Podcast? Poulet? Poulcast?

Aujourd’hui, on va vous parler de volaille. De poule, de coq et d’œuf pour être précis. Oui, oui (vous étiez tous à la campagne cette semaine). Parce que le podcast est une forme encore naissante bénéficiant d’une liberté extraordinaire et d’une multitude de possibilités vocales, sonores ou encore thématiques, de plus en plus de créateur.trice.s essaient, innovent, expérimentent. Et il faut avouer que ces expérimentations flirtent parfois avec l’étrange et le déconcertant. C’est de cette catégorie un peu particulière que l’on aimerait vous parler aujourd’hui à partir de trois exemples de podcasts assez différents. Et le poulet est une thématique assez abordée dans certains podcasts... ou pointus ou bizarres. En tout cas dans les trois que l’on a choisis pour cette newsletter.

Vous le verrez, le caractère incongru de certaines émissions ne se réduit pas à un simple étonnement distant, à un lever de sourcil dubitatif, ou à une duck face (du poulet au canard, il n’y a qu’un pas) flegmatique! Au contraire, il suscite parfois le sentiment d’une diversité inhérente à la forme-même du podcast, terrain d’exploration riche et inépuisable… bien qu’incongru.

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Quand le podcast est à la fois bizarre et super cool, ça donne: 

Hello from the magic tavern

Ce podcast anglophone est juste génial. En plus d’être drôle et divertissant, il compte un bon nombre de bizarreries. Chaque épisode dure entre 30 minutes et une heure, et commence avec un rappel de ce qu’il est arrivé à l’animateur, Arnie, juste avant de commencer l’émission. Arnie est passé à travers un portail dimensionnel magique qui se situait à l’arrière d’un Burger King de Chicago, et s’est retrouvé dans une étrange contrée du nom de «Foon».

Par un miracle inexplicable, il continue de capter un signal Wi-Fi faible et peut donc diffuser un podcast hebdomadaire enregistré dans la taverne du Vermilion Minotaur où il interviewe et discute avec de drôles de monstres, des sorciers obsessionnels, des aventuriers pas très courageux, etc. Une galerie de personnages loufoques défile dans une ambiance de taverne recréée simplement par des crépitements de feu de bois, des tintements de chopes qui trinquent et quelques rires aux éclats en fond sonore. Pour les amateur.trice.s de jeux de rôle, les fans d’Heroic fantasy, ou les amoureu.se.s de Tolkien, ce podcast est pour vous!

On vous recommande tout particulièrement l’épisode 2 où il est question d’un certain voyageur, Tom, héritier du trône ayant délaissé son habit princier pour celui d’acteur dans la fameuse troupe des «Cock Ticklers», en Français les «Chatouilleurs de ...». Nulle obscénité ici, puisqu’il s’agit bien de poulet, ou plutôt de coq, bien sûr, que les comédiens viennent titiller sur scène! Bref, vous l’aurez compris, ce podcast marie à merveille l’humour le plus subtil et les blagues grivoises, dans un talk fictif assez déroutant auquel on s’habitue au bout de quelques minutes.

Kesskonnatan (pour être heureux)

Ce podcast francophone du studio Le Poste Général, est composé d’épisodes de moins de 5 minutes qui sont de petites pastilles sonores complètement barrées. Le principe est le même à chaque fois: une blague, une chanson, une recette de cuisine facile. Sauf que –et c’est là ce qui rend cette émission on ne peut plus bizarre– toutes les voix sont artificielles. Comme celle de Siri, ou lorsque vous utilisez un traducteur sur internet et que vous cliquez sur «Prononcer». Le son est de bonne qualité et le montage dynamique, mais non dépourvu d’un certain sens de l’absurde. En effet, il imite un poste de radio qui passerait d’un canal à l’autre rapidement et sans souci de cohérence. Le tout donne un effet assez expérimental et original.

Dans cet épisode par exemple, vous entendez un robot vous raconter la blague du cheval qui va à la boulangerie, chanter «L’Amour A La Plage» de Niagara, et vous apprendre à faire de bons œufs au plat. Et on retrouve notre thématique du poulet! Hum, simple coïncidence?

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The Urban Chicken podcast

Alors là, vous êtes servi.e.s. Ce podcast est animé par Jen Pitino qui se définit comme une «chicken enthusiast». Il nous a été recommandé sur Twitter et nous a immédiatement plu. Tout, absolument tout, ce qu’il faut savoir sur le poulet y est consigné, analysé, discuté. Vous avez toujours rêvé de maîtriser l’art du poulailler? Écoutez l’épisode 7. Les poux et les acariens trouvent un refuge chaleureux sur les plumes de vos poules et vous ne savez pas comment vous en débarrasser? L’épisode 14 est fait pour vous. Comment pomponner ses poules pour les présenter à un concours de beauté? L’épisode 53 vous donne toutes les clefs pour réussir. Pris au sérieux ou non, il faut reconnaître que ce podcast est tout simplement incongru, tant la thématique générale est précise, les sujets des épisodes variés (alors qu’ils parlent tous du poulet!), et la musique du générique… étonnamment entraînante.

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Et comme le patriarcat n’a pas épargné le domaine de la volaille, on vous recommande particulièrement l’épisode 2, intitulé  «The Feminist's Chicken!», où il est question de Nettie Metcalfa. Cette remarquable éleveuse de poulets américaine est la seule femme de l’Histoire à avoir créé une race unique de poule officiellement reconnue par l'Association Américaine de la Volaille.

Elie Olivennes

Comment faire le meilleur son de podcast?

Depuis la sortie, en février dernier, du service en ligne Anchor 3.0 qui propose tout une batterie de fonctionnalités pour la création sonore, chacun peut prendre goût au podcast et en réaliser un. Plus besoin du dernier micro Sennheiser ou Neumann ultra-sensible, ni d'un studio high-tech parfaitement insonorisé! Bon, il est vrai que le podcast ne faisait pas pour autant figure de produit très sophistiqué et technique aux yeux de tou.te.s, mais peut-être semblait-il encore hors de portée pour certain.e.s.

Cette accessibilité accrue à la création sonore se vérifie en effet par le nombre de sorties de plus en plus important de podcasts –on a dépassé les 50 milliards d'écoutes et de téléchargements depuis 2005 sur Apple. Les podcasts indépendants font avancer le médium, l'enrichissent de nouvelles idées de formats, de sons, de voix, d'histoires. Mais il est important également d'avoir une attention particulière à la qualité du son. Or, rien de mieux pour cela que de s'en remettre aux mains d'un.e professionnel.le. On est donc allé interviewer l'un de nos ingénieurs du son, Jean-Baptiste Aubonnet, pour qu'il vous parle de l'importance de son métier, et surtout, de qualité de son en podcast.

Qu'est-ce qu'une bonne prise de son pour un podcast?

J.-B. A.: «C'est au moment de la prise de son que la majorité des choix sont faits, ne serait-ce que la distance entre le micro et la personne interviewée. Plus il est proche, plus l'environnement autour sera loin. Pour la prise de son, ce sont toujours les mêmes conseils: être le plus proche possible de la voix, essayer de se mettre dans un environnement dans lequel il n'y a pas trop d'acoustique, ni trop de bruits parasites, que ce soit une fenêtre qui donne sur un boulevard ou un frigo qui fait du bruit, par exemple. Chaque élément sonore que l'on a autour de soi peut être un parasite. L'idée c'est de trouver un endroit où on les réduit au maximum.

Dans l'idéal, quand on fait de la prise de voix en studio, on change de micro parce que certains vont mieux marcher sur certaines voix. Mais, au final, la référence est toujours la même: les oreilles. On se sert de ses oreilles pour écouter ce que l'on enregistre, et ensuite, avec la chaîne des outils de prise de son (le micro, le pré-ampli et l'enregistreur), on essaie d'avoir un grain et un rendu qui corresponde le plus possible à la réalité entendue. Personnellement, dans le cadre des voix, j'essaie d'avoir un rendu le plus naturaliste possible.»
 

Tu te charges aussi du mixage. Qu'est-ce que c'est?

«Le mixage vient après la prise de son. On travaille plutôt sur le ressenti que va amener la voix. On essaie de trouver le timbre le plus naturel possible, tout en étant le plus agréable. Si une voix est un petit peu agressive, on va calmer les aigus pour l'adoucir. Au contraire, si une voix a beaucoup trop de coffre, de caisse, donc de fréquences basses, on va les calmer un petit peu aussi pour que la voix soit entendue le mieux possible.

Il y a des zones de fréquences que l'on va également augmenter pour améliorer ce que l'on appelle l'intelligibilité. Ce facteur est très important car on ne sait pas sur quoi le produit final va être écouté: sur un casque iPhone, sur des écouteurs vraiment mauvais, ou sur une paire d'enceintes à 20.000 euros. Il s'agit d'essayer de trouver le grain sonore qui va amener le même ressenti, quel que soit le support ou même le lieu d'écoute, dans un salon très calme, ou dans le métro. C'est un jeu d'équilibriste puisqu'il faut aussi garder l'identité sonore de la personne qui parle. Dans le grain d'une voix, déjà énormément de choses se disent et se racontent.

Quand je fais le mixage, je n'ai pas d'influence sur ce qui est dit, j'ai une influence sur la manière dont on l'entend. Imaginons une œuvre visuelle, quelle qu'elle soit, un tableau ou un dessin. Sans mixage ou avec un mauvais ingénieur du son, c'est comme si cette œuvre était exposée dans une cave mal éclairée. Si je fais bien mon métier, cette œuvre est alors parfaitement éclairée, accrochée dans une galerie, bien encadrée et mise en valeur.»
 

Nos oreilles à nous, auditeurs lambda, sont-elles assez sensibles pour entendre la différence entre une bonne et une mauvaise prise de son, un podcast mixé ou pas?

«Sincèrement je pense que oui. Nos oreilles sont ultra éduquées, surtout à la voix enregistrée et microphonée, et particulièrement en France avec une tradition radiophonique assez forte. De base, l'oreille humaine est un sens assez étrange, dont on n'a pas forcément conscience puisqu'il est constamment allumé, en route. L'ouïe ne s'arrête jamais. Il suffit de fermer les yeux pour prendre conscience du fait que l'on voit. Au contraire, on entend absolument tout le temps. Cela ne rend pas forcément l'ouïe éduquée. Mais du moins, on emmagasine de la mémoire auditive non-stop, même quand on dort, ce qui la rend sensible à de plus en plus de sons.

Ce qui est intéressant, c'est que la voix enregistrée, notamment la voix radiophonique, n'est pas une voix que l'on a l'habitude d'entendre dans la réalité, puisque c'est comme si quelqu'un nous parlait de manière très proche, au creux de l'oreille. On rentre dans une intimité. La bonne qualité de prise de voix, c'est ce réalisme, mais aussi l'effet que cela va avoir sur nous en termes d'intimité. Pour les podcasts, une bonne qualité de son, c'est quand la voix réussit à créer ce rapport-là d'intimité, comme si une personne te racontait une histoire à toi, et uniquement à toi. Et on sent quand ça marche et quand ça ne marche pas.»


N'y a-t-il qu'une seule bonne qualité de son en podcast?

«La bonne qualité sonore dépend fortement de ce que l'on veut raconter. On peut très bien avoir un rapport un peu plus éloigné à la voix, mais qui est ultra réaliste parce que la voix est ancrée dans un environnement sonore qui nous parle (on entend les voitures passer dehors, la machine à café qui coule...). Là, c'est moins un rapport à l'intime qu'un rapport au réel qui est engagé.

