanouir, qui seraient bien éduqués et qui se feraient leur propre opinion par eux mêmes. Je pense que c'est la meilleure façon d'évoluer, c’est en se forgeant ses opinions dans la vie de tous les jours. Bien sûr, si demain les idées de Camille déteignent sur nos enfants et que la possibilité d'avoir des mini-Camille à la maison, ça ne me posera pas de problème pour autant. J'aime Camille comme elle est aujourd'hui et avoir des enfants qui auraient les mêmes convictions et les mêmes valeurs qu’elle, je pense que ça me ferait très plaisir.
Camille : je ne veux pas choisir pour eux. S’ils ont envie plus tard d'avoir le même vote que leur papa, ok, mais je leur ai donné la possibilité de voter différemment et d'avoir un cheminement différent. Ce serait compliqué, mais je ne vais pas renier mes enfants parce qu'ils votent FN.
Je me suis beaucoup affirmée dans mon engagement politique, en tout cas dans mes choix. Je me suis affirmée aussi grâce à lui parce qu'il a fallu que je défende mon point de vue avec des arguments concrets et ce qui a permis que je me développe et que je farfouille un peu à droite à gauche en me disant : est-ce que ça, ce qui est dit là, est-ce que je suis d'accord avec ça ? Ok, et est-ce que je peux en faire une arme contre son opinion à lui ? Oui, bon, ok je me l'approprie. Puis plus tard, si on a une discussion, je pourrais lui ressortir. Il m'a construite en quelque sorte, mais en fait, je ne me suis pas construite parce qu'il votait ça. J'étais déjà contre à la base, mais je me suis complètement affirmée et j'ai cherché des armes vraiment à droite, à gauche pour combattre ce qu’il vote.
Maud : j'ai l'impression que vos débats restent vraiment dans les idées, mais que ça se concrétise, pas dans les faits.
Est-ce que finalement, ce n'est pas pour ça que vous arrivez à être heureux ?
Mickael : il y a une réalité derrière, c'est que je ne me vois pas aller à un congrès du Front National aujourd'hui ou un débat du Rassemblement National parce que je sais que ça lui plairait pas et que ça la blesserait.
Camille : il déposait des tracts par rapport au FNJ, donc là, ce n'était pas qu’un discours. Il essayait de convaincre des gens. Là, pour le moment, il le fait plus il est plus dans le parti, donc tant mieux. Mais je ne sais pas comment ça peut évoluer.
Pour le moment, c'est sûr que ça reste juste des idées. C'est ça qui est aussi rassurant. C'est vrai qu'on n'a pas eu de grosses disputes plus pratiques. C'est vrai que quand on se dispute, il y a toujours un moment où je me dis que c'est pas un peu la goutte de plus. Mais on verra. Enfin, je suis pas devin, donc je vais pas m'interdire de vivre avec lui pour une hypothétique.. un conflit de ce genre là, je crois que ça n'arrive pas et je croise les doigts pour que plus on avance, plus on arrive à discuter encore et encore et qu'on arrive à agrandir cette petite interface.
Après, si un jour où ça ne passe pas, c'est la vie. Je sais pas, mais je ne vais pas m'interdire de vivre pour ça.
Aujourd'hui, je suis arrivé au bout d'un rythme qui est très intense et j'en ai pas envie, mais en tout cas, ce cycle, je le sens fini et je pense qu'il y a un nouveau chapitre qui va arriver. Je ne sais pas quand, mais en tout cas, je sais qu’il sera avec Mickael.
Générique de fin
Maud : aujourd'hui, Camille est toujours cette force tranquille, mais elle parle plus. Son choix de se mettre en couple avec Mickael, je n'arrive toujours pas à le comprendre, mais poser des mots et des émotions sur leur histoire a nourri ma réflexion, même si je n'ai pas de point final à mettre à tout ça. Après deux ans et demi à y réfléchir, Camille reste mon amie. Et cette relation amoureuse avec Mickael, c'est son histoire, pas la mienne. J'avoue quand même que systématiquement, lorsqu'on se retrouve, je lui pose des questions juste pour être certaine qu'elle ne s'oublie pas dans la vision politique de Mickael.
Mais plus les années avancent, plus son positionnement politique à elle est assurée. Et ça, ça me rassure. Je me demande seulement comment ce sera le jour où leur différence de valeurs se confrontera, une réalité qui les touchera vraiment, à une réalité qui sera certainement violente et dont ils ont aujourd'hui le luxe d'être épargnés. Une réalité qui, à ce jour, n'a de matérialité que leurs idées.
Je suis Maud Benakcha et vous venez de lire un épisode de Passages que j'ai tourné et monté sous la responsabilité éditoriale de Maureen Wilson, Maureen, qui était aussi à l'édition et à la coordination. Léa Fossey était à la réalisation. La musique a été composée par Mélodie Lauret et Antoine Graugnard, et Jean-Baptiste Aubonnet qui s'est occupé du mixage. Cet épisode est également rendu possible grâce à Charlotte Pudlowski, directrice éditoriale, Mélissa Bounoua, directrice des productions, et Marion Girard, responsable de production.
Le générique de passage a été composé par November Ultra.
Passages est une production Louie Média que vous pouvez retrouver sur toutes vos applications de podcasts.
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