Retranscription - Tu seras féministe Maman

Charlotte Pudlowski : j'ai toujours trouvé extraordinaire les parents qui acceptent d'apprendre de leurs enfants. Ils ne sont pas si nombreux, et je ne parle pas d'apprendre l'existence d'un nouveau réseau social et de repartir dans le salon en pensant : ah les jeunes ! Je parle de considérer leur parole et de se laisser véritablement gagner par leur vision du monde, par leurs convictions, et de changer ensuite. Je parle des parents qui se désintéressaient de l'écologie et qui arrêteront de prendre l'avion, de ceux qui se faisaient une fête de manger une côte de boeuf le dimanche et apprendront à frire du tofu, de ceux qui étaient aveugles à certaines oppressions et se mettront à les voir grâce à leurs enfants.

Cela dit à la fois une malléabilité intellectuelle, mais aussi la possibilité d'un monde dans lequel les hiérarchies des apprentissages disparaissent. Un monde dans lequel il ne faut pas un titre par an pour être légitimé dans son savoir. 

Aujourd'hui, dans Passage, une histoire de transmission et de circulation du savoir, une histoire qui comprend des passages évoquant la sexualité. 

Un épisode signé Pauline Verduzier. 

Générique 

Océane : adolescente, je suis une jeune fille assez seule. Mes parents ne m’éduquent pas de façon à communiquer et à échanger sur plein de choses.

J'ai 14 ans et je me souviens avoir très mal au ventre et je vais aux toilettes. Et là, je m'aperçois que j'ai du sang entre les jambes et je pense que j'ai un cancer parce que je ne sais pas ce que c'est. J'ai peur, j'ai peur parce que je vais mourir, tout simplement. Et je raconte ça à ma copine qui m'accompagne et ma copine me dit, elle se moque de moi quoi. Elle me dit : “mais non, t’as tes règles”, et moi, je ne sais même pas ce que c'est que d'avoir mes règles.

J'aurais aimé qu'on m'explique ça avant parce que je suis effrayée. Je suis vraiment effrayée de voir ce sang entre mes cuisses. C'est horrible pour moi, étant donné que je ne suis pas écoutée et qu'on ne me prépare pas à toutes ces choses de la vie qu'une femme peut rencontrer. Je me dis à chaque fois : “souviens toi de ce moment et n'oublie jamais ce qui t’arrive à telle période de ta vie pour que le jour où tu aies des enfants, qu'ils soient fille ou garçon, tu puisses répondre à leurs questions et même peut-être un peu anticiper”.

Jeune fille, je veux absolument créer ma famille. Je veux être maman pour apporter tout ce que mes parents ne m'ont jamais apporté. Donc, j'ai 20 ans et je fais ce test de grossesse. Et là, je le savais déjà au fond de moi. Je suis enceinte, je le sais. Je fais les tests et je vois le gynéco. Le gynéco regarde si on peut voir si j'ai une petite fille ou un petit garçon dans mon ventre. Il me dit que c'est une petite fille. Et là, je suis très, très heureuse d'avoir une petite fille.

L'arrivée de Mina dans ma vie, c'est ma naissance. J'étais l'enfant de deux adultes, à ce moment-là, c'est ma vie que j'ai, c'est ma vie que je suis en train de construire. 

Jeune maman, je fais tout pour éveiller Mina, c'est-à-dire que je peux lui montrer une fleur et en parler pendant des heures. Si Mina veut prendre la fleur et la mettre à la bouche, je ne l'empêcherai pas. Je veux qu'elle découvre tout.

Je vais l’éveiller à la vie, mais à la vie ! Pas à ce qu'on aimerait que nos enfants apprennent. Moi, je veux qu'elle fasse ses choix, ses propres choix.

Mina : j'ai 4 ans et je vois ma mère passer l'aspirateur avec ses grands talons hauts, ses talons qui font clac, clac, clac, qui se mêlent au bruit de l'aspirateur. Je la vois telle une pin up. 

Océane : j'aime prendre soin de moi depuis toujours. Je suis très, très coquette. Néanmoins, je suis très manuelle. Donc de mes journées, je peux tondre, m'occuper de mon extérieur, en même temps être là pour Mina, en même temps avoir fait un bon petit repas pour mon mari quand il rentre le soir et être à nouveau pomponnée. J'ai l'impression que c'est mon devoir.

Très tôt Mina apprend avec moi l'indépendance et je n'ai pas à être derrière elle tout le temps. Elle apprend à se laver toute seule. Elle prend des douches toute seule. De ce fait, elle apprend l'autonomie et je suis là, dans la salle de bain. Elle est toute seule sous la douche. Je suis là juste pour l'aider. Si elle a besoin de se rincer les cheveux ou de lui demander si elle s'est bien frottée ses petits pieds et je la laisse se gérer là dessus.

Je fais attention à ce qu'elle soit bien propre, bien sûr, mais je la laisse découvrir son corps aussi sous la douche.

Musique 

Océane : j'ai besoin que Mina sente vraiment que son corps lui appartient. Quand Mina rentre au collège, sa façon de s'habiller commence à changer. Je redécouvre Mina, qui devient une jeune fille, et elle part en cours avec des pulls qui lui descendent jusqu'en bas des cuisses. Et donc je lui demande. Je lui demande si elle a un problème avec son corps. Je lui demande si elle ne se trouve pas jolie parce que vraiment, moi, je la trouve à croquer. Et qu'est-ce qui peut se passer ? Est-ce que c'est la mode en ce moment, de s'habiller comme ça ? Et puis, à force de la questionner, elle me dit que le regard des garçons la gêne énormément. 

