Qu'est-ce qu'une bonne musique de podcast?

Vous avez déjà eu le jingle de Serial, reconnaissable entre mille, dans la tête pendant plusieurs jours? Ou le sentiment de revenir en enfance dès les premières notes de Entre? Nous, oui. Mais seriez-vous en mesure de chantonner les moments musicaux qui surgissent, de temps à autre, au cours d'un épisode? Rien n'est moins sûr. La musique est un élément crucial de nos podcasts, elle permet de soutenir la voix, d'établir une atmosphère et une esthétique particulière, de ponctuer le récit, etc. Mais, comme le montre bien cet article du média musical Pitchfork, composer une bonne musique de podcast est un exercice beaucoup plus compliqué qu'on ne le croit, qui n'a pas grand chose à voir avec la création musicale ordinaire.

On a donc eu envie d'interroger Maxime Daoud, l'un des musiciens et compositeurs qui réalise la musique pour Transfert depuis le début. Il travaille par ailleurs sur plusieurs projets musicaux: Ojard (ojard.bandcamp.com), Rodolph (rodolph.bandcamp.com) et joue avec Forever Pavot, Adrien Soleiman. 
 

Comment imagines-tu la musique d'un épisode Transfert?

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«Je reçois d'abord un premier montage de l'épisode, qui n'est pas nécessairement une version définitive (mais presque) pour me donner une idée de l'histoire. Je propose ensuite un thème musical, qui dure entre dix et quinze secondes, et il y a des ajustements à faire parfois. Puis je place la musique à différents endroits du récit. Et on refait de nouveaux allers-retours pour voir si le montage convient, s'il faut rajouter de la musique à certains moments ou en retirer. Enfin, j'envoie les pistes séparées pour aller au mixage. Je travaille chez moi, sur ordinateur, avec le logiciel Ableton Live. J'utilise des sonorités qui sont dans le logiciel et que je traite, mais je fais aussi des prises extérieures avec de vrais instruments (des guitares, des basses, des synthétiseurs, des claviers, etc). Le temps que je mets à composer la musique dépend beaucoup des allers-retours, mais, en moyenne, il me faut une après-midi pour écrire un thème musical et commencer à le mettre en forme, et une autre bonne demi-journée de travail pour le montage.»
 

 

Comment écoutes-tu les épisodes de Transfert dont tu dois faire musique?

«Il y a plusieurs niveaux d'écoute. Il y a d'abord une écoute "naïve", comme si je consommais le podcast de façon classique. J'écoute l'histoire, j'écoute la personne qui parle pour percevoir l'émotion, l'ambiance générale. Vient ensuite une écoute plus technique, dans la perspective de construire une musique. À ce moment-là, j'écoute en premier ce qui a trait à la musicalité de la voix. La voix parlée est très musicale, dans sa tonalité, sa rythmicité, sa dynamique. Certaines sont calmes et monocordes, (sans dimension péjorative), assez stables finalement, et d'autres varient beaucoup plus, avec des exclamations, des changements de rythme... Je considère presque la voix parlée comme un instrument musical, comme si le récit était une longue mélodie qui se décline. C'est à partir de cela que j'essaie d'établir un accompagnement. J'écoute aussi évidemment ce qui est raconté. J'essaie de déterminer où l'histoire va, quels chemins elle emprunte, quels détours elle fait.»
 

Alors comment fais-tu concrètement pour composer une musique en accord avec une voix parlée?

«La première chose que je fais, c'est déterminer le débit de la voix. Je mets un métronome régulier et j'essaie plusieurs tempo pour voir ce que cela fait sur la voix. Et on se rend souvent compte qu'elle est presque en rythme, comme si on avait un tempo inconscient quand on s'exprime. Ensuite, j'établis approximativement sa tonalité. Quand on parle, les intervalles de notes sont assez réduits, donc j'essaie plusieurs thèmes pour voir ce qui sonne naturellement le mieux avec la voix. Je tente un La majeur, par exemple, et si ça ne va pas, j'essaie un autre accord. Je travaille aussi sur les timbres. Une voix peut être nasillarde, épaisses, fine, etc. Je recherche une complémentarité entre la musique et le timbre de la personne qui parle. Si la voix est très médium et très pleine au centre, je vais plutôt l'habiller par le haut (aigu) et par le bas (grave) pour ne pas créer de redondance sonore. Inversement, si elle est fine et perchée, je vais lui faire un petit fauteuil pour qu'elle puisse être installée dessus. Tout cela contribue à l'équilibre et à l'harmonie sonore de l'épisode.»
 

