Une voix différente

Quelles sont les questions dont vous auriez aimé avoir les réponses, ado?

Cette semaine dans Faut que je te dise (notre podcast construit pour répondre aux jeunes femmes sur leurs questions intimes justement) on s’interroge sur Pourquoi c’est toujours aux filles de s’occuper des autres? Et ça m’a donné envie de replonger dans les travaux d’une des féministes les plus passionnantes que je connaisse: Carol Gilligan. Philosophe et psychologue, elle a conceptualisé l’éthique du care.

Dans Une Voix différente (1982) elle relate notamment différents travaux sur les jeux des filles et des garçons à l’école et souligne combien «les garçons sont plus préoccupés par les règles du jeu que les filles qui, elles, le sont par les rapports avec autrui, souvent au détriment du jeu». Elle explique notamment que lorsqu’une dispute survient, les garçons débattent et réinventent les règles (ne s’interrompent jamais «plus de 7 minutes») et se remettent à jouer. Et que les petites filles abandonnent plus facilement la partie, trop inquiètes de se heurter les unes les autres. Et je me suis revue avec mon élastique orange et noir, je me suis vue dans la cour de récréation rue de la Croix-Bosset et sur le balcon avec ma soeur, les frustrations et les arrêts. Et je me suis dit: c’était possible de ne pas être bouleversé par les disputes? Il y avait d’autres êtres sur d’autres balcons et à l’autre bout de la cour, qui ne rentraient pas chez eux dévastés parce qu’une dispute avait eu lieu? Et c’était possible aussi de ne pas penser que j’étais susceptible, sensible, fragile, que simplement j’étais éduquée à être: une fille.

Carol Gilligan retient surtout qu’il est possible de repenser notre définition de ce qui est juste et de ce qui est moral: les filles ne sont pas intrinsèquement incapables d’accéder à l’abstraction de la justice de la même manière que les garçons, mais plutôt éduquées de telle sorte qu’elles sont en permanence attentives aux autres. Et Gilligan propose de refonder une éthique qui tienne compte de ces valeurs. C’était dans les années 80 et ça n’a pas eu lieu. Mais ses travaux restent. Et la possibilité - en s’informant, en posant des questions - de se souvenir que les choses pourraient être autrement que ce qu’elles sont. C’est le seul interstice nécessaire aux révolutions.

Ce que nous avons perdu sur ce terrain là nous l’avons gagné sur l’éthique du care.

Charlotte Pudlowski, cofondatrice de Louie Media.