Comment trouver sa voix

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Chez Louie, on aime beaucoup écouter The Heart, le podcast de Kaitlin Prest. Ici, pas de routine. Dans ce podcast narratif où le ou la protagoniste raconte une histoire très personnelle sous la forme d'une enquête, l'irrégularité c'est la règle. On ne sait jamais sur quoi va porter l'histoire qui nous sera contée. Pourtant, on peut vous assurer qu'une fois que vous aurez écouté quelques épisodes, vous saurez reconnaître The Heart entre mille. Il y a quelque chose dans la voix, comme une empreinte, chez tous les protagonistes de ce podcast, qui nous plonge dans un univers particulier.

Car la voix est le mode de communication le plus empathique et authentique. Elle est un ingrédient fondamental des podcasts. Nous en parlions dans un article, alors que la saison 1 de Entre venait d’être lancée et que l’on était subjugué.e.s par la voix de Justine. Depuis, nous avons sorti Plan Culinaire, Émotions et Injustices qui sont tous les trois des podcasts de narration. Et, à chaque enregistrement, on se demande comment rendre notre voix la plus agréable possible à écouter pour porter, accompagner cette narration.

Quand on enregistre un podcast, on le fait en studio. On se retrouve debout face à un micro, derrière une vitre. C’est une scène qu’Adélie Pojzman-Pontay raconte très bien dans l’épisode 1 d’Émotions. On a un casque sur la tête, on entend notre voix et on ne la reconnaît pas. Parce que la voix qu’on entend à l’intérieur de nous est plus grave que celle que l’on projette à cause de toutes les vibrations que l’air provoque sur nos os lorsqu’on parle. De l’autre côté de la vitre, se trouvent l’ingénieur son et les autres personnes de l’équipe qui ont travaillé avec nous sur la réalisation de l’épisode. L’ingénieur du son a deux gros écrans d’ordinateur devant lui et une table de mixage. Et autant vous dire que, dans ces conditions, c’est difficile d’avoir une manière naturelle de parler. Pourtant, ce que l’on recherche c’est que la voix soit fluide, naturelle, ni trop rapide, ni trop monotone, tout en pensant à l’articulation, à la projection de notre voix, et à la clarté de notre propos.

Pour le podcast Injustices, Clara Garnier-Amouroux commence déjà à préparer sa voix en chemin pour le studio: ”J’écoute les voix des gens que j’aime bien sur mon vélo parce qu’ils ont une intonation qui me plaît, et je répète ce qu’ils disent à voix haute jusqu’à ce que ça sonne bien dans ma voix à moi. Et, au moment de m’enregistrer, je m’étire à chaque fois que je bloque sur un passage.”

Respirer pour mieux parler

Marie Lelong est coach vocale à l’Ecole de Journalisme de Sciences Po, elle aide de futurs journalistes à poser leur voix. Vous l’avez sûrement déjà entendue dans des publicités à la radio et elle a longtemps été comédienne. “Ma voix a changé à partir du moment où j’ai commencé à jouer et à la travailler. Elle est plus puissante et l’écart de ses possibilités a beaucoup grandi. Maintenant, j’ai l’impression d’avoir plus de liberté d’interprétation, de jeux et d’univers vocal parce que je sais utiliser ma respiration.”

Pour Marie, le nerf de la guerre c’est ça: la respiration! Et, d’après elle, il faut retourner à une respiration naturelle, celle que l’on pratique lorsqu’on dort, celle que l’on pratiquait enfant; la respiration abdominale. C’est à cause du stress quotidien que nous respirons de plus en plus haut et que notre souffle se bloque au niveau de la poitrine. Alors que “la clef de voûte d’une bonne voix qui sort, qui peut varier, qui est libre (...) c’est la respiration abdominale”.
Eh oui, tout se joue au niveau du ventre. Pour y arriver, Marie demande à ses étudiants de parler avec la voix la plus grave possible. Essayez, vous verrez que votre sangle abdominale se contracte automatiquement. Parler en projetant sa voix, c’est presque du sport. “Quand je sors de studio, je sens que mes abdos se sont mobilisés, que mon corps a été présent”, raconte Marie Lelong.