La voix telle qu'on l'a travaillée dans les podcasts de Louie Media est légèrement différente du rapport radiophonique. Typiquement un Transfert, ce n'est pas une voix au creux de l'oreille qui vient effleurer le tympan, mais ce n'est pas une voix très éloignée non plus. On a plutôt l'impression que la personne est en face de nous, que l'on est capable de la regarder dans les yeux. C'est en tout cas l'imagerie que je m'en fais. C'est intéressant parce qu'au final, on est presque plus naturel que la radio, qui serait plutôt naturaliste, et pourtant, on est détaché du réel au sens où la voix est isolée du reste de l'environnement sonore. On se retrouve avec une personne qui nous raconte son histoire à nous auditeurs, sans que l'on prenne en compte l'endroit où la personne se trouve. Transfert, c'est une confession. Il faut donc garder cette proximité et cet isolement.»


Qu'est-ce qu'on peut faire pour améliorer la qualité de notre son?

«En terme de qualité de son, on peut toujours faire mieux. Avoir un micro et un enregistrement encore plus cher, qui font passer moins de souffle, qui rendent un grain de voix encore plus plein. Mais ce ne serait pas fondamentalement différent. Donc je pense que sur Entre et Transfert, on pourrait difficilement faire vraiment beaucoup mieux. Mais ce qui est intéressant, c'est qu'il faut que l'on aille ailleurs, sur d'autres formats, sur des rapports différents au produit audio. Il y a plein d'autres voies qui peuvent être explorées. C'est là que l'on va découvrir de nouveaux challenges.»

Propos recueillis par Elie Olivennes

Les podcasts peuvent-ils sauver Hollywood?

Come Sunday, nouveau film sorti sur Netflix en ce mois d’avril, pourrait être une production comme une autre –un récit inspiré d’une histoire vraie, incarné par des stars américaines, Chiwetel Ejiofor, Danny Glover, Martin Sheen... Mais c’est aussi un film d’un genre nouveau: les adaptations de podcasts.

Avant d’être une production hollywoodienne, Come Sunday était un épisode de 2005 de l’émission This American Life, intitulé «Heretics», produit par Ira Glass et Alissa Shipp. Et si ce genre d’adaptations n’est pas intrinsèquement nouveau, il se développe à toute allure aujourd’hui: ABC vient de sortir sa série Alex Inc, adaptée du podcast Start Up, d’Alex Blumberg; HBO a adapté 2 Dope Queens et d’autres projets sont en cours, notamment Dirty John, S-Town

Une nouvelle manne de spectateurs

Pour The Economist, qui analysait fin 2017 l’adaptation du podcast Lore (podcast d’histoires vraies qui font peur, racontées comme autour d’un feu de camp), «le fait qu’un humble podcast puisse appâter des dirigeants de chaînes de télé est la preuve que le média podcast est à son zénith». Citant une enquête d’Edison Research estimant que 67 millions d’Américains de plus de 12 ans écoutaient alors des podcasts mensuellement (le chiffre dépasse désormais les 73 millions) et que 42 millions en écoutaient toutes les semaines (48 millions aujourd’hui), l’hebdomadaire relevait qu’il s’agissait-là d’un chiffre 4 fois supérieur au nombre de personnes se rendant au cinéma toutes les semaines.

Lorsque les magnats du cinéma ou de la télévision écoutent des podcasts, ils voient évidemment une manne de spectateurs potentiels pour leurs productions. Et une manière de limiter les risques d’échec. À la sortie de Come Sunday, Ira Glass, créateur de This American Life expliquait au Hollywood Reporter: «Les podcasts génèrent un lien extrêmement fort entre une émission donnée et sa communauté d’auditeurs», notant que cela créait un public fidèle facilement convertible aux adaptations télé ou ciné. L’épisode de This American Life adapté par Netflix avait été écouté par 4,5 millions de personnes. Le podcast Lore est suivi selon The Economist par 5 millions de personnes par mois: de quoi assurer une communauté solide de spectateurs au moment de la sortie.

Face à la déprime

Mais les écrans pourraient peut-être voir autre chose dans les podcasts. Prequels après sequels, après blockbusters, une critique lancinante a émergé: Hollywood pue. Une mauvaise odeur se répand, de manque de créativité, parfum fétide de la lassitude et de la recherche de profits faciles. «Hollywood est en pleine déprime créative», pouvait-on lire dans le The Hollywood Reporter en 2016. Un constat qui ne cesse d’être répété, au moins depuis le début des années 2000: le refus de prendre des risques conduit au ramollissement intellectuel et artistique du cinéma américain.

À l’inverse, l’industrie des podcasts est perçue aujourd’hui comme extrêmement créative et innovante. Dans son roman graphique Out on the Wire, la bédéiste Jessica Abel présentait d’ailleurs la narration sonore aujourd'hui comme «le terrain le plus fertile pour la non-fiction narrative dans les médias anglo-saxons». Et en fiction –bien que la fiction audio existe depuis que l’audio existe–, de nouveaux codes sont à inventer pour susciter des mondes aussi crédibles et vivants que ce à quoi les fictions visuelles nous ont habitué.e.s. Elie Horowitz, co-scénariste de Homecoming, podcast de fiction de Gimlet Media bientôt adapté par Sam Esmail (Mr Robot) pour Amazon avec Julia Roberts confiait d’ailleurs, «en audio, certaines choses sont plus compliquées, créer un cadre, faire comprendre qui parle, donner une texture à chaque scène… Ces contraintes apparaissent d’abord comme des obstacles ou des limites: des corvées à subir. Mais nous progressons sans cesse dans notre capacité à nous en servir comme des tremplins créatifs».

Étant encore loin de brasser autant d’argent que les industries des écrans, l’industrie du podcast est aussi beaucoup plus libre, moins soumise aux impératifs de rentabilité; elle est aussi encore «cool» comme l’expliquait Zach Braff, qui joue le rôle d’Alex Blumberg dans Alex Inc.

Paradoxalement, cette vague d’adaptations de podcasts pourrait permettre un renouveau créatif à l’écran. S’il n’est pas encore flagrant (les titres cités ne brillent pas par l’originalité de leur transposition filmique), les réalisateurs, en piochant dedans, pourraient bien se confronter à cette ébullition et en bénéficier. Les règles sont à écrire: comment transposer le son en image? Comment inventer le regard qui correspond à l’oreille?

Sans compter que le cheminement inverse des adaptations est en train de s’insinuer. Plusieurs boîtes de production de podcasts américaines nous ont fait remarquer qu’elles discutaient avec des boîtes de productions de films de la possibilité de tester en podcasts des scénarios que ces dernières n’osaient passer directement à l’écran. Si produire un podcast de grande qualité coûte cher, cela coûte toujours moins cher que de mettre Brad Pitt et Jennifer Lawrence dans une pièce avec une caméra braquée sur eux. Produire un podcast «test» est une nouvelle option pour s’aventurer sur de nouveaux terrains, explorer de nouvelles histoires, de nouvelles manières de raconter.


C.P.

Quels modèles économiques pour le podcast aujourd'hui?

Nous avons lancé mardi une campagne de financement participatif! Autant vous dire que pour les 40 prochains jours, vous allez voir passer un sacré nombre de postes sur les réseaux sociaux, à base de «PARTICIPEZZZ ✨⚡️💥🔥🌪🌈☀️❤️💛🤘» (Et effectivement, n'hésitez pas à participer 😏). Alors nous nous sommes dit que la moindre des choses était d'expliquer à quoi cet argent allait nous servir. À financer:

  • Les journalistes, qui cherchent avec intelligence et attention des histoires fortes et pertinentes, susceptibles de vous attendrir, de vous émouvoir, de vous enthousiasmer.

  • Les artistes qui composent nos musiques et dessinent nos illustrations.

  • Le matériel dont nous nous servons et les studios dans lesquels nous enregistrons pour vous faire entendre des voix toujours plus intimistes.

  • Les ingénieurs du son qui apportent leur extrême méticulosité à nos projets pour qu'ils sonnent le mieux possible.

  • Et le temps de production qu'il faut pour mener tous ces projets à bien.

Il s'agit aussi bien sûr de vous faire contribuer au développement de Louie! Mais c'est également un enjeu financier. Ce crowdfunding était l'occasion parfaite de se pencher sur le modèle économique du podcast. Nous avons donc interrogé trois acteurs français majeurs de ce milieu: Joël Ronez, cofondateur de Binge Audio; Julien Neuville, cofondateur de Nouvelles Écoutes; Candice Marchal, cofondatrice de BoxSons.
 

Quel est votre modèle économique aujourd'hui?

Joël Ronez, de Binge Audio:
«Notre modèle est aujourd'hui fondé sur la publicité et le brand content d'une part, et la production déléguée d'autre part. La publicité, c'est du sponsoring qui vient sur nos programmes. Pour le brand content, on travaille avec des clients comme Disney, Universal Pictures dans le domaine du cinéma; avec Médecins sans frontières, l'Université Paris-Saclay, la mairie de Paris dans le secteur public... La production déléguée, c'est la production de programmes que nous faisons pour le compte de diffuseurs ou de médias tiers. C'est ce qui forme la majorité de nos revenus aujourd'hui. On fait aussi de la production exécutive, de la prestation et du conseil, notamment dans le secteur des enceintes connectées. D'ici deux ans, s'ajoutera à notre modèle actuel une partie freemium: les auditeurs pourront souscrire à une partie payante qui donnera accès à un certain nombre de contenus additionnels à valeur ajoutée.»

Julien Neuville, de Nouvelles Écoutes:
«C'est un modèle économique traditionnel dans le milieu du podcast, anglophone ou français. Il est fondé sur la publicité dans les programmes que l'on produit nous-mêmes et sur les contenus que l'on peut réaliser avec et pour des clients privés, qu'il s'agisse d'organisations, d'entreprises, de clubs de foot...»

Candice Marchal, de BoxSons:
«On a un modèle économique payant qui fonctionne par abonnement. Pas de publicité, et pas d'argent industriel. Nous sommes parties avec un capital de base constitué de fonds propres et de fonds amicaux, auquel s'est ajouté l'argent collecté grâce au crowdfunding.» 
 

Binge Audio, modèle freemium d'ici deux ans. Nouvelles Écoutes, gratuit. BoxSons, payant. Pourquoi ce choix?

Joël Ronez:
«Nous ajouterons ce modèle freemium pour disposer d’un lien direct avec nos auditeurs, et notamment pouvoir s’obliger à produire des contenus haut de gamme qui correspondent à leur demande. Cela nous permettra aussi de disposer de données statistiques fiables et utiles au pilotage éditorial.»

Julien Neuville:
«C'est un débat perpétuel dans les médias. En ce qui nous concerne, c'est un choix personnel. On ne veut pas sélectionner notre audience en fonction de ses revenus et de son pouvoir d'achat. J'entends aussi les arguments selon lesquels il faut payer pour avoir de l'information. Je pense que c'est bien d'avoir un peu de tout. Si tout le monde avait des régimes payants, cela ferait des notes de fin de mois colossales pour ceux qui sont abonnés à plusieurs programmes.»

Candice Marchal:
«D'abord parce que l'information a un coût. Nous, on fait du reportage, c'est ce qui nous distingue, même si on a quelques sections qui sont davantage de l'ordre du podcast, comme ce que fait Pascale Clark le dimanche [Un Bien Beau Brouhaha]. Il était hors de question pour nous d'un point de vue déontologique de mettre de la publicité, ou d'avoir des actionnaires qui aujourd'hui ont des participations dans toutes les boîtes.»
 

Avez-vous constaté un changement sur le plan économique depuis votre lancement?

