Yanny, Laurel et les trompe-l'ouïe

Yanny ou Laurel?

Vous vous souvenez de la robe? Non? Mais si: cette robe, objet d'affrontements sur les réseaux sociaux de hordes d'internautes déchaîné.e.s. Les un.e.s prétendaient la voir blanche et dorée, les autres bleue et noire. Figurez-vous qu'un phénomène similaire fait rage depuis quelques jours, mais cette fois à propos d'un enregistrement audio. Lundi dernier, le débat est né sur Reddit. Le lendemain, les débats ont continué après le tweet d’une internaute. Écoutez l'enregistrement qui se trouve juste en dessous. Qu'est-ce que vous entendez?

Is it Yanny or Laurel? Tell me what you think in the comments below! Like and subscribe for more videos!

Alors, faites-vous partie du camp «Yanny» ou du camp «Laurel»?
Comment est-ce possible qu’une moitié de personnes entende un mot, et l’autre moitié un autre? D’autant que les sonorités de ces deux noms n’ont à peu près rien à voir! Y a-t-il des explications à ce phénomène d’illusion auditive, de trompe-l’ouïe?
 

Non, vous n’êtes pas fous

 

Oui, il y a des explications, rassurez-vous. Selon cet article de Spin, la différence de perception auditive tient simplement aux variations de la gamme de fréquences que nous sommes capables d'entendre, notamment les fréquences hautes (c’est-à-dire les aigus). L’être humain est généralement en mesure de percevoir jusqu’à 20 kHz environ. L’article précise que cela correspond à peu près à deux octaves de plus que la note la plus aiguë d'un piano.

Mais il arrive que certaines personnes n’aient pas une perception auditive aussi étendue, c’est même plutôt fréquent d’ailleurs. Dans le cas de cet enregistrement, les sons qui composent «Yanny» sont proches de 20 kHz. Donc, les personnes qui entendent «Laurel» ont une ouïe moins sensible aux aigus que celles et ceux qui entendent «Yanny». La divergence viendrait donc de notre perception des sons et de l’acuité de notre oreille. The Upshot du New York Times a même fait un outil avec un curseur pour faire varier la hauteur de la voix de l’enregistrement. Vous allez être capables d’entendre «Yanny» ou «Laurel» à loisir!

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Mais cet article de The Atlantic propose une solution un peu différente. Chelsea Sanker, une phonéticienne de l'Université Brown, s’est penchée sur le spectrogramme obtenu à partir de l’enregistrement qui fait débat. Et la conclusion est assez claire, pour elle: ni «Yanny», ni «Laurel» n’est vraiment prononcé ici. Elle explique que le premier son entendu n'est assurément pas vélarisé (c’est-à-dire que la langue de l'orateur ne touche pas l'arrière de son palais mou). Donc ce n’est pas un L (comme dans «Laurel»). Mais la consonne du milieu n'est pas non plus un N, nous apprend-elle. On pourrait en entendre un parce que le son «i» qui suit a une sonorité très nasale. Il pourrait aussi y avoir une confusion à cause du dernier son entendu dans chacun des deux mots. Les deux sonorités («i» et «el» ) sont «sonnantes» ou «résonantes»: on peut continuer à les prononcer jusqu'à manquer d'air, contrairement aux sons occlusifs comme le «p» ou le «t». Donc cette explication-là considère plutôt que la source du débat vient de l’enregistrement lui-même, vu qu’il s’agit d’une voix artificielle.

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Mais des explications plus cognitives peuvent également être apportées. Ainsi, Le Monde cite le magazine anglo-saxon The Verge, qui est allé interroger Lars Riecke, professeur adjoint en audition et neurosciences cognitives à l’université de Maastricht. Ce dernier indique qu’il ne s’agit pas vraiment ici d’une illusion auditive, mais plutôt d’une figure ambiguë: «Une partie de la variation peut être due au système audio jouant le son [...] mais cela dépend aussi de la mécanique de vos oreilles, et ce que vous espérez entendre». Nina Kraus, du laboratoire Brain Volts de l’université Northwestern, explique au National Geographic que «la façon dont vous entendez le son est influencée par votre vécu et ce que vous savez sur ce son». Dans le même article, Douglas Beck, rédacteur en chef de la revue d’audiologie Hearing Review, poursuit ainsi: «Beaucoup pensent que l’ouïe se produit dans l’oreille, mais en réalité l’ouïe et l’audition s’accomplissent dans le cerveau».

Mais alors, le cas Yanny Laurel est-il unique pour autant faire parler de lui? Et bien non! Il y a quantité d’illusions auditives, de «trompe-l’ouïe». Simplement, nous nous y sommes habitué.e.s. La plus répandue est peut-être celle de la stéréophonie: quand on écoute de la musique ou un podcast sur deux enceintes, il arrive que l’on entende des sons provenant du milieu, d’entre les deux sources réellement existantes! Un autre exemple connu: le bruit que fait une ambulance ne change pas, il reste le même, et pourtant nous l’entendons se modifier lorsqu’elle s’éloigne. Cette perception auditive est due à la vitesse de propagation du son : c'est ce qu'on appelle l'effet Doppler.

Chez Louie en tout cas, pas d’entourloupe. Que du son authentique pour le plaisir de vos oreilles!

Elie Olivennes

Le conseil podcast de Alice David: La Poudre

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Alice David est actrice. Elle est à l'affiche de Monsieur Je-sais-tout et de Demi-sœurs (sortie le 30 mai 2018)

«Je suis une très grande fan de musique, j’en écoute beaucoup, et de manière passionnelle. Quand un album me plaît, je le savoure en boucle, jusqu’à ne plus en pouvoir. À défaut de trouver une autre nouveauté musicale qui me transporte, je me suis tournée vers un podcast, puis deux, puis trois, et je suis tombée sur La Poudre de Lauren Bastide. D’abord celui avec Fanny Herrero, scénariste de la série Dix pour cent, passion de mon métier oblige. Elle y raconte comment elle aimerait voir des femmes en costume noir à Cannes, et donc vêtues comme des hommes, pour que l'on commente plus leur travail que leur tenue. Ça m’a interpellée: est-ce qu’on en arrivera là? J’ai continué avec Sophie Fontanel, et je me suis baladée grâce à elle, entre le sexe et la mort, mais avec humour et légèreté. Puis, l’amour de la musique n’étant jamais très loin, j’ai écouté Juliette Armanet, et je pense que c’est l’un de mes préférés. La discussion est toujours intime sans jamais être impudique. Ce sont des parcours de femmes, ou plutôt de personnalités intrigantes, qui me font les aimer encore plus fort. Je le recommande à tous les curieux, hommes et femmes confondu(e)s.»

La Poudre est un podcast de Nouvelles Écoutes présenté par Lauren Bastide.


Crédit photo: Martin Lagardère.

Podcast? Poulet? Poulcast?

Aujourd’hui, on va vous parler de volaille. De poule, de coq et d’œuf pour être précis. Oui, oui (vous étiez tous à la campagne cette semaine). Parce que le podcast est une forme encore naissante bénéficiant d’une liberté extraordinaire et d’une multitude de possibilités vocales, sonores ou encore thématiques, de plus en plus de créateur.trice.s essaient, innovent, expérimentent. Et il faut avouer que ces expérimentations flirtent parfois avec l’étrange et le déconcertant. C’est de cette catégorie un peu particulière que l’on aimerait vous parler aujourd’hui à partir de trois exemples de podcasts assez différents. Et le poulet est une thématique assez abordée dans certains podcasts... ou pointus ou bizarres. En tout cas dans les trois que l’on a choisis pour cette newsletter.

Vous le verrez, le caractère incongru de certaines émissions ne se réduit pas à un simple étonnement distant, à un lever de sourcil dubitatif, ou à une duck face (du poulet au canard, il n’y a qu’un pas) flegmatique! Au contraire, il suscite parfois le sentiment d’une diversité inhérente à la forme-même du podcast, terrain d’exploration riche et inépuisable… bien qu’incongru.

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Quand le podcast est à la fois bizarre et super cool, ça donne: 

Hello from the magic tavern

Ce podcast anglophone est juste génial. En plus d’être drôle et divertissant, il compte un bon nombre de bizarreries. Chaque épisode dure entre 30 minutes et une heure, et commence avec un rappel de ce qu’il est arrivé à l’animateur, Arnie, juste avant de commencer l’émission. Arnie est passé à travers un portail dimensionnel magique qui se situait à l’arrière d’un Burger King de Chicago, et s’est retrouvé dans une étrange contrée du nom de «Foon».

Par un miracle inexplicable, il continue de capter un signal Wi-Fi faible et peut donc diffuser un podcast hebdomadaire enregistré dans la taverne du Vermilion Minotaur où il interviewe et discute avec de drôles de monstres, des sorciers obsessionnels, des aventuriers pas très courageux, etc. Une galerie de personnages loufoques défile dans une ambiance de taverne recréée simplement par des crépitements de feu de bois, des tintements de chopes qui trinquent et quelques rires aux éclats en fond sonore. Pour les amateur.trice.s de jeux de rôle, les fans d’Heroic fantasy, ou les amoureu.se.s de Tolkien, ce podcast est pour vous!

On vous recommande tout particulièrement l’épisode 2 où il est question d’un certain voyageur, Tom, héritier du trône ayant délaissé son habit princier pour celui d’acteur dans la fameuse troupe des «Cock Ticklers», en Français les «Chatouilleurs de ...». Nulle obscénité ici, puisqu’il s’agit bien de poulet, ou plutôt de coq, bien sûr, que les comédiens viennent titiller sur scène! Bref, vous l’aurez compris, ce podcast marie à merveille l’humour le plus subtil et les blagues grivoises, dans un talk fictif assez déroutant auquel on s’habitue au bout de quelques minutes.

Kesskonnatan (pour être heureux)

Ce podcast francophone du studio Le Poste Général, est composé d’épisodes de moins de 5 minutes qui sont de petites pastilles sonores complètement barrées. Le principe est le même à chaque fois: une blague, une chanson, une recette de cuisine facile. Sauf que –et c’est là ce qui rend cette émission on ne peut plus bizarre– toutes les voix sont artificielles. Comme celle de Siri, ou lorsque vous utilisez un traducteur sur internet et que vous cliquez sur «Prononcer». Le son est de bonne qualité et le montage dynamique, mais non dépourvu d’un certain sens de l’absurde. En effet, il imite un poste de radio qui passerait d’un canal à l’autre rapidement et sans souci de cohérence. Le tout donne un effet assez expérimental et original.

Dans cet épisode par exemple, vous entendez un robot vous raconter la blague du cheval qui va à la boulangerie, chanter «L’Amour A La Plage» de Niagara, et vous apprendre à faire de bons œufs au plat. Et on retrouve notre thématique du poulet! Hum, simple coïncidence?