Mina : je remarque que beaucoup de garçons me matent très clairement ils regardent mes fesses. J'entends beaucoup de bruits de couloirs : “regardez les fesses de Mina. Elle a de bonnes fesses. Mina, elle est bonne”, et ça me dérange. Je demande aussi : “qu'est ce que ça veut dire (à ma mère) d'être bonne ?”. Elle m'explique que c'est souvent finalement les hommes qui disent ça des autres personnes pour dire : “elle me fait envie sexuellement”, et ça, ça me dégoûte. Ça me dégoûte parce que je me dis : mince, je suis une adolescente, je suis encore un bébé. Je veux dire, je joue encore à la poupée au collège. Je n'ai pas envie qu'on me sexualise.

Océane : alors je lui explique. Je lui explique ce que c'est que les garçons, comment ils sont et à la limite je lui dis même que c'est normal qu'il lui regarde les fesses. Je me revois encore lui dire ça. J’en ai presque honte maintenant, mais je dis oui, c'est comme ça les garçons aiment bien regarder les fesses des filles. (Rires) 

Mais quand elle me l'explique, je comprends que ces regards là sont plus rabaissant, qu'encourageant. 

Mina : et là, ma mère m'explique que ce n'est pas à moi de me cacher, en fait, c'est aux garçons d'arrêter de m'embêter parce que je n'ai pas appelé à plaire à personne. Et ça, ça me fait plaisir. J'ai toujours besoin de ces grandes gueules noires comme si c'était la cape magique d'Harry Potter. En fait, je me sens mieux. Je me sens protégée par ces grands pulls noirs et ces grandes robes qui cachent mes formes, mes nouvelles formes en plus. Mais je sens que j'ai le droit de leur dire non, tu n'as pas à dire ça et si tu le dis, je te tape dans l'entrejambe. (Rires)

Océane : il lui faudra beaucoup de temps pour accepter le corps de femme qu'elle a, qu'elle découvre elle aussi, et accepter.. même peut-être pas accepter, mais comprendre que les garçons peuvent la regarder sans pour au moins apprécier ce regard là.

Mina : je trouve que c'est contradictoire parce que ma mère aime beaucoup plaire. Je vois souvent ma mère régler, par exemple, des disputes avec une petite robe et un nouveau petit maquillage. Et elle va se faire toute belle pour aller au-delà d'une dispute conjugale ou ces choses là... Et pourtant, moi, elle me dit : “tu n'as pas besoin de plaire”. Donc, je ne comprends pas. Pour moi, il y a une grande contradiction, mais finalement, ça me rassure parce que je sais que ma mère est encore une fois bienveillante.

Je sais que je peux lui parler de tout et je sais que quoiqu'il arrive, elle me répondra. Elle me répondra honnêtement. 

Océane : j'ai toujours été là pour répondre à ses questions, mais Mina ne me pose pas trop de questions. En fait, je dois anticiper pas mal de choses. Des fois, je la provoque plus qu'autre chose. En fait, je soulève des questions qu'elle n'a peut-être pas sur le coup. Qu’elle n’ose pas me poser. Et je lui parle très, très tôt de sexualité.

Je lui explique que la sexualité, c'est beau quand les deux personnes en ont envie, quand personne n'est forcé, c'est quelque chose de magnifique. 

Mina est terriblement gênée. Elle ne veut rien entendre. Elle me dit tout le temps : “mais maman ! Mais non ! Mais je n'ai pas envie de savoir tout ça”. Puis elle part dans sa chambre et moi je ris parce que je sais qu'elle a entendu. Ça va se faire. Le chemin va se faire dans sa tête. 

Mina : on est à l'anniversaire de mes 14 ans. Ma mère m'offre un cadeau à mon anniversaire, je l'ouvre et c'est le livre Moi, Christiane F. 13 ans, droguée, prostituée. J'adore lire et je suis très contente. Mais je me demande quand même pourquoi je reçois ce livre, sachant que d'habitude, je lis plutôt des petites histoires d'amour, des histoires de princesse. Ces choses-là. Et elle m'explique que c'est un livre très, très, très important, puisque ça parle d'une réelle histoire, d'une réelle jeune fille et que ce serait important que je prenne le temps de lire son histoire.

Océane : et elle prend le livre en disant : “oui oui, je verrai”, et elle l'a dévoré tout de suite.

Mina : ce livre m'apprend énormément quand je ne comprend pas réellement ce que c'est la prostitution, cette pression que Christiane F. a, je peux débriefer avec ma mère et c'est très apaisant parce que je suis face à un livre qui est très dur. J'apprends énormément, mais je sais que j'ai une soupape de sécurité avec ma mère qui m'explique tout, tout en détail si j'ai besoin de comprendre. C'est un peu, beaucoup. Ça me fait quelque chose quand même de lire ce livre parce que je ne connaissais pas du tout la prostitution.

Si je voyais à peu près ce que c'était une prostituée. Mais le lire et voir qu'une si jeune petite fille peut se prostituer, ça me chamboule. C'est difficile finalement de lire. Mais comme je le dis, ma mère est là pour m'expliquer pour m'apaiser. Donc c'est vraiment les deux extrêmes que je suis en train de vivre au moment où je lis Christiane F. 

Océane : je veux que Mina soit informée de tout ce qui peut se passer. Elle va faire des bêtises, je le sais, j'en suis consciente, mais je veux qu'elle se dise quand elle les fait : “ah oui, c'est vrai. Ma mère m'a parlé de ça”.

Virgule musicale 

Mina : j'ai 16 ans et tout ce que je peux faire, tout ce que je peux dire, ne provoque aucune colère chez ma mère. Donc ça m'agace, évidemment, puisque je suis une adolescente et j'ai envie de provoquer, forcément. Donc, je décide d'y aller à l'extrême puisque j'ai dit à ma mère : “maman. Aujourd'hui, j'aimerais aller me faire tatouer”, et là, je vois que son visage se décompose, mais voilà, elle ne s'apitoie pas sur son sort. Elle se dit : “ah bon ? Bon, d'accord”, elle me dit : “tout ce que je souhaite, c'est d'aller voir le tatoueur avec toi”. 

