Le podcast, petit plaisir pas si solitaire
/Il y a des choses qui se partagent, comme les repas, les histoires drôles ou les stylos du bureau. Et d’autres qui se partagent moins (les sous-vêtements et les mots de passe de nos blogs de l’an 2005, par exemple). Qu’en est-il des podcasts? Après tout, si on peut s’asseoir à deux, à trois ou à dix et regarder un film, pourquoi ne pas écouter des podcasts à plusieurs pendant deux heures?
Parce que, quand on dit «podcast», on imagine une personne seule avec son casque. Dans sa bulle, même au milieu de la foule. À écouter quelqu’un lui parler dans le creux de l’oreille. À vivre un moment d’intimité –ce concept clef sur lequel on revient si souvent.
On a eu envie de savoir à combien et avec qui vous écoutez vos podcasts, on a donc lancé un appel à témoignages sur les réseaux sociaux. Vous avez répondu nombreux.ses –et nous avons appris à mieux vous connaître. De ce que l’on a lu, vos pratiques d’écoute varient en fonction du lieu où vous vous trouvez. Si certain.e.s d’entre vous profitent d’être en compagnie de quelqu’un pour lancer un podcast, d’autres vont au contraire organiser la rencontre pour favoriser l’écoute à plusieurs. Du plaisir solitaire aux goûters d’écoute, petit tour d’horizon de vos habitudes auditives…
Les podcasts sur les chapeaux de roue
Le lieu d’écoute collective qui revient le plus, c’est la voiture. Que ce soit avec vos ami.e.s, votre famille ou de parfait.e.s inconnu.e.s au cours d’un covoiturage, les podcasts vous accompagnent lors de vos longs trajets en voiture.
Et si la radio a longtemps été le média de prédilection sur la route, le podcast offre de nombreux avantages. Votre écoute n’est plus contrainte par la grille, ce qui permet de réécouter des programmes radios en rattrapage, comme Maria, qui écoute souvent Par Jupiter ! (France Inter) et Sur les épaules de Darwin (France Inter) avec son chéri.
La route, c’est aussi l’occasion de gérer la lecture du podcast comme on le souhaite. «Il n'est pas rare qu'on mette en pause pour faire chacun notre commentaire en live, donner nos points de vue ou débattre un point difficile», nous explique Manu, qui écoute des podcasts avec sa compagne.
Certain.e.s d’entre vous vont même jusqu’à associer l’écoute d’un podcast particulier au fait de faire des longs trajets en voiture. C’est le cas de Marion et Romain, pour qui c’est devenu un rituel. «Nous n'écoutons jamais Transfert seul.e ou à la maison, nous faisons même des “réserves” d'épisodes pour quand nous aurons à prendre la voiture pour un trajet important.» Mais, contrairement à Manu, qui aime mettre en pause pour commenter ce qu’il entend, pour eux l’écoute est religieuse. «Nous sommes très studieux quand nous écoutons les épisodes de Transfert, pas de mise sur pause ni de discussions parasites. Nous écoutons.»
Gare cependant à ne pas vous mettre en danger sur la route! Lucie raconte: «On a écouté des podcasts France Culture sur la route, j'avoue que j'ai dû arrêter à un moment car ça me berçait, j'étais plongée dedans et ça commençait à être dangereux pour la route.»
À table!
L’autre moment que vous avez plébiscité pour vos écoutes à plusieurs, c’est celui du repas. Comme on regarde ses séries en mangeant, on peut consommer ses podcasts au moment du repas. Chez Thomas, c’est tous les mercredis soir. «Entre est devenu un rituel pendant le repas du mercredi soir (pas de télé en mangeant). C’était notre petit rendez-vous hebdomadaire en famille avec Justine, après une écoute préalable par mes soins.»
