La fin de la récré
/On doit se mettre en rang deux par deux devant le préau et je ne sais ni quelle file rejoindre, ni quelle main serrer. Je la vois et je sais à sa manière de rigoler, à l’allure de ses canines pointues, que c’est avec elle que je veux être amie. Comment j’ai su?
Comment j’ai su, à 8 ans, dans la terrorisante cour de récréation de la rue de Longchamp que cette personne deviendrait ma famille, un morceau de moi-même, mon déclencheur de fou-rire, un aiguillon pour vivre? Comment on sait à 8 ans que les points communs que l’on se trouve, une fratrie du même nombre, des origines bretonnes, des métiers paternels, le vote de nos parents, se transformeront en points communs réels: les silences qui débordent, les malédictions factices, et une éthique commune? Est-ce que ce sont toutes ces heures à se parler, par carte postale, sur des cahiers de texte, dans des cabines téléphoniques, allongées sur la moquette de nos chambres le téléphone filaire à l’oreille, et puis sur nos portables, par note vocale, en vidéo? Est-ce que ce sont tous ces mots en commun qui construisent nos envies communes, une amitié indestructible, quelque chose qui nous faisait nous dire, encore hier après midi, trente ans et quelques mois après notre rencontre, combien on avait de la chance de s’être trouvées? Peut-être aussi était-ce la sociologie, la patience et le hasard. La chance.
Ce sont ces questions-là, qu’explore Élodie Font cette semaine dans Émotions. Marie Misset lui laisse le micro le temps d’un double épisode consacré à l’amitié et à sa longévité. Peut-on garder ses amies d’enfance toute la vie, interroge-t-elle?
Il y a des oui possibles. Doit-on encore les appeler des ami.e.s d’enfance? L’enfance n’était que le point de départ. Le chemin est d’une tendresse infinie.”
Charlotte Pudlowski, cofondatrice de Louie Media.