Océane : moi, j'ai peur parce que j'ai peur qu'elle le regrette.

Donc, je lui demande de m'expliquer déjà pourquoi elle tient absolument à être tatouée. Elle m'explique que c'est un besoin de montrer quelque chose qu'elle a au plus profond d'elle, de montrer ça sur son corps. Et nous voilà parties chez le tatoueur avec l'autorisation parentale.

Mina : moi, je suis un peu tremblante parce que franchement, je n'avais pas du tout d'idée de tatouage et je disais ça juste pour qu'elle me dise non, mais bon du coup, je prends un tatouage, un salon de tatouage au pif. On y va. On s'y rend, on prend rendez-vous et même le tatoueur me demande ce que je veux faire. Et honnêtement, je n'en ai aucune idée. Je sais juste que j'adore les insectes. Je lui dis que je veux me faire tatouer un insecte dans le dos.

Il me dit de revenir dans une semaine et une semaine plus tard, on est à ce rendez vous chez le tatoueur et pareil, ma mère toujours dans le soutien. "Vas-y, ma fille, tu veux te faire tatouer, t'es sûr ? T'as bien réfléchi ?”. Moi : “oui, oui, oui, oui, pas de souci”. “Bon, bah écoute, je t'accompagne, je suis là, t'as vu, je suis là”. L'autorisation signée de ma mère en main. Je vais chez le tatoueur, j'attends. Et là, il me montre l'insecte. C'était horrible. Ce dessin était ignoble. C'était glauque à souhait. Enfin bon bref, voilà. Donc je ne me démonte pas. Je vois ma mère qui est là, dans le canapé, en plein soutien. Et bon bah, je m'installe sur cette table glauque du tatoueur et j'enlève mon pull et il met le calque de l'insecte absolument ignoble sur mon dos. Je vois ma mère qui est ok.

Et là, le tatoueur me montre le dessin grâce à un miroir et je recule et je dis “ah non, non, non, je ne veux pas ça sur mon corps”. Et là, le tatoueur dit : “pardon ?”, donc il s'énerve et ma mère se lève et dit “maintenant, ça suffit. Ma fille, elle a dit non. Vous enlevez vos mains de ma fille et stop, on y va”.

Océane : le tatoueur est dépité. Il dit que c'est la première fois qu'on lui fait ça. Et moi, je regarde ma fille qui est déterminée à ne plus vouloir de ce tatouage parce que c'est pas du tout ce qu'elle a demandé. Et encore une fois, je suis super fière d'elle parce qu'elle a osé dire non. Et le laisse comme ça en plan. On prend nos clics et nos clacs et on s'en va. 

Mina : je me sens apaisée, je me sens aussi assez forte finalement d'avoir dit non parce que je suis impressionnée par le tatoueur quand même. Et c'est aussi la première fois que j'entends ma mère dire non de façon si distincte, et pour moi, et ça me fait trop plaisir. C'est le meilleur cadeau qu'elle pouvait me faire. 

Océane : c'est à moi qu'elle a fait cadeau de cette expérience et de cette expérience, j'ai vu que ma fille pouvait dire non. 

Mina : au collège, avec mes copines, quand je parle de ma mère, elles sont toutes là :”oh Mina, t’as trop de chance. J'aimerais trop avoir une mère comme toi. Je pourrais lui dire trop de choses”, et quand elles, elles me parlent de leur mère, je les envie. Je me dis : “wow ! Leur maman leur dit non, il y a des limites, il y a des règles”. Je ne dis pas que j'en ai aucune, mais en tout cas, elles sont plus floues.

Océane : je ne lui dis pas de ne pas faire les choses. Je l'ouvre à réfléchir. Je suis une adulte qui accompagne. Je ne suis pas là pour l'empêcher. 

Mina : j'ai 16 ans et j'aimerais inviter mon petit copain à la maison. Ça fait quelques années qu'on est ensemble avec ce petit chéri. J'en parle à ma mère. Je lui dis : “maman, j'aimerais que mon amoureux vienne à la maison mercredi, après les cours, est-ce que c'est possible ?”, elle me dit oui. Et puis, elle sent qu'il va y avoir quelque chose de spécial ce mercredi après-midi. Elle rajoute : “tu sais, sache que tu as le droit de dire non à n'importe quel moment. Si ton chéri te propose quelque chose que tu n'as pas envie de faire sur le moment, tu as le droit de dire non. Si au début, tu avais envie et même après la pénétration, tu n'as plus envie. Tu as le droit de dire non. Dans tous les cas, il doit s'arrêter. Non, c'est non. Il faut que tu te sentes absolument à 100% sûre de vouloir le faire et surtout que tu aies envie de le faire. Sinon, ce sera un mauvais souvenir”. Grâce à elle, cette première fois s’est très bien passée parce que j'avais envie de le faire, parce que je me suis dit : “ma mère m'a dit que j'avais le droit de dire non. C'est vrai, j'ai le droit de dire non”. 

Ma mère ne connaît pas encore le féminisme, mais finalement, elle m'a inculqué quelques règles de base, des valeurs féministes déjà, dont le consentement, le droit de dire non.

Océane : ce que je partage avec Mina depuis le début, une complicité, c'est très, très beau parce qu'on est vraiment deux filles et j'ai envie de l'aider dans sa vie de femme future. 