Joël Ronez:
«On a fondé Binge Audio sur la base d'une analyse du marché et d'une intuition qui s'est révélée payante. Pour l'instant, les hypothèses que l'on avait formulées se sont vérifiées. Ce que l'on a constaté cependant depuis janvier, c'est une accélération brutale de la demande de la part des marques, des médias et des annonceurs. Pour vous donner un ordre d'idées, sur le premier trimestre de 2018, on a fait le chiffre d'affaire de toute l'année 2017.»

Julien Neuville:
«Oui, bien sûr. De plus en plus d'annonceurs comprennent la valeur d'une audience moins large, dans le podcast, mais beaucoup plus engagée et beaucoup plus fidèle. Il y a beaucoup plus d'annonceurs qui sont intéressés par l'audio en général, qu'il s'agisse des podcasts ou du développement des smart speakers.»

Candice Marchal:
«Nous sommes les seuls à faire payer pour du son. Je n'ai pas vu d'autres acteurs sur le marché qui le font. Donc ce changement, je ne le constate pas du tout. En ce qui concerne l'économie liée à la publicité, il faut s'adresser à ceux qui en font parce que je ne saurais dire s'ils ont plus de partenaires commerciaux. Quant à nous, nous n'avons pas changé de stratégie économique depuis notre lancement.»
 

L'avenir économique du podcast est-il assuré?

Joël Ronez:
«On ne peut pas dire qu'il y ait un avenir économique certain pour le podcast. Un avenir est assuré aux entreprises qui savent tirer leur épingle du jeu dans un environnement. Tout dépend de votre stratégie et des talents que vous faites travailler. En revanche, ce qui est sûr, c'est que le secteur de l'audio numérique est en plein boum et va continuer à progresser de manière importante. Chez Binge Audio, nous sommes assez confiants sur la suite des événements. Maintenant, ce que l'on appelle “podcast” aujourd'hui deviendra de l'audio parlé non-linéaire qui prendra de multiples formes.»

Julien Neuville:
«On ne peut jamais dire que c'est assuré, on dépend beaucoup des aléas du marché. Dans les médias ou dans le domaine des services, il faut à chaque fois aller chercher un client. Cela demande beaucoup de ressources humaines et financières pour chaque contrat. Le podcast se propage petit à petit auprès des grands décisionnaires et des grandes boîtes, mais également auprès des plus petites start-up. Je pense d'ailleurs qu'il est encore plus intéressant de miser sur ces petites structures. Ce sont des noms un peu moins connus, mais elles font beaucoup de business en ligne. Il s'agit de grandir avec eux, plutôt que d'attendre que les grands groupes se tournent vers nous.»

Candice Marchal:
«Le podcast existe en France depuis très longtemps, sous diverses formes, qu'il s'agisse des fameux replays de Radio France, de radios privées, ou de podcasts amateurs. Il est vrai que depuis un an, il y a une offre de podcasts qui se professionnalise un peu. On en est aux prémisses je pense, mais j'ose imaginer qu'à l'instar des médias papier traditionnels qui se sont mis au net, l'évolution va se faire. C'est une alternative de plus pour les auditeurs. Il s'agit d'essayer de toucher le plus de monde possible, même si les gens ne savent pas encore très bien ni ce qu'est un podcast, ni où en trouver.»
 

En fonction de ces évolutions, envisagez-vous de changer votre stratégie économique?

Joël Ronez:
«J'ai une maxime qui dit : "Il faut avoir une stratégie très ferme et établie, mais en changer tout le temps”. C'est sûr que l'on adapte toujours sa stratégie aux événements du marché et à la façon dont les dynamiques créatives, techniques et économiques se déploient. On ne peut pas décider que le marché sera comme ceci ou comme cela, donc on changera ce qui doit être changé. Ce qu'on ne changera pas, c'est l'envie d'être un média, donc d'être un producteur, un éditeur et un diffuseur de contenus.»

Julien Neuville:
«Tout se passe comme c'était plus ou moins prévu, au moins en termes organisationnels. On met d'abord l'accent sur les équipes de production et de création. C'est la priorité pour nous. On arrive dans un second temps aujourd'hui où, avec notre chiffre d'affaire qui grandit, on a besoin de structurer nos efforts commerciaux. Mais pour l'instant, il s'agit pour nous de rester une boîte à taille humaine, très petite, agile et flexible. Il s'agit d'être à la fois performant et pertinent pour tenter d'être les meilleurs sur chaque domaine. On est quand même au début de quelque chose. Les marques ne savent pas encore ce qu'elles veulent, il n'y a pas de règles véritablement établies. Donc on essaie de faire du sur-mesure.»

Candice Marchal:
«Non, nous ne ferons pas de publicité et nous agirons sans partenaires industriels. C'est une question de déontologie qui est vraiment très importante pour nous. On a évidemment beaucoup de confrères ou consœurs qui travaillent dans des médias possédés par des grands groupes où il y a pléthore de publicité, et on ne doute pas un instant de leur indépendance. Simplement, il y a toujours un soupçon qui vient des auditeurs, des lecteurs, des téléspectateurs. Cette défiance qu'il y a à l'égard des journalistes aujourd'hui, nous voulons la réduire en montrant que nous sommes totalement indépendants.»


Avez-vous fait un crowdfunding? Selon vous, pourquoi est-ce important pour un studio de production de podcasts?

Joël Ronez:
«On a fait un crowdfunding il y a un an et demi. C'est intéressant dans un processus initial d'amorçage pour trois raisons. D'abord, c'est un moyen important pour structurer et rassembler une communauté autour d'un objectif et d'une offre. C'est aussi une façon de se forcer à structurer un discours, une manière de communiquer et puis une offre auprès d'un public. Enfin, c'est un moyen de récupérer de l'argent qui vous permet de financer vos développements, et c'est quand même le principal.»

Julien Neuville:
«On a lancé notre crowdfunding quand on devait avoir quatre ou cinq mois. C'était important au début pour ne pas faire immédiatement rentrer des actionnaires externes qui n'auraient pas la même vision que nous ou que celle de l'audience. Cela importait aussi pour nous parce que l'on est gratuit, on l'a toujours été et on le sera toujours : il faut avoir les fonds nécessaires afin de produire ce que l'on a envie de produire. Cela permettait également de montrer qui on était, quelle était l'image de la boîte, et cela a donné aux internautes et auditeurs la possibilité de faire partie de notre développement. C'était l'occasion de montrer notre projet et d'évaluer ce que l'audience pouvait en penser. Si on n'avait pas réussi, on aurait compris qu'il aurait peut-être fallu changer des choses. Pour nous, cela a été positif, donc comme une première validation et confirmation que l'on allait dans la bonne direction.»

Candice Marchal:
«Nous avons fait un crowdfunding il y a un peu plus d'un an, en novembre 2016. On a récupéré 50.000 euros. C'était important pour fidéliser les gens et évaluer l’appétence que l'audience pouvait avoir pour un média alternatif comme BoxSons.»

Propos recueillis par Elie Olivennes

💡Pour participer au développement de Louie et faire émerger de nouveaux podcasts, vous pouvez contribuer ou partager notre campagne Ulule: Louie va vous faire entendre des voix.

Comment le podcast est-il entré dans votre vie?

À chaque fois qu’on parle de podcasts avec quelqu’un, on a l’impression qu’il se passe quelque chose de spécial, qu’un lien nous unit. On a le sentiment de faire partie de la même communauté, de se comprendre mieux et de partager un point commun très fort. C’est peut-être ça aussi, écouter des podcasts: faire partie d’un collectif de passionné.e.s. C'est pourquoi nous vous avons proposé un court sondage à vous, auditeurs.trices. Et c'est avec joie que nous avons reçu et lu toutes vos réponses. Certaines nous ont intrigués, d'autres épatés, d'autres encore émus par leur simplicité. Il faut préciser que ce questionnaire, loin d'être exhaustif, n'a pas été soumis à une partie représentative de la population. Notre seul objectif est de faire parler ceux qui, d'habitude, écoutent.

Théodore, 25 ans, en a fait un rituel : «J'écoute des podcasts parce que j'aime leur ambiance, parce qu'ils traitent de sujets qui m'intéressent [...] J'apprécie ce format parce qu'il me permet d'écouter des choses intéressantes facilement, en particulier dans les moments où je suis occupé par une activité qui ne demande pas beaucoup de concentration (quand je fais la cuisine, ou du rangement...). J'écoute aussi quasi systématiquement des podcasts avant de m'endormir parce que c'est une activité qui peut se pratiquer allongé et les yeux fermés.»

«J'aime ces capsules consacrées à des sujets très variés. J'aime écouter les gens parler sans devoir répondre, sans devoir voir. Les podcasts, parce qu'ils sont souvent indépendants, sont libres dans leur sujet: écouter les histoires incroyables ou même banales des gens (Transfert), parler du corps, de racisme, sans barrière ni tabou (Un podcast à soi, The Why “Le Poukwa”), découvrir des personnalités depuis un point de vue plus intime (La Poudre) ou donner la parole à une jeune fille (Entre) : ne serait-ce qu’envisageable à la radio?», détaille Joséphine, 25 ans.

C’est encore Myrtille, 33 ans, qui manifeste son amour pour le podcast: «Ils me font du bien, m'ouvrent à de nouvelles thématiques, me rendent plus intelligente, me font me poser de nouvelles questions. C'est une vraie ouverture sur le monde, une motivation et une stimulation intellectuelle quotidienne.»

D’autres nous ont plutôt parlé de leur histoire personnelle.

Une personne de 39 ans, qui a préféré rester anonyme, nous explique sa redécouverte du podcast après avoir écouté Le Donjon de Naheulbeuk il y a quelques années: «J'ai recommencé à écouter [des séries audio] grâce à mon fils... Quand je le promenais dans sa poussette et qu'il dormait, je m'occupais l'esprit avec ces séries audio. Je continue à en écouter parce que j'y trouve une fraîcheur, une émulation. Les récits sériels m'ont toujours plu (sagas littéraires, bd/mangas, séries TV...). C'est un autre imaginaire encore.»

«C'est mon nouveau média pour m'informer, découvrir, m'instruire ou me divertir (en parallèle avec YouTube). J'apprécie beaucoup ce format car je peux l'écouter partout, en faisant à manger, en me baladant ou en conduisant. J'en consomme beaucoup au travail. Je bosse dans la grande distribution, de 4h du matin jusqu'à l'ouverture du magasin, et c'est l'occasion rêvée pour écouter des podcasts tout en remplissant les rayons», raconte Benoît, 46 ans.

C’est une question pratique pour Sébastien, 36 ans: «Je prends beaucoup le métro et j'en ai marre de trimballer des gros livres pour finalement ne rien pouvoir lire parce qu'on est trop serrés, alors j'écoute.»

«Au départ, c'était pour accompagner mes trajets quotidiens hivernaux, car je marche tous les jours pour aller travailler et revenir. Les écouteurs calés sous le bonnet et la capuche, les fils qui passent méthodiquement sous la grosse écharpe, l'iPod rangé à l'intérieur de la veste, au chaud, et j'étais prête pour le trajet de 30 minutes. [...] J'habite au Canada, ça me permet d'écouter et de rattraper des émissions et l'actu française, par exemple. Ce format donne un accès à une authenticité. [...] J'aime ce que le podcast peut offrir au développement de la francophonie», rapporte Maureen, 34 ans.

«J’habite à l’étranger donc suis peu en contact avec la langue française. Écouter des podcasts pour moi, c’est presque comme si j’écoutais les conversations de mes propres amis», avoue Marie, 28 ans.

