Retranscription - Le silence des maux du corps
(virgule musicale) Louie
Zoé (musique) : En fait, j'aime bien sentir que ma parole se déroule, mais de temps en temps, elle, elle n'est pas fluide. C'est quelque chose qui me retient enfin. Il y a un petit conflit à l'intérieur de ma parole.
Charlotte : Zoé Besmont de Senneville est comédienne et modèle d'art et le jour de ses 25 ans, elle a ressenti les premiers signes de son otospongiose. C'est une maladie qui se traduit par une perte progressive de l'audition, la même que Beethoven. Comment vivre avec une audition diminuée? Comment se réconcilier avec la maladie? Faut il lui trouver un sens? Au premier confinement, dans le silence retrouvé à l'écart du monde, Zoé commence un journal sous forme de podcasts, un journal audio de sa perte d'audition. Et puis désormais, ce journal est un livre Journal de mes oreilles Je suis Charlotte Pudlowski. Bienvenue dans Fracas.
Zoé : Moi, j'ai commencé à avoir très mal aux oreilles le jour de mes 25 ans. Après, je me suis rendue compte que j'avais perdu un peu d'audition quand ces inflammations aux oreilles se sont un peu résolues. Il me restait des acouphènes assez présents. Et puis, je faisais quand même répéter les gens. Et du coup, j'ai fait des audiogram. J'ai fait tout un tas d'analyses, dont un scanner. Et là, on m'a diagnostiqué une otospongiose. C'est une maladie de l'oreille qui touche un des petits os de l'oreille moyenne qui s'appelle l'étrier, qui est vraiment un os tout petit et qui va empêcher la transmission du son. Il y a eu un constat de ma perte auditive et aussi qu'est ce qui était en train de se dégrader à l'intérieur de moi, en fait. Parce ce que c'est une maladie qui dégénère, enfin... Voilà qui s'appelle comme ça, dans tous les cas, la maladie dégénérescente. Ça fait un peu flipper.
Charlotte : Et alors, qu'est ce qui a dégénéré à l'intérieur de vous?
Zoé : C'est un peu ce que j'essaie de trouver, moi, dans ma recherche. C'est quand on m'a diagnostiqué ça, j'ai cherché à savoir d'où ça venait. La première chose qui m'a marqué, c'est que c'est l'os donc c'est le métabolisme de l'os. Donc, il y a quelque chose avec l'alimentation que j'ai réglée, enfin que j'ai réglé... sur lequel j'ai travaillé pendant un moment qui m'a permis un peu de désamorcer tous les les petites inflammations ORL que j'avais au début. Ensuite, pour moi, l'os c'est aussi les ancêtres. Donc moi J'ai aimé, j'ai voulu aller chercher un peu ce qui se passait dans ma famille, de regarder mon arbre généalogique, de regarder qu'est ce qui circulait dans ma famille? Quels étaient les non-dits? Et là, on en revient au silence aussi. Quelles étaient les grands thèmes de la famille? Les répétitions ? Tout ça, c'était vraiment très important.
Et alors, dans ma famille, c'est très marrant parce qu'on a un blason. La famille de ma mère et il y a des éperons. L'oreille, c'est aussi en forme d'escargot. Et on a une maison qui est située dans un village dans le sud de la France, qui est à l'intérieur d'un escargot. C'est des petits signes comme ça qui m'ont marqué, en plus de l'otospongiose qui se déclare le jour de mon anniversaire. Et puis d'autres petits signes de dates ,de petits clins d'œil, voilà. Comme si c'était je ne sais pas, j'étais guidée ou par...Où est ce qu'il fallait que je cherche quoi?
Charlotte : Parce que ce qui est frappant dans le livre, c'est que vous faites le récit de cette perte d'audition et vous y chercher un sens philosophique ou psychanalytique. Comme si il fallait forcément qu'il y ait un sens pour que cette maladie ait une logique.