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The Urban Chicken podcast

Alors là, vous êtes servi.e.s. Ce podcast est animé par Jen Pitino qui se définit comme une «chicken enthusiast». Il nous a été recommandé sur Twitter et nous a immédiatement plu. Tout, absolument tout, ce qu’il faut savoir sur le poulet y est consigné, analysé, discuté. Vous avez toujours rêvé de maîtriser l’art du poulailler? Écoutez l’épisode 7. Les poux et les acariens trouvent un refuge chaleureux sur les plumes de vos poules et vous ne savez pas comment vous en débarrasser? L’épisode 14 est fait pour vous. Comment pomponner ses poules pour les présenter à un concours de beauté? L’épisode 53 vous donne toutes les clefs pour réussir. Pris au sérieux ou non, il faut reconnaître que ce podcast est tout simplement incongru, tant la thématique générale est précise, les sujets des épisodes variés (alors qu’ils parlent tous du poulet!), et la musique du générique… étonnamment entraînante.

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Et comme le patriarcat n’a pas épargné le domaine de la volaille, on vous recommande particulièrement l’épisode 2, intitulé  «The Feminist's Chicken!», où il est question de Nettie Metcalfa. Cette remarquable éleveuse de poulets américaine est la seule femme de l’Histoire à avoir créé une race unique de poule officiellement reconnue par l'Association Américaine de la Volaille.

Elie Olivennes

Le conseil podcast de Benjamin Parent: Scriptnotes

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Benjamin Parent est scénariste et réalisateur. Son court métrage Ce n'est pas un film de cow-boys a été nommé aux César en 2013. Il est le co-créateur de la série OCS Les Grands et co-scénariste du prochain film d'Hugo Gélin : Mon Inconnue ; il prépare actuellement son premier long métrage.


«Les scénaristes John August (Big Fish) et Craig Mazin (Very Bad Trip) vous embarquent chaque semaine dans une conversation sur l'écriture scénaristique en lui redonnant la place qu'elle mérite. On y parle de tout: technique d'écriture, genre de films, d'être auteur aujourd'hui... C'est drôle, passionnant et toujours bienveillant. Qu'on aime ou pas les films de ces auteurs, leur podcast est une mine d'informations pour tous les scénaristes qui veulent perfectionner leur "art". Utile, agréable donc indispensable.»

Scriptnotes est à écouter sur le site de John August.

Comment faire le meilleur son de podcast?

Depuis la sortie, en février dernier, du service en ligne Anchor 3.0 qui propose tout une batterie de fonctionnalités pour la création sonore, chacun peut prendre goût au podcast et en réaliser un. Plus besoin du dernier micro Sennheiser ou Neumann ultra-sensible, ni d'un studio high-tech parfaitement insonorisé! Bon, il est vrai que le podcast ne faisait pas pour autant figure de produit très sophistiqué et technique aux yeux de tou.te.s, mais peut-être semblait-il encore hors de portée pour certain.e.s.

Cette accessibilité accrue à la création sonore se vérifie en effet par le nombre de sorties de plus en plus important de podcasts –on a dépassé les 50 milliards d'écoutes et de téléchargements depuis 2005 sur Apple. Les podcasts indépendants font avancer le médium, l'enrichissent de nouvelles idées de formats, de sons, de voix, d'histoires. Mais il est important également d'avoir une attention particulière à la qualité du son. Or, rien de mieux pour cela que de s'en remettre aux mains d'un.e professionnel.le. On est donc allé interviewer l'un de nos ingénieurs du son, Jean-Baptiste Aubonnet, pour qu'il vous parle de l'importance de son métier, et surtout, de qualité de son en podcast.

Qu'est-ce qu'une bonne prise de son pour un podcast?

J.-B. A.: «C'est au moment de la prise de son que la majorité des choix sont faits, ne serait-ce que la distance entre le micro et la personne interviewée. Plus il est proche, plus l'environnement autour sera loin. Pour la prise de son, ce sont toujours les mêmes conseils: être le plus proche possible de la voix, essayer de se mettre dans un environnement dans lequel il n'y a pas trop d'acoustique, ni trop de bruits parasites, que ce soit une fenêtre qui donne sur un boulevard ou un frigo qui fait du bruit, par exemple. Chaque élément sonore que l'on a autour de soi peut être un parasite. L'idée c'est de trouver un endroit où on les réduit au maximum.

Dans l'idéal, quand on fait de la prise de voix en studio, on change de micro parce que certains vont mieux marcher sur certaines voix. Mais, au final, la référence est toujours la même: les oreilles. On se sert de ses oreilles pour écouter ce que l'on enregistre, et ensuite, avec la chaîne des outils de prise de son (le micro, le pré-ampli et l'enregistreur), on essaie d'avoir un grain et un rendu qui corresponde le plus possible à la réalité entendue. Personnellement, dans le cadre des voix, j'essaie d'avoir un rendu le plus naturaliste possible.»
 

Tu te charges aussi du mixage. Qu'est-ce que c'est?

«Le mixage vient après la prise de son. On travaille plutôt sur le ressenti que va amener la voix. On essaie de trouver le timbre le plus naturel possible, tout en étant le plus agréable. Si une voix est un petit peu agressive, on va calmer les aigus pour l'adoucir. Au contraire, si une voix a beaucoup trop de coffre, de caisse, donc de fréquences basses, on va les calmer un petit peu aussi pour que la voix soit entendue le mieux possible.

Il y a des zones de fréquences que l'on va également augmenter pour améliorer ce que l'on appelle l'intelligibilité. Ce facteur est très important car on ne sait pas sur quoi le produit final va être écouté: sur un casque iPhone, sur des écouteurs vraiment mauvais, ou sur une paire d'enceintes à 20.000 euros. Il s'agit d'essayer de trouver le grain sonore qui va amener le même ressenti, quel que soit le support ou même le lieu d'écoute, dans un salon très calme, ou dans le métro. C'est un jeu d'équilibriste puisqu'il faut aussi garder l'identité sonore de la personne qui parle. Dans le grain d'une voix, déjà énormément de choses se disent et se racontent.

Quand je fais le mixage, je n'ai pas d'influence sur ce qui est dit, j'ai une influence sur la manière dont on l'entend. Imaginons une œuvre visuelle, quelle qu'elle soit, un tableau ou un dessin. Sans mixage ou avec un mauvais ingénieur du son, c'est comme si cette œuvre était exposée dans une cave mal éclairée. Si je fais bien mon métier, cette œuvre est alors parfaitement éclairée, accrochée dans une galerie, bien encadrée et mise en valeur.»
 

Nos oreilles à nous, auditeurs lambda, sont-elles assez sensibles pour entendre la différence entre une bonne et une mauvaise prise de son, un podcast mixé ou pas?

«Sincèrement je pense que oui. Nos oreilles sont ultra éduquées, surtout à la voix enregistrée et microphonée, et particulièrement en France avec une tradition radiophonique assez forte. De base, l'oreille humaine est un sens assez étrange, dont on n'a pas forcément conscience puisqu'il est constamment allumé, en route. L'ouïe ne s'arrête jamais. Il suffit de fermer les yeux pour prendre conscience du fait que l'on voit. Au contraire, on entend absolument tout le temps. Cela ne rend pas forcément l'ouïe éduquée. Mais du moins, on emmagasine de la mémoire auditive non-stop, même quand on dort, ce qui la rend sensible à de plus en plus de sons.

Ce qui est intéressant, c'est que la voix enregistrée, notamment la voix radiophonique, n'est pas une voix que l'on a l'habitude d'entendre dans la réalité, puisque c'est comme si quelqu'un nous parlait de manière très proche, au creux de l'oreille. On rentre dans une intimité. La bonne qualité de prise de voix, c'est ce réalisme, mais aussi l'effet que cela va avoir sur nous en termes d'intimité. Pour les podcasts, une bonne qualité de son, c'est quand la voix réussit à créer ce rapport-là d'intimité, comme si une personne te racontait une histoire à toi, et uniquement à toi. Et on sent quand ça marche et quand ça ne marche pas.»


N'y a-t-il qu'une seule bonne qualité de son en podcast?

«La bonne qualité sonore dépend fortement de ce que l'on veut raconter. On peut très bien avoir un rapport un peu plus éloigné à la voix, mais qui est ultra réaliste parce que la voix est ancrée dans un environnement sonore qui nous parle (on entend les voitures passer dehors, la machine à café qui coule...). Là, c'est moins un rapport à l'intime qu'un rapport au réel qui est engagé.

La voix telle qu'on l'a travaillée dans les podcasts de Louie Media est légèrement différente du rapport radiophonique. Typiquement un Transfert, ce n'est pas une voix au creux de l'oreille qui vient effleurer le tympan, mais ce n'est pas une voix très éloignée non plus. On a plutôt l'impression que la personne est en face de nous, que l'on est capable de la regarder dans les yeux. C'est en tout cas l'imagerie que je m'en fais. C'est intéressant parce qu'au final, on est presque plus naturel que la radio, qui serait plutôt naturaliste, et pourtant, on est détaché du réel au sens où la voix est isolée du reste de l'environnement sonore. On se retrouve avec une personne qui nous raconte son histoire à nous auditeurs, sans que l'on prenne en compte l'endroit où la personne se trouve. Transfert, c'est une confession. Il faut donc garder cette proximité et cet isolement.»


Qu'est-ce qu'on peut faire pour améliorer la qualité de notre son?

«En terme de qualité de son, on peut toujours faire mieux. Avoir un micro et un enregistrement encore plus cher, qui font passer moins de souffle, qui rendent un grain de voix encore plus plein. Mais ce ne serait pas fondamentalement différent. Donc je pense que sur Entre et Transfert, on pourrait difficilement faire vraiment beaucoup mieux. Mais ce qui est intéressant, c'est qu'il faut que l'on aille ailleurs, sur d'autres formats, sur des rapports différents au produit audio. Il y a plein d'autres voies qui peuvent être explorées. C'est là que l'on va découvrir de nouveaux challenges.»

Propos recueillis par Elie Olivennes

Le conseil podcast de Navie: 1 heure avant la rupture

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Navie est rédactrice, autrice, scénariste.

«Si Chouchou et Loulou avaient eu un podcast en 2018. Magali Bertin et Seb Melia s’aiment, s’adorent et ne se supportent pas... toujours. Pour régler leurs comptes et se retrouver, ils ont eu l’idée de créer 1 heure avant la rupture, un podcast d’une heure enregistré dans leur salon où ils parlent de Chris Pratt, des vacances en solo, de leurs engueulades de couples, de féminisme... c’est drôle, sincère et spontané.»

• 1 heure avant la rupture, à écouter sur Sebmellia.frApple Podcasts, YouTube...

Les podcasts peuvent-ils sauver Hollywood?

