Les podcasts vont-ils remplacer les parents ?
/Que se passerait-il si les podcasts venaient à prendre le relai de ce moment partagé dans tant de chambres d'enfants le soir, entre un.e petit.e qui ne veut pas dormir et un parent épuisé mais gentiment assis sur le rebord du lit? Les podcasts peuvent-ils remplacer les parents?
Les enfants et la voix
Les chiffres font sourire, tant ils nous rappellent de bons souvenirs: d’après un sondage mené par KidsListen (une association américaine œuvrant à l’amélioration du contenu audio pour enfants), quatre enfants américains sur dix écoutent un épisode de podcast quatre fois ou plus. Et surtout, seul un.e enfant sur cinq n’écoute un épisode qu’une seule fois. Ça nous rappelle les K7, que l’on rembobinait à l’infini ou le livre audio du Livre de la Jungle en boucle sur l'autoradio de la voiture familiale sur la route des vacances… Déjà, à l’époque, les parents fatigués pouvaient échapper à leur devoir de conteurs d’histoires le temps d’une bande magnétique. Aujourd’hui, vingt ou trente ans plus tard, les walkman, CD, mp3 et autres iPods ont (presque) disparu. Les enfants, eux, sont toujours là. Leurs demandes incessantes d’histoires du soir aussi.
Que nous soyons né.e.s au siècle dernier ou dans les années 2010, les voix de nos parents restent celles qui nous touchent et nous réconfortent le plus. Une étude menée en 2010 par des chercheurs de l’université du Wisconsin (États-Unis) a démontré que la voix de sa mère au téléphone était aussi rassurante pour l’enfant qu’un câlin. 61 jeunes filles, âgées de 7 à 12 ans, ont été mises dans des conditions de stress (présenter un exposé et résoudre un problème de maths devant des inconnus), avant d’être divisées en trois groupes. Le premier a eu droit à des câlins de leur maman, le deuxième à un coup de fil et le troisième, à un visionnage de La Marche de l’empereur, documentaire jugé émotionnellement neutre. Les jeunes filles des deux premiers groupes ont vu leur niveau d’ocytocine (aussi connue sous le nom «d’hormone du bonheur») augmenter et leur stress baisser. La voix d’une maman, même à travers un combiné, peut donc provoquer les mêmes effets apaisants et rassurants qu’une étreinte. C’est dire le pouvoir de la voix sur les enfants, au-delà même de celles de nos parents. En témoigne le nouveau programme Pieds sur terre et tête en l'air, produit par Audible Original, qui fait le pari de la méditation audio-guidée, destinée aux enfants.
Les podcasts pour enfants, un succès aux États-Unis
Les producteurs et productrices de podcasts ont pressenti cela il y a quelques temps déjà. Ils proposent du divertissement… sans écran. L’année dernière, la plateforme américaine Panoplyavait lancé Pinna, un service payant d’histoires pour enfants, avec pour slogan “Screen free. Ad free. Guilt-free” (comprenez «pas d’écran, pas de pub, pas de sentiment de culpabilité»). Un argument de vente béton, comme l’explique le New York Times. Le fondateur de Pinna, Andy Bowers, nous avait dit à l’époque vouloir répondre à une demande des parents. Face à sa propre réticence à passer des publicités à de jeunes enfants, il a préféré proposer un service payant, mais sans pub (Pinna propose un accès illimité à son contenu pour 7.99$ par mois, soit 7€).
Depuis, le nombre de podcasts et de plateformes (payants ou gratuits) dédiées aux enfants continue de croître. On pense à Chompers (Gimlet), qui propose aux petit.e.s Américain.e.s deux histoires par jour pour les accompagner dans leur brossage de dents, aux P’tits Bateaux(France Inter), qui offre aux curieux et curieuses cinq questions-réponses le dimanche soir, ou au studio Bloom, qui produit La radio des enfants et propose aux jeunes auditeurs des histoires, des réponses à leurs questions, du divertissement pour les trajets en voiture. En avril dernier, une antenne locale de la radio publique américaine (NPR), a même organisé le premier festival dédié aux kidscasts (podcasts pour enfants).