Mais alors, le podcast, est-ce vraiment réservé aux passionné.e.s? Pas forcément! Il existe plein de façons différentes d'en découvrir ou de se familiariser avec ce format.

Certains passent par les réseaux sociaux pour en trouver, comme Laura, 28 ans, qui écoute maintenant Riviera Détente. D’autres y ont été conduit.e.s en profitant de la radio de rattrapage. Le bouche-à-oreille est très puissant également. Et de plus en plus de médias en parlent ou en proposent. Ainsi, Élodie, 27 ans, découvre «“Jusqu'où peut-on aller pour devenir ami avec ses voisins”. De Transfert sur Slate. Je vais régulièrement sur Slate. Pour leurs angles originaux. Et puis j'ai découvert cet onglet podcast avec cette rubrique. Transfert. J'ai accroché tout de suite.» Vous pouvez même tomber sur un podcast parce que c’est l’invité qui vous intéresse en réalité, comme Johan, 18 ans: «Sur YouTube, ça parlait d'un rappeur que j'aime bien, Gringe». Il était l’invité d’Antonin Archer dans l’épisode 35 de Nouvelle École. «C'était cool, du coup j'ai continué à en écouter.»

Une fois dedans, certain.e.s se mettent à adorer vraiment ça, comme Clément, 26 ans, qui écoute «au minimum 30 minutes par jour, le matin et le soir dans les transports». Un point commun quasiment systématique des réponses que nous avons obtenues: les auditeurs consomment du podcast… EN MASSE. Comme Mélanie, 41 ans: «Deux heures par jour (dans les transports). Je suis abonnée à une cinquantaine de podcasts, mais il m’arrive d’en abandonner certains et d’y revenir ensuite (par exemple, j’ai des périodes d’écoute intensive de tout ce que fait Arte radio, puis j’arrête de télécharger leurs productions pendant deux ou trois mois, puis rebelote). En ce moment, j’écoute systématiquement tout ce que sortent : Les Couilles sur la table, Vieille Branche, Transfert, Entre, Where Should We Begin...».

Presque tous les auditeur.trice.s de podcasts en recommandent à leurs ami.e.s, parfois même trop. Nous aussi, on a l’impression d’en parler beaucoup plus qu’il ne faudrait dans une conversation normale, mais que voulez-vous…? C’est tellement génial!

Un grand merci à toutes et à tous pour vos réponses. Cela nous procure toujours un immense plaisir de lire votre engouement pour le podcast (et pour les productions de Louie)!

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Racontons-nous encore de vraies histoires?

Il y a quelques semaines, le sociologue Christian Salmon nous annonçait un changement. Lui qui avait théorisé, il y a une décennie, la manière dont nous étions entré.e.s dans l’ère du storytelling (technique de communication consistant à user des procédés narratifs et de la mise en récit pour renforcer l'adhésion du public au fond du discours, à des fins économiques ou encore politiques; ou comment «transformer un politique, un cadre d'entreprise ou un baril de lessive en héros de saga») déclare maintenant aujourd’hui: «Fini le storytelling, bienvenue dans l’ère du clash». Dans son long papier ainsi titré, publié sur le site de Médiapart, il explique la manière dont désormais «les événements ne s’ordonnent plus en feuilletons mais sont gouvernés par l’imprévisibilité, l’irruption, la surprise»

Il y a 10 ans, Salmon regrettait dans son passionnant ouvrage que «l’essor du storytelling ressemble en effet à une victoire à la Pyrrhus, obtenue au prix de la banalisation du concept même de récit et de la confusion entretenue entre un véritable récit (narrative) et un simple échange d’anecdotes (stories), un témoignage et un récit de fiction, une narration spontanée (orale ou écrite) et un rapport d’activité.» Si l’ère du storytelling s’achève. Va-t-on pouvoir enfin restaurer de vrais récits, de vraies histoires? Et se pose alors la question: c’est  quoi, une vraie histoire?
 

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Figurez-vous que Walter Benjamin, philosophe allemand du début du XXème siècle, peut nous aider à répondre à cette question.

«L’art de raconter est en voie de se perdre», constatait-il dans Expérience et pauvreté, publié en 1933. Nous sommes près d’un siècle avant Salmon et déjà le philosophe analyse avec une lucidité étonnante le tournant qui est en train de se jouer à la charnière du XIXème et du XXème siècle. Selon Walter Benjamin, le XXème siècle entre dans une véritable crise de la narration qui a déjà débuté au siècle précédent.

Une finalité morale

Traditionnellement, la narration repose sur un aspect utilitaire, une moralité, un conseil de vie. Cette finalité morale du récit suppose, chez celui ou celle qui raconte, une forme de sagesse «tissé[e] dans l'étoffe d'une vie vécue». Cette sagesse précisément, explique le philosophe allemand, est en déclin au début du XXème siècle. La sagesse se comprend, selon lui, comme une forme d'autorité acquise par l'expérience des années passées et la proximité d'avec la mort. Le mourant est alors le symbole d'une sagesse qui se veut transmissible. C’est la figure extrêmement courante du vieux sage. Et quel est le point commun entre les trois plus grands ou plus célèbres vieux sages de la culture pop: Yoda de Star Wars, Dumbledore de Harry Potter et Gandalf du Seigneur des anneaux? [SPOILER] Ils meurent. Tous les trois. (Même si ok, certains ressuscitent ou parlent d’une mystérieuse façon aux vivants). Et ils ont anticipé leur mort prochaine. D’où la nécessité de transmettre leurs histoires et leurs expériences à un héritier ou un apprenti plus jeune.

Or, «au XIXe siècle, la société bourgeoise, avec ses institutions hygiéniques et sociales, privées et publiques, a obtenu un résultat accessoire, qui était peut-être inconsciemment son but principal: permettre aux hommes de ne plus assister à la mort de leurs congénères». La poursuite effrénée du nouveau dans les sociétés modernes a anéanti la sagesse en mettant à distance les personnes âgées susceptibles d’avoir des expériences à partager, donc les vraies histoires.

Il faut ajouter que les nouvelles techniques d'enregistrement de la voix (gramophone, phonographe, téléphone), jouent un rôle crucial dans cette disparition de la sagesse. Elles ont en quelque sorte supprimé l'autorité conférée par la mort prochaine et la nécessité urgente de transmettre les expériences. Quand un simple bouton permet d'immortaliser une voix, un conseil sage, une philosophie de vie, il n'y a plus d'angoisse de la transmission.

Il importe assez peu qu’il s’agisse d’une histoire vraie, plutôt que fausse. Il faut, en revanche, que ce soit une véritable histoire, pas une anecdote, ou un récit simplement divertissant. Une vraie histoire, selon Walter Benjamin, c’est donc la narration d'une expérience qui permet à l'auditeur d'en apprendre plus sur la personne qui raconte mais aussi et surtout sur l'être humain en général. On en sort grandi.e, enrichi.e d'une sagesse nouvelle qu'il faudra transmettre à notre tour aux générations suivantes.

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Pourquoi ne racontons-nous plus de véritables histoires?

La narration suppose donc le partage d'expériences. Or, ce partage s'effectue dans le cadre d'une tradition reprise par les générations successives, dans la continuité d'une parole transmise des parents aux enfants. Mais la modernité, selon Walter Benjamin, se caractérise par le «temps disloqué et entrecoupé du travail dans le capitalisme moderne». Les événements de la vie quotidienne deviennent alors pour lui intransmissibles. Perdu dans l'«existence normalisée et dénaturée des masses soumises à la civilisation», l'individu moderne perd ses capacités narratives, privé d'expériences à raconter et d'interlocuteurs à qui les raconter. La massification de la civilisation et le développement de l’ère industrielle sur le modèle de la standardisation ont fait perdre aux actes des êtres humains leur caractère d’événements singuliers et d'expériences individuelles et uniques. C’est-à-dire, en définitive, leur possibilité de s’intégrer dans un récit, avec toutes leurs dimensions d’imprévu, de surprise, et d'absence d'explication.

Walter Benjamin constate un déclin de la continuité temporelle, fondée sur les relations entre les générations. Une forme nouvelle de continuité apparaît entre le XIXème et le XXème siècle: celle de la masse, spatiale, liée à l’urbanisation. Aujourd'hui, à l'ère des réseaux sociaux et de la mondialisation, c'est le contact avec les autres individus, éloignés spatialement de nous, que nous recherchons. Le partage des expériences se fait dans l'instantané mais sur des grandes distances. À l'inverse, les vraies histoires, selon le philosophe, se transmettent face à face et directement, entre deux personnes que de nombreuses années séparent.

Par quoi les avons-nous remplacées?

Au cours de la deuxième moitié du XIXème, l'information connaît des progrès incroyables. La presse se développe considérablement, s'organise, se spécialise et est lue par des millions de personnes. Selon Walter Benjamin, l'information se concentre sur l'explication: «l’événement […] est […] imposé au lecteur dans ses connexions logiques». Au contraire, la narration est beaucoup plus ouverte et refuse l'explication systématique. Elle laisse au lecteur ou à l'auditeur le soin d'interpréter le récit comme il l'entend ou même de demeurer dans l'étourdissement d'une histoire surprenante, voire incompréhensible.

La suppression de la proximité physique entre la personne qui raconte et celle qui écoute a rendu caduque toute possibilité d'échange et d'incarnation des événements transmis. Ce que la presse raconte et explique apparaît entièrement détaché de la vie du lecteur. La narration, à l'inverse, «incorpore [les événements] dans la vie même de celui qui raconte, pour le[s] communiquer, comme sa propre expérience, à celui qui écoute. Ainsi le narrateur y laisse sa trace, comme la main du potier sur le vase d’argile»

En réalité, le face à face solennel, parfois difficile à obtenir,  n’est sans doute pas nécessaire à un véritable récit. Du moment que ce que Benjamin associe au face à face –l’incarnation très forte, l’attention à l’autre, la possibilité d’un partage– est reproduite ailleurs. Par exemple (vous me voyez venir?) via les podcasts narratifs. Vous avez à travers ces récits cette transmission incarnée, par la voix, l’écoute active qui se distingue de l’attention passive que l’on constate parfois vis-à-vis des écrans.

Peut-être que si le monde politique désinvestit le storytelling, nous reviendrons plus facilement collectivement à ces vraies histoires que Benjamin louait. 

Moralité de la newsletter: Walter Benjamin aurait écouté des podcasts, à coup sûr!

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Mais pourquoi est-ce si compliqué d'écouter un podcast?

Lorsque l’on prononce le mot podcast (24 fois par jour), il arrive encore que nos interlocuteurs nous regardent hébétés: «des podcasts?». Il faut alors mettre notre casquette d’adoratrices et de productrices du média en question pour expliquer: du son, internet, des nouveaux formats. Surtout qu'il y a deux types de podcasts: les podcasts de rattrapage –on peut podcaster n'importe quelle émission de radio déjà diffusée– et les podcasts natifs –qui ne sont créés que pour internet. 

Ensuite, vient le moment où nous devons détailler COMMENT écouter des podcasts.

 
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Nous aimerions apporter une réponse simple. Au lieu de cela, nous posons plus de questions: tu as un smartphone? Comment écoutes-tu la radio? Tu préfères écouter des podcasts sur ton ordinateur? Chaque studio de podcasts sait répondre à ces questions. Parfois, cela consiste à emprunter les téléphones des personnes que nous croisons pour les abonner à Transfert ou à Entre, pour que la barrière technologique soit dépassée.

Pour comprendre à quel point cela peut être complexe, lisez ce «guide podcast simple» du centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information de l'académie de Nancy-Metz: publié en 2011, il rappelle comment Europe1 suggérait de télécharger les fichiers d'émissions pour les graver... sur des CD. 