Come Sunday, nouveau film sorti sur Netflix en ce mois d’avril, pourrait être une production comme une autre –un récit inspiré d’une histoire vraie, incarné par des stars américaines, Chiwetel Ejiofor, Danny Glover, Martin Sheen... Mais c’est aussi un film d’un genre nouveau: les adaptations de podcasts.

Avant d’être une production hollywoodienne, Come Sunday était un épisode de 2005 de l’émission This American Life, intitulé «Heretics», produit par Ira Glass et Alissa Shipp. Et si ce genre d’adaptations n’est pas intrinsèquement nouveau, il se développe à toute allure aujourd’hui: ABC vient de sortir sa série Alex Inc, adaptée du podcast Start Up, d’Alex Blumberg; HBO a adapté 2 Dope Queens et d’autres projets sont en cours, notamment Dirty John, S-Town

Une nouvelle manne de spectateurs

Pour The Economist, qui analysait fin 2017 l’adaptation du podcast Lore (podcast d’histoires vraies qui font peur, racontées comme autour d’un feu de camp), «le fait qu’un humble podcast puisse appâter des dirigeants de chaînes de télé est la preuve que le média podcast est à son zénith». Citant une enquête d’Edison Research estimant que 67 millions d’Américains de plus de 12 ans écoutaient alors des podcasts mensuellement (le chiffre dépasse désormais les 73 millions) et que 42 millions en écoutaient toutes les semaines (48 millions aujourd’hui), l’hebdomadaire relevait qu’il s’agissait-là d’un chiffre 4 fois supérieur au nombre de personnes se rendant au cinéma toutes les semaines.

Lorsque les magnats du cinéma ou de la télévision écoutent des podcasts, ils voient évidemment une manne de spectateurs potentiels pour leurs productions. Et une manière de limiter les risques d’échec. À la sortie de Come Sunday, Ira Glass, créateur de This American Life expliquait au Hollywood Reporter: «Les podcasts génèrent un lien extrêmement fort entre une émission donnée et sa communauté d’auditeurs», notant que cela créait un public fidèle facilement convertible aux adaptations télé ou ciné. L’épisode de This American Life adapté par Netflix avait été écouté par 4,5 millions de personnes. Le podcast Lore est suivi selon The Economist par 5 millions de personnes par mois: de quoi assurer une communauté solide de spectateurs au moment de la sortie.

Face à la déprime

Mais les écrans pourraient peut-être voir autre chose dans les podcasts. Prequels après sequels, après blockbusters, une critique lancinante a émergé: Hollywood pue. Une mauvaise odeur se répand, de manque de créativité, parfum fétide de la lassitude et de la recherche de profits faciles. «Hollywood est en pleine déprime créative», pouvait-on lire dans le The Hollywood Reporter en 2016. Un constat qui ne cesse d’être répété, au moins depuis le début des années 2000: le refus de prendre des risques conduit au ramollissement intellectuel et artistique du cinéma américain.

À l’inverse, l’industrie des podcasts est perçue aujourd’hui comme extrêmement créative et innovante. Dans son roman graphique Out on the Wire, la bédéiste Jessica Abel présentait d’ailleurs la narration sonore aujourd'hui comme «le terrain le plus fertile pour la non-fiction narrative dans les médias anglo-saxons». Et en fiction –bien que la fiction audio existe depuis que l’audio existe–, de nouveaux codes sont à inventer pour susciter des mondes aussi crédibles et vivants que ce à quoi les fictions visuelles nous ont habitué.e.s. Elie Horowitz, co-scénariste de Homecoming, podcast de fiction de Gimlet Media bientôt adapté par Sam Esmail (Mr Robot) pour Amazon avec Julia Roberts confiait d’ailleurs, «en audio, certaines choses sont plus compliquées, créer un cadre, faire comprendre qui parle, donner une texture à chaque scène… Ces contraintes apparaissent d’abord comme des obstacles ou des limites: des corvées à subir. Mais nous progressons sans cesse dans notre capacité à nous en servir comme des tremplins créatifs».

Étant encore loin de brasser autant d’argent que les industries des écrans, l’industrie du podcast est aussi beaucoup plus libre, moins soumise aux impératifs de rentabilité; elle est aussi encore «cool» comme l’expliquait Zach Braff, qui joue le rôle d’Alex Blumberg dans Alex Inc.

Paradoxalement, cette vague d’adaptations de podcasts pourrait permettre un renouveau créatif à l’écran. S’il n’est pas encore flagrant (les titres cités ne brillent pas par l’originalité de leur transposition filmique), les réalisateurs, en piochant dedans, pourraient bien se confronter à cette ébullition et en bénéficier. Les règles sont à écrire: comment transposer le son en image? Comment inventer le regard qui correspond à l’oreille?

Sans compter que le cheminement inverse des adaptations est en train de s’insinuer. Plusieurs boîtes de production de podcasts américaines nous ont fait remarquer qu’elles discutaient avec des boîtes de productions de films de la possibilité de tester en podcasts des scénarios que ces dernières n’osaient passer directement à l’écran. Si produire un podcast de grande qualité coûte cher, cela coûte toujours moins cher que de mettre Brad Pitt et Jennifer Lawrence dans une pièce avec une caméra braquée sur eux. Produire un podcast «test» est une nouvelle option pour s’aventurer sur de nouveaux terrains, explorer de nouvelles histoires, de nouvelles manières de raconter.


C.P.

Le conseil podcast de Titiou Lecoq: Mon enfant terrible

Titiou Lecoq est autrice et journaliste pour Slate.fr. Tous les vendredis, vous pouvez lire sa super newsletter. Et son dernier livre paru est Libérées! Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale.

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«Mon enfant terrible est un podcast qui ressemble à des discussions très personnelles que j’ai eues avec mes amies et amis quand, après avoir fait des blagues, on s’avoue nos peurs, nos erreurs, nos sentiments d’échec. C’est exactement ce qui me plaît dans le podcast, quand il est exploité sous la forme d’une communication de l’intime, où l’on nous murmure ce qu’on n’ose jamais dire tout haut. Ici, c’est la mère d’un petit enfant qui essaie de comprendre pourquoi il fait des crises de rage tellement violentes qu’elles l’effraient. Qu’est-ce qu’on fait, de forcément mal, pour qu’à un moment notre enfant se mette à nous taper, nous griffer, nous mordre? Comme elle le dit lucidement "avoir des enfants, c’est découvrir qu’au fond on est un monstre”. C’est rassurant à écouter, c’est drôle, c’est émouvant et encore mieux: à la fin, il y a un vrai twist.»

Mon Enfant terrible, un podcast de Karine Le Loët à écouter sur Arte Radio.

Quels modèles économiques pour le podcast aujourd'hui?

Nous avons lancé mardi une campagne de financement participatif! Autant vous dire que pour les 40 prochains jours, vous allez voir passer un sacré nombre de postes sur les réseaux sociaux, à base de «PARTICIPEZZZ ✨⚡️💥🔥🌪🌈☀️❤️💛🤘» (Et effectivement, n'hésitez pas à participer 😏). Alors nous nous sommes dit que la moindre des choses était d'expliquer à quoi cet argent allait nous servir. À financer:

  • Les journalistes, qui cherchent avec intelligence et attention des histoires fortes et pertinentes, susceptibles de vous attendrir, de vous émouvoir, de vous enthousiasmer.

  • Les artistes qui composent nos musiques et dessinent nos illustrations.

  • Le matériel dont nous nous servons et les studios dans lesquels nous enregistrons pour vous faire entendre des voix toujours plus intimistes.

  • Les ingénieurs du son qui apportent leur extrême méticulosité à nos projets pour qu'ils sonnent le mieux possible.

  • Et le temps de production qu'il faut pour mener tous ces projets à bien.

Il s'agit aussi bien sûr de vous faire contribuer au développement de Louie! Mais c'est également un enjeu financier. Ce crowdfunding était l'occasion parfaite de se pencher sur le modèle économique du podcast. Nous avons donc interrogé trois acteurs français majeurs de ce milieu: Joël Ronez, cofondateur de Binge Audio; Julien Neuville, cofondateur de Nouvelles Écoutes; Candice Marchal, cofondatrice de BoxSons.
 

Quel est votre modèle économique aujourd'hui?

Joël Ronez, de Binge Audio:
«Notre modèle est aujourd'hui fondé sur la publicité et le brand content d'une part, et la production déléguée d'autre part. La publicité, c'est du sponsoring qui vient sur nos programmes. Pour le brand content, on travaille avec des clients comme Disney, Universal Pictures dans le domaine du cinéma; avec Médecins sans frontières, l'Université Paris-Saclay, la mairie de Paris dans le secteur public... La production déléguée, c'est la production de programmes que nous faisons pour le compte de diffuseurs ou de médias tiers. C'est ce qui forme la majorité de nos revenus aujourd'hui. On fait aussi de la production exécutive, de la prestation et du conseil, notamment dans le secteur des enceintes connectées. D'ici deux ans, s'ajoutera à notre modèle actuel une partie freemium: les auditeurs pourront souscrire à une partie payante qui donnera accès à un certain nombre de contenus additionnels à valeur ajoutée.»

Julien Neuville, de Nouvelles Écoutes:
«C'est un modèle économique traditionnel dans le milieu du podcast, anglophone ou français. Il est fondé sur la publicité dans les programmes que l'on produit nous-mêmes et sur les contenus que l'on peut réaliser avec et pour des clients privés, qu'il s'agisse d'organisations, d'entreprises, de clubs de foot...»

Candice Marchal, de BoxSons:
«On a un modèle économique payant qui fonctionne par abonnement. Pas de publicité, et pas d'argent industriel. Nous sommes parties avec un capital de base constitué de fonds propres et de fonds amicaux, auquel s'est ajouté l'argent collecté grâce au crowdfunding.» 
 

Binge Audio, modèle freemium d'ici deux ans. Nouvelles Écoutes, gratuit. BoxSons, payant. Pourquoi ce choix?

Joël Ronez:
«Nous ajouterons ce modèle freemium pour disposer d’un lien direct avec nos auditeurs, et notamment pouvoir s’obliger à produire des contenus haut de gamme qui correspondent à leur demande. Cela nous permettra aussi de disposer de données statistiques fiables et utiles au pilotage éditorial.»

Julien Neuville:
«C'est un débat perpétuel dans les médias. En ce qui nous concerne, c'est un choix personnel. On ne veut pas sélectionner notre audience en fonction de ses revenus et de son pouvoir d'achat. J'entends aussi les arguments selon lesquels il faut payer pour avoir de l'information. Je pense que c'est bien d'avoir un peu de tout. Si tout le monde avait des régimes payants, cela ferait des notes de fin de mois colossales pour ceux qui sont abonnés à plusieurs programmes.»