Et parfois, écouter en mangeant permet de gagner du temps: comme dans le cas de Lucie et sa camarade de road-trip en Sardaigne, que la découverte des fictions Sandra et Homecoming (de Gimlet Media) a plongé dans le binge-listening. «On a commencé dans la voiture; on a été complètement happées par le truc. À essayer de déceler les tenants et aboutissants des intrigues, à exprimer nos ressentis sur les personnages. Si bien qu'on les a binge-listenés les soirs en dessert, en s'enfilant un verre de rouge et une tablette de chocolat noir. C'était comme voir un film, en mieux.» Pareil pour Manu: le moment du repas vient compléter celui de l’écoute en voiture, «quand il n'y a pas de trajets de prévus, on se fait des sessions d'écoute à table».
Et aussi les podcasts au lit, en soirée...
Comme pour l’écoute individuelle, il semble que le podcast vous accompagne un peu partout. Plusieurs d’entre vous nous ont parlé des corvées de ménage faites ensemble ou des moments intimes, accompagnés d’un podcast. «Il m’arrive régulièrement d’en écouter avec ma copine, le soir avant que nous nous endormions», raconte Léo. Ou simplement allongé dans l’herbe, comme pour Coline lorsqu’elle a fait découvrir à son copain son podcast préféré. «J'en écoutais seule et m'étant trouvée une vraie passion pour Transfert j'en ai forcément parlé à tout le monde. J'ai voulu le faire découvrir à mon copain l'année dernière, on s'est posés dans l'herbe un écouteur chacun, et on a lancé l'histoire d'Hugo, le premier épisode, que je n'avais pas encore écouté mais dont je connaissais le potentiel. On ne s'est pas parlé, réagissant surtout par regards ou rires, dans une bulle au milieu de tout le monde. À la fin, on s'est échangés nos opinions, nos émotions, comme si on venait de le vivre ensemble.»
Et vous semblez être nombreux.ses à apprécier l’écoute à plusieurs des podcasts pour cette raison précisément: elle ouvre la voie à la discussion. «Je me souviens d’une superbe conversation que nous avons eue sur l’économie des monastères à la suite d’un épisode du podcast de Nouvelles Écoutes, Splash», souligne Léo. «Aussi, nous avons beaucoup échangé à propos des péripéties de Justine l’année dernière.» Et la force de ces conversations, il se l’explique par le fait de pouvoir échanger sur un sujet où il y a un socle commun de connaissances, grâce à l’écoute du podcast. Maria apprécie également cet enrichissement partagé: «on a l’impression d’apprendre des choses à deux, comme lorsqu’on regarde un documentaire ou que l’on fait des expos ensemble». Au-delà des connaissances communes, l’écoute à plusieurs crée un échange. «Ça crée un lien avec la personne, un souvenir commun en plus, une intimité ou un savoir partagé qui crée de la proximité», suggère Coline. Et comme on rit plus face à une comédie lorsque l’on est plusieurs, on peut ressentir les choses plus intensément lors des écoutes à plusieurs.
Pour les podcasts qui racontent des histoires tout particulièrement, le fait d’écouter à plusieurs lance des discussions. Léo: «Parfois les podcasts soulèvent de petites choses auxquelles nous n'aurions pas pensé si nous n'avions pas eu cette écoute en duo. Je pense à des petits souvenirs d'enfance que l'on pouvait se remémorer en écoutant Entre par exemple.» Et comme Léo, vous semblez être nombreux.ses à apprécier le fait de pouvoir connecter vos écoutes à votre vie, lors des écoutes à plusieurs. «Le podcast permet de faire pause là où on souhaite discuter d’un point précis, ou ajouter une anecdote personnelle à un endroit qui nous parle particulièrement», confirme Lucie.
L’institution : les écoutes publiques
Impossible de parler des écoutes à plusieurs sans s’intéresser à ces séances d’écoutes collectives, de plus en plus nombreuses, qu’elles fassent office d’avant-première avant la diffusion sur internet ou d’événement de lancement d’un nouveau podcast. Aux États-Unis, il existe même des clubs d’écoute de podcasts, sur le modèle des clubs littéraires. Chacun écoute de son côté et vient échanger régulièrement avec d’autres amoureux.ses du podcasts –on retrouve ce plaisir du partage après une écoute commune. Le New York Times a par exemple ouvert les portes de son club d’écoute de podcasts, autrefois réservé à ses seul.e.s employé.e.s. Un épisode est mis au programme de la semaine, accompagné de pistes de questionnements.