La barrière technologique tient à toutes les façons d'écouter un podcast: chaque émission/épisode peut être lu en ligne indépendamment grâce à un lecteur (ou player), sur des sites comme SoundcloudStitcher ou YouTube en trouvant le diffuseur que vous cherchez (Louie, au hasard) ou sur notre site Louiemedia.com pour Entresur le site de Slate.fr pour Transfert. Ou vous pouvez automatiquement recevoir les nouveaux épisodes car chaque podcast dispose d'un flux RSS: le diffuseur télécharge les sons et ils viennent s'empiler dans un fil d'épisodes/émissions. Ce flux se met à jour automatiquement quand on publie un nouvel épisode et c'est grâce à ces flux que fonctionnent les applications de podcasts que vous utilisez: Apple Podcasts ou la multitude d’applications sur Android (Podcast Addict, Overcast, Breaker...). Quand vous vous abonnez à un podcast pour suivre tous les épisodes, c'est à ce flux RSS que vous vous abonnez. Ensuite, une notification vous prévient quand un nouvel épisode du podcast est disponible. Dernière option: on peut encore télécharger les fichiers un par un sur son téléphone ou son ordinateur sans s'abonner au flux. C'est le cas ici pour Entre.

Une fois que vous avez compris, il faut savoir comment trouver des podcasts à écouter. L'appli Apple Podcasts fait des suggestions:

oit vous trouvez un podcast qui vous plaît, soit vous en cherchez un autre, auquel cas il faut taper son nom dans la barre de recherches. Vous arrivez sur la page du podcast. 

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Vous noterez que quatre clics sont nécessaires pour commencer à écouter Entre. Là où une vidéo se joue automatiquement sur YouTube ou Facebook.

Ce grand fouillis des usages donne lieu à des tutos et quand une technologie n'est pas forcément évidente pour tous, on convoque souvent les grands-mères (ou les femmes mûres qui n'ont pas toutes des petits-enfants) pour savoir si elles comprennent. C’est Marie-Thérèse qui dit tout son amour pour Les Pieds sur Terre de France Culture avec Sonia Kronlund.

 
 

Ou Mary dans This American Life, l’un des podcasts les plus écoutés aux États-Unis.

 
 

C’est aussi ce que met en avant The Podcast App, une nouvelle application lancée début 2018: «si simple, même votre grand-mère pourrait s’en servir»Au-delà de la simplicité du design et de l’expérience pour l’utilisateur, les fondateurs cherchent aussi à faciliter la recherche de podcasts. Quand on ouvre l’application, on renseigne ses centres d’intérêts. The Podcast App fournit ensuite une liste de recommandations parmi les 30 millions d’épisodes référencés. Le PDG Martín Siniawski entend améliorer grandement le référencement en indexant non seulement les titres et les descriptions des épisodes du podcast mais aussi en détaillant l'intégralité du contenu. Les diffuseurs américains font de plus en plus de retranscriptions texte –Gimlet pour tous ses podcastsThis American Life– mais la pratique n'est pas encore si répandue (et si lisible).

Il faudra des initiatives comme celle de The Podcast App pour généraliser l’écoute des podcasts. À la différence des réseaux sociaux que l’on connaît, aucun des Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) n’a fait d’efforts importants pour rendre les podcasts beaucoup plus accessibles. Facebook, Twitter et Instagram valorisent l’image et la vidéo, assez peu le son. Soundcloud, qui aurait pu être le YouTube du son, existe mais était en danger en 2017. Apple a lancé l’iPod en 2001 pour écouter de la musique en se baladant et c'est de là que les podcasts tirent leur nom. Ce n'est qu'ensuite qu'Apple a développé une appli entièrement consacrée au podcasts sur ses téléphones. Entre temps, de nombreuses solutions pour lire des podcasts ont été développées mais aucune n'a été assez simple d'utilisation pour que l'adoption soit massive. Et sur Reddit, certains internautes se demandent encore si Apple Podcasts n'est pas l'une des pires.

Comment s'en sortir? Avec les assistants connectés? L'année 2018 sera celle de la voix grâce aux Google Home, Amazon Echo et Alexa et autres Homepod (Apple). On peut se dire que c’est enfin le moment où l'écoute va se simplifier. Même si, en ce début d’année 2018, les radios sont faciles d’accès –il suffit de dire «Ok Google, lance France Inter»– la commande «Ok Google, lance le podcast...» fonctionne encore rarement. Car les diffuseurs doivent soumettre leurs flux à des services comme TuneIn ou Spotify –qui commencent tout juste à référencer des podcasts français– et l'auditeur doit trouver les mots exacts pour, enfin, écouter ses podcasts.

Les amateurs de ce format vous diront que c'est finalement assez simple une fois que l'on a choisi ce qui convient le mieux. Et si nous sommes déstabilisé.e.s, c’est aussi que c'est en décalage avec l'évolution de nos usages au cours des dix dernières années. Tout s'est concentré autour de quelques plateformes: Netflix a considérablement simplifié notre façon de regarder les séries télé en créant une plateforme géante; on a un moteur de recherches dominant: Google. Amazon aimerait que nous n'allions plus à l'épicier du coin ni au supermarché (ou alors dans leurs supermarchés). Les podcasts restent l'une des rares pratiques culturelles où il n'y a pas encore d'acteur dominant: Apple est loin de tout faire pour s'imposer. Et peut-être que c’est un peu une bonne nouvelle ce manque de concentration. Le jour où ce sera trop facile, ce sera cool pour les auditeurs, peut-être moins pour le «bouillonnement» du marché.

Le mystère du langage est-il enfin résolu?

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, époque à laquelle explosaient les sciences du langage, tout le monde se passionnait pour la parole: c’était l’âge d’or de la linguistique structurale, de la psychanalyse, on pensait le langage comme une spécificité humaine… Et puis il y a eu un changement de paradigme scientifique, on a cessé d’opposer de manière aussi radicale nature et culture et, les sciences se sont désintéressées de la parole pour aller sur les terrains cognitifs et comportementaux.

Mais pendant ce temps-là, la question du mystère du langage humain n’est toujours pas résolue: pourquoi les humains parlent-ils? Vous, moi (moi beaucoup), qu’est-ce qui fait que l’on s’est mis à parler, un beau jour, il y a plus de 2 millions d’années? Que le cerveau humain est le seul adapté au langage. Pas seulement à la communication (comme tous les autres animaux) mais au langage, en désignant des choses absentes, des concepts complexes, des choses imaginaires ou futures. Un langage dit intentionnel. Et de la pensée et du langage, lequel produit l’autre?

En 2013, le linguiste américain Noam Chomsky notait encore

«La plupart des questions relatives au langage demeurent de complets mystères. (...) Dans l’usage le plus quotidien de la langue, les gens ne cessent de créer de nouvelles expressions, de nouvelles associations. Inédites pour eux, pour qui les entend, et peut-être inédites dans l’histoire de cette langue. Cette créativité, qui est pour Descartes le trait distinctif de l’esprit humain, demeure mystérieuse aujourd’hui comme elle l’était pour lui. Bien sûr, nous savons beaucoup sur l’expression, la construction du langage, etc. Mais le lien entre l’esprit et l’activation du langage? Mystère. Non seulement le mystère demeure, mais plus on étudie, plus on découvre l’ampleur de ce qu’on ignore.»

Cette histoire de mystère du langage me fait parfois l’effet que produit la répétition d’un mot. Vous dites courgette. Encore et encore et encore et tout à coup vous vous demandez comment ce mot peut bien vouloir dire ce qu’il veut dire, et vous n’êtes plus très sûr.e, un instant, de ce que c’est qu’une courgette. À force de faire parler des gens, et d’en écouter toute la journée dans des podcasts, ça génère parfois le même effet: pas seulement de créer du flou sur le sens d’un mot ou d’un autre, mais sur le sens même de la parole.  

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Mais je crois que je ne suis pas seule. Prenez Unabomber, la récente série Netflix réalisée par Greg Yaitanes. L’histoire du terroriste Ted Kaczynski est racontée par la quête des agents du FBI qui espèrent le cerner. Ils y arriveront grâce à une expertise linguistique; la série de nouveau explore le langage et ce qu’il contient.

Quelques mois plus tôt, c’était déjà le sujet du film Premier Contact de Denis Villeneuve, adapté au cinéma de la nouvelle de Ted Chiang. Des extraterrestres sont arrivés sur terre, ils n’ont pas de corps, pas de bouche, ils ne semblent pas dotés d’organes permettant la parole à la manière des humains. Comment va-t-on pouvoir communiquer avec eux? Quel langage adopter? Et quel rapport au monde ce langage traduit-il?

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Est-ce que ce sont les débats sur le «politiquement correct» (écriture inclusive, emploi d'un mot plutôt qu'un autre...) et la manière dont la langue s’adapte aux combats politiques, ceux sur la manière de communiquer aujourd’hui alors que les emojis s’insèrent dans le langage et que nos échanges sont à la fois instantanés (internet) et éternels (l’archivage des données), qui alimentent cette préoccupation majeure depuis le structuralisme d’après-guerre?

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Tout ça pour dire mon ravissement en tombant sur cette une de The Economist «Comment des Nicaraguayens sourds ont résolu le mystère du langage» (oui c’est écrit en très petit).

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L’article raconte qu’au Nicaragua, un nouveau programme de formation pour les sourds émerge à la fin du XXème siècle. Les professeurs doivent interdire la langue des signes pour favoriser l'apprentissage de la langue orale malgré le handicap. C'est un échec. Mais plusieurs années après, une enseignante prend conscience que l’une de ses élèves est en train de faire des gestes qui ne sont pas des mimes mais des signes, propres à une langue nouvelle. Elle se rend compte que les élèves, privés de la langue des signes connue jusqu’alors, ne connaissant aucune langue, ni parlée ni gestuelle, en ont réinventé une nouvelle. De toute pièce.

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Le cas a énormément intéressé les scientifiques, qui voyaient là une reconstitution possible du cadre dans lequel les hommes se sont retrouvés aux premiers temps de l'homo sapiens: sans fréquentation de langue préalable, comment en avaient-ils fait émerger une? Et donc était-ce acquis ou inné?

Le cas du Nicaragua apporte un argument de plus aux partisans de la théorie de l’inné: même sans fréquenter d’autres langues, la population sourde nicaraguayenne a fait émerger sa propre langue. 

Néanmoins, les tenants de l’acquis pourront aussi noter qu’un élément favorise non pas leur théorie mais le jeu de l’acquis malgré tout: la langue des signes ainsi constituée a montré que la première génération de sourds qui avait inventé cette langue la maîtrisait moins bien que la génération suivante qui l'avait apprise auprès d'eux, et pour qui cette nouvelle langue constituait une langue natale, acquise auprès des plus âgés.

Cette élucidation progressive du mystère est rassurante. Une indication que peut-être d’ici quelques décennies, assez tôt pour que nous en prenions connaissance, des réponses seront apportées.

Mais si les récits de langue des signes nicaraguayennes ne vous relaxent pas, nous avons aussi une newsletter avec des podcasts vraiment détentes. À découvrir ici. 

Écoutez et riez

Vous avez peut-être été ému.e.s en écoutant Entre. Il faut aussi avouer que les épisodes de Transfert ne sont pas tous très gais. Mais on voulait vous prouver que notre objectif dans la vie n'est pas uniquement de vous faire pleurer. Relâchez ces sourcils froncés, desserrez ces mâchoires tendues, on vous emmène aujourd'hui du côté des podcasts qui nous font rire –et parfois pleurer de rire. Sélection très subjective et non exhaustive, bien entendu.