Candice Marchal:
«D'abord parce que l'information a un coût. Nous, on fait du reportage, c'est ce qui nous distingue, même si on a quelques sections qui sont davantage de l'ordre du podcast, comme ce que fait Pascale Clark le dimanche [Un Bien Beau Brouhaha]. Il était hors de question pour nous d'un point de vue déontologique de mettre de la publicité, ou d'avoir des actionnaires qui aujourd'hui ont des participations dans toutes les boîtes.»
 

Avez-vous constaté un changement sur le plan économique depuis votre lancement?

Joël Ronez:
«On a fondé Binge Audio sur la base d'une analyse du marché et d'une intuition qui s'est révélée payante. Pour l'instant, les hypothèses que l'on avait formulées se sont vérifiées. Ce que l'on a constaté cependant depuis janvier, c'est une accélération brutale de la demande de la part des marques, des médias et des annonceurs. Pour vous donner un ordre d'idées, sur le premier trimestre de 2018, on a fait le chiffre d'affaire de toute l'année 2017.»

Julien Neuville:
«Oui, bien sûr. De plus en plus d'annonceurs comprennent la valeur d'une audience moins large, dans le podcast, mais beaucoup plus engagée et beaucoup plus fidèle. Il y a beaucoup plus d'annonceurs qui sont intéressés par l'audio en général, qu'il s'agisse des podcasts ou du développement des smart speakers.»

Candice Marchal:
«Nous sommes les seuls à faire payer pour du son. Je n'ai pas vu d'autres acteurs sur le marché qui le font. Donc ce changement, je ne le constate pas du tout. En ce qui concerne l'économie liée à la publicité, il faut s'adresser à ceux qui en font parce que je ne saurais dire s'ils ont plus de partenaires commerciaux. Quant à nous, nous n'avons pas changé de stratégie économique depuis notre lancement.»
 

L'avenir économique du podcast est-il assuré?

Joël Ronez:
«On ne peut pas dire qu'il y ait un avenir économique certain pour le podcast. Un avenir est assuré aux entreprises qui savent tirer leur épingle du jeu dans un environnement. Tout dépend de votre stratégie et des talents que vous faites travailler. En revanche, ce qui est sûr, c'est que le secteur de l'audio numérique est en plein boum et va continuer à progresser de manière importante. Chez Binge Audio, nous sommes assez confiants sur la suite des événements. Maintenant, ce que l'on appelle “podcast” aujourd'hui deviendra de l'audio parlé non-linéaire qui prendra de multiples formes.»

Julien Neuville:
«On ne peut jamais dire que c'est assuré, on dépend beaucoup des aléas du marché. Dans les médias ou dans le domaine des services, il faut à chaque fois aller chercher un client. Cela demande beaucoup de ressources humaines et financières pour chaque contrat. Le podcast se propage petit à petit auprès des grands décisionnaires et des grandes boîtes, mais également auprès des plus petites start-up. Je pense d'ailleurs qu'il est encore plus intéressant de miser sur ces petites structures. Ce sont des noms un peu moins connus, mais elles font beaucoup de business en ligne. Il s'agit de grandir avec eux, plutôt que d'attendre que les grands groupes se tournent vers nous.»

Candice Marchal:
«Le podcast existe en France depuis très longtemps, sous diverses formes, qu'il s'agisse des fameux replays de Radio France, de radios privées, ou de podcasts amateurs. Il est vrai que depuis un an, il y a une offre de podcasts qui se professionnalise un peu. On en est aux prémisses je pense, mais j'ose imaginer qu'à l'instar des médias papier traditionnels qui se sont mis au net, l'évolution va se faire. C'est une alternative de plus pour les auditeurs. Il s'agit d'essayer de toucher le plus de monde possible, même si les gens ne savent pas encore très bien ni ce qu'est un podcast, ni où en trouver.»
 

En fonction de ces évolutions, envisagez-vous de changer votre stratégie économique?

Joël Ronez:
«J'ai une maxime qui dit : "Il faut avoir une stratégie très ferme et établie, mais en changer tout le temps”. C'est sûr que l'on adapte toujours sa stratégie aux événements du marché et à la façon dont les dynamiques créatives, techniques et économiques se déploient. On ne peut pas décider que le marché sera comme ceci ou comme cela, donc on changera ce qui doit être changé. Ce qu'on ne changera pas, c'est l'envie d'être un média, donc d'être un producteur, un éditeur et un diffuseur de contenus.»

Julien Neuville:
«Tout se passe comme c'était plus ou moins prévu, au moins en termes organisationnels. On met d'abord l'accent sur les équipes de production et de création. C'est la priorité pour nous. On arrive dans un second temps aujourd'hui où, avec notre chiffre d'affaire qui grandit, on a besoin de structurer nos efforts commerciaux. Mais pour l'instant, il s'agit pour nous de rester une boîte à taille humaine, très petite, agile et flexible. Il s'agit d'être à la fois performant et pertinent pour tenter d'être les meilleurs sur chaque domaine. On est quand même au début de quelque chose. Les marques ne savent pas encore ce qu'elles veulent, il n'y a pas de règles véritablement établies. Donc on essaie de faire du sur-mesure.»

Candice Marchal:
«Non, nous ne ferons pas de publicité et nous agirons sans partenaires industriels. C'est une question de déontologie qui est vraiment très importante pour nous. On a évidemment beaucoup de confrères ou consœurs qui travaillent dans des médias possédés par des grands groupes où il y a pléthore de publicité, et on ne doute pas un instant de leur indépendance. Simplement, il y a toujours un soupçon qui vient des auditeurs, des lecteurs, des téléspectateurs. Cette défiance qu'il y a à l'égard des journalistes aujourd'hui, nous voulons la réduire en montrant que nous sommes totalement indépendants.»


Avez-vous fait un crowdfunding? Selon vous, pourquoi est-ce important pour un studio de production de podcasts?

Joël Ronez:
«On a fait un crowdfunding il y a un an et demi. C'est intéressant dans un processus initial d'amorçage pour trois raisons. D'abord, c'est un moyen important pour structurer et rassembler une communauté autour d'un objectif et d'une offre. C'est aussi une façon de se forcer à structurer un discours, une manière de communiquer et puis une offre auprès d'un public. Enfin, c'est un moyen de récupérer de l'argent qui vous permet de financer vos développements, et c'est quand même le principal.»

Julien Neuville:
«On a lancé notre crowdfunding quand on devait avoir quatre ou cinq mois. C'était important au début pour ne pas faire immédiatement rentrer des actionnaires externes qui n'auraient pas la même vision que nous ou que celle de l'audience. Cela importait aussi pour nous parce que l'on est gratuit, on l'a toujours été et on le sera toujours : il faut avoir les fonds nécessaires afin de produire ce que l'on a envie de produire. Cela permettait également de montrer qui on était, quelle était l'image de la boîte, et cela a donné aux internautes et auditeurs la possibilité de faire partie de notre développement. C'était l'occasion de montrer notre projet et d'évaluer ce que l'audience pouvait en penser. Si on n'avait pas réussi, on aurait compris qu'il aurait peut-être fallu changer des choses. Pour nous, cela a été positif, donc comme une première validation et confirmation que l'on allait dans la bonne direction.»

Candice Marchal:
«Nous avons fait un crowdfunding il y a un peu plus d'un an, en novembre 2016. On a récupéré 50.000 euros. C'était important pour fidéliser les gens et évaluer l’appétence que l'audience pouvait avoir pour un média alternatif comme BoxSons.»

Propos recueillis par Elie Olivennes

💡Pour participer au développement de Louie et faire émerger de nouveaux podcasts, vous pouvez contribuer ou partager notre campagne Ulule: Louie va vous faire entendre des voix.

Le conseil podcast d'Iris Brey: Les Couilles sur la table

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Iris Brey est critique et auteure de Sex and the Series.

«J’aime beaucoup le podcast Les couilles sur la table de Victoire Tuaillon qui s’empare d’une question qui me semble majeure, voire la plus importante, de notre époque : les masculinités. Essayer d’analyser comment les masculinités se construisent, les interroger avec des experts, c’est encore trop rare dans les médias ou dans les recherches universitaires. Et pourtant, on se rend bien compte après #MeToo et Time’s Up à quel point il est nécessaire de déconstruire la notion de virilité, de masculinité, pour nous permettre d’avancer dans nos réflexions sur les rapports de pouvoir, notamment entre les genres. Et, d’ailleurs, c’est le thème de deux épisodes récents. Mais le dernier épisode en date, le numéro 16 sur le porno, et notamment le porno gay, m’a particulièrement interpellée car les sexualités masculines sont rarement questionnées. L’intervenant de l’épisode, Florian Vörös, professeur de porn studies, nous permet vraiment de réfléchir sur les normes de masculinité qui se dégagent du porno hétéro et gay et comment nos “consommations” culturelles façonnent notre sexualité. J’aime aussi beaucoup la manière dont Victoire Tuaillon mène ses entretiens. On la sent très préparée, curieuse, précise et soucieuse de ne jamais perdre celui ou celle qui l’écoute. Bienveillante. Chaque épisode reste unique, sans impression de répétition, ni dans la structure, ni dans les propos, ni dans ses intervenant.e.s. C’est toujours une très agréable surprise.»

Les Couilles sur la table, un podcast de Binge Audio par Victoire Tuaillon. 

Comment le podcast est-il entré dans votre vie?

À chaque fois qu’on parle de podcasts avec quelqu’un, on a l’impression qu’il se passe quelque chose de spécial, qu’un lien nous unit. On a le sentiment de faire partie de la même communauté, de se comprendre mieux et de partager un point commun très fort. C’est peut-être ça aussi, écouter des podcasts: faire partie d’un collectif de passionné.e.s. C'est pourquoi nous vous avons proposé un court sondage à vous, auditeurs.trices. Et c'est avec joie que nous avons reçu et lu toutes vos réponses. Certaines nous ont intrigués, d'autres épatés, d'autres encore émus par leur simplicité. Il faut préciser que ce questionnaire, loin d'être exhaustif, n'a pas été soumis à une partie représentative de la population. Notre seul objectif est de faire parler ceux qui, d'habitude, écoutent.

Théodore, 25 ans, en a fait un rituel : «J'écoute des podcasts parce que j'aime leur ambiance, parce qu'ils traitent de sujets qui m'intéressent [...] J'apprécie ce format parce qu'il me permet d'écouter des choses intéressantes facilement, en particulier dans les moments où je suis occupé par une activité qui ne demande pas beaucoup de concentration (quand je fais la cuisine, ou du rangement...). J'écoute aussi quasi systématiquement des podcasts avant de m'endormir parce que c'est une activité qui peut se pratiquer allongé et les yeux fermés.»

«J'aime ces capsules consacrées à des sujets très variés. J'aime écouter les gens parler sans devoir répondre, sans devoir voir. Les podcasts, parce qu'ils sont souvent indépendants, sont libres dans leur sujet: écouter les histoires incroyables ou même banales des gens (Transfert), parler du corps, de racisme, sans barrière ni tabou (Un podcast à soi, The Why “Le Poukwa”), découvrir des personnalités depuis un point de vue plus intime (La Poudre) ou donner la parole à une jeune fille (Entre) : ne serait-ce qu’envisageable à la radio?», détaille Joséphine, 25 ans.