Mina : arrivée à 20 ans. J'ai continué mes études, j'ai eu mon bac, je suis actuellement en fac et j'ai effectué quelques voyages toute seule ou avec des amis déjà, et je me rends compte que ça, ça me comble de bonheur. Et je me dis : “écoute Mina, pourquoi tu ne partirais pas avec un sac à dos ?” Et je vais vers ma mère et je lui dis : “écoute, voilà tel mois, je vais aller en Russie, à Moscou”.

Océane : j'ai peur pour Mina à ce moment-là, quand elle part en voyage. J'ai peur parce que moi, je n'ai jamais voyagé. J'ai jamais eu le courage même de prendre un billet d'avion. Là, je me dis que, je me dis qu'elle assure grave quoi, que c'est pas juste prendre un billet. C'est tout ce qui va avec. À ce moment-là, je me dis que ma fille, elle ose faire des trucs que moi, j'ai jamais fait. Mais pourquoi je n'ai jamais fait ça ? Pourquoi moi qui me dit assez cool, assez ouverte, moi, je ne l'ai jamais fait. Ça m'ouvre beaucoup de portes, même. J'ai envie de faire comme elle. Je me dis que si ma fille a pu faire tout ça, moi aussi, je pourrais le faire.

Mina : j'ai 21 ans et j'écris de temps en temps des nouvelles, donc du coup, je deviens rédactrice. Le travail se passe très bien jusqu'au moment où, à force de me documenter sur des choses féministes, je fais la connaissance avec l'écriture inclusive. Je trouve que c'est une révolution. On révolutionne la langue française et c'est incroyable. L'écriture inclusive a été instaurée à la base parce qu’on trouve que l'on met trop le féminin entre parenthèses, que ce soit dans la vie, mais aussi dans la langue française.

La preuve, par exemple, quand on dit “ils ont été surpris”. L'écriture inclusive va plutôt préférer dire “ils.elles ont été surpris.e.s. Avec un point, un point médian. C'est ce qu'on appelle, qui va séparer le s de es. J'inclus cette écriture dans mon travail, et le patron s'en rend compte et me dit : “Mina, qu'est-ce que c'est que ça ?”. Et là, il se moque de moi ouvertement et dit : “je refuse catégoriquement que tu écrives comme ça”.

Océane : quand Mina est rédactrice, elle me parle de cette écriture inclusive. Donc elle me l'explique. Je ne comprends toujours pas, mais je vois qu'elle se donne à fond là dedans. Et malgré les critiques de tout le monde dans son travail, elle s'évertue à inclure cette écriture. À ce moment-là, je me dis que mai 68, c'est loin. Et là, je me dis que moi, de mon côté, j'ai jamais rien fait, qu'il fallait que ce soit la génération de ma fille qui fasse bouger les choses. Et je me dis qu'effectivement, effectivement, ma mère s'est battue pour le droit de vote, s'est battue pour l'avortement. Et aujourd'hui, c'est sa petite fille qui se bat pour beaucoup d'autres choses.

Musique 

Mina : petit à petit, je vois que ma mère utilise parfois l'écriture inclusive. Et ça, ça me fait plaisir. Et elle est très curieuse aussi. Elle me pose souvent des questions : Mina, comment tu vois ça ? C'est toutes des petites questions qui commencent à émerger et je me sens très, très fière d'elle.

Océane : Mina a un travail dans lequel elle gagne bien sa vie. Elle est entourée de collègues. Elle a une vie, j'ai envie de dire comme tout le monde, classique, horaires de bureau, mais néanmoins, je sens qu'elle est plus ou moins révoltée dans tout ce qu'elle fait, elle ne s'épanouit pas. Elle ne peut pas dire ce qu'elle a envie. Je la vois qui pleure beaucoup et elle me dit : “il faut absolument que je trouve un autre travail. Je ne suis pas bien”, moi, je lui dis “oui. Écoute Mina, si tu veux changer de travail, moi, je t'encourage. En plus, t’es jeune, tu vas trouver autre chose et il faut absolument que tu sois épanouie dans ton travail. C'est important”.

Mina : je décide de démissionner et je me mets à mon compte. A mes 25 ans alors que je suis toujours rédactrice indépendante, je vois que parfois, j'ai du mal à finir les fins de mois.

C'est très drôle parce que souvent, avec mes amis, je les entends chahuter un peu, à dire : “ah bah, si tu arrives pas à finir tes fins de mois t’as qu’à envoyer des photos de pieds à des fétichistes”, ou des choses comme ça. “T'as qu'à faire escorte”. Je pense donc au travail du sexe. J'y pense de plus en plus régulièrement. Finalement, c'est un an après. J'ai 26 ans. Je décide de m'inscrire sur un site de fétichistes et je poste mon annonce. “Bonjour, je m'appelle Mina et je peux vous vendre des photos de mes pieds. Si vous voulez. Si vous êtes fétichistes”. Et finalement, beaucoup de fétichistes de pieds me contactent et souhaitent que je leur envoie des photos de mes pieds. Et c'est comme ça que j'ai pu arrondir quelques fins de mois. 

Après ça, je m'inscris sur “vends ta culotte”. C'est un site qui était principalement fait pour vendre ses petites culottes usagées à des personnes qui souhaitaient les recevoir.

C'est comme ça aussi que je m'y mets, moi, à vendre des petites culottes usagées. J'entre comme ça dans le monde du travail du sexe.

Ça m'amuse beaucoup de savoir que rien qu'avec ma petite culotte que j'ai porté une journée, ça va faire... Ça va illuminer la journée de quelqu'un que je ne connais même pas. Et ça me procure une sensation de bonheur intense. Je me dis : “c'est fou avec juste une petite culotte ou des photos de pieds. Je propage du bonheur”, et ça, ça me booste vraiment, vraiment, vraiment, dans mes journées. 