Donner la parole aux critiques

Pour pouvoir être le plus naturel possible, pour pouvoir faire passer des émotions, il faut donc mobiliser son corps. Être debout devant un micro, les jambes et le tronc crispé, ne bouger que sa bouche et se concentrer sur son articulation ne mènera à rien d’autre qu’à réciter son texte à la façon d’Alexa ou celle du GPS de votre voiture. “C’est impossible d’être juste et naturel en n’utilisant absolument pas son corps. (...) Quand je suis en studio, je bouge comme quand je parle à un ami. Je fais beaucoup de gestes en parlant, donc j’essaie vraiment de me mettre dans cette disposition là.” Le fait de bouger permet de penser ce que l’on dit et pour pouvoir faire passer des sentiments, il est extrêmement important d’être porteur soi-même de ces émotions. Alors on bouge les mains, on fait des signes, des mimes même s’il le faut, pour nous permettre de vivre notre texte. Pour qu’on entende un sourire dans une voix, il faut vraiment sourire, d’un vrai sourire!

Pour le podcast Émotions, Adélie Pojzman Pontay fait des exercices avant et pendant chaque enregistrement: ”Je fais des étirements inspirés du yoga pour détendre mon cou, mes épaules, mon buste et surtout mon diaphragme. Je fais aussi quelques vocalises pour échauffer ma voix et les muscles de mon visage.” 

Marie Lelong préconise d’anticiper ce que l’on veut que les gens retiennent. Elle appelle ça le “doggy bag”: “Je me demande comment et avec quelle idée je veux que [l’auditeur] reparte. Est-ce que les gens se diront que c’était hyper drôle? Ou plutôt que ça les a séduit?” Et quand il lui arrive de devoir parler de sujets qui ne la touchent pas forcément, comme elle le fait pour des publicités, elle tente de trouver une connexion avec le thème qu’elle traite. ”Quel que soit le message, il faut qu’il fasse écho chez [moi] à un endroit”.
On ne peut pas changer le timbre de sa voix, mais avec toutes ces astuces, on peut la travailler et la rendre agréable à l’enregistrement. Plus vous l’exercerez, plus vous serez à l’aise. Ce n’est que comme ça que vous pourrez réellement trouver votre identité vocale.

Amel Almia

Parlez-moi de livres

Chez Louie, on a plusieurs passions, et les bons livres en font partie. Certains livres ont été constitutifs dans la construction de l’identité de Louie et influencent encore profondément qui nous sommes et notre amour des histoires. Il y a en beaucoup, mais dans notre bibliothèque intérieure, il y a évidemment Une chambre à soi de Virginia Woolf, mais aussi Fun Home d’Alison Bechdel ou encore L’Empreinte d’Alexandria Marzano-Lesnevich. Ces livres font partie de Louie.

Pourtant, allier podcast et littérature ne va pas de soi. Il y a de nombreuses manières de parler de livres au micro –la question étant toujours : à qui donne t-on la parole ? Aux écrivain.aines, aux lecteur.rices, aux journalistes, aux chercheur.ses ? Quel format pour parler de littérature ? Comment rendre justice aux livres par l’audio ? Des émissions de radio et des podcasts natifs se sont aventurés avec succès sur le terrain de la littérature avec des formats particulièrement efficaces. Voici quelques suggestions d’émissions et de podcasts littéraires qui nous plaisent et nous inspirent –en attendant la surprise que nous vous préparons pour cet été.

Donner la parole aux auteur.rices

Dans Le Temps des écrivains sur France Culture, Christophe Ono-dit-Biot fait se rencontrer et dialoguer deux écrivain.aines qui partagent –parfois sans le savoir– une même obsession ou un intérêt commun pour une même thématique. L’émission organise leur dialogue et forme des couples d’auteur.rices passionnants et souvent inattendus. Et le résultat est là : le rapprochement entre deux œuvres littéraires permet, en creux, de mieux saisir la spécificité et l’ampleur de chacune. On retient par exemple les très belles émissions avec Frédéric Boyer et Yannick Haenel sur le thème de la fascination, ou encore celle avec Jean-Christophe Rufin et Jean Teulé sur la déraison. 