C’est encore Myrtille, 33 ans, qui manifeste son amour pour le podcast: «Ils me font du bien, m'ouvrent à de nouvelles thématiques, me rendent plus intelligente, me font me poser de nouvelles questions. C'est une vraie ouverture sur le monde, une motivation et une stimulation intellectuelle quotidienne.»

D’autres nous ont plutôt parlé de leur histoire personnelle.

Une personne de 39 ans, qui a préféré rester anonyme, nous explique sa redécouverte du podcast après avoir écouté Le Donjon de Naheulbeuk il y a quelques années: «J'ai recommencé à écouter [des séries audio] grâce à mon fils... Quand je le promenais dans sa poussette et qu'il dormait, je m'occupais l'esprit avec ces séries audio. Je continue à en écouter parce que j'y trouve une fraîcheur, une émulation. Les récits sériels m'ont toujours plu (sagas littéraires, bd/mangas, séries TV...). C'est un autre imaginaire encore.»

«C'est mon nouveau média pour m'informer, découvrir, m'instruire ou me divertir (en parallèle avec YouTube). J'apprécie beaucoup ce format car je peux l'écouter partout, en faisant à manger, en me baladant ou en conduisant. J'en consomme beaucoup au travail. Je bosse dans la grande distribution, de 4h du matin jusqu'à l'ouverture du magasin, et c'est l'occasion rêvée pour écouter des podcasts tout en remplissant les rayons», raconte Benoît, 46 ans.

C’est une question pratique pour Sébastien, 36 ans: «Je prends beaucoup le métro et j'en ai marre de trimballer des gros livres pour finalement ne rien pouvoir lire parce qu'on est trop serrés, alors j'écoute.»

«Au départ, c'était pour accompagner mes trajets quotidiens hivernaux, car je marche tous les jours pour aller travailler et revenir. Les écouteurs calés sous le bonnet et la capuche, les fils qui passent méthodiquement sous la grosse écharpe, l'iPod rangé à l'intérieur de la veste, au chaud, et j'étais prête pour le trajet de 30 minutes. [...] J'habite au Canada, ça me permet d'écouter et de rattraper des émissions et l'actu française, par exemple. Ce format donne un accès à une authenticité. [...] J'aime ce que le podcast peut offrir au développement de la francophonie», rapporte Maureen, 34 ans.

«J’habite à l’étranger donc suis peu en contact avec la langue française. Écouter des podcasts pour moi, c’est presque comme si j’écoutais les conversations de mes propres amis», avoue Marie, 28 ans.

Mais alors, le podcast, est-ce vraiment réservé aux passionné.e.s? Pas forcément! Il existe plein de façons différentes d'en découvrir ou de se familiariser avec ce format.

Certains passent par les réseaux sociaux pour en trouver, comme Laura, 28 ans, qui écoute maintenant Riviera Détente. D’autres y ont été conduit.e.s en profitant de la radio de rattrapage. Le bouche-à-oreille est très puissant également. Et de plus en plus de médias en parlent ou en proposent. Ainsi, Élodie, 27 ans, découvre «“Jusqu'où peut-on aller pour devenir ami avec ses voisins”. De Transfert sur Slate. Je vais régulièrement sur Slate. Pour leurs angles originaux. Et puis j'ai découvert cet onglet podcast avec cette rubrique. Transfert. J'ai accroché tout de suite.» Vous pouvez même tomber sur un podcast parce que c’est l’invité qui vous intéresse en réalité, comme Johan, 18 ans: «Sur YouTube, ça parlait d'un rappeur que j'aime bien, Gringe». Il était l’invité d’Antonin Archer dans l’épisode 35 de Nouvelle École. «C'était cool, du coup j'ai continué à en écouter.»

Une fois dedans, certain.e.s se mettent à adorer vraiment ça, comme Clément, 26 ans, qui écoute «au minimum 30 minutes par jour, le matin et le soir dans les transports». Un point commun quasiment systématique des réponses que nous avons obtenues: les auditeurs consomment du podcast… EN MASSE. Comme Mélanie, 41 ans: «Deux heures par jour (dans les transports). Je suis abonnée à une cinquantaine de podcasts, mais il m’arrive d’en abandonner certains et d’y revenir ensuite (par exemple, j’ai des périodes d’écoute intensive de tout ce que fait Arte radio, puis j’arrête de télécharger leurs productions pendant deux ou trois mois, puis rebelote). En ce moment, j’écoute systématiquement tout ce que sortent : Les Couilles sur la table, Vieille Branche, Transfert, Entre, Where Should We Begin...».

Presque tous les auditeur.trice.s de podcasts en recommandent à leurs ami.e.s, parfois même trop. Nous aussi, on a l’impression d’en parler beaucoup plus qu’il ne faudrait dans une conversation normale, mais que voulez-vous…? C’est tellement génial!

Un grand merci à toutes et à tous pour vos réponses. Cela nous procure toujours un immense plaisir de lire votre engouement pour le podcast (et pour les productions de Louie)!

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Le conseil podcast de Géraldine Sarratia: Un podcast à soi

Géraldine Sarratia est rédactrice en chef des Inrocks et anime Dans le genre sur Radio Nova.

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«Un de mes podcast français préférés est Un podcast à soi de Charlotte Bienaimé sur Arte radio. Elle aborde des questions féministes, ayant trait à l'égalité homme-femme dans notre société. C'est à la fois intime, très précis fouillé, documenté, avec une vraie progression de la pensée. J'ai beaucoup aimé l'épisode “Qui gardera les enfants”, qui interroge, en lointain écho au Chanson douce de Leïla Slimani, la relation que certaines femmes blanches de classe supérieures ou moyennes favorisées entretiennent avec d'autres femmes, moins favorisées elles, souvent migrantes, à qui elles ont recours pour garder leurs enfants et résoudre l'inégale répartition des tâches domestiques.»

• Un podcast à soi, épisode 5, sur Arte Radio

Racontons-nous encore de vraies histoires?

Il y a quelques semaines, le sociologue Christian Salmon nous annonçait un changement. Lui qui avait théorisé, il y a une décennie, la manière dont nous étions entré.e.s dans l’ère du storytelling (technique de communication consistant à user des procédés narratifs et de la mise en récit pour renforcer l'adhésion du public au fond du discours, à des fins économiques ou encore politiques; ou comment «transformer un politique, un cadre d'entreprise ou un baril de lessive en héros de saga») déclare maintenant aujourd’hui: «Fini le storytelling, bienvenue dans l’ère du clash». Dans son long papier ainsi titré, publié sur le site de Médiapart, il explique la manière dont désormais «les événements ne s’ordonnent plus en feuilletons mais sont gouvernés par l’imprévisibilité, l’irruption, la surprise»

Il y a 10 ans, Salmon regrettait dans son passionnant ouvrage que «l’essor du storytelling ressemble en effet à une victoire à la Pyrrhus, obtenue au prix de la banalisation du concept même de récit et de la confusion entretenue entre un véritable récit (narrative) et un simple échange d’anecdotes (stories), un témoignage et un récit de fiction, une narration spontanée (orale ou écrite) et un rapport d’activité.» Si l’ère du storytelling s’achève. Va-t-on pouvoir enfin restaurer de vrais récits, de vraies histoires? Et se pose alors la question: c’est  quoi, une vraie histoire?
 

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Figurez-vous que Walter Benjamin, philosophe allemand du début du XXème siècle, peut nous aider à répondre à cette question.

«L’art de raconter est en voie de se perdre», constatait-il dans Expérience et pauvreté, publié en 1933. Nous sommes près d’un siècle avant Salmon et déjà le philosophe analyse avec une lucidité étonnante le tournant qui est en train de se jouer à la charnière du XIXème et du XXème siècle. Selon Walter Benjamin, le XXème siècle entre dans une véritable crise de la narration qui a déjà débuté au siècle précédent.

Une finalité morale

Traditionnellement, la narration repose sur un aspect utilitaire, une moralité, un conseil de vie. Cette finalité morale du récit suppose, chez celui ou celle qui raconte, une forme de sagesse «tissé[e] dans l'étoffe d'une vie vécue». Cette sagesse précisément, explique le philosophe allemand, est en déclin au début du XXème siècle. La sagesse se comprend, selon lui, comme une forme d'autorité acquise par l'expérience des années passées et la proximité d'avec la mort. Le mourant est alors le symbole d'une sagesse qui se veut transmissible. C’est la figure extrêmement courante du vieux sage. Et quel est le point commun entre les trois plus grands ou plus célèbres vieux sages de la culture pop: Yoda de Star Wars, Dumbledore de Harry Potter et Gandalf du Seigneur des anneaux? [SPOILER] Ils meurent. Tous les trois. (Même si ok, certains ressuscitent ou parlent d’une mystérieuse façon aux vivants). Et ils ont anticipé leur mort prochaine. D’où la nécessité de transmettre leurs histoires et leurs expériences à un héritier ou un apprenti plus jeune.

Or, «au XIXe siècle, la société bourgeoise, avec ses institutions hygiéniques et sociales, privées et publiques, a obtenu un résultat accessoire, qui était peut-être inconsciemment son but principal: permettre aux hommes de ne plus assister à la mort de leurs congénères». La poursuite effrénée du nouveau dans les sociétés modernes a anéanti la sagesse en mettant à distance les personnes âgées susceptibles d’avoir des expériences à partager, donc les vraies histoires.

Il faut ajouter que les nouvelles techniques d'enregistrement de la voix (gramophone, phonographe, téléphone), jouent un rôle crucial dans cette disparition de la sagesse. Elles ont en quelque sorte supprimé l'autorité conférée par la mort prochaine et la nécessité urgente de transmettre les expériences. Quand un simple bouton permet d'immortaliser une voix, un conseil sage, une philosophie de vie, il n'y a plus d'angoisse de la transmission.

Il importe assez peu qu’il s’agisse d’une histoire vraie, plutôt que fausse. Il faut, en revanche, que ce soit une véritable histoire, pas une anecdote, ou un récit simplement divertissant. Une vraie histoire, selon Walter Benjamin, c’est donc la narration d'une expérience qui permet à l'auditeur d'en apprendre plus sur la personne qui raconte mais aussi et surtout sur l'être humain en général. On en sort grandi.e, enrichi.e d'une sagesse nouvelle qu'il faudra transmettre à notre tour aux générations suivantes.

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Pourquoi ne racontons-nous plus de véritables histoires?