Océane : un jour, elle me dit qu'elle a fait des photos, elle fait des photos et moi qui la trouve très jolie, ça ne choque même pas. Je suis même fière qu'elle prenne des photos et tout de suite, elle me dit : “mais tu sais, j'ai fait des photos de mes pieds et figure toi qu’il y a des hommes qui adorent mes pieds”. Et donc là, on explose de rire parce que Mina n'a jamais aimé ses pieds. Elle n'a jamais été fière de ses pieds. Donc moi, je prends ça à la rigolade, je lui dis : “ah bah dis donc tu dois être contente, toi qui n'a jamais aimé tes pieds”. Et après, elle me dit qu’elle a reproduit cette expérience. Elle a fait plusieurs photos de ses pieds et plusieurs hommes l'ont payé pour ça. Et là, je me rends compte que Mina est en train de se diriger vers autre chose de totalement différent de ce qu'elle a pu faire.

J'attends et je me dis que le temps va faire son œuvre et que peut être, ça sera juste passager.

Musique 

Mina : un jour, un client régulier qui me demandait souvent des photos de mes pieds, me demande si je peux faire un show cam,  je ne sais absolument pas ce que c'est un show cam. Donc je lui demande et il m'explique. C'est généralement sur Skype que ça se passe. Je suis devant ma caméra, lui aussi et je me touche. Ou alors je montre mes pieds ou je fais une petite danse, je fais un strip tease. On peut vraiment faire tout ce qu'on veut face à la caméra, mais lui, plus particulièrement, souhaitait que je me masturbe en montrant mes pieds.

J'hésite parce que franchement, je ne me suis jamais masturbée devant quelqu'un, encore moins un inconnu derrière une caméra. Mais j'ai vraiment confiance en ce client et je me dis : “à la base, il aimait mes pieds. Donc oui, effectivement, je peux peut-être montrer d'abord mes pieds, puis me toucher comme ça, peut-être en secret derrière mes pieds”.

Je vais essayer. Je télécharge Skype, je télécharge tout ce qu'il faut pour faire une petite cam. C'est avec la petite caméra de mon MacBook Air que je diffuse la première fois.

Et là, je vois le jeune homme devant moi qui commence à se masturber en regardant mes pieds. Et finalement, c'est vrai que ça m'excite un petit peu, donc je commence à me toucher, mais j'ai les jambes croisées et je montre mes pieds. Le show devait durer 10 minutes. Et finalement, il dure 15 minutes. Je prends énormément de plaisir et je me masturbe comme ça devant lui, les jambes écartées avec mes pieds en l'air, et je vois qu'il est très heureux. Et ce show là me donne vraiment goût à en refaire d'autres. 

A partir de ce moment-là, je me suis dit : “pourquoi pas Mina ? Pourquoi pas ? Tu pourrais être Cam Girl et Cam Girl, c'est justement des jeunes femmes qui font des shows cam comme ça toute la journée ou toute la soirée quand elles veulent. Mais en tout cas, c'est ce qu'elles font, particulièrement des shows cam, comme je viens de le faire. Je me dis : “mais Mina, fais le, fais le ! Ça ne m'a pas dérangé, t’as adoré le faire. En plus, grâce à ce client, tu vas pouvoir manger cette semaine. C'est incroyable”. Je suis en train de me renseigner sur les tarifs, sur les caméras, oui, sur le matériel professionnel au final, et je me lance. 

Je commence à faire des petites choses par ci, par là, en rentrant du travail ou bien le week-end, et je vois que j'aime de plus en plus la cam comparé à mon travail de rédaction. J'ai donc changé à l'Urssaf mon statut. Je ne suis plus rédactrice, je suis Cam Girl.

Au fil du temps, un personnage se crée. Je suis Mina ? face à la cam. J'ai un profil sur pas mal de plateformes et je commence à faire des vidéos pornos. Je commence à faire des photos pornos, érotiques, je les vends, j'ai des plateformes qui sont sous forme d'abonnement et des clients peuvent s'abonner au mois et découvrir mes vidéos, mes photos exclusives. Et ça me fait beaucoup de bien parce que je vois que je propage le bonheur et ça me fait sourire aussi. 

Comme je ne sais pas comment aborder mon métier avec ma mère pour l'instant, je lui mens et je lui dis que je suis une vendeuse de sex toy. Tout simplement. Comme ça, je me dis que je mens qu'à moitié. Au début, je lui mens parce que j'ai envie de garder mon métier intime. J'ai envie que ce soit mon jardin secret.

Cependant, j'ai un peu peur parce que je sais qu'on va me reconnaître. Et là, il faudra que je dise à mes proches. Donc, je décide d'avouer mon métier à ma mère. C'est une petite après-midi au soleil. On est bien sur la terrasse et je lui dis : “écoute maman, tu sais mon travail, je ne vends pas des sex toys”.

Et c'est très rigolo parce qu'il y a un petit sourire sur son visage, comme si elle s'en doutait.

Océane : il fait chaud, on est bien, on boit des petits verres d'eau glacée et je vois que Mina a besoin de me parler. Donc je lui dis : “ok, dis moi, je suis prête à tout entendre, y'a pas de souci”. Et là elle me dit : “mais en fait, je ne fais pas que vendre les sex toys. En fait, maman, je me sers de sex toys…”. Là je dis : “oui, alors vas-y explique parce que je vois pas où tu veux en venir”, et donc elle me prend les mains, on est assise. Elle me dit : “écoute ma petite maman, voilà, je vais très bien. Je crois que j'ai trouvé ma voie”. Je dis : “c'est super parce que tu cherches depuis un petit moment. Dis-moi, qu'est-ce que tu as trouvé ?”. 

Mina : je lui dis Maman, je suis Cam Girl. En résumé, c'est mon métier.