As-tu une méthode de composition musicale pour le podcast?

«L'idée générale est de ne pas entacher le propos et la narration de la personne qui parle en plaquant mon intention et mes émotions à moi. Il s'agit de soutenir le propos, pas de l'effacer. Quand la musique accentue trop un élément, ça devient lourd alors que la voix seule ne l'était pas. J'essaie de composer un thème musical équilibré d'une quinzaine de secondes, avec un certain nombre d'éléments qui peuvent être déclinés tout au long de l'épisode et qui, isolés ou utilisés dans d'autres configurations, vont pouvoir soutenir des moments très variés. Même si l'épisode est très triste, la musique ne le sera pas du début à la fin, parce qu'il y a toujours des nuances dans le propos, des variations dans les émotions, ce n'est jamais uniforme. Il faut donc qu'il y ait assez de ressources dans la composition. Je réutilise souvent un élément rythmique de l'arrangement initial dans les moments tendus, quand il y a de l'action ou du suspens. Dans des moments plus nostalgiques, j'utilise davantage d'harmoniques, de mélodies, d'éléments sonores ouverts. Pour les premiers Transfert, j'avais proposé plusieurs thèmes, comme pour chapitrer l'épisode avec des musiques différentes. Mais cela faisait trop de variations, et le récit était brouillé. On s'est mis d'accord avec Mélissa et Charlotte pour qu'il y ait davantage de cohérence générale dans la musique avec un thème principal. C'est une méthode qui s'est construite empiriquement et subjectivement, mais j'ai l'impression que ça marche mieux comme ça.»
 

Qu'est-ce qu'une bonne musique de podcast selon toi?

«Une bonne musique de podcast doit être en adéquation avec l'esthétique et la ligne éditoriale du podcast lui-même. Avec Transfert par exemple, on est sur quelque chose d'intimiste et de personnel où les gens parlent dans un contexte assez confiné et calme. La musique doit épouser cette ambiance. Une bonne musique de podcast doit aussi soutenir le récit sans l'écraser, le surcharger ou le mettre au second plan. Elle doit se faire suffisamment discrète tout en apportant du relief et du décor à certains moments. C'est une sorte de présence absente.»
 

Tu fais de la musique par ailleurs. Quelle est la différence entre composer de la musique en général, et de la musique pour podcasts?

«C'est très différent. D'un côté, c'est une démarche personnelle quand je compose pour mes projets: je suis mes envies, mes intentions, je détermine ce que je veux faire et la manière dont je veux le faire. Pour Transfert, je m'adapte, j'essaie de servir une ligne éditoriale et un projet culturel qui me dépasse. Il ne faut pas confondre les deux. En revanche, il y a nécessairement des intrications et des sources d'inspiration diverses. Personnellement, je vois la création musicale comme quelque chose d'un peu total et sans clivages véritables.»
 

Est-ce que composer de la musique uniquement pour des podcasts peut être un véritable métier, selon toi?

«Oui, pourquoi pas? À condition que le marché soit suffisamment développé pour ça. Aux États-Unis par exemple, avec des grosses émissions comme This American Life, je suis sûr que certaines personnes ne font que ça. Personnellement, j'ai besoin de faire des choses différentes et je considère que la diversité et l'ouverture sont bonnes pour la création en général. Cela crée des frictions assez intéressantes, alors que la spécialisation dans un domaine peut instaurer un certain nombre de normes qui contraignent l'inspiration et la créativité.»

 

Propos recueillis par Elie Olivennes

Crédit photo: Anne Moyal.