La narration suppose donc le partage d'expériences. Or, ce partage s'effectue dans le cadre d'une tradition reprise par les générations successives, dans la continuité d'une parole transmise des parents aux enfants. Mais la modernité, selon Walter Benjamin, se caractérise par le «temps disloqué et entrecoupé du travail dans le capitalisme moderne». Les événements de la vie quotidienne deviennent alors pour lui intransmissibles. Perdu dans l'«existence normalisée et dénaturée des masses soumises à la civilisation», l'individu moderne perd ses capacités narratives, privé d'expériences à raconter et d'interlocuteurs à qui les raconter. La massification de la civilisation et le développement de l’ère industrielle sur le modèle de la standardisation ont fait perdre aux actes des êtres humains leur caractère d’événements singuliers et d'expériences individuelles et uniques. C’est-à-dire, en définitive, leur possibilité de s’intégrer dans un récit, avec toutes leurs dimensions d’imprévu, de surprise, et d'absence d'explication.

Walter Benjamin constate un déclin de la continuité temporelle, fondée sur les relations entre les générations. Une forme nouvelle de continuité apparaît entre le XIXème et le XXème siècle: celle de la masse, spatiale, liée à l’urbanisation. Aujourd'hui, à l'ère des réseaux sociaux et de la mondialisation, c'est le contact avec les autres individus, éloignés spatialement de nous, que nous recherchons. Le partage des expériences se fait dans l'instantané mais sur des grandes distances. À l'inverse, les vraies histoires, selon le philosophe, se transmettent face à face et directement, entre deux personnes que de nombreuses années séparent.

Par quoi les avons-nous remplacées?

Au cours de la deuxième moitié du XIXème, l'information connaît des progrès incroyables. La presse se développe considérablement, s'organise, se spécialise et est lue par des millions de personnes. Selon Walter Benjamin, l'information se concentre sur l'explication: «l’événement […] est […] imposé au lecteur dans ses connexions logiques». Au contraire, la narration est beaucoup plus ouverte et refuse l'explication systématique. Elle laisse au lecteur ou à l'auditeur le soin d'interpréter le récit comme il l'entend ou même de demeurer dans l'étourdissement d'une histoire surprenante, voire incompréhensible.

La suppression de la proximité physique entre la personne qui raconte et celle qui écoute a rendu caduque toute possibilité d'échange et d'incarnation des événements transmis. Ce que la presse raconte et explique apparaît entièrement détaché de la vie du lecteur. La narration, à l'inverse, «incorpore [les événements] dans la vie même de celui qui raconte, pour le[s] communiquer, comme sa propre expérience, à celui qui écoute. Ainsi le narrateur y laisse sa trace, comme la main du potier sur le vase d’argile»

En réalité, le face à face solennel, parfois difficile à obtenir,  n’est sans doute pas nécessaire à un véritable récit. Du moment que ce que Benjamin associe au face à face –l’incarnation très forte, l’attention à l’autre, la possibilité d’un partage– est reproduite ailleurs. Par exemple (vous me voyez venir?) via les podcasts narratifs. Vous avez à travers ces récits cette transmission incarnée, par la voix, l’écoute active qui se distingue de l’attention passive que l’on constate parfois vis-à-vis des écrans.

Peut-être que si le monde politique désinvestit le storytelling, nous reviendrons plus facilement collectivement à ces vraies histoires que Benjamin louait. 

Moralité de la newsletter: Walter Benjamin aurait écouté des podcasts, à coup sûr!

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Le conseil podcast de Christophe Abric: Song Exploder

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Christophe Abric, connu sur les internets sous le nom de Chryde, a créé la Blogothèque, une entité qui s'efforce de créer des moments musicaux uniques, et de les filmer.

«Song Exploder existe depuis plus de quatre ans, ne fait qu'une chose et la fait extrêmement bien: demander à des musiciens de disséquer un de leurs morceaux, d'en raconter la genèse, en nous expliquant les paroles, en nous faisant écouter les maquettes, en isolant une partie de guitare ou le bout de sample dans le fond auquel on n'avait pas fait attention. Hrishikesh Hirway, son créateur, efface toutes ses questions du montage pour laisser l'artiste raconter seul son morceau. Mais il a un incroyable talent d'intervieweur : on sent qu'à chaque fois le musicien va chercher des réponses et des histoires qu'il n'a jamais racontées ailleurs. Il faut juste écouter Michael Kiwanuka raconter son mal-être d'ado noir qui aime la musique blanche et ne trouve sa place nulle part, tout en nous faisant écouter les premières prises d'un gospel reposant sur un simple claquement de main. Ou Robin Pecknold des Fleet Foxes décrire une de ses chansons comme un ornithologue parlerait d'un rare colibri, MGMT nous révéler qu'ils ont caché un riff de piano d'Abba dans “Time to Pretend“ ou encore entendre St Vincent nous dire qu'elle aimerait qu'une de ses chansons soit assez forte pour devenir la préférée d'une poignée de gens. Le meilleur podcast musical, tout simplement.»

Song Exploder est un podcast (en anglais) du réseau Radiotopia

Mais pourquoi est-ce si compliqué d'écouter un podcast?

Lorsque l’on prononce le mot podcast (24 fois par jour), il arrive encore que nos interlocuteurs nous regardent hébétés: «des podcasts?». Il faut alors mettre notre casquette d’adoratrices et de productrices du média en question pour expliquer: du son, internet, des nouveaux formats. Surtout qu'il y a deux types de podcasts: les podcasts de rattrapage –on peut podcaster n'importe quelle émission de radio déjà diffusée– et les podcasts natifs –qui ne sont créés que pour internet. 

Ensuite, vient le moment où nous devons détailler COMMENT écouter des podcasts.

 
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Nous aimerions apporter une réponse simple. Au lieu de cela, nous posons plus de questions: tu as un smartphone? Comment écoutes-tu la radio? Tu préfères écouter des podcasts sur ton ordinateur? Chaque studio de podcasts sait répondre à ces questions. Parfois, cela consiste à emprunter les téléphones des personnes que nous croisons pour les abonner à Transfert ou à Entre, pour que la barrière technologique soit dépassée.

Pour comprendre à quel point cela peut être complexe, lisez ce «guide podcast simple» du centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information de l'académie de Nancy-Metz: publié en 2011, il rappelle comment Europe1 suggérait de télécharger les fichiers d'émissions pour les graver... sur des CD. 

La barrière technologique tient à toutes les façons d'écouter un podcast: chaque émission/épisode peut être lu en ligne indépendamment grâce à un lecteur (ou player), sur des sites comme SoundcloudStitcher ou YouTube en trouvant le diffuseur que vous cherchez (Louie, au hasard) ou sur notre site Louiemedia.com pour Entresur le site de Slate.fr pour Transfert. Ou vous pouvez automatiquement recevoir les nouveaux épisodes car chaque podcast dispose d'un flux RSS: le diffuseur télécharge les sons et ils viennent s'empiler dans un fil d'épisodes/émissions. Ce flux se met à jour automatiquement quand on publie un nouvel épisode et c'est grâce à ces flux que fonctionnent les applications de podcasts que vous utilisez: Apple Podcasts ou la multitude d’applications sur Android (Podcast Addict, Overcast, Breaker...). Quand vous vous abonnez à un podcast pour suivre tous les épisodes, c'est à ce flux RSS que vous vous abonnez. Ensuite, une notification vous prévient quand un nouvel épisode du podcast est disponible. Dernière option: on peut encore télécharger les fichiers un par un sur son téléphone ou son ordinateur sans s'abonner au flux. C'est le cas ici pour Entre.

Une fois que vous avez compris, il faut savoir comment trouver des podcasts à écouter. L'appli Apple Podcasts fait des suggestions:

oit vous trouvez un podcast qui vous plaît, soit vous en cherchez un autre, auquel cas il faut taper son nom dans la barre de recherches. Vous arrivez sur la page du podcast. 

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Vous noterez que quatre clics sont nécessaires pour commencer à écouter Entre. Là où une vidéo se joue automatiquement sur YouTube ou Facebook.

Ce grand fouillis des usages donne lieu à des tutos et quand une technologie n'est pas forcément évidente pour tous, on convoque souvent les grands-mères (ou les femmes mûres qui n'ont pas toutes des petits-enfants) pour savoir si elles comprennent. C’est Marie-Thérèse qui dit tout son amour pour Les Pieds sur Terre de France Culture avec Sonia Kronlund.

 
 

Ou Mary dans This American Life, l’un des podcasts les plus écoutés aux États-Unis.

 
 

C’est aussi ce que met en avant The Podcast App, une nouvelle application lancée début 2018: «si simple, même votre grand-mère pourrait s’en servir»Au-delà de la simplicité du design et de l’expérience pour l’utilisateur, les fondateurs cherchent aussi à faciliter la recherche de podcasts. Quand on ouvre l’application, on renseigne ses centres d’intérêts. The Podcast App fournit ensuite une liste de recommandations parmi les 30 millions d’épisodes référencés. Le PDG Martín Siniawski entend améliorer grandement le référencement en indexant non seulement les titres et les descriptions des épisodes du podcast mais aussi en détaillant l'intégralité du contenu. Les diffuseurs américains font de plus en plus de retranscriptions texte –Gimlet pour tous ses podcastsThis American Life– mais la pratique n'est pas encore si répandue (et si lisible).

Il faudra des initiatives comme celle de The Podcast App pour généraliser l’écoute des podcasts. À la différence des réseaux sociaux que l’on connaît, aucun des Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) n’a fait d’efforts importants pour rendre les podcasts beaucoup plus accessibles. Facebook, Twitter et Instagram valorisent l’image et la vidéo, assez peu le son. Soundcloud, qui aurait pu être le YouTube du son, existe mais était en danger en 2017. Apple a lancé l’iPod en 2001 pour écouter de la musique en se baladant et c'est de là que les podcasts tirent leur nom. Ce n'est qu'ensuite qu'Apple a développé une appli entièrement consacrée au podcasts sur ses téléphones. Entre temps, de nombreuses solutions pour lire des podcasts ont été développées mais aucune n'a été assez simple d'utilisation pour que l'adoption soit massive. Et sur Reddit, certains internautes se demandent encore si Apple Podcasts n'est pas l'une des pires.

Comment s'en sortir? Avec les assistants connectés? L'année 2018 sera celle de la voix grâce aux Google Home, Amazon Echo et Alexa et autres Homepod (Apple). On peut se dire que c’est enfin le moment où l'écoute va se simplifier. Même si, en ce début d’année 2018, les radios sont faciles d’accès –il suffit de dire «Ok Google, lance France Inter»– la commande «Ok Google, lance le podcast...» fonctionne encore rarement. Car les diffuseurs doivent soumettre leurs flux à des services comme TuneIn ou Spotify –qui commencent tout juste à référencer des podcasts français– et l'auditeur doit trouver les mots exacts pour, enfin, écouter ses podcasts.