Océane : alors moi, je ne sais pas du tout ce que c'est. Je m'imagine un petit peu. Je vois tout de suite un côté très trash et ça m'étonne de ma fille. Là, je me dis que ça va passer. Je me dis : “ok allez c’est son petit délire, ça va passer. Bon, c'est pas bien méchant”. Je ne suis pas emballée. Je ne suis pas emballée parce que je ne connais pas du tout le milieu. Pour moi, ce n'est pas quelque chose qui peut correspondre à ma fille.

Mina : elle ne me montre pas du tout qu'elle a peur, si peut être à la peur ou elle ne montre pas qu'elle est énervée ou angoissée, ou rien du tout. Moi, ce que je vois, c'est qu’elle a pris le temps de réfléchir, de tourner sept fois la langue dans sa bouche avant de parler et de me montrer que le calme et la confiance qu'elle avait en moi, tout simplement, c'est tout ce que je vois, moi.

Après, elle fume, mais elle laisse rien transparaître. Elle est limite, un peu froide, même avec un sourire. C'est très contradictoire. Elle est là, elle fume sa cigarette de côté, et elle me laisse, elle ne me laisse rien voir sur ses émotions. Elle fait que de répondre : “non, non, mais j'ai confiance en toi, je réfléchis”, d'accord, elle est dans ses pensées. Je la vois et ça m'énerve. En fait, j'aimerais que peut -être, elle me crie dessus ou elle me dit : “c'est génial”. Mais en tout cas, j'aimerais une émotion extrême comme ça. Ça la libère et ça me libère aussi. Et ce qui est très drôle, c'est que pour une fois, ce n'est pas de la provocation. Pas du tout provoquer ma mère comme à mon adolescence. Je veux vraiment me libérer d'un poids, dire : “bon, j'arrête de mentir parce que je ne vois pas pourquoi je dois mentir”. Et pour une fois que je ne veux pas provoquer, il y a aucune émotion. Et ça me gêne. 

Océane : je lui dis : “mais explique moi, explique moi ce que c'est exactement. Explique-moi ce que tu fais”. Et donc là, elle prend le temps de m'expliquer et je trouve ça fascinant de sa bouche, en fait. Elle m'en parle comme une passion. Elle est en train de se construire un travail. Elle est en train de se construire un avenir professionnel et elle est épanouie. C'est vachement beau. 

Mina : et elle me dit : “bon, d'accord, laisse moi digérer la nouvelle”. Elle réfléchit quelques secondes et elle me dit : "écoute, est-ce que tu te sens bien dans ce travail ?”. J'ai dit : “oui, je me sens très, très bien”. Elle dit : “écoute, ça se voit. C'est tout ce que je veux savoir”. Elle en déduit que l'important, c'est que je sois épanouie dans mon travail. Et elle termine comme toujours : “de toute façon, j'ai confiance en toi, ma fille, donc fais ce que tu aimes”.

Océane : je comprends qu'elle veut faire son bonhomme de chemin dans ce travail là. J'ai juste à l'écouter et à ce moment-là, elle me protège. Elle m'en parle d'une façon tellement tellement soft que je peux trouver juste ça beau et cool. Dans son discours, quand elle me parle de ses clients, elle en parle avec un tel amour. Elle les appelle mes petits loups. Elle a un petit nom pour eux qui est charmant. Et en l’entendant parler comme ça de ses clients, je me dis qu'elle a pris du recul sur ce qu'elle faisait.

Mina : je sais qu'en tant que maman, peut-être qu'elle a eu peur, peut-être qu'elle a été angoissée. Je connais ma mère et je pense qu’elle a surtout peur pour moi, pour ma sécurité. Je sais qu'il n'y a aucun jugement de sa part parce que ma mère ne juge personne. Donc, je sais qu'elle ne va pas juger sa propre fille. Cette réaction, j'en suis reconnaissante. Finalement, elle joue son rôle de mère de dire ok, donc, toi, mon enfant, tu es bien, mais je suis bien.

Océane : je suis rassurée. C'est un métier qu'elle a choisi. Ce n'est pas un métier qu'elle subit. Elle aurait pu faire n'importe quoi d'autre et c'est celui-là qu'elle a choisi. 

Elle me dit qu’elle est travailleuse du sexe beaucoup plus tard. Pour moi, c'est venu tout de suite. Je me suis dit : ma fille se prostitue, elle ne permet pas qu'on touche son corps, mais néanmoins, c'est de la prostitution. Je le sais, mais je me demande si elle se rend compte, si elle a mis ses mots sur ce travail et un jour où elle rencontrait des petits soucis d'imposition de choses comme ça, elle m'a dit : “tu te rends compte, maman, ce qu'on fait subir aux travailleuses du sexe comme moi”. Et là, j'ai dit : ça y est, elle a posé les mots, donc elle sait, elle s'affirme en ça et elle en est consciente. Là, ça me rassure parce que je me dis qu'elle se met pas d'œillères et qu'elle va affronter ça. Parce que pour moi, je pense que ça doit être difficile. Le regard des autres quand elle se présente, qu'est-ce que tu fais dans la vie ? Je suis travailleuse du sexe. Ça ne doit pas être facile quand même.