Le pouvoir des histoires
La raison d’un tel essor n’est pas difficile à comprendre, pour peu que vous côtoyiez des enfants. «Un jour, je gardais ma petite nièce de deux ans et [elle] ne voulait pas dormir», se souvient Léonard Billot, réalisateur d’Oli, le podcast de France Inter qui raconte des histoires aux petit.e.s. «Du coup, j’ai commencé à chercher sur Internet ce qui se faisait pour les enfants. Je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas grand chose. Il y avait bien des mises en son de textes sur France Culture, mais qui se sont arrêtées il y a deux ou trois ans.» Il a fini par opter pour une mise en son d’un texte d’Oscar Wilde, mais sans grande conviction. «Je me suis dit qu’il fallait raconter des histoires aux enfants –et ceux qui racontent le mieux les histoires, ce sont les écrivains.» Des écrivain.e.s, Léonard Billot en connaît –et pour cause, il est journaliste littéraire. Quand il leur demande d’écrire pour des enfants, la plupart craignent l’exercice. Il les rassure et leur demande «d’aller chercher l’énergie, la fantaisie et l’imagination des histoires qu’ils racontent ou racontaient à leurs enfants». C’est ainsi qu’on a vu Delphine de Vigan et Yannick Haenel prendre la plume et écrire pour des petit.e.s. «Ils se sont tournés eux-mêmes directement vers la fiction», explique Léonard Billot. Il rêve Oli comme une porte ouverte sur la littérature, avant même que les enfants ne sachent lire.
À cette écoute solitaire et indépendante, où l’enfant vient construire un imaginaire sur les sons qu’il entend, vient s’ajouter la possibilité d’une écoute en famille. «C’est même conseillé; ça sert à nouer un contact entre l’enfant et le parent, à développer le dialogue. Si l’enfant ne comprend pas des choses, il peut demander à ses parents qui écoutent avec lui. Et puis surtout, ça peut être matière à ouvrir la discussion.» Léonard Billot ne croit pas si bien dire: toujours selon le sondage de KidsListen, trois quarts des parents rapportent que leurs enfants entament une discussion après l’écoute d’un épisode de podcast. «Quand Delphine de Vigan parle de la mort, par exemple, les enfants demanderont peut-être «Papa, Maman, où il va mon poisson rouge quand il est mort ?», «Qu’est-ce que c’est que la mort ?», etc. Ça ouvre le dialogue. C’est le principe même de la littérature: générer de l'imaginaire et du dialogue entre les gens.»
Si on pousse plus loin, n’y aurait-il pas un risque que les podcasts prennent peu à peu la place des parents? Et que ces derniers, au lieu de se gratter la tête chaque soir pour trouver une histoire, préfèrent la facilité (et souvent la gratuité) des podcasts? Léonard Billot est catégorique: la réponse est non. «Pour tous les parents qui ne peuvent pas mettre leur enfant au lit en leur lisant une histoire, nous sommes là pour prendre le relai. L’idée n’est surtout pas de remplacer, mais de compléter. Il est primordial que les parents racontent des histoires à leurs enfants, mais on sait très bien que ceux-ci en demandent toujours plus. C’est là qu’Oli intervient.» En proposant un stock d’histoires que des parents, en pleine semaine de travail, n'auraient peut-être pas eu le temps de trouver. Et pour accompagner petits et grands dans le temps, Léonard Billot précise qu’Oli a été pensé conjointement avec des albums illustrés des contes. «Ça permettra aux enfants à la fois d’apprendre à lire à partir des histoires qu’ils auront déjà en tête et à leurs parents de leur raconter les histoires.»
En attendant d’apprendre à lire, les enfants auront le plaisir d’écouter des podcasts. Et pour ceux qui n’auraient pas encore le droit de fouiller dans le portable de leurs parents, les enceintes connectées ont déjà pensé à tout. Le podcast Chompers est ainsi disponible sur Echo d’Amazon, ce qui permet aux enfants de lancer des épisodes tout seuls, en se brossant les dents par exemple.
Alice Bouleau et Maureen Wilson
PS: Si vous avez des recommandations de podcasts à faire écouter aux enfants, nous serons ravies de les relayer.