 
 

Les podcasts dont le but est de faire rire

Certains podcasts ont beau prendre une thématique générale comme prétexte (et la traiter parfois sérieusement), leur but premier est de faire rire l’auditeur.

  • But atteint avec How Did This Get Made?, ou son équivalent francophone 2 Heures de Perdues, qui décortiquent, à chaque épisode, un film. Jusqu’au moindre plan passé inaperçu pour la grande majorité des spectateurs. L’objectif: faire passer chaque film analysé pour la pire erreur cinématographique de l’histoire de l’humanité, en usant d’une mauvaise foi assez désopilante. On se rappellera avec amertume, et non sans un petit sourire en coin tout de même, le jour où nos souvenirs d’enfance de Harry Potter et la Chambre des Secrets, indéniablement le meilleur opus de toute la saga (oui!), furent souillés à jamais.
  • N’avez-vous jamais rêvé de tout connaître de célébrités que vous ne connaissez pas? Dans Who? Weekly, Bobby Finger et Lindsey Weber parlent de la vie de personnalités qui n’intéressent personne. Il est assez étrange, et hilarant, de constater, à la fin de chaque épisode, que l’on en sait beaucoup trop sur la vie privé de Jesse Metcalfe par exemple.
  • Jamie Morton a un jour découvert que son père avait écrit un livre porno. Et au lieu d’en cacher à tout prix l’existence ou d’être simplement dans le déni, il a décidé d’en faire un podcast, rapidement devenu culte. My Dad Wrote A Porno est une émission à se tordre de rire, au cours de laquelle il lit, en compagnie de James Cooper et d’Alice Levine, un chapitre par semaine. Il va découvrir des choses sur son père qu’il aurait peut-être préféré ne jamais savoir…
  • Mycose the night, produit par Arte Radio, réalisé par Elodie Font et Klaire fait Grr, est un incontournable. Les deux animatrices «discutent, informent, jouent et samplent sur à peu près tout et surtout n'importe quoi». Cette émission bimensuelle est un joyeux patchwork où s’enchaînent très vite blagues et anecdotes surprenantes. On vous conseille le premier épisode, bien sûr, où il est question de rentrée scolaire, de Charlemagne, du prix des fournitures, ou encore de la petite souris verte; un sujet qui nous est cher en ce moment avec Justine.

Les podcasts sur l’humour  

Si vous êtes amateur.trice de stand-up, que vous citez des humoristes à longueur de journée, ou que vous êtes simplement à la recherche d’une bonne blague pour le dîner que vous organisez ce soir avec vos ami.e.s, ces podcasts sont pour vous. Ils vous emmènent dans les coulisses des professionnel.le.s du rire, celles et ceux qui ont fait de l’humour leur métier.

  • Comedy News Weekly, c’est un podcast hebdomadaire (ou presque) animé par Anthony Mirelli et Dan Gagnon. Ces deux joyeux lurons explorent le monde de la comédie (spectacles, émissions, nouveautés) avec bonne humeur et pas mal d’autodérision. Si vous voulez écouter un aperçu de l’état de la comédie en France, on vous recommande cet épisode
  • Un trait d’esprit, une vanne, une boutade peut parfois être si drôle qu’en parler pendant 45 minutes ne pose aucun problème. Dans Good One: A Podcast About Jokes, Jesse David Fox accueille chaque semaine un humoriste pour parler de l’une de ses blagues et l’analyser.
  • Si vous voulez plonger dans la véritable fabrique de l’humour et du stand-up, on vous recommande The Comedian’s Comedian Podcast with Stuart Goldsmith. Dans chaque épisode, l’humoriste et acteur anglais invite un autre humoriste et lui pose des questions sur la manière toute personnelle dont il écrit ses sketchs et dont il travaille sa performance. Petit élément de surprise: l’enregistrement du podcast peut se faire chez l’invité.e, dans sa voiture, ou même directement sur scène!
  • L’équivalent français pourrait être Un café au Lot7, animé par Louis Dubourg qui, récemment lancé dans le stand-up, invite chaque semaine un.e autre humoriste. Le ton est enjoué, les blagues fusent et on en apprend beaucoup sur la fabrique du rire, les carrières des invités et leurs façons de concevoir leur métier.

Les podcasts à l’atmosphère amusante

Cette fois, l’humour n’est ni le sujet de ces podcasts, ni leur but premier. Ils sont simplement drôles parce que les intervenants qui y participent le sont où, plus souvent encore, parce qu’ils s’entendent si bien entre eux que l’atmosphère qui se dégage de l’émission est pleine de bonne humeur et de complicité.

Généralement, ce sont des talks, des émissions de discussion entre ami.e.s, dont les sujets sont variés. Après quelques épisodes, on a l’impression de comprendre la personnalité de chacun.e, de faire presque partie de la conversation ou d’écouter nos potes parler. Il est difficile de vous recommander un épisode en particulier de chaque podcast parce que, la plupart du temps, il en faut plusieurs pour s’habituer et rentrer dans la danse. Mais l’alchimie est parfois plus forte et quelques minutes suffisent pour se surprendre à se fendre la poire tout.e seul.e dans son lit.

  • L'Émifion, animé par Navie et Sophie-Marie Larrouy, est un podcast qui parle de sexualité sans tabous, idées reçues ou complexes. À écouter si vous voulez apprendre des choses en vous amusant de leur franc-parler et de leur complicité. On vous recommande l’épisode 40 «Comment être un bon coup?»: l’invité est Marilou Berry, et il se termine par une chansonnette un peu particulière (hum… pour adulte).
  • Dans le même genre: Guys We Fucked, un autre podcast comique et incontournable où Corinne Fisher et Krystyna Hutchinson interviewent des mecs avec qui elles ont couché.
  • «Je suis féministe mais, l'autre nuit, lorsque j'ai rêvé que je rencontrais Obama à la Maison Blanche, je ne l'interrogeais pas sur ses choix en matière d'affaires étrangères, si vous voyez ce que je veux dire.» Chaque épisode du podcast The Guilty Feminist (en français, «la féministe coupable») commence par une confession. Le reste de l'émission, toujours tournée en public, et animée par la comédienne Deborah Frances-White, laisse la parole à des femmes (comme l'épisode 67 avec l'actrice Sarah Horgan de l'excellente série Catastrophe) qui nous font rire mais nous éclairent aussi sur des sujets aussi importants que les violences conjugales, les droits trans, ou les négociations pour l'égalité salariale.
  • Parce que les ambiances les plus glauques, les sujets les moins légers, les histoires les plus terrifiantes, peuvent se transformer en une seconde en grand éclat de rire, Le Bureau des Mystères du studio Riviera Ferraille est un podcast à écouter. Énigmes extraterrestres, ovnis et crop circles sont passés en revue dans un curieux mélange d’angoisse et de bonne humeur. L’épisode 5 sur les mystères de Provence, avec Henry Michel, fondateur du studio, en est un bon exemple: où l’on rira du couple Beckham tout en se demandant à moitié sérieusement si les fantômes existent.
  • Pour les fans hardcore de jeux vidéos, les gamers amateurs, les casu… ou même celles et ceux qui haussent un sourcil interrogateur à l’évocation du nom Mario, ZQSD est un podcast très drôle sur les jeux PC où la bonne ambiance règne. On ne résiste pas à la tentation de vous partager un épisode, que l’on considère personnellement comme culte, du podcast de Gameblog où les intervenants nous font part de leurs pires moments vidéoludiques.
  • FloodCast est une émission présentée par FloBer où des personnalités de YouTube ou d’ailleurs (mais surtout de YouTube) se retrouvent pour parler de tout et de rien, en balançant de nombreuses anecdotes persos assez cocasses. Ça rit beaucoup et c’est assez amusant de n’entendre que les voix de ces personnages que l’on a l’habitude de voir. On vous le dit tout de suite : ils sont tout aussi drôles, voire plus, en podcast qu’en vidéo. 

PS : On aurait, en toute objectivité, inclus le podcast Studio 404, un talk de société sur le numérique et les nouvelles technologies, si Mélissa Bounoua qui y participe n’était pas la co-fondatrice de Louie Media…

 
 

Les podcasts faussement sérieux

Il y a enfin des podcasts qui ne laissent quasiment rien transparaître de leur envie de faire rire leurs auditeur.trice.s, et qui pourtant ne sont pas les moins marrants de cette liste! Leur ton est sérieux (ou presque), et tout est dans le jeu d’acteur parce que les thématiques abordées sont souvent on ne peut plus déjantées.

  • Nostalgie 2050, un podcast Deezer animé par Thomas VDB, prétend être enregistré dans les années 2050 et revient à chaque épisode sur la carrière fictive d’une personnalité d’aujourd’hui (2018) invitée. L’émission ne manque pas de faire des chroniques régulières sur un futur improbable et loufoque, le tout ponctué de fausses publicités du futur. On apprend avec stupeur dans cet épisode avec Kyan Khojandi, qu’«en mai 2032, internet a été coupé pendant plus de neuf mois dans l’hémisphère nord [et que] les sinistrés ont dû dresser leurs propres chats à faire des trucs mignons». Bref, c'est drôle.
  • On ne sait pas vous mais on a toujours rêvé d’assister aux séances de psychanalyses de super-héros. The Bright Sessions est un podcast de science-fiction écrit par Lauren Shippen qui joue le rôle du Dr. Bright. À chaque épisode, elle accueille un patient pour une séances de thérapie. Sauf que, comme vous vous y attendiez, ces patients sont dotés de capacités surnaturelles: télépathes, voyageurs temporels, empathes… Au fil des épisodes, certains patients reviennent, évoluent, progressent; le tout avec le plus grand sérieux possible. C’est troublant, curieux, et comique à la fois.

PS: Merci aux internautes pour leurs suggestions!

Pourquoi les voix nous font-elles tant d’effet?

Depuis des mois qu’on s’apprête à sortir Entrenotre podcast lancé ce mercredi 7 mars, on écoute en boucle nos interviews de Justine. Et, outre son propos, ce qui nous reste en tête, imprimée en nous, c’est sa voix. Son ton, sa tessiture, ses intonations. Quand elle dit: «Y’a tout le temps quelqu'un qui vient te voir et qui te fait passer dans le passage de la préadolescence». Et quand elle dit «Faites-moi un nuage. Avec vos rêves dedans».

C’est une des remarques qui revient souvent parmi les auditeurs d’Entre ou de Transfert: le pouvoir des voix, la manière dont elles s’inscrivent en nous, génèrent ce sentiment de proximité et d'intimité. Et même quand les narrateurs ont des voix qui agacent, voire insupportent, elles ne nous laissent jamais indifférent.e.s.

Pourquoi?

L’enjeu d’authenticité

En réalité, peu de choses émanent d’une personne avec autant d’authenticité qu’une voix. Même quand ce n’est pas volontaire. Parce que beaucoup de coachs ont beau proposer de vous apprendre à maîtriser votre voix, la voix échappe en réalité à un contrôle total. Pour une raison simple: on ne s’entend pas de la même manière que les autres nous entendent.

Comme l’explique cet article de Slate.fr, habituellement, on entend les sons propagés par voie aérienne: «les sons portés par l’air sont transmis aux tympans, qui font vibrer trois os appelés osselets, et ces vibrations finissent dans la cochlée qui les transforme en signaux électriques envoyés au cerveau». Lorsque nous nous entendons nous-mêmes, c’est par propagation osseuse que notre voix nous parvient: «les vibrations des cordes vocales atteignent directement la cochlée par la propagation osseuse».