En France, ce sont les des goûters d’écoute d’Arte Radio qui ont ouvert la voie à cette pratique. Ces séances d’écoute collective existent depuis les débuts d’Arte Radio: «Le principe d’une séance d'écoute, c’est que c’est comme une séance de cinéma ou de théâtre: tu t’inscris, tu viens à l’heure, tu ne sors pas en plein milieu», nous explique Silvain Gire, directeur éditorial d’Arte Radio. Mais toute œuvre sonore ne se prête pas forcément à une écoute collective, selon lui: «Les podcasts d’Arte Radio sont des podcasts d’auteur, très élaborés, des œuvres de radio. Pour ceux-là, c’est agréable d’avoir une écoute collective. Les podcasts plus légers, plus conversationnels sont moins pertinents à plusieurs», nous explique Silvain Gire. «Les écoutes collectives devraient, à mon sens, être réservées à des œuvres avec une certaine densité, où il y a plusieurs niveaux de lecture, un gros travail sur le son, un récit vraiment passionnant.»
Et si les goûters d’écoute d’Arte Radio durent depuis si longtemps, c’est parce que le format en lui-même apporte quelque chose à l’expérience du podcast: «Les émotions sont multipliées. On se confronte, on peut en parler», détaille Silvain Gire. C’est d’ailleurs l’expérience qu’a faite Léo, lors d’une écoute collective au festival Longueurs d’ondes de Brest: «C'était une expérience très intéressante, il me semble que c'est quelque chose de très intérieur. Je me souviens avoir conservé le regard dans le vague pendant toute l'écoute. On est avec d'autres gens, on partage la même chose en même temps mais l'écoute est très personnelle. Cela mobilise beaucoup l’imagination.»
Pour Silvain Gire, les goûters d’Arte Radio servent aussi de moment d’interaction: «À chaque fois que l’auteur est disponible et à Paris, il vient sur scène avec moi après le programme et on dialogue, on prend quelques questions du public. Ça permet d’aller plus loin et c’est très intéressant pour le public de comprendre comment on fait des choix de réalisation pour un podcast ». Et si cette expérience est valorisante pour le public, elle l’est également pour l’auteur. «L’écoute collective ne pardonne pas. Elle fait ressortir les qualités et les défauts. Il arrive qu’après une avant-première, quand le son n’est pas encore en ligne, on refasse une journée de montage et on remonte le son. Non pas en fonction des réactions des gens, mais parce que leurs réactions nous ont éclairés sur ce qu’il faut faire ».
Seul.e ou mal accompagné.e ?
Mais sortir de l’intime n’est pas forcément au goût de tous les auditeurs et auditrices. Comme Lucie par exemple, qui «pense que l’écoute publique n’est pas si facile à appréhender car personnellement, je ne saurais où poser le regard, et je crains que les interactions –de regards, justement– sortent les auditeurs de l’immersion du podcast, du fil de la narration.»
Pour d’autres encore, ce type d’écoute est incompatible avec l’essence même du format. «Pour moi, l'intérêt du podcast c'est de pouvoir faire une autre activité en parallèle. S'assoir juste pour écouter, ça ne me correspond pas, à moins d'une mise en image appropriée au thème», explique Manu. Mais il ne serait pas contre le fait d’assister à l’enregistrement en public d’une émission. «Avoir la personne en visuel, voir ses réactions non verbales, ça donne des clefs supplémentaires. C'est comme un spectacle ou un concert, avec la réaction de la salle en prime et la possibilité (peut-être) d'interagir avec des séances de questions-réponses.»
Si les podcasts se prêtent ainsi aux écoutes collectives, c’est essentiellement parce que leur portabilité nous permet de choisir quand et avec qui les écouter. Cette même flexibilité donne aux podcasts un avantage sur la radio et en fait un médium à part.
Pour celles et ceux que les goûters d’écoute intéressent, ceux d’Arte Radio se passent à la Maison de la Poésie à Paris –et le prochain (le cinquantième!) aura lieu le 7 octobre.
Merci à vous de nous avoir répondu, de nous écouter et nous lire !
Alice Bouleau et Maureen Wilson