Et là, je me dis que ma fille se positionne et elle le dit : oui, je suis travailleuse du sexe. Mais ce qui me rassure dans le travail de mineur actuellement, c'est que c'est derrière son ordinateur. Elle peut s'épanouir dans son travail. Donner du plaisir aux hommes en étant en sécurité derrière une caméra. Mina m'explique que ce n'est pas parce qu’elle va montrer son corps, parce qu'elle va jouer avec son corps, qu'elle a envie de se faire insulter. Ce n'est pas du tout le but. C'est un être humain qui va donner du plaisir aux autres, mais elle a envie qu'on la respecte et c'est ce que j'aime chez elle parce que parfois, elle m'explique que certains clients lui manquent de respect et Mina n'hésite pas à les bloquer. Et ça, encore une fois, je suis très fière. C'est tout un univers pour moi. Elle me fait découvrir énormément de choses, ne serait-ce que parfois, où elle me raconte qu'elle a des petits jouets, comme elle appelle, et elle m'explique à quoi ça sert et je découvre ces jouets. Et au début, je disais : “oui, bon, c'est des bouts de plastique…”. Et elle me raconte à quel point voilà sur le plaisir féminin, c'est important. Elle m'apprend tout. Je ne connais rien du tout et je me dis que oui, il n'y a pas que les hommes qui peuvent se faire du bien tout seuls. Les femmes aussi ont le droit de se donner du plaisir. Et moi, jeune fille, on me l'avait interdit, on montrait ça du doigt et c'était pas beau et c'était pas propre, ce n'était pas bien, tout simplement. Et là Mina me montre, me fait découvrir plutôt que le plaisir féminin, ça existe et qu'il faut le respecter. 

Alors, la transmission s'inverse totalement. C'est elle qui m’éduque à la sexualité. 

Musique 

Parfois, j'appelle ma mère en fin de journée et on parle tout simplement comme si j'étais caissière, danseuse ou vendeuse. J'explique ma journée de travail comme comme n'importe qui et on peut parler comme ça. Alors évidemment, je ne vais pas dans les détails de mes pratiques, mais quelquefois, je lui raconte : “oh bah mon client était super gentil et m'a demandé de faire ça. J'ai appris ça aujourd'hui. On m'a acheté ce sex toy, je l'ai reçu. Eh bien, ça sert à ça”. Je lui apprends aussi l'existence du skurt. C'est un mot anglais pour dire l'éjaculation féminine. Elle ne connaît pas et ça me fait rire. Elle me demande un peu plus comment est ce qu'on peut éjaculer en ayant un vagin ? Je lui explique qu'il y a différentes techniques, qu'il y a même des vidéos sur Internet qui montrent comment on peut faire un skurt et finalement, le soir, quand on fait un petit débrief parfois, elle aussi, apprend avec moi. 

À la fois quand je lui raconte mes journées, quand je lui raconte tout ce qui se passe au niveau de mes collègues, des luttes que l'on engage, je sens qu'elle devient un peu plus féministe. Avant, elle avait vraiment une vision de la femme qui devait plaire à son mari, qui devait faire le ménage pour que quand il rentre, ce soit tout propre. Et elle commence à me dire des choses comme : “tu vois aujourd'hui je me suis fait plaisir. Moi, j'ai pensé à moi, je me suis fait un soin du visage. Et puis tu vois, je n'ai même pas fait le ménage”, et ça me fait sourire. Je vois que nos échanges mènent ma mère vers un chemin féministe et je trouve ça extraordinaire. J'essaye donc de lui apprendre tout ce que je peux puisque je vois que ça prend. Par exemple, un jour, on est sur un parking et on descend de la voiture. Quelques personnes nous voient et ces personnes étaient des hommes et ces hommes commencent à nous siffler. Je vois ma mère leur faire coucou avec un grand sourire et moi, je lui dis : “mais non, maman, il ne faut pas leur faire un coucou. Ils viennent de nous siffler. C'était des gros dégueu”, et ma mère ne comprend pas sur le coup.

Océane : donc là, moi, pour le coup, je ne vois pas les choses de la même façon. Je me retourne, je regarde ces deux hommes. Je leur fais un grand sourire. Je leur dis bonjour. Et puis je leur dis ça vous a plu ? Ouais, ok, super bonne journée. Et on part comme ça. Et Mina me dit : “mais maman, mais tu te rends pas compte. Mais pourquoi tu leur a parlé ?”. Et là, Mina m'explique et me dit : “mais en fait, ce n'est pas toi qu’il a klaxonné, c'est juste tes fesses. Est ce que tu t’identifies à tes fesses ? En fait, c'est pas toi, il t'a pas trouvé génial et superbe, super intéressante. Il a juste regardé tes fesses”, et là, j'ai compris. J'ai compris que les jeunes filles pouvaient se rebeller de ça. 

Mina : je vois au fil du temps qu'elle accepte beaucoup moins de se faire siffler, par exemple, on est en voiture et un automobiliste la siffle à travers la fenêtre et au lieu de lui répondre avec un grand sourire : “bonjour”, elle a dit : “ah bah c’est bon, gros con, lache moi”, et elle a continué à accélérer. Et ça, j'ai adoré. En quelques semaines, je vois comme elle a changé et ça, je suis trop contente parce que ça prouve que voilà, elle a écouté ma vision des choses, ça la fait réfléchir, elle se rend compte qu'effectivement, elle a accepté des choses qui lui plaisait pas toute sa vie. 

Il y a un an, ma mère se sépare de son mari et depuis quelque temps, elle fait des rencontres et elle a surtout des petits flirts et parfois elle me demande des conseils : à ton avis, ça, ça va comme je suis habillée, ça fait pas trop ? Elle a l'impression que si elle met une jupe, c'est plus de son âge. Et ça, ça m'énerve. Je dis : non, ça ne fait pas trop. Mais ça ne fait pas trop quoi ? Elle me dit : non, mais c'est parce que je suis vieille et que je mets une jupe. Alors déjà, maman, t'es pas vieille. Et ensuite, t’as bien le droit de mettre une jupe, jusqu'à 100 ans si tu veux mettre une mini jupe, tu as le droit de la mettre. Et puis, si ton flirt, il l'aime pas, il s'en va. Et quand je la vois mettre des jupes et assumer et arrêter de remettre tout ça à son âge, je me dis que j'ai fait du bon boulot et ça me fait penser à toutes ces fois au collège où elle me disait : habille toi comme tu veux, tu t'en fiches, tu n’es pas là pour plaire aux autres et là pour plaire à toi même. Là, enfin, des années plus tard, elle l'applique. Ce conseil à elle, elle s'habille pour se plaire à elle.