Donner la parole aux lecteur.rices

Dans le podcast de littérature afroféministe Après la première page, Maly Diallo donne elle aussi la parole à des écrivaines dans de longs entretiens sur leur dernier livre. Mais elle enregistre également des épisodes où des lectrices se retrouvent pour parler ensemble d’un même livre : ça débat, ça se coupe la parole, ça rit beaucoup, ça se prépare du thé et on entend l’eau qui bout –bref, ça prend le temps de créer une vraie discussion. Et toujours, la parole émerge et la littérature est là. On vous en parlait déjà dans notre newsletter sur les podcasts et l’afroféminisme, et on vous le recommande encore –et tout particulièrement l’épisode où Maly, Ornella et Myriam commentent leur lecture de Swing Time de Zadie Smith. 

Donner la parole aux expert.es

Dans l’émission Personnages en personnes, Charles Dantzig donne cette fois la paroles aux universitaires et chercheur.ses en littérature pour aller à la rencontre de grands personnages de roman. L’épisode où Philippe Zard, maître de conférences de littérature comparée à l'Université de Paris-Nanterre, parle du personnage d’Adrien Deume du roman Belle du Seigneur d’Albert Cohen est drôle et émouvant. Parler d’un livre à travers l’un de ses personnages : une petite prouesse qui rappelle avec force que les êtres de fiction nous aident aussi à mieux comprendre ceux qui nous entourent.

Donner la parole aux critiques

Après les auteur.rices, les lecteur.rices et les spécialistes, la parole peut aussi être donnée aux critiques. C’est le cas tous les dimanches soirs dans Le Masque et la Plume sur France Inter : une véritable institution. Dans cette émission, Jérôme Garcin s’entoure de quatre critiques littéraires –Olivia de Lamberterie (Elle), Frédéric Beigbeder (Le Figaro Magazine), Michel Crépu (NRF), Arnaud Viviant (Transfuge) ou encore Nelly Kapriélian (Les Inrockuptibles)– qui commentent avec humour et aplomb les dernières sorties en librairie.

Donner la parole au texte

Harry Potter and The Sacred Text est un ovni sonore venu tout droit des États-Unis : une analyse littéraire (solide) de la saga Harry Potter chapitre par chapitre, livre par livre (ils en sont actuellement au livre 5). Le pari du podcast est de faire de Harry Potter de JK Rowling un « texte sacré », c’est-à-dire de le prendre assez au sérieux pour en interroger en profondeur les intrigues, la langue et les personnages. Dans chaque épisode on trouve : un résumé du chapitre étudié, une problématique articulée autour d’un grand concept (l’engagement, le regret, la honte…), une analyse linéaire, et enfin un pont entre le texte et l’actualité. Bref, une analyse de texte, et un bel hommage rendu au pouvoir de la fiction pour éclairer le monde contemporain.

Si vous êtes séduit.e par l’idée d’échanger entre passionné.e.s de Harry Potter tout en vous replongeant avec plaisir dans le texte, nous accueillons justement Vanessa Zoltan du podcast Harry Potter and The Sacred Text dans les locaux de Louie pour un événement spécial consacré au personnage d’Hermione, le 22 juin prochain.

Donner la parole aux idées

L’importance des livres dans les luttes féministes n’est plus à démontrer. Dans Le Deuxième Texte produit par Slate.fr, Aude Lorriaux, Nassira El Moaddem et Marie Kirschen décortiquent un livre féministe par épisode : à terme, l’ambition est de créer une boîte à outils de concepts féministes à partir de sa très riche littérature. Dans le premier épisode, elles parlent de Ma vie sur la route de Gloria Steinem, préfacé par Christiane Taubira dans sa traduction française, et s’interrogent sur le rapport entre féminisme et le voyage. Puis, la discussion s’ouvre une question plus générale pour se demander qui serait l'équivalente de Gloria Steinem en France ; qui pourrait incarner le féminisme français en 2019 ? Une discussion à plusieurs voix et un concept ambitieux qui rappellent avec force le pouvoir des livres et pourquoi les femmes qui lisent sont plus dangereuses que jamais.

Amel Almia et Maud Benakcha