Ne pas nous entendre de la même manière que les autres nous empêche de contrôler notre propre voix et force ainsi à un minimum d’authenticité. (C’est d’ailleurs parce que l’on s’entend d’habitude de l’intérieur (par propagation osseuse) qu’écouter un enregistrement de soi et s’entendre ainsi par propagation aérienne crée un sentiment d’étrangeté.)

Mais, au-delà du plaisir qu’il y a à accéder par la voix à une certaine vérité de l’autre, ces voix que nous entendons ont aussi une influence sur nos émotions. C’est ce que montrait une étude, menée par Jean-Julien Aucouturier, chercheur au CNRS, et publiée dans «Proceedings of the National Academy of Sciences of United States of America» en 2016. Une centaine de participants ont répondu à des questions simples sur leurs émotions et leur humeur pour déterminer s’ils se sentaient plutôt heureux, tristes ou inquiets. Ensuite, ils ont dû lire un texte à voix haute en entendant simultanément leur propre voix à travers des écouteurs. On leur a enfin demandé d'évaluer à nouveau leurs émotions en utilisant le même questionnaire (les participants n'ont pas été informés que le fait de raconter leurs émotions et de lire le texte à voix haute faisait partie de la même expérience).

Mais ce que les participants ignoraient, c'est que le timbre de leur voix qu'ils entendaient dans leurs écouteurs était en fait légèrement modifié, à l’aide d’une plateforme audio-numérique créée par les chercheurs, pour qu'il sonne plus heureux, plus triste ou plus inquiet (hauteur plus élevée pour le bonheur par exemple, légers tremblements dans la voix pour la peur et l’anxiété). Les chercheurs ont alors constaté après la lecture que les participants ne s’étaient rendu compte de rien, et décrivaient même en très grande majorité leurs émotions conformément aux modifications que leur voix avait subies. La voix que les participants ont entendu dans leurs oreilles a modifié leur état émotionnel.

La voix, un mode de communication plus empathique que les autres

Une autre étude, menée par Michael W. Kraus de Yale University School of Management, publiée en 2017 dans «American Psychologist», a révélé que la voix seule, dépourvue d’appuis visuels comme le visage, était d’ailleurs le mode de communication qui suscitait le plus d’empathie. En d’autres termes, que l’on percevait mieux les émotions des autres en se reposant uniquement sur leur voix. Kraus a réalisé des expériences dans des situations diverses et variées. Dans l’une, il a demandé aux participants de regarder des vidéos de deux personnes interagissant et se taquinant l'une l'autre et d’évaluer la gamme d'émotions suscitée au cours de l'interaction. Dans une autre, il les a fait interagir directement entre eux dans une pièce tantôt éclairée, tantôt plongée dans le noir. Dans une troisième étude, on a demandé à un groupe différent de participants d'évaluer les émotions des interlocuteurs qui avaient été filmés.

À chaque reprise, lorsque les participants n’entendaient que la voix, l’évaluation émotionnelle des autres atteignait une précision inégalée. Kraus s'est alors demandé pourquoi la voix, surtout lorsqu'elle est le seul indice, est un mode d'empathie aussi puissant par rapport aux autres situations (un visage sans voix, ou encore un visage et une voix). Sa conclusion est que lorsque nous n'écoutons que la voix, notre attention pour les subtilités de la tonalité vocale s'accentue. Nous nous concentrons davantage sur les nuances que nous entendons dans la façon dont les interlocuteurs s'expriment. C’est ainsi que dans Du côté de Guermantes, le narrateur évoque la voix de sa grand-mère lorsqu'il réussit, après de nombreux essais, à l'avoir au téléphone:

«Tout d’un coup j’entendis cette voix que je croyais à tort connaître si bien, car jusque-là, chaque fois que ma grand’mère avait causé avec moi, ce qu’elle me disait, je l’avais toujours suivi sur la partition ouverte de son visage où les yeux tenaient beaucoup de place ; mais sa voix elle-même, je l’écoutais aujourd’hui pour la première fois. Et parce que cette voix m’apparaissait changée dans ses proportions dès l’instant qu’elle était un tout, et m’arrivait ainsi seule et sans l’accompagnement des traits de la figure, je découvris combien cette voix était douce (...); fragile à force de délicatesse, elle semblait à tout moment prête à se briser, à expirer en un pur flot de larmes, puis l'ayant seule près de moi, vue sans le masque du visage, j’y remarquais, pour la première fois, les chagrins qui l’avaient fêlée au cours de la vie.»

C’est parce qu’elle ôte ce masque du visage que la voix dénude si bien les êtres, et qu’elle parvient si fort à nous toucher.

Fermez les yeux, détendez-vous

Dans quelques jours (le 7 mars), vous pourrez entendre notre premier podcast Louie. On est en train de finaliser notre site internet, nos flux RSS, nos illustrations.

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Les nuits sont courtes, les tasses de café très remplies, et le besoin de détente immense. Du coup, on s’est fait une petite liste de sons et de podcasts qui nous aident à décompresser. On s’est dit que vous ne lanciez peut-être pas une start-up cette semaine, mais que dans vos vies aussi il y avait de la neige, du froid et du stress, et que vous pourriez avoir besoin de cette liste autant que nous.

Alors fermez les yeux, détendez-vous. 

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Des sons qui relaxent

Si vous êtes féru.e de sons et sonorités en tout genre, alors vous connaissez sans doute l'ASMR  –Autonomous Sensory Meridian Response, oui oui, le nom fait un peu peur–, mais il décrit une sensation infiniment agréable au niveau du crâne, du cuir chevelu ou des zones périphériques du corps, provoquée notamment par une stimulation auditive. Aujourd’hui sur Internet, quantité de vidéos ASMR vous permettent de provoquer cette sensation à l’aide de caresses, chuchotements, frottements, qui vont venir chatouiller vos tympans.

Écoutez et vous sentirez la racine de vos cheveux se hérisser légèrement et un frisson dans la nuque et le dos. Si, comme l’expliquait Slate.fr en 2017, «les scientifiques n’ont pour le moment pas réussi à décrire concrètement ce qu’il se passe dans le cerveau lorsque les consommateurs de vidéos ASMR expérimentent cette sensation diffuse de bien-être à l’écoute de chuchotements et de bruissement», c’est un phénomène bien réel. «Ce n’est pas de l’hystérie, ça existe», confirmait le neurologue Pierre Lemarquis.

Pour vous y mettre, on vous recommande cette vidéo de dix heures sans voix où le son seul est mis à l'honneur pour vous détendre. Soyez prévenu.e.s: au bout de 9 heures et 36 minutes d'ASMR, le type atteint un stade supérieur de l'être et ouvre son âme aux secrets du karma.

Et si vous êtes conquis.e, embarquez avec Bob Ross, un peintre au look génial qui caresse la toile de ses pinceaux en associant ses gestes de commentaires aussi instructifs que relaxants.

Des podcasts qui expliquent comment se détendre

Ceci dit, ces petits bruits et ces murmures de l'ASMR en crispent certain.e.s. Si vous êtes du genre à préférer entendre la voix d'une personne calme qui vous donne des conseils pour favoriser votre bien-être et organiser votre vie de façon plus sereine, alors vous allez adorer Forever 35. Ce sont deux amies qui avaient juste envie de parler de sujets aussi variés que comment prendre sa douche, comment ranger son sac, comment bien dormir quand on est en voyage loin de chez soi. C’est une discussion très libre qui rassure: elles se demandent qui sont ces gens qui ne se savonnent pas les jambes (un sujet qui a fait débat aux États-Unis).

Le site Girlboss vous livre une sélection de podcasts en anglais pour apprendre la méditation, s'endormir grâce à l'hypnose, arrêter de ruminer… Si vous n’avez pas envie d’écouter de l’anglais, le podcast Change ma vie : Outils pour l’esprit est sur le même créneau.

Des podcasts pour s’endormir

Et pour vous endormir on vous recommande tout particulièrement Game of Drones, un podcast où chaque épisode dure 1h45 et se propose de faire le récapitulatif le plus exhaustif et ennuyeux possible d’une thématique de la série mondialement connue d’HBO. Vous l’aurez compris, ce podcast est explicitement fait pour vous endormir. D’ailleurs, son sous-titre n’est autre que «The Game of Thrones Sleep Aid». 

Dans le même genre, Sleep with me a poussé l’art d'ennuyer à son paroxysme, permettant aux insomniaques, grâce aux histoires les plus assommantes possibles, de s’endormir. Drew Ackerman, le créateur, maîtrise l’art du rythme doux et soporifique, du montage léthargique. On a testé, ça marche vraiment.    

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Des podcasts à l'atmosphère envoûtante

Si vous n'avez jamais rêvé de devenir moine bouddhiste et si la méditation, c'est pas votre truc, vous pouvez écouter des programmes plus classiques qui vous détendent par leur atmosphère. Qu'il s'agisse de fiction ou de faits réels, ces podcasts ont le mérite d'associer voix, musique et bruitages pour créer un sentiment d'irréalité, une atmosphère onirique qui vous plongent dans un état de délassement privilégié.

C'est le cas d'Alice et Merveilles de Stéphane Michaka sur France Culture, une adaptation originale de l'histoire de Lewis Carroll. Stéphane Michaka décrit ce concert-fiction ainsi: «Plutôt qu’un pays, notre Alice traverse un paysage musical où toutes les métamorphoses sont possibles. […] J’ai librement réécrit ce classique de la littérature pour faire parler et chanter Alice comme une jeune fille d’aujourd’hui. L’œuvre de Lewis Carroll semble nous interroger à distance : Dans un monde où il faut grandir très vite, les enfants ont-ils encore le droit de rêver ?».

Dans un genre différent, mais tout aussi captivant, Nocturne est un étrange mélange de storytelling, de fiction, de documentaire et d'art sonore. Comme le nom du podcast l'indique, tous les épisodes nous parlent de la nuit à travers des histoires intrigantes: des noctiliens douteux, des couples dormant séparément, des insomnies pleines d'angoisse, des bâtiments abandonnés explorés par des gens…

Cette semaine, on vous recommande tout particulièrement Les boîtes aux lettres du studio québécois Magnéto. Cette création sonore d'une heure entremêle des dizaines de voix sur une douce mélodie de kora. On suit l'histoire vraie et touchante de Patsy Van Roost, habitante du Mile-End, à Montréal, qui décide d'animer la vie des gens de son quartier par de jolies initiatives, des trouvailles poétiques, des événements festifs et joyeux. Cette célébration de la fraternité et de l'amour se déploie dans une très belle atmosphère sonore, et on s'attache beaucoup à celle qui s'est fait surnommer «la fée» par tout le monde. La narration de ce podcast prend une forme intéressante elle aussi : un itinéraire dans le Mile-End qu'on a l'impression de découvrir au fur et à mesure de cette promenade apaisante.

Des podcasts rassurants

Alors évidemment, on ne pouvait pas finir de vous recommander des podcasts qui détendent sans vous parler de ceux que l’on écoute pour se motiver. Quand on se dit que l’on ne va pas réussir à faire ce que l’on veut accomplir ou quand on a peur de se lancer, écouter Nouvelle École ou Génération XX peut rassurer.

Dans le premier, Antonin Archer, diplômé d’une école de commerce, 26 ans, fait venir des personnalités dont le parcours n’est pas tout à fait linéaire mais qui retombent sur leurs pattes, des auteurs, des créateurs de contenus, beaucoup de gens qu’il admire et dont il espère comprendre le fonctionnement. Au hasard des invités: Kyan Khojandi, le créateur de Bref, la youtubeuse Marion Seclin, l’humoriste Marina Rollman (disclaimer : et l’une de nous).