Océane : moi qui lui ai toujours parlé du respect de soi. Elle me l'apprend à sa façon aussi. Les jeunes filles de son époque ont eu plusieurs partenaires et font des tests pour savoir où elles en sont dans certaines maladies. Et ce n'est pas du tout de ma génération. Donc, Mina m'explique qu'il n'y a pas que le sida et la syphilis. Et là, je me rends compte que j'ai d'énormes lacunes, en fait. Un jour, moi aussi, je décide de faire tous ces tests que je n'avais jamais fait ça. Et je demande à Mina, je lui dis : “dis moi quel test il faut que je fasse exactement ?”. Et là, elle me sort une quinzaine de tests à faire. Elle m'explique comme une petite maman et je demande à mon médecin toute une batterie de tests. J'attends mes résultats et même si je ne crains rien, j'ai peur comme une gamine et donc je le dis à Mina. Je dis : “écoute, là, ça fait une semaine que j'ai fait les tests et je n'ai toujours rien. Comment ça se fait que je n'ai pas de réponse ?”. Et donc, Mina me dit : “mais ne t'inquiète pas, ça va venir. Et au pire, ton médecin va t'appeler”. Et là, le médecin me rappelle et j'ai très peur. Et je dis : “oui, oui, vite, vite, vite. Allez, droit au but. Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est ce que j'ai ?”.

Mina : et finalement, quand elle reçoit les résultats, je suis là, limite à lui tenir la main parce qu'elle avait très peur. Et tout s'est bien passé. Tout était négatif et j'ai l'impression que c'est moi la maman et elle l'enfant. Finalement, et c'est très touchant cette scène.

Océane : je suis fière que Mina m’explique tout ça parce que encore une fois, je me dis qu'elle s'intéresse à tout et elle se renseigne sur tout. Ce n'est pas juste faire de la webcam. Elle s'intéresse à tout. Elle veut tout savoir du début à la fin sur son travail de travailleuse du sexe. Toutes les discussions que je peux avoir avec Mina sur son travail me font prendre conscience qu'on a le droit à une sexualité épanouie et qu'on a le droit de trouver le bonheur.

Elle me donne l'occasion d'être une femme et de ne pas en avoir honte. 

Avec tout ce qu'elle m'apprend sur le droit des femmes, le droit de s'amuser, le droit de ne pas faire la vaisselle, le droit de ne pas culpabiliser parce que je n'ai pas passé l'aspirateur. Ça, ça me donne des ailes. Donc je pars en vacances. Maintenant, je fais ma petite valise. Je pars une semaine chez mon petit copain. Et puis voilà, chez moi, il se passe ce qui se passe. Le ménage n'est pas fait, le ménage n'est pas fait. C'est pas bien grave. Maintenant, je m'en fiche. Je pense à profiter.

Aujourd'hui, il est hors de question que je me consacre uniquement au plaisir et au bien être d'un homme, même si je l'ai fait de bon cœur, même si je l'ai fait avec amour. J'ai été l'esclave pendant 30 ans. Je n'ai pensé qu'au bien être de mon mari, de ma famille et très peu au mien. Je pensais que j'étais heureuse au milieu de tout ça, mais je m'aperçois aujourd'hui que je me suis oubliée.

Mina : je vois à quel point elle évolue, à quel point elle s'émancipe et c'est extraordinaire, en tant que fille, de pouvoir transmettre des valeurs à sa mère. D'habitude, c'est l'inverse. Je me rappelle à mon adolescence quand ça me gênait et qu'elle essayait de plaire, etc. Et finalement, en tant qu'adulte, je ne lui en veux de rien. 

Océane : je n'ai jamais pensé que j'avais fait des erreurs dans mon éducation par rapport au travail de Mina actuellement. Pour moi, ce n'est pas une erreur de son travail, c'est un choix. Donc en ça, j'en suis fière et je n'ai pas à me mettre en cause dans le travail qu'elle fait. 

Mina : je trouve ça fou qu'un métier puisse nous rapprocher. Qu'un métier puisse engendrer comme ça des valeurs féministes chez ma mère. 

Océane : elle m'a fait briser énormément de barrières. Je me redécouvre aujourd'hui. Aujourd'hui, j'ai une deuxième vie. Je renais une deuxième fois grâce à Mina. 

Mina : j'ai l'impression que je vois une rose. On va dire que ma mère est un beau rosier. Elle avait déjà ses roses et j'ai l'impression que tous les petits boutons qui poussent, ils sont là grâce à moi un petit peu, ces petits boutons féministes.

Et finalement, elle m'a donné la vie. Et moi, j'ai donné naissance à ces petits boutons, ces petits boutons de rose. 

Générique fin 

Charlotte Pudlowski : cet épisode de Passages a été tourné et monté par Pauline Verduzier sous la responsabilité éditoriale de Maureen Wilson. Maud Benakcha était à l'édition et à la coordination. L'épisode a été réalisé par Charles de Cillia, qui a également composé la musique. L'épisode a été mixé par Jean-Baptiste Aubonnet. Marion Girard est responsable de production et Mélissa Bounoua, directrice des productions. Le générique de Passages a été composé par November Ultra et je suis Charlotte Pudlowski. 

Passages est une production Louie Média que vous pouvez retrouver sur toutes les plateformes de podcasts. 

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À très vite !