Zoé : Je pense que la recherche de sens, elle se présente très vite dans ma vie, même avant l'otospongiose. Elle s'est présentée quand j'ai commencé à prendre conscience de mon état émotionnel de départ. Donc moi, je suis quelqu'un d'assez anxieux. Et puis, j'ai tendance à avoir des gros nuages au dessus de moi. C'est peut être une espèce d'état dépressif latent. Et j'avais l'impression qu'il y avait quelque chose avec ma famille qui n'était pas, qui n'était pas claire. Il y avait un lien avec mes ancêtres, qui étaient un peu...qui n'étaient pas limpides. Donc, la recherche du sens, elle a vraiment commencé là. Je devais avoir une vingtaine d'années et j'ai fait le lien entre ce qui se passait dans mon corps. Et puis, et puis le rapport à la mémoire.
Enfin, la façon dont je me positionne dans ma vie, avec mes pensées, mon psychisme, mon énergie, mais aussi toute la mémoire qui est imprégnée sur moi. Et c'est là où la généalogie, elle, rentre en ligne de compte.
Charlotte : Parce que ce que vous dites dans le livre, en substance, c'est que si votre corps ne peut plus entendre, c'est qu'il y a des formes de résistance par rapport à des non-dits qu'il y a déjà eu.
Zoé : C'est une réponse à l'impuissance puisque finalement, moi, quand on me diagnostique cette maladie. La seule chose qu'on dit c'est "écoutez on ne peut rien faire et rien à faire. Votre cas n'est pas opérable. Si vous voulez, on vous donne des appareils auditifs. C'est une façon de traiter finalement le problème". Et du coup, j'imagine que j'ai voulu aussi me raccrocher à des choses sur lesquelles je pouvais tenter d'agir. Maintenant c'est vrai qu'au fur et à mesure de mes recherches, et j'ai aussi constaté qu'il y avait des récits il y avait des gens qui arrivaient à désamorcer en fait des enjeux physiques ou psychologiques en allant chercher à l'intérieur de leur lignée. En fait, il y a des choses qui se manifestent dans le corps parce qu'elles sont profondément enfouies, en fait, c'est une façon de... C'est le principe de la manifestation, je pense. C'est à un moment un truc qui solidifie quoi. Et c'est d'autant plus signifiant dans mon corps, parce que c'est vraiment ce qui se passe. En fait, il y a un morceau, il y a des petits morceaux d'os qui ce qui se désagrègent dans l'oreille, qui se solidifient sur des endroits de l'oreille.
Et c'est là où ça bouche l'audition. Donc moi, je fais des liens vraiment très concrets entre eux plein de trucs quoi.
Charlotte : Entre plein de trucs, donc entre par exemple votre histoire familiale. Cette question de ce qui se transmet dans les os est votre maladie ?
Zoé : Oui en fait, dans ma famille, la parole circule de façon un peu étrange. Je pense qu'il y a des traumas qui sont liés à des années déplacement dans ma famille de part et d'autre. Il y a une difficulté à poser les mots sur ce qui s'est vécu et les endroits de traumatisme. Je peux pas en dire beaucoup plus parce qu'en fait, je ne sais pas. En fait les secrets sont plutôt très bien gardés et peut être que c'est ça le souci du silence et qui créer des mythes. Et du coup, on va imaginer derrière le silence quelque chose qui ne s'est pas produit. Ce qui est rigolo, c'est que dans mes oreilles, finalement, en ce moment on me demande de parler et d'essayer de décrire ce qu'il y a dans mes oreilles, enfin de comment j'entends les choses. Effectivement, ce n'est pas du silence. C'est finalement une espèce de brouillard de bruit ou c'est des nappes de bruits qui, où je n'arrive pas trop à distinguer, à distinguer ce qui se dit. Les phrases... En fait Les consonnes se placent sur des fréquences différentes et parfois, j'ai du mal à choper les consonnes.
Charlotte : Et alors, qu'est ce que ça a changé quand vous avez commencé à entendre moins bien dans votre rapport aux autres et surtout dans votre rapport à la conversation avec les autres?