Dans le même esprit, Génération XX est un podcast «commencé comme un hobby» dans lequel Siham Jibril interroge des femmes entrepreneuses: leurs histoires permettent de se sentir moins seules quand on se lance!

Comment les podcasts et la musique se complètent

Crédit photo : Jean-Michel Thirion

Crédit photo : Jean-Michel Thirion

Vous êtes en train de dîner avec des amis. Vous avez tout préparé à l'avance, jusqu'à la playlist «Dinner with friends» sur Deezer ou Spotify qui passe en fond pendant le repas. Vous voulez leur montrer à quel point vous aimez les podcasts, alors vous vous levez furtivement et vous en mettez un en essayant de ne pas casser l'ambiance. Raté, tous les invités se taisent et se mettent à écouter ce qu'ils entendent. Pourquoi? Apparemment, on n'écoute pas des podcasts de la même façon que la musique. C'est la différence entre une écoute active et une écoute passive. Comment les plateformes de streaming qui diffusent beaucoup de musique voient le podcast et prennent en compte ces différents types d'écoute?

Sophian Fanen, journaliste et cofondateur du site d'information Les Jours a enquêté pendant un an sur le sujet et publié en novembre 2017 Boulevard du Stream – Du MP3 à Deezer, la musique libérée.

Quel est aujourd'hui selon vous l'objectif des plateformes de streaming?

SF: Il s'agit de favoriser l'écoute la plus longue possible, qui se trouve être plus facile à prolonger si elle est passive. L'écoute passive est plus bénéfique pour elles, c'est donc ce qu'elles ont tendance à privilégier. Plus un utilisateur gratuit utilise la plateforme sur un temps long et plus il a statistiquement de chances de devenir abonné : il faut créer de l'usage, de l'habitude d'écoute pour fidéliser les auditeurs et pour qu'ils se sentent attachés à cet outil.

Quelles stratégies ces plateformes mettent-elles en place pour prolonger l'écoute?

Prenons l'exemple de Spotify qui a commencé à basculer sur un modèle «playlists first» où les albums sont relégués au second plan. Ils privilégient ça pour obtenir une écoute un peu prise par la main, qui se trouve être une écoute plus longue. Ils travaillent beaucoup sur des playlists de musique d'ambiance, des playlists pour faire la cuisine, pour un apéro entre amis, pour travailler au calme... Elles sont vraiment faites pour s'effacer dans le fond sonore du moment, et ça génère des écoutes longues. Maintenant, sur Spotify, quand on arrive à la fin d'un album ou d'une playlist, la musique ne s'arrête pas. Une radio composée par des algorithmes en fonction de l'album qui s'achève (selon des affinités artistiques et sonores) se déclenche automatiquement. Spotify appelle ça une radio parce que, quand on n'est pas abonné, on ne peut pas zapper les morceaux. On ne se rend même pas compte que l'album est fini et qu'une radio s'est enclenchée car le premier morceau de cette radio est systématiquement du même artiste que l'album qu'on vient d'écouter. On rentre vraiment dans une bulle de confort, dans du «déjà écouté», dans une sorte de musique d'ambiance.  

Ce phénomène d'écoute passive est-il nouveau?

Non. La musique d’ambiance existe depuis les musiques liturgiques, ou les musiques de table. Et les playlists existent depuis bien avant le streaming ou le Mp3. Mais l’une comme l’autre restaient relativement marginal dans l'économie de la musique et dans la pensée collective: l'album était le mètre-étalon. Je pense que le streaming ne fait qu'amplifier des pratiques déjà présentes. 

Alors pourquoi les plateformes se mettent-elles au podcast?

D'abord, je pense qu'il ne faut pas considérer que tous les auditeurs de musique en streaming écoutent tout le temps passivement. On a des écoutes qui évoluent dans la journée, selon nos intentions, selon les morceaux et les parties d'un morceau. C'est souvent une écoute active-passive. Mais on s'aperçoit que cette écoute souvent passive rend la plateforme un peu froide, un peu «robinet de musique». Du coup, il y a un besoin de prise de parole et de personnalisation qui se veut plus chaleureuse. C'est là qu'intervient l'humain et sa voix pour créer du lien avec les auditeurs avec une écoute plus active.

Les plateformes ne misent donc pas que sur une écoute passive.

C'est ça. Plus l'écoute est active, plus on prend conscience qu'on aime ce qu'on est en train d'écouter et qu'on aime ce que la plateforme à laquelle on est abonné (ou pas encore) fait pour nous. Spotify, par exemple, très peu actif sur le podcast en France mais beaucoup plus en Allemagne et aux États-Unis, a tendance à insérer des séquences de podcasts dans ses playlists. Même si les podcasts sont des éléments qui peuvent être consultés aussi de façon autonome, les playlists sont considérées comme des médias à part entière. On va écouter de la musique et du podcast en alternance, comme s'il s'agissait d'une radio. Ça ressemble à du flux. L'insertion d'un moment d'écoute active sert aussi finalement le prolongement de l'écoute. En Allemagne, Spotify a utilisé le podcast comme élément marketing en débauchant un duo de comiques –Jan Böhmermann & Olli Schulz– qui étaient à la radio et à la télé et qui étaient vraiment des stars (comme s'ils débauchaient le Palmashow ou Guillaume Meurice en France pour être que sur Spotify). Ça a crédibilisé les intentions de Spotify sur le podcast, et attiré énormément d'auditeurs et d’abonnés.

Mais va-t-on alors, selon vous, vers une passivité de plus en plus grande des auditeurs de podcasts?

C'est difficile à dire avec certitude, bien sûr. Tout l'écosystème en ce moment se dirige vers l'écoute à la maison avec des assistants vocaux, et l'écoute dans la voiture aussi avec des assistants vocaux couplés à des applications de streaming. À partir de là, les intentions sont déjà dites : on va vers une composition de plus en plus fine de moments sonores musicaux et vocaux, personnalisés pour chaque auditeur et disponible en permanence. Je pense que dans le podcast, l'écoute n'est jamais ni totalement passive, ni totalement active. Est-ce qu'il y a des écoutes vraiment 100% dédiées? Je pense qu'elles sont très rares et marginales. Le podcast demande toujours une écoute plus active que la musique qui peut vraiment devenir un fond sonore, mais cela ne veut pas dire qu'on va lui dédier une écoute totale. Certaines personnes ont aussi un usage du podcast comme fond sonore parce qu'elles ont simplement envie que quelqu'un leur parle. Je pense qu'il y a quand même plusieurs niveaux entre les deux extrêmes et un champ très vaste d'écoutes possibles.  

Propos recueillis par Elie Olivennes.

Alex Blumberg: «Le podcast est encore un média naissant»

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Alex Blumberg est un héros. Le héros du podcast «Start Up», dans lequel il a raconté l’épopée du lancement de sa boîte de podcasts, Gimlet Media, en 2014. (Au départ, il était seul, ils sont une centaine aujourd’hui). Il sera aussi bientôt le héros d’une série télé: Alex Inc, adaptation de «Start Up» dans laquelle le comédien Zach Braff jouera son rôle (en mars 2018 sur ABC). Et il est déjà notre héros, chez Louie Media, parce qu’il fait les podcasts que l’on aime, ceux qui s’écoutent comme on regarde des séries Netflix. D’ailleurs, en parlant de séries, un autre de ses podcasts est en cours d’adaptation: la fiction audio «Homecoming», qui sera portée à l’écran chez Amazon, avec Julia Roberts. Gimlet ne cache pas ses ambitions de devenir le «HBO des podcasts»: début 2018, ils ont carrément lancé une cellule film et télé.

Quelques semaines plus tôt, en novembre, nous le rencontrions dans ses impressionnants bureaux de Brooklyn. Et à quelques mois du lancement de Louie, alors que nous venions de quitter Slate, c’était l’occasion de s’interroger sur le sens nouveau que peut prendre aujourd'hui le mot média, ce petit mot accolé à Gimlet, qui fait pourtant de la fiction autant que du documentaire.

Qu’est-ce qu’un média pour vous aujourd’hui ?
C'est pas facile à expliquer car cela prend plus de formes différentes que par le passé. Un média pouvait être un film, une émission de télé, un article, un livre... Aujourd'hui, vous avez des vidéos YouTube, des posts Instagram, des diatribes sur Facebook, des tweetclashs, et tout ça peut être considéré comme du média.
Les médias étaient historiquement des sortes de gardiens du temple, mais cette période est terminée. Il y a longtemps eu des entreprises de médias, maintenant il y a des plateformes sur lesquelles les gens peuvent publier des médias.

Comment faire la différence alors, entre tous ces contenus média?
Parmi les entreprises de média, on commence à voir des façons de se différencier. Certaines essaient de faire beaucoup de choses différentes qui ne valent pas cher. Et si vous pouvez produire du contenu pour peu cher, alors vous pouvez gagner de l'argent avec. Et si vous faites beaucoup de contenu peu cher, vous pouvez gagner beaucoup d'argent.

Ce n'est pas votre stratégie!
Non, nous avons choisi l'autre possibilité, qui est d'ajouter de la valeur à l'objet que vous créez pour que cela devienne du contenu que les internautes vont chercher. Vous aurez ainsi plus d'auditeurs qu'en produisant la version low cost. Et il y a d'autres stratégies encore mais ce sont les deux principales.
Si vous venez des médias traditionnels, vous pouvez vous considérer comme un professionnel qui a un savoir-faire. Et avec ce savoir-faire, il y a beaucoup d'opportunités, c'est sûr. D'une certaine manière, il y a tellement de contenus aujourd’hui que c'est encore plus important d'avoir une idée de ce que c'est de produire un bon contenu.

Pourquoi avoir préféré vous définir comme un média plutôt que comme une boite de production?
C’est une décision économique et intellectuelle. Les podcasts peuvent devenir des franchises : si vous avez un show qui sort régulièrement comme «Reply All» ou «Every Little Thing», on peut vendre de l’espace publicitaire, cela devient une habitude pour les auditeurs, l’audience croît régulièrement, et cela peut devenir une franchise avec beaucoup de valeur. C’est aussi une façon d’être capable d’investir. On ne peut pas engager autant d’argent pour un show qui n’est pas à nous. S’il appartient à quelqu’un, ils peuvent juste partir et nous avons perdu tout notre argent. Nous avons la propriété intellectuelle, si ça marche bien, l’équipe gagne, le présentateur est valorisé et cela rapporte de l’argent que l’on peut investir dans d’autres émissions. Pour avoir travaillé à «This American Life» et «Planet Money», je sais que ce sont des émissions très chères à faire et nous avons levé des fonds. Ce ne serait pas cher par rapport à la télé, mais c’est très cher dans le monde des podcasts. Pour un épisode comme «Planet Money», le budget peut s’élever à un ou deux millions de dollars par an. Pour «This American Life», j’imagine que c’est plus que ça.

Et en tant que média, pourquoi avoir choisi de faire la fiction? Est-ce un moyen de vous renouveler, de raconter le monde autrement?
Oui, la fiction est très intéressante pour ça. La fiction audio avait disparu ici aux États-Unis, tout était passé à la télé. Et la fiction audio qui perdurait restait nostalgique et vieillotte. Mais notre intuition était que les gens aiment les bonnes histoires et que si on pouvait en produire en audio de manière plus contemporaine, ce serait remarquable. Nous avons donc fait «Homecoming», qui réunit des acteurs connus [David Schwimmer, Oscar Isaac] et c’est l’un de nos podcasts les plus écoutés.

Mélissa Bounoua et Charlotte Pudlowski