Les amateurs de ce format vous diront que c'est finalement assez simple une fois que l'on a choisi ce qui convient le mieux. Et si nous sommes déstabilisé.e.s, c’est aussi que c'est en décalage avec l'évolution de nos usages au cours des dix dernières années. Tout s'est concentré autour de quelques plateformes: Netflix a considérablement simplifié notre façon de regarder les séries télé en créant une plateforme géante; on a un moteur de recherches dominant: Google. Amazon aimerait que nous n'allions plus à l'épicier du coin ni au supermarché (ou alors dans leurs supermarchés). Les podcasts restent l'une des rares pratiques culturelles où il n'y a pas encore d'acteur dominant: Apple est loin de tout faire pour s'imposer. Et peut-être que c’est un peu une bonne nouvelle ce manque de concentration. Le jour où ce sera trop facile, ce sera cool pour les auditeurs, peut-être moins pour le «bouillonnement» du marché.

Les conseils de Gabrielle Deydier: Coming In et GROSSE

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Gabrielle Deydier est l'autrice de On ne naît pas grosse.

«J'hésite entre Coming In d'Elodie Font et des podcasts de Neil Jomunsi. Celui d'Elodie m'a profondément émue... Neil Jomunsi est un auteur qui a un univers très riche. Il crée des nouvelles, des pièces de théâtre... Il les adapte aussi parfois en version audio avec un habillage très habile et qui apporte une réelle plus-value à l’œuvre. En 2013, il s'était lancé un projet fou, le projet Bradbury (c'est comme ça que je l'ai découvert): écrire une nouvelle par semaine pendant une année. À côté de ça, il réfléchit beaucoup sur le statut de l'auteur à l'heure des internets. Et il pose ses réflexions sur son site. J'ai choisi un texte qui s'appelle GROSSE. En fait, Neil a lu mon livre, il l'a énormément touché. Il a décidé d'écrire ce texte qui s'appelle GROSSE parce que le livre l'a ému. L'histoire: une fille grosse se fait harceler virtuellement sur les réseaux sociaux, et une nuit, ces réseaux prennent vie et s'en prennent à elle physiquement. C'est très bien écrit, très bien mis en scène sur le plan audio. Émouvant.»

Le mystère du langage est-il enfin résolu?

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, époque à laquelle explosaient les sciences du langage, tout le monde se passionnait pour la parole: c’était l’âge d’or de la linguistique structurale, de la psychanalyse, on pensait le langage comme une spécificité humaine… Et puis il y a eu un changement de paradigme scientifique, on a cessé d’opposer de manière aussi radicale nature et culture et, les sciences se sont désintéressées de la parole pour aller sur les terrains cognitifs et comportementaux.

Mais pendant ce temps-là, la question du mystère du langage humain n’est toujours pas résolue: pourquoi les humains parlent-ils? Vous, moi (moi beaucoup), qu’est-ce qui fait que l’on s’est mis à parler, un beau jour, il y a plus de 2 millions d’années? Que le cerveau humain est le seul adapté au langage. Pas seulement à la communication (comme tous les autres animaux) mais au langage, en désignant des choses absentes, des concepts complexes, des choses imaginaires ou futures. Un langage dit intentionnel. Et de la pensée et du langage, lequel produit l’autre?

En 2013, le linguiste américain Noam Chomsky notait encore

«La plupart des questions relatives au langage demeurent de complets mystères. (...) Dans l’usage le plus quotidien de la langue, les gens ne cessent de créer de nouvelles expressions, de nouvelles associations. Inédites pour eux, pour qui les entend, et peut-être inédites dans l’histoire de cette langue. Cette créativité, qui est pour Descartes le trait distinctif de l’esprit humain, demeure mystérieuse aujourd’hui comme elle l’était pour lui. Bien sûr, nous savons beaucoup sur l’expression, la construction du langage, etc. Mais le lien entre l’esprit et l’activation du langage? Mystère. Non seulement le mystère demeure, mais plus on étudie, plus on découvre l’ampleur de ce qu’on ignore.»

Cette histoire de mystère du langage me fait parfois l’effet que produit la répétition d’un mot. Vous dites courgette. Encore et encore et encore et tout à coup vous vous demandez comment ce mot peut bien vouloir dire ce qu’il veut dire, et vous n’êtes plus très sûr.e, un instant, de ce que c’est qu’une courgette. À force de faire parler des gens, et d’en écouter toute la journée dans des podcasts, ça génère parfois le même effet: pas seulement de créer du flou sur le sens d’un mot ou d’un autre, mais sur le sens même de la parole.  

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Mais je crois que je ne suis pas seule. Prenez Unabomber, la récente série Netflix réalisée par Greg Yaitanes. L’histoire du terroriste Ted Kaczynski est racontée par la quête des agents du FBI qui espèrent le cerner. Ils y arriveront grâce à une expertise linguistique; la série de nouveau explore le langage et ce qu’il contient.

Quelques mois plus tôt, c’était déjà le sujet du film Premier Contact de Denis Villeneuve, adapté au cinéma de la nouvelle de Ted Chiang. Des extraterrestres sont arrivés sur terre, ils n’ont pas de corps, pas de bouche, ils ne semblent pas dotés d’organes permettant la parole à la manière des humains. Comment va-t-on pouvoir communiquer avec eux? Quel langage adopter? Et quel rapport au monde ce langage traduit-il?

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Est-ce que ce sont les débats sur le «politiquement correct» (écriture inclusive, emploi d'un mot plutôt qu'un autre...) et la manière dont la langue s’adapte aux combats politiques, ceux sur la manière de communiquer aujourd’hui alors que les emojis s’insèrent dans le langage et que nos échanges sont à la fois instantanés (internet) et éternels (l’archivage des données), qui alimentent cette préoccupation majeure depuis le structuralisme d’après-guerre?

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Tout ça pour dire mon ravissement en tombant sur cette une de The Economist «Comment des Nicaraguayens sourds ont résolu le mystère du langage» (oui c’est écrit en très petit).

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L’article raconte qu’au Nicaragua, un nouveau programme de formation pour les sourds émerge à la fin du XXème siècle. Les professeurs doivent interdire la langue des signes pour favoriser l'apprentissage de la langue orale malgré le handicap. C'est un échec. Mais plusieurs années après, une enseignante prend conscience que l’une de ses élèves est en train de faire des gestes qui ne sont pas des mimes mais des signes, propres à une langue nouvelle. Elle se rend compte que les élèves, privés de la langue des signes connue jusqu’alors, ne connaissant aucune langue, ni parlée ni gestuelle, en ont réinventé une nouvelle. De toute pièce.

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Le cas a énormément intéressé les scientifiques, qui voyaient là une reconstitution possible du cadre dans lequel les hommes se sont retrouvés aux premiers temps de l'homo sapiens: sans fréquentation de langue préalable, comment en avaient-ils fait émerger une? Et donc était-ce acquis ou inné?

Le cas du Nicaragua apporte un argument de plus aux partisans de la théorie de l’inné: même sans fréquenter d’autres langues, la population sourde nicaraguayenne a fait émerger sa propre langue. 

Néanmoins, les tenants de l’acquis pourront aussi noter qu’un élément favorise non pas leur théorie mais le jeu de l’acquis malgré tout: la langue des signes ainsi constituée a montré que la première génération de sourds qui avait inventé cette langue la maîtrisait moins bien que la génération suivante qui l'avait apprise auprès d'eux, et pour qui cette nouvelle langue constituait une langue natale, acquise auprès des plus âgés.

Cette élucidation progressive du mystère est rassurante. Une indication que peut-être d’ici quelques décennies, assez tôt pour que nous en prenions connaissance, des réponses seront apportées.

Mais si les récits de langue des signes nicaraguayennes ne vous relaxent pas, nous avons aussi une newsletter avec des podcasts vraiment détentes. À découvrir ici. 

Le conseil de Jack Parker: Welcome To Night Vale

© Photo: Rémi Chapeaublanc

© Photo: Rémi Chapeaublanc

Jack Parker, de son vrai nom Taous Merakchi, est une rédactrice web devenue autrice: son premier livre, Le Grand Mystère des Règles, est sorti en mai 2017 chez Flammarion et elle vient de sortir chez le même éditeur un ouvrage collectif intitulé Lettres à l'ado que j'ai été.

«J'écoute énormément de podcasts américains, surtout des histoires flippantes, du coup j'ai eu un peu de mal à choisir. Mais celui qui garde la place n°1 dans mon coeur reste un des plus grands classiques du genre: Welcome To Night Vale. C'est une fiction audio qui dure depuis 2012, mais que j'ai prise en cours de route –j'ai dû tout écouter depuis le début, ça m'a pris des mois mais j'écoutais ça du matin au soir, dans les transports, sous la douche (merci les enceintes bluetooth waterproof), pour m'endormir... L'histoire se déroule dans une ville fictive du désert américain, et se présente sous la forme d'une émission de radio. C'est Cecil, l'animateur, qui nous guide au fil du temps dans les aventures de cette ville et de ses habitants, et c'est complètement délirant. Il y a un côté lovecraftien avec beaucoup d'humour, une énorme diversité dans les personnages (que ce soit leur couleur de peau ou leur orientation sexuelle, tout est représenté), mais il y a aussi des dragons à 5 têtes, des femmes invisibles qui vivent secrètement dans les maisons, des figures encapuchonnées qui traînent près du parc à chien où personne n'a le droit d'entrer, un service de police top secret, un chat qui lévite dans les toilettes de la radio, un gros nuage lumineux, des dimensions parallèles et des anges, même si c'est illégal de reconnaître leur existence. Ça demande un petit temps d'adaptation pour s'y mettre tellement l'univers est fou et dingo et plein de petites subtilités, mais, une fois qu'on tombe dedans, c'est super dur de s'arrêter tant la narration et les rebondissements sont palpitants. C'est totalement unique, c'est drôle, c'est touchant, c'est euphorisant et incroyablement imaginatif, et je réécoute souvent des épisodes au hasard pour me replonger dans l'univers en attendant que les nouveaux sortent... Je crois que celui qui m'a le plus marquée est "The Woman From Italy", parce que ça m'a fait flipper ma race, j'ai dû arrêter de l'écouter au lit et reprendre en plein jour, ce qui m'arrive assez peu souvent. La plupart des épisodes n'a rien de terrifiant, mais il y a des petits détails qui filent la chair de poule parfois, et c'est un plaisir pour les amateurs de frissons dans mon genre.»

Écoutez et riez

Vous avez peut-être été ému.e.s en écoutant Entre. Il faut aussi avouer que les épisodes de Transfert ne sont pas tous très gais. Mais on voulait vous prouver que notre objectif dans la vie n'est pas uniquement de vous faire pleurer. Relâchez ces sourcils froncés, desserrez ces mâchoires tendues, on vous emmène aujourd'hui du côté des podcasts qui nous font rire –et parfois pleurer de rire. Sélection très subjective et non exhaustive, bien entendu.