Zoé : En fait, ma première réaction a été de le cacher, de cacher ce que je vivais et c'est quelque chose qui m'a pas du tout aidé. Parce que moi, j'aime pas, j'aime plus utiliser le mot handicap, je crois. C'est plutôt une forme de différence. Ça demande vraiment à ce que la personne, elle s'adapte. Mais sauf que si je cache ma différence, la personne ne va pas pouvoir, enfin la personne qui est en face de ne pas pouvoir s'adapter. Et donc, ça ça a été vraiment mon premier réflexe de cacher. Et évidemment, moi ce que j'ai ressenti, c'est que ça, ça, enrayait le lien social. Ça transforme le lien à l'autre, mais aussi parce que je cherche à le cacher, alors qu'à partir du moment où j'accepte de l'assumer et que j'en parle ; tout de suite, le lien qui transforme, ce n'est plus le même qu'avant. Ça passe plus exactement par la parole et que par la parole. Moi, on entendant en moins bien, mon rapport au monde il se transforme et je m'adapte à entendre plus avec tout mon corps.
Et du coup, je vais plus être liée à l'autre, mais vraiment avec quelque chose de plus vaste, avec tout mon corps. En tout cas, moi, ça me fait vraiment switcher par là. En fait, déjà pour moi, ça me demande une concentration. J'ai l'impression que je suis beaucoup plus présente en face de la personne parce que je suis beaucoup plus concentrée sur ce qu'elle me dit. Et à partir de ce moment là, si je suis beaucoup plus présente, je perçois beaucoup plus de choses de l'autre. J'ai un lien beaucoup plus plus fort, beaucoup plus profond. En fait, je remarque plus je pense l'énergie des gens et la raison qui me parle. Parce que parfois, j'entends pas forcément ceux qui me disent mais j'entends qu'ils me parlent mal ou qu'ils le disent d'une façon particulière. Et ça va plus être cette chose là qui va ressortir que ce qu'ils vont me dire. Moi, ce qui m'a marqué, en tout cas au début, c'est que je devais présenter un peu mes appareils. Je devais les amener dans la conversation et faire des présentations, dire voilà, je suis appareillé.
Dans le cas du rendez vous galant, j'ai presque l'impression que c'est quelque chose qui me raye de la liste. Ce n'est pas limpide. C'est pas un truc que j'ai envie de présenter en premier quand je rencontre quelqu'un. En parfois, quand je suis dans des groupes, ce qui me gêne, c'est que tout le monde parle en même temps et me regarde pas en face. Donc là, je vais être gênée par par le fait que j'entends de pas bien et qu'il fasse pas forcément l'effort de me parler en face parce que... Il y a une difficulté à se rendre compte de qu'est ce que je vis exactement et qu'est ce qui se passe exactement dans mes oreilles ? Je suis un peu, je peux être un peu agacée par "ok bon ils ne font pas d'efforts. Allez, c'est bon quoi".
Charlotte : Comment est ce que vous en êtes venue à faire un podcast sur votre histoire?
Zoé : En fait, c'était pendant le confinement, le premier confinement du coup. Donc, c'était la toute première fois que je me retrouvais vraiment seule avec moi même pendant un si long temps. En tant que comédienne et même comme modèle d'art, j'ai tendance à être vraiment là pour les autres et j'ai bien senti qu'il y avait des limites à ça puisque mon audition a commencé à baisser. Donc concrètement, c'est plutôt l'intérieur de moi que je devais écouter. En tout cas, c'est une invitation à ça. J'ai commencé à faire une espèce d'introspection pendant ce confinement qui a été mêlé de séances d'écriture, de yoga, de machin. Et au bout d'un moment, il y a cette question qui est arrivée. Je me suis posé la question "Qu'est ce qui te ferait guérir?" Et c'est là où j'ai reçu cette réponse, où j'ai imaginé cette réponse, où j'ai créé cette réponse, Journal de mes Oreilles. En tous les cas, c'est ce que j'ai entendu et c'est ce que j'ai décidé de dérouler. Et j'ai eu envie de partager aux gens avec qui j'avais vécu ces deux ans traumatisants de perte auditive et d'appareillage, du diagnostic et de perte de repères.
Tout ce qui s'était passé en bloc en reliant les événements les uns avec les autres, est-ce que-c'est une façon de m'excuser ou une façon d'expliquer? En tous les cas, parce que j'ai conscience que ils n'ont pas compris enfin... Et là, le podcast, ça permet de leur dire "Ok, voilà, voilà tout ce qui s'est passé. Maintenant, vous pouvez comprendre".
Charlotte : Qu'est ce qu'ils n'avaient pas compris ?
Zoé : Ils n'ont pas compris comment je me comportais. Parce que je me suis mise en retrait en fait. Je me suis mise en retrait de ma vie. J'ai, à un moment donné quand j'ai perdu mes appareils, j'étais complètement perdue, je n'arrivais plus à être en lien avec les gens. Enfin, les groupes me faisaient mal. Je n'avais plus de vie sociale. Forcément, les gens autour de moi ils avaient un peu peur mais aussi il ne comprenaient pas. Ils se disaient "mais qu'est ce qu'elle la Zoé là?" Puis j'ai beaucoup pleuré aussi. Enfin j'étais mal quoi.
Charlotte : Et vous leur aviez pas dit ?
Zoé : Si je leur ai expliqué mais par petits bouts. Et j'arrivais pas forcément à avoir l'intelligence de tout ce qui s'était passé parce que je n'avais pas le temps et je n'avais pas aussi le recul. Et j'avais pas. J'étais trop immergée dans mes émotions. Et pour tout expliquer d'un coup, il fallait une heure.
Charlotte : Et qu'est ce que ça symbolisait pour vous de faire un podcast sur votre perte d'audition ?
Zoé : J'ai tellement pas fait exprès. Je ne sais pas, il y a quelque chose ou je suis devenue ma création. C'est un peu bizarre en fait (rire).
Charlotte : Quel était pour vous le sens de transformer cet objet sonore, qui vous échappait un peu du coup, en objet livre, que vous maîtrisez peut être davantage au sens où vous pouvez faire exactement ce que vous voulez? Vous pouvez aller exactement où vous voulez avec le livre.
Zoé : L'écriture, il y a quelque chose de l'ordre du présent qui se déroule et qui accepte de se dérouler ou que j'accepte de dérouler, mais oui, je suis plus, je suis plus dans la maîtrise de... parce ce que je vois les mots, alors que j'entends pas forcément tous les sons d'accord. Mais je tiens pas à maîtriser mon processus de création, ni dans l'écriture, ni dans quoi que ce soit d'autre. J'aime bien que les choses m'échappent et je trouve que c'est vraiment là qu'est la beauté.
Charlotte : Et vous chercher pendant tout le livre une forme de guérison que vous appelez de vos vœux. Est ce qu'il y a eu quelque chose de miraculeux dans la création? Est ce qu'il y a eu quelque chose de guérisseur?
Zoé : Peut être, il s'agit de comprendre ce que ça veut dire, que la guérison et que le mot guérison et que le chemin me permet de comprendre ce que ça veut dire, en fait. Est ce que c'est la guérison de mes oreilles ou est ce que c'est une guérison plus profonde? Qu'est ce que ça implique vraiment, guérir en fait ? Pour moi, dans mon corps ? Quel est l'enjeu de ma guérison à moi? Peut être que c'est quelque chose de beaucoup plus profond que juste mieux entendre. Peut être que c'est mieux m'entendre moi, peut être que c'est être une créatrice. Peut être que c'est être en lien avec les gens de façon plus profonde. Et du coup, je continue à apprendre et à développer cette acuité. (musique) Qu'est ce que ça veut dire guérir? Et c'est passionnant.
Charlotte (musique) : Zoé Besmont de Senneville publie Le Journal de mes oreilles chez Flammarion. Cet épisode de Fracas a été monté par Julia Courtois, réalisé et mixé par Malo Williams. La musique a été composée par Valentin Fayots. Fracas est un podcast produit par Louie Média et Radio Nova. Et si ce podcast vous plaît, je vous invite à aller commenter sur Apple Podcast, à en parler autour de vous et à découvrir nos autres podcasts, notamment Passages, notre podcast d'histoires vraies ou encore Emotions au travail en cours. Et si vous voulez soutenir Louie et nos projets, vous pouvez vous abonner au club louie.media.com/club. À très vite !