 
 

Les podcasts dont le but est de faire rire

Certains podcasts ont beau prendre une thématique générale comme prétexte (et la traiter parfois sérieusement), leur but premier est de faire rire l’auditeur.

  • But atteint avec How Did This Get Made?, ou son équivalent francophone 2 Heures de Perdues, qui décortiquent, à chaque épisode, un film. Jusqu’au moindre plan passé inaperçu pour la grande majorité des spectateurs. L’objectif: faire passer chaque film analysé pour la pire erreur cinématographique de l’histoire de l’humanité, en usant d’une mauvaise foi assez désopilante. On se rappellera avec amertume, et non sans un petit sourire en coin tout de même, le jour où nos souvenirs d’enfance de Harry Potter et la Chambre des Secrets, indéniablement le meilleur opus de toute la saga (oui!), furent souillés à jamais.
  • N’avez-vous jamais rêvé de tout connaître de célébrités que vous ne connaissez pas? Dans Who? Weekly, Bobby Finger et Lindsey Weber parlent de la vie de personnalités qui n’intéressent personne. Il est assez étrange, et hilarant, de constater, à la fin de chaque épisode, que l’on en sait beaucoup trop sur la vie privé de Jesse Metcalfe par exemple.
  • Jamie Morton a un jour découvert que son père avait écrit un livre porno. Et au lieu d’en cacher à tout prix l’existence ou d’être simplement dans le déni, il a décidé d’en faire un podcast, rapidement devenu culte. My Dad Wrote A Porno est une émission à se tordre de rire, au cours de laquelle il lit, en compagnie de James Cooper et d’Alice Levine, un chapitre par semaine. Il va découvrir des choses sur son père qu’il aurait peut-être préféré ne jamais savoir…
  • Mycose the night, produit par Arte Radio, réalisé par Elodie Font et Klaire fait Grr, est un incontournable. Les deux animatrices «discutent, informent, jouent et samplent sur à peu près tout et surtout n'importe quoi». Cette émission bimensuelle est un joyeux patchwork où s’enchaînent très vite blagues et anecdotes surprenantes. On vous conseille le premier épisode, bien sûr, où il est question de rentrée scolaire, de Charlemagne, du prix des fournitures, ou encore de la petite souris verte; un sujet qui nous est cher en ce moment avec Justine.

Les podcasts sur l’humour  

Si vous êtes amateur.trice de stand-up, que vous citez des humoristes à longueur de journée, ou que vous êtes simplement à la recherche d’une bonne blague pour le dîner que vous organisez ce soir avec vos ami.e.s, ces podcasts sont pour vous. Ils vous emmènent dans les coulisses des professionnel.le.s du rire, celles et ceux qui ont fait de l’humour leur métier.

  • Comedy News Weekly, c’est un podcast hebdomadaire (ou presque) animé par Anthony Mirelli et Dan Gagnon. Ces deux joyeux lurons explorent le monde de la comédie (spectacles, émissions, nouveautés) avec bonne humeur et pas mal d’autodérision. Si vous voulez écouter un aperçu de l’état de la comédie en France, on vous recommande cet épisode
  • Un trait d’esprit, une vanne, une boutade peut parfois être si drôle qu’en parler pendant 45 minutes ne pose aucun problème. Dans Good One: A Podcast About Jokes, Jesse David Fox accueille chaque semaine un humoriste pour parler de l’une de ses blagues et l’analyser.
  • Si vous voulez plonger dans la véritable fabrique de l’humour et du stand-up, on vous recommande The Comedian’s Comedian Podcast with Stuart Goldsmith. Dans chaque épisode, l’humoriste et acteur anglais invite un autre humoriste et lui pose des questions sur la manière toute personnelle dont il écrit ses sketchs et dont il travaille sa performance. Petit élément de surprise: l’enregistrement du podcast peut se faire chez l’invité.e, dans sa voiture, ou même directement sur scène!
  • L’équivalent français pourrait être Un café au Lot7, animé par Louis Dubourg qui, récemment lancé dans le stand-up, invite chaque semaine un.e autre humoriste. Le ton est enjoué, les blagues fusent et on en apprend beaucoup sur la fabrique du rire, les carrières des invités et leurs façons de concevoir leur métier.

Les podcasts à l’atmosphère amusante

Cette fois, l’humour n’est ni le sujet de ces podcasts, ni leur but premier. Ils sont simplement drôles parce que les intervenants qui y participent le sont où, plus souvent encore, parce qu’ils s’entendent si bien entre eux que l’atmosphère qui se dégage de l’émission est pleine de bonne humeur et de complicité.

Généralement, ce sont des talks, des émissions de discussion entre ami.e.s, dont les sujets sont variés. Après quelques épisodes, on a l’impression de comprendre la personnalité de chacun.e, de faire presque partie de la conversation ou d’écouter nos potes parler. Il est difficile de vous recommander un épisode en particulier de chaque podcast parce que, la plupart du temps, il en faut plusieurs pour s’habituer et rentrer dans la danse. Mais l’alchimie est parfois plus forte et quelques minutes suffisent pour se surprendre à se fendre la poire tout.e seul.e dans son lit.

  • L'Émifion, animé par Navie et Sophie-Marie Larrouy, est un podcast qui parle de sexualité sans tabous, idées reçues ou complexes. À écouter si vous voulez apprendre des choses en vous amusant de leur franc-parler et de leur complicité. On vous recommande l’épisode 40 «Comment être un bon coup?»: l’invité est Marilou Berry, et il se termine par une chansonnette un peu particulière (hum… pour adulte).
  • Dans le même genre: Guys We Fucked, un autre podcast comique et incontournable où Corinne Fisher et Krystyna Hutchinson interviewent des mecs avec qui elles ont couché.
  • «Je suis féministe mais, l'autre nuit, lorsque j'ai rêvé que je rencontrais Obama à la Maison Blanche, je ne l'interrogeais pas sur ses choix en matière d'affaires étrangères, si vous voyez ce que je veux dire.» Chaque épisode du podcast The Guilty Feminist (en français, «la féministe coupable») commence par une confession. Le reste de l'émission, toujours tournée en public, et animée par la comédienne Deborah Frances-White, laisse la parole à des femmes (comme l'épisode 67 avec l'actrice Sarah Horgan de l'excellente série Catastrophe) qui nous font rire mais nous éclairent aussi sur des sujets aussi importants que les violences conjugales, les droits trans, ou les négociations pour l'égalité salariale.
  • Parce que les ambiances les plus glauques, les sujets les moins légers, les histoires les plus terrifiantes, peuvent se transformer en une seconde en grand éclat de rire, Le Bureau des Mystères du studio Riviera Ferraille est un podcast à écouter. Énigmes extraterrestres, ovnis et crop circles sont passés en revue dans un curieux mélange d’angoisse et de bonne humeur. L’épisode 5 sur les mystères de Provence, avec Henry Michel, fondateur du studio, en est un bon exemple: où l’on rira du couple Beckham tout en se demandant à moitié sérieusement si les fantômes existent.
  • Pour les fans hardcore de jeux vidéos, les gamers amateurs, les casu… ou même celles et ceux qui haussent un sourcil interrogateur à l’évocation du nom Mario, ZQSD est un podcast très drôle sur les jeux PC où la bonne ambiance règne. On ne résiste pas à la tentation de vous partager un épisode, que l’on considère personnellement comme culte, du podcast de Gameblog où les intervenants nous font part de leurs pires moments vidéoludiques.
  • FloodCast est une émission présentée par FloBer où des personnalités de YouTube ou d’ailleurs (mais surtout de YouTube) se retrouvent pour parler de tout et de rien, en balançant de nombreuses anecdotes persos assez cocasses. Ça rit beaucoup et c’est assez amusant de n’entendre que les voix de ces personnages que l’on a l’habitude de voir. On vous le dit tout de suite : ils sont tout aussi drôles, voire plus, en podcast qu’en vidéo. 

PS : On aurait, en toute objectivité, inclus le podcast Studio 404, un talk de société sur le numérique et les nouvelles technologies, si Mélissa Bounoua qui y participe n’était pas la co-fondatrice de Louie Media…

 
 

Les podcasts faussement sérieux

Il y a enfin des podcasts qui ne laissent quasiment rien transparaître de leur envie de faire rire leurs auditeur.trice.s, et qui pourtant ne sont pas les moins marrants de cette liste! Leur ton est sérieux (ou presque), et tout est dans le jeu d’acteur parce que les thématiques abordées sont souvent on ne peut plus déjantées.

  • Nostalgie 2050, un podcast Deezer animé par Thomas VDB, prétend être enregistré dans les années 2050 et revient à chaque épisode sur la carrière fictive d’une personnalité d’aujourd’hui (2018) invitée. L’émission ne manque pas de faire des chroniques régulières sur un futur improbable et loufoque, le tout ponctué de fausses publicités du futur. On apprend avec stupeur dans cet épisode avec Kyan Khojandi, qu’«en mai 2032, internet a été coupé pendant plus de neuf mois dans l’hémisphère nord [et que] les sinistrés ont dû dresser leurs propres chats à faire des trucs mignons». Bref, c'est drôle.
  • On ne sait pas vous mais on a toujours rêvé d’assister aux séances de psychanalyses de super-héros. The Bright Sessions est un podcast de science-fiction écrit par Lauren Shippen qui joue le rôle du Dr. Bright. À chaque épisode, elle accueille un patient pour une séances de thérapie. Sauf que, comme vous vous y attendiez, ces patients sont dotés de capacités surnaturelles: télépathes, voyageurs temporels, empathes… Au fil des épisodes, certains patients reviennent, évoluent, progressent; le tout avec le plus grand sérieux possible. C’est troublant, curieux, et comique à la fois.

PS: Merci aux internautes pour leurs suggestions!

Les conseils podcast de Mathilde Lacombe: How I Built This et Serial

© Photo: Anne Lemaître

© Photo: Anne Lemaître

Mathilde Lacombe est entrepreneuse, co-fondatrice de Joliebox devenue Birchbox, auteure du livre Une question d'équilibre et fervente auditrice de podcasts! 

«Je recommande le podcast How I Built This et en particulier l'épisode avec Sara Blakely, fondatrice de Spanx. C'est le genre de parcours que je trouve vraiment très inspirant. Sara est partie de rien et a juste créé un produit qui correspondait à ses besoins (et pour le coup celui de millions de femmes). Aujourd'hui c'est une des plus belles réussites entrepreneuriales au féminin. J'adore ces success stories à l'américaine, ça me booste et ça me motive. Sinon, je recommanderais le premier épisode de Serial, saison 1. C'est le tout premier podcast que j'ai écouté. Je ne pensais pas être captivée à ce point par une série audio. C'est la première fois que j'ai ressenti le même sentiment d'addiction qu'avec une série télé. J'avais tellement hâte d'être dans le train ou le métro pour écouter la suite. Une belle entrée en matière dans le